Le triomphe de l'injustice - Emmanuel Saez et Gabriel Zucman

Le Triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie (2019) se propose d’expliquer les dérives du système fiscal nord-américain afin de mieux comprendre comment l’imposition, progressivement, est devenue indésirable aux États-Unis.

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publié le 25/03/2022 Par Élucid
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Constatant que cette évolution a entraîné une concentration des revenus par le 1 % le plus riche de la population, les deux auteurs s’efforcent de déconstruire l’image négative qu’a l’imposition dans l’esprit des Américains. L’objectif de l’ouvrage est ainsi de réaffirmer l’intérêt des impôts pour permettre une redistribution équitable des richesses.

Ce qu’il faut retenir :

Aujourd’hui, l’injustice triomphe en matière fiscale. Le système fiscal en place favorise les inégalités sociales, provoquant un déficit démocratique.

Les États-Unis sont l’exemple et le paroxysme de cette tendance mondiale. Les pauvres sont plus taxés que les 1 % les plus riches qui profitent à la fois d’une taxation plus importante du facteur travail que du facteur capital, des mécanismes d’optimisation fiscale et de la concurrence fiscale entre les États.

Des gouvernements démocratiques pourraient raisonnablement choisir d’appliquer aux plus riches des taux fiscaux supérieurs. Pour diminuer les inégalités, un combat contre la baisse des taux d’imposition des plus riches est nécessaire. Des décisions politiques doivent être prises.

Biographie des auteurs

Emmanuel Saez, né en 1972, est un économiste français, professeur à l’Université de Californie à Berkeley. Il est spécialiste de la théorie de la taxation optimale et de l’étude des inégalités économiques. Il a notamment mené une série d’études sur l’évolution des inégalités de revenu aux États-Unis, en collaboration avec Thomas Piketty puis avec Gabriel Zucman.

Gabriel Zucman, né en 1986, est un économiste français. Ancien enseignant en économie à la London School of Economics, il est professeur associé à l’université de Californie à Berkeley depuis 2019. Il est notamment connu pour ses travaux sur les inégalités sociales et les paradis fiscaux.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

Introduction. Réinventer la démocratie fiscale.

Au cours des élections présidentielles américaines de 2016, un des hommes les plus riches du pays, Donald Trump, confesse ne payer que peu d’impôts. Cette déclaration par le candidat laisse entendre qu’« il est […] parfaitement louable de ne pas les payer ». Finalement, cela signifie que, dans l’intérêt de tous, il est préférable que l’impôt disparaisse. Autrement dit, l’idée de coopération est mise de côté, au profit de l’égoïsme.

L’exonération de l’impôt ne concerne cependant pas tout le monde. Depuis les années 1980, les fortunes américaines ont formidablement augmenté et pourtant, leur taux d’imposition a drastiquement diminué. Dans le même temps, les salaires ont stagné et les impôts ont augmenté pour le reste de la population. Voilà le triomphe de l’injustice.

Cependant, cette évolution de la politique fiscale n’a pas été soumise au débat public. « Le triomphe de l’injustice fiscale est avant tout un déni de démocratie. » Si cette politique vient à être contestée, les gouvernants se justifient en avançant l’idée que la taxation des plus riches est une chose impossible. Une étude statistique poussée permet de réfuter cet argument des gouvernants. Pourtant, les débats des économistes concernant la répartition de l’effort fiscal ne sont pas relayés par la sphère politique. La question fiscale est un argument électoral souvent employé à des fins purement politiques, sans véritable intention d’application. Une contextualisation et une observation du terrain montrent les bienfaits de l’impôt, et spécifiquement d’un impôt progressif. En effet, taxer les plus riches, spécifiquement le 1 % le plus riche de la population, permettrait une répartition des richesses plus juste qui ne serait ni préjudiciable ni punitive pour ces derniers.

Sans prise de conscience de la nécessité de repenser l’imposition, nous nous dirigeons certainement vers une société où les revenus continueraient de s’accroître pour les plus riches, au détriment du reste de la population.

Chapitre 1. Revenus et impôts aux États-Unis.

