Envolée des prix alimentaires : du jamais vu depuis un demi-siècle !

La crise sanitaire de 2020 a fortement perturbé l’économie mondiale, en particulier le marché des produits alimentaires. Les prix des produits alimentaires dans le monde ont ainsi atteint leur niveau le plus élevé depuis le début des années 1990. Ce sont particulièrement les produits végétaux dont le prix a explosé, atteignant des records en 2022. L’invasion de l’Ukraine par la Russie risque de prolonger cette hausse, les deux pays figurant parmi les plus gros exportateurs mondiaux de céréales.

publié le 14/04/2022 Par Élucid
Envolée des prix alimentaires : du jamais vu depuis un demi-siècle !

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Une augmentation des prix mondiaux supérieure à celle de 2008

L’observation de l’indice FAO des prix des produits alimentaires fait apparaître une grande volatilité des prix de ces produits depuis la crise des subprimes. On constate en effet que de 1990 à 2006, les prix des produits alimentaires étaient relativement stables.

À partir de 2006, ces prix commencent à augmenter rapidement : entre janvier 2006 et mars 2008, ils augmentent ainsi de 64 %, pour atteindre un record historique. Cette hausse des prix provoque de graves crises alimentaires et entraîne les « émeutes de la faim » en 2007-2008, notamment sur le continent africain, mais aussi dans plusieurs pays d’Asie et d’Amérique du Sud. Plusieurs phénomènes conjugués peuvent expliquer cette soudaine flambée des prix des produits alimentaires :

- La hausse de la consommation alimentaire, en particulier de viande, dans de grands marchés émergents comme la Chine et l’Inde, qui deviennent gros consommateurs de viande ;

- La baisse de la production mondiale — notamment céréalière — entre 2005 et 2007, aggravée par « El Nino », un courant chaud à l’ouest de l’Amérique latine survenu en 2006-2007 qui perturbe les récoltes mondiales ;

- L’augmentation de la part de la production agricole mondiale consacrée à la fabrication d’agrocarburants.

Après une baisse des prix en 2009, ils ont à nouveau augmenté à partir de 2010. Ceci est en partie dû à la canicule survenue en Russie en 2010, qui a engendré la perte de près d’un quart des récoltes de céréales du pays, alors troisième exportateur mondial de blé. À partir de mi-2011, les prix des produits alimentaires ont amorcé une baisse qui s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’année 2019.

Puis, la crise sanitaire du Covid-19 a engendré une spirale inflationniste : le prix des produits alimentaires a augmenté de 67 % entre mai 2020 et mars 2022, propulsant l’indice FAO à son pic historique. Ce renchérissement est notamment dû au ralentissement économique mondial qui a entraîné une baisse de la production dans certaines régions du monde, mais aussi à l’augmentation du prix de l’énergie qui a perturbé les chaînes d’approvisionnement. Des perturbations climatiques, comme les dômes de chaleur en Amérique du Nord à l’été 2021, ont aussi contribué à la hausse des prix.

Dans le détail, on constate que ce sont les huiles végétales qui ont connu la plus forte hausse entre avril 2019 et mars 2022 : le prix de ces denrées a quasiment été multiplié par trois et a atteint son plus haut niveau historique. Le prix des céréales a également atteint un pic historique, après une augmentation de 70 % sur la période, tandis que le prix du sucre a augmenté 50 %. Enfin, le prix des productions animales a moins augmenté sur la période : le prix des produits laitiers a ainsi augmenté de 40 % et le prix de la viande de 18 %, atteignant un niveau record depuis 2005.

La hausse des prix des huiles végétales est la conséquence d’une demande mondiale soutenue, combinée à une capacité de production limitée des pays exportateurs :

- Les capacités de production d’huile de palme sont ainsi trop limitées en Indonésie, premier exportateur mondial : le prix de cette denrée a augmenté de 170 % entre début 2019 et mars 2022.

- Par ailleurs, l’Ukraine est le premier exportateur d’huile de tournesol : les craintes liées à l’instabilité de la région ont donc fait augmenter le prix de cette denrée en 2021. Depuis avril 2019, le prix de l’huile de tournesol a ainsi doublé. L’invasion russe de l’Ukraine débutée en février 2022 va probablement prolonger cette tendance.

- Enfin, la production de soja en Amérique du Sud a diminué, ce qui a engendré une hausse du prix de