L’imposition doit être repensée en recourant à une approche par le revenu national. Plus précisément, il faut réexaminer la taxation en prenant en compte les revenus générés par les facteurs de production du pays, sans compter les services ou les biens intermédiaires utilisés dans le cadre du processus productif (le comptage des biens intermédiaires doit être écarté, pour éviter qu’ils ne soient enregistrés deux fois). La méthode la plus courante de calcul du revenu national consiste à additionner tous les biens et services finaux en un an.

La population américaine est divisée en quatre catégories. Les classes populaires (50 % de la population), les classes moyennes (40 % de la population), les classes moyennes supérieures (9 % de la population) et les riches (1 % de la population). En ce qui concerne le revenu annuel, les classes populaires perçoivent 18 500 $, les classes moyennes, 75 000 $, les classes moyennes supérieures 220 000 $ et les riches 1,5 million de dollars. En somme, le 1 % le plus riche de la population capte 20 % du revenu national, alors que les classes populaires, qui constituent la moitié de la population, n’en perçoivent que 12 %. Autrement dit, les plus aisés gagnent presque deux fois plus que la moitié de la population active des États-Unis. La question de la redistribution et de l’imposition se pose ainsi de manière accrue.

Aux États-Unis, les impôts sur le revenu des personnes physiques, les cotisations sociales, l’impôt sur le capital et les taxes sur la consommation s’appliquent à tous. L’impôt sur le revenu est un impôt progressif, les cotisations sociales sont régressives et les taxes sur la consommation et l’impôt sur le capital sont fixes. En définitive, le seul impôt dont le fonctionnement est équitable est l’impôt sur le revenu. Le système fiscal américain est loin d’être progressif. En moyenne, chaque groupe social paie entre 25 % et 30 % alors que le taux d’imposition des plus riches ne dépasse pas 23 %. Concrètement, la fiscalité américaine est caractérisée par un fonctionnement proportionnel qui s’accompagne d’une régression pour les plus riches.

Pourquoi les pauvres paient-ils plus d’impôts ?

La première raison tient au fonctionnement des cotisations sociales. Elles ont drastiquement augmenté ces dernières années, passant de 3 % en 1950 à 15,3 % en 2019 (12,4 % pour la sécurité sociale et 2,9 % pour Medicare). Les États-Unis ont suivi une voie radicalement opposée à celle suivie par les autres pays développés, qui ont privilégié une diminution des prélèvements et une augmentation du salaire minimum. Par ailleurs, la TVA n’ayant pas d’équivalent aux États-Unis, les Américains ont mis en place de nombreuses taxes qui augmentent de facto le coût des biens de consommation, augmentant encore l’imposition des plus pauvres.

La seconde raison tient à la nature des biens détenus par les plus riches. Une grande partie de leurs biens sont des actifs financiers, qui ne sont pas soumis à l’impôt sur les personnes physiques. L’impôt sur les sociétés, qui permettrait de taxer les plus riches, tend à disparaître face aux manœuvres des entreprises pour optimiser leurs dépenses fiscales. Ainsi, le capital se défiscalise progressivement, alors qu’il représente la plus grande source de richesse du 1 % le plus riche. Mettre en place une taxation viable et pérenne sur le capital semble indispensable. Si les 0,001 % les plus riches étaient taxés à 50 % (et plus à 25 %), les rentrées d’argent pour l’État qui en découlerait (100 Mds) permettraient d’augmenter le revenu des classes moyennes de 800 $ après impôts.

Une telle situation met en doute non seulement la logique fiscale en œuvre, mais également le régime politique auquel les États-Unis sont soumis. S’agit-il véritablement d’une démocratie ou d’une ploutocratie ? Ce que ne paient pas les plus riches, le reste de la population doit s’en acquitter. Les velléités démocratiques pourront-elles vaincre cette poussée ploutocratique, comme elles ont pu vaincre le système aristocratique dans le passé ? « Dans un cas, il aura fallu une guerre civile ; dans l’autre, une révolution fiscale. »

Chapitre 2. De Boston à Richmond.

L’histoire de l’imposition aux États-Unis est tout sauf un long fleuve tranquille. De nombreux changements politiques et idéologiques ont impacté la taxation de la richesse.

Aux États-Unis, l’impôt progressif avait de nombreux soutiens tout au long du XIXe siècle. Les inégalités s’étaient alors approfondies. On estime que 10 % des ménages les plus aisés disposaient de plus de 71 % de la richesse nationale. Ainsi, les théories économiques défendant l’impôt progressif devinrent de plus en plus populaires. Certaines jurisprudences (par exemple, l’arrêt Pollock v. Farmers’ Loin and Trust Company) forcèrent les Américains à modifier leur Constitution, créant un impôt sur le revenu. En 1913, un impôt progressif fut mis en place et son caractère progressif fut encore approfondi dans les années qui suivirent : le taux marginal supérieur passe de 7 % en 1913 à 67 % en 1917. Cette politique s’explique toutefois plus par la volonté de taxer ceux à qui la guerre profitait plus que par l’idée d’équité véhiculée par l’impôt progressif.

En 1916, on observe un réel tournant : l’État fédéral crée son propre impôt progressif sur la fortune. Les taux sur les plus grosses fortunes augmentent, passant de 10 % en 1916, à 70 % en 1935, pour atteindre 80 % en 1981. L’objectif de cet impôt était clair : collecter des recettes et faire contribuer les plus riches aux finances publiques afin de réduire les inégalités. Dans son discours au Congrès le 27 avril 1942, Roosevelt dit en effet que : « L’écart entre les bas revenus et les très hauts revenus doit être amoindri ; et je crois qu’en ces temps […] tous les revenus devraient être mobilisés pour gagner la guerre ». Les différentes guerres et changements politiques du XXe siècle permirent à Roosevelt de mettre en place le New Deal, intensifiant la taxation des plus riches. La politique de Roosevelt permit de réduire la proportion du revenu national détenue par les plus aisés avant l’imposition : 0,01 % des Américains les plus aisés ont vu leur part du revenu national passer de 4 % en 1929 à 1,3 % en 1975.

L’héritage de la politique de Roosevelt est encore bien présent au cœur de la politique américaine.

Chapitre 3. Aux sources de l’injustice fiscale américaine.

Le système fiscal issu du New Deal présentait de nombreux avantages, mais ses désavantages n’étaient pas négligeables. En effet, les plus-values n’étant pas taxées à la même hauteur que le reste, les plus aisés purent restructurer leurs activités de manière à toucher des revenus sous cette forme et échapper à l’imposition.

Un nouveau tournant dans la fiscalité américaine est opéré en 1986 sous la présidence de Ronald Reagan. Selon le Parti républicain, le rôle premier de l’État est de garantir le droit de propriété, qui constituerait le principal moteur de la croissance. L’impôt constituant une atteinte au droit de propriété, les taux d’imposition doivent être abaissés. Dès son arrivée au pouvoir, Reagan énonça clairement dans son discours d’investiture que « l’État n’est pas la solution à notre problème ; l’État est le problème ». L’impôt était alors considéré comme un vol. La présidence Reagan marqua alors l’avènement de l’ère de l’optimisation et de l’évasion fiscale.

Grâce à un système basé sur les marchés, ceux qui comprenaient et assimilaient les informations sous-jacentes ont pu profiter de mécanismes permettant de « créer des services dont la valeur sociale est nulle ou négative ». En effet, le marché de l’optimisation fiscale ne crée aucune richesse, mais permet simplement aux plus aisés de préserver leur fortune. « Derrière chaque épidémie d’évasion fiscale ne se cache pas une brusque aversion pour l’impôt chez les contribuables, mais un regain de créativité sur ce marché. »

Comment expliquer l’apparition de ce genre de manœuvres ? D’abord se pose le problème de l’information : on connaît mal les montages financiers qui permettent d’éviter le fisc. Ensuite, cette lutte contre l’optimisation manque cruellement de moyens. Pour contourner l’imposition, les plus aisés dépensent des sommes importantes, supérieures à celles que l’État peut avancer. La principale raison cependant, tient au manque de volonté politique. L’affaiblissement des contrôles fiscaux a annulé l’impact de pression sur le civisme fiscal et engendre toujours plus de manœuvres pour optimiser des dépenses fiscales. En effet, en 2018, seulement 8,6 % des 39 000 grosses successions enregistrées en 2017 ont été contrôlées, soit environ 3300.

Cette tendance a été renforcée par deux phénomènes concomitants : les changements de politiques concernant la fiscalité et l’avènement de la mondialisation. La mondialisation s’est accompagnée d’une internationalisation de la fraude fiscale. Les stratégies contemporaines d’évasions fiscales consistent généralement à créer des sociétés-écrans dans des pays où la fiscalité est avantageuse, voire inexistante, appelés des paradis fiscaux. Ces sociétés-écrans (ou sociétés offshores) permettent d’éviter « les droits de succession, l’impôt sur les plus-values, l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune, l’impôt sur les sociétés ainsi que les taxes sur les dividendes ». Pour lutter contre ces comportements, la loi FACTA (Foreign Account Tax Compliance Act) a été votée en 2010 pour obliger les banques à transférer leurs informations au fisc américain. La sanction en cas de non-signature à ce traité ? Une taxation de 30 % sur tous les dividendes et intérêts en provenance des États-Unis. Ainsi, au fil des années, l’échange d’informations bancaires est devenu une norme internationale.

En somme, il est possible de lutter contre l’évasion fiscale, à la condition de se donner les moyens, comme la loi FACTA, pour déjouer les montages financiers et garantir une redistribution équitable des richesses. « Tolérer l’évasion fiscale est un choix que nous faisons collectivement, et il ne tient qu’à nous d’en faire d’autres. »

Chapitre 4. Bienvenue à Bermuland.

Les paradis fiscaux ont permis aux entreprises d’augmenter considérablement leurs bénéfices, alors que les recettes diminuaient. Ces dernières auraient accumulé près de 3000 milliards de dollars dans ces pays. Pour tenter de contrer cette tendance, certains dirigeants tentent de réduire le taux d’imposition sur les sociétés, mais cela ne semble pas pour autant viable.

Le contexte sociohistorique impacte évidemment les profits des entreprises et leurs façons de procéder pour gérer leurs impôts. Ces entreprises américaines ont été malmenées durant les années 1970-1980 après avoir prospéré au sortir de la guerre. À cela s’est ajouté l’avènement d’une nouvelle industrie de l’évasion fiscale au service des entreprises. L’avènement de la mondialisation et la fin de la guerre froide ont accéléré le processus d’optimisation et d’évasion fiscale.

L’évasion fiscale consiste à exploiter les faiblesses des institutions juridiques de certains pays afin de ressortir le maximum de recettes possible. Les entreprises profitent de ce système, mais aussi les pays en question. Des pays comme les Bermudes, l’Irlande ou le Luxembourg choisissent des législations avantageuses afin d’attirer les grandes entreprises. Les différents montages consistent alors à faire apparaître les profits de l’entreprise dans certaines filiales implantées dans les paradis fiscaux. Ces méthodes prennent la forme de très nombreuses transactions intragroupes ou de prix truqués qui permettent de faire du profit dans des zones où l’impôt n’existe pas ou est minime. Ainsi, selon le BEA (Bureau d’Analyse Économique), 40 % des bénéfices des multinationales sont transférés dans des paradis fiscaux. Plus encore, les multinationales américaines transfèrent 60 % de leurs bénéfices vers ce fameux « Bermuland ».

En d’autres termes, les profits migrent vers Bermuland, mais l’activité réelle ne suit pas. L’argument selon lequel en devenant des paradis fiscaux, les États créent alors de nouveaux emplois n’est pas une réalité, mais une façade. Les avantages n’existent que pour l’État : « en imposant même à des taux extrêmement réduits les immenses profits que les entreprises attirent, les paradis fiscaux engrangent des recettes fiscales tout à fait substantielles ». Il s’agit d’un « vol pur et simple », puisqu’en attirant les grandes entreprises, ces États dérobent les recettes fiscales d’autres pays.

Cette concurrence fiscale provoque une baisse des taux d’imposition un peu partout, ce qui a pour conséquence de dénaturer le système économique, en engendrant de grosses pertes pour les différents États, tout en mettant à mal le processus démocratique.

Chapitre 5. Engrenage.

Les sources de revenus dépendent du facteur travail, du facteur capital, ou des deux. Cependant, avec la mondialisation, les revenus du capital augmentent plus rapidement que les revenus du travail. Or, le capital est de moins en moins taxé et le travail, de plus en plus. Cela a entraîné une baisse des salaires d’une part, et, d’autre part, cela a permis aux détenteurs de capital de voir leur fortune prospérer. Ainsi, en 2018, « pour la première fois dans l’histoire moderne des États-Unis, le capital a été moins taxé que le travail ». Avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, la taxation toujours plus importante du travail a augmenté, contrairement à celle du capital. Cependant, cette tendance s’est dessinée sur le temps long. Déjà depuis les années 1990, les prélèvements avaient augmenté, la taxation sur le travail s’alignant avec notamment les cotisations en matière d’assurance maladie.

« La principale conclusion est la suivante : les facteurs de production les moins élastiques sont les principales victimes des hausses d’impôt, tandis que les plus élastiques s’y soustraient. Concrètement, si le capital est très élastique, c’est-à-dire si l’épargne et l’investissement s’effondrent en réponse à une hausse de l’impôt, alors c’est le facteur travail qui en définitive aura à payer les conséquences de cet alourdissement de la fiscalité, sous la forme de salaires plus faibles. »

En d’autres termes, le capital étant un facteur élastique, il peut se substituer à un autre facteur, par exemple le travail, et ainsi ne pas être impacté par une hausse d’impôt. De cette manière, les personnes disposant de capital peuvent facilement l’utiliser (frauduleusement ou pas) sans être imposées. En revanche, les facteurs de production intrinsèquement liés au facteur travail sont matérialisables ; il n’est donc pas possible de leur substituer un autre facteur puisqu’ils existent en tant que tels. Par ailleurs, la taxation du capital est extrêmement compliquée à mettre en place puisque ce dernier n’est pas purement matériel, et ainsi, facile à dissimuler. Lorsqu’ils usent de bons conseillers fiscaux, les plus riches peuvent rendre leur capitale intraçable.

Ainsi, taxer faiblement le capital n’est pas une bonne solution puisque cela encourage les moins riches à transformer leurs revenus en capital et pratiquer également différentes manipulations. En se constituant en société, les individus peuvent tirer avantage du fait que les impôts sur les sociétés soient faibles. C’est justement pour cela que les pays disposant d’un impôt progressif ont également un impôt sur les sociétés considérable afin d’éviter qu’il n’y ait de dérives. L’objectif de ce type d’impôt est de garantir que les riches n’échappent pas au fisc en encaissant leurs revenus par le biais de fausses entreprises.

De cette manière, l’effondrement de l’impôt sur les sociétés aux États-Unis remet en question la continuité sociale. L’idée même d’impôt progressif est menacée. Sans une action de la part des dirigeants, nous pourrions passer un point de non-retour vers une société définitivement inégalitaire et antidémocratique.

Chapitre 6. Comment sortir de l’engrenage ?

En réalité, le maintien de ce système protège certains intérêts personnels. Les Big Four – Deloitte Touche Tohmatsu (Deloitte), KPMG International (KPMG), PricewaterhouseCoopers (PwC) et Ernst & Young (EY) – sont les quatre plus grandes sociétés de conseil en matière de revenus. Elles n’ont aucun intérêt à ce que ce système soit aboli puisque leurs recettes et celles de leurs salariés dépendent de lui. Par ailleurs, une coopération entre États semble impossible, tant leurs intérêts sont divergents. Au sein même de l’Union européenne, la situation est bloquée puisque certains pays qui profitent de l’évasion fiscale, comme le Luxembourg, les Pays-Bas ou Malte, s’opposent à la mise en place d’une unité fiscale. La chose est vraie pour le reste du monde. La paralysie fiscale est ainsi mondiale.

Cependant, des démarches légales et concrètes sont envisageables. Il suffit que le taux d’imposition des sociétés soit fixe (par exemple à 25 %), et qu’il soit réparti entre les différents fiscs des pays où l’entreprise a des revenus. En rendant le traitement de l’information possible, par la déclaration de ce que les entreprises perçoivent dans les différents pays, l’évasion fiscale serait inefficace. « Seuls les paradis fiscaux perdraient au change.». La spirale de concurrence fiscale pourrait être alors enrayée sans entrer en conflit direct avec les paradis fiscaux.

Déjà depuis les récentes régulations de l’administration d’Obama, changer la nationalité d’une entreprise, par exemple pour obtenir la nationalité d’un paradis fiscal, est devenu bien plus difficile. Ce genre de mesure montre l’intérêt que peuvent avoir les sanctions contre les paradis fiscaux, qui commercialisent leur souveraineté et permettent aux entreprises de s’astreindre à leurs responsabilités.

Pour avancer sur la voie d’une fiscalité plus juste, la démarche pertinente consisterait à élaborer des accords économiques et internationaux pour mettre en place une taxation fixée justement et assez élevée pour avoir un impact. Le dumping fiscal serait neutralisé, et l’évasion fiscale en passe de disparaître. Cela créerait par ailleurs une plus grande cohérence de la part des entreprises qui s’installeraient aux endroits où elles réalisent le plus grand profit. « La mondialisation d’aujourd’hui augmente les profits des actionnaires, celle de demain pourrait contribuer à réduire les inégalités au sein des pays. »

On se rend compte ainsi que l’impôt progressif n’est pas voué à disparaître, qu’il a un véritable intérêt pour la refonte de l’économie à l’échelle internationale.

Chapitre 7. Taxer les riches.

Endiguer efficacement les pratiques frauduleuses tout en créant une fiscalité progressive luttant contre les inégalités implique la création d’une autorité anti-optimisation fiscale indépendante et internationale. En restant neutre, cette autorité pourrait imposer certaines lignes politiques en matière de fiscalité aux différents États.

Par ailleurs, il faudrait compenser les bénéfices des résidents nationaux à l’étranger, en créant par exemple des crédits d’impôt afin que les actionnaires paient des impôts dans les pays dans lesquels ils tirent des bénéfices. Les États tireraient réciproquement des revenus des impôts payés par les étrangers. De cette manière, aucun État ne serait lésé.

S’agissant de l’imposition des plus riches, il est clair qu’augmenter les prélèvements pour ceux-ci aurait des conséquences positives. Le passé américain le prouve : lorsque des taux quasi confiscatoires ont été mis en place, la situation sociale américaine s’est nettement améliorée. Idéalement, il faudrait pouvoir prélever à cette frange de la population l’équivalent de 9,5 % de revenu national afin d’obtenir une hausse drastique de 4 % de revenu national supplémentaire à redistribuer.

À l’heure actuelle, le système fiscal ne permet pas de taxer ces individus efficacement. L’objectif serait de s’assurer que les plus riches paient proportionnellement les mêmes impôts que le reste de la population. Pourtant, tous les Marc Zuckerberg, Jeff Bezos et autre Warren Buffet disposent de nombreux revenus non imposables. Pour redistribuer leur patrimoine, ce n’est pas un impôt sur le revenu, mais sur la fortune qu’il faudrait mettre en place. Un impôt sur le revenu permet de taxer efficacement tous les revenus, mais un impôt sur la fortune permet également de taxer le patrimoine qui constitue, pour « le 1 % », la plus grande source de richesse.

Chapitre 8. Dépasser Laffer.  

La politique fiscale développée au cours de l’ouvrage semble, si l’on observe l’histoire, fonctionner efficacement. La politique mise en place par Roosevelt avait effectivement permis de réduire efficacement la concentration des revenus. Aujourd’hui en revanche, la politique fiscale ne cherche plus à réduire les inégalités qui mettent pourtant en danger les idéaux démocratiques et méritocratiques.

Aux États-Unis, tous les courants politiques s’accordent pour considérer l’extrême richesse comme « un mal en soi ». L’accumulation excessive de richesses mine le contrat social et engendre une société profondément inégalitaire. « La richesse, c’est le pouvoir ; l’extrême concentration des richesses, c’est l’extrême concentration des pouvoirs. Le pouvoir d’influencer les politiques publiques, d’étouffer la concurrence, de façonner des idéologies. »

Quelle influence exerce le 1 % le plus riche sur le taux de croissance et la dynamique des revenus accordée à chaque classe sociale ? Après la Seconde Guerre mondiale, la croissance était forte et équitable, jusqu’à l’arrivée de Reagan au pouvoir. Depuis, les classes populaires ne tirent plus les bénéfices de la croissance, au contraire des plus riches. En effet, on observe sur la période 1980-2018, une augmentation de 600 % des revenus des 2 300 Américains les plus fortunés et, parallèlement, une stagnation des revenus des classes populaires.

Ni la mondialisation ni l’avènement d’une société technologique n’ont forcé les États-Unis à adopter un tel système fiscal. Il s’agit d’un choix politique. Le gouvernement, en prenant ces décisions, pensait suivre la théorie du ruissellement, selon laquelle les richesses accumulées par les entrepreneurs seraient redistribuées. Cette théorie s’est avérée être une utopie qui ne s’est concrétisée en aucun point.

Bien que cette tendance soit mondiale, le virage le plus fort a eu lieu aux États-Unis. Depuis les années 1980, les États-Unis ont pratiqué des politiques entraînant une baisse du salaire minimum et une baisse de l’imposition des plus fortunés. Cela a eu des répercussions sur la qualité de vie de millions d’êtres humains. On assiste à une chute de l’espérance de vie alors que dans le même temps la médecine progresse. Les dépenses de santé étant extrêmement élevées aux États-Unis « les riches vivent plus longtemps, les pauvres meurent plus jeunes », ces derniers n’ayant pas les moyens de se doter d’une bonne assurance médicale.

L’ensemble de ces éléments parlent d’eux-mêmes. Il faut déconcentrer la richesse, imaginer un impôt plus radical sur l’extrême richesse afin de rétablir une forme d’équilibre et de réduire l’écart énorme entre les plus riches et les classes populaires.

Chapitre 9. Financer l’État social.

Il n’existe ni une médecine bon marché ni une éducation peu coûteuse. Dès lors, comment financer l’État social ? La première mesure doit porter sur l’assurance maladie privée, dépense trop importante pour une partie de la population. L’État américain n’a jamais développé une politique familiale à l’inverse des différents pays européens, et le système américain ne couvre pas l’ensemble des dépenses en matière de sécurité sociale, rendant nécessaire le recours à des assurances privées. Le dispositif américain laisse sur le côté près de 14 % de la population qui n’a pas les moyens de souscrire à ce type d’assurances. Par ailleurs, le système de cotisations sociales présente des faiblesses majeures. Si les cotisations sont relativement équitables puisqu’elles sont proportionnelles au revenu, elles ne s’intéressent qu’aux revenus du travail, pas à ceux du capital. Or, les revenus du capital n’ont cessé de croître au point de dépasser les revenus du travail.

La même faiblesse se constate concernant les taxes sur la consommation. Les plus riches sont taxés comme les plus pauvres sur les biens de première nécessité, au détriment, à nouveau, des classes populaires.

L’État social devrait être financé par l’instauration d’un impôt sur le revenu national, qui permettrait d’imposer l’ensemble des revenus, « qu’ils soient issus du travail ou du capital ». Il toucherait alors la consommation, mais également l’épargne, qui concerne principalement les classes sociales supérieures. Les entreprises et les intérêts seraient également sous la coupe de cet impôt, limitant l’optimisation fiscale. De surcroît, ce type d’impôt s’appliquerait une seule et unique fois et ferait office d’impôt de référence. Pour résumer, il permettrait de « lever des recettes considérables avec des taux faibles », et, grâce à sa stabilité, permettrait de financer les principales missions de l’État social, sur le long terme.

Il y a cependant de véritables décisions à prendre à l’échelle politique. Cet impôt n’existe pas encore, notamment parce qu’il n’est pas dans l’intérêt des entreprises, qui se verraient plus taxées. Le politique doit s’élever contre les intérêts économiques.

En somme, un impôt de 6 % sur le revenu national, auquel pourraient s’ajouter des taxations plus importantes des personnes les plus riches du pays, pourrait entraîner une hausse de 10 points de revenus nationaux en recette fiscale. Avec une telle augmentation, il est possible d’imaginer des scénarios où les États-Unis se dotent d’un État social solide.

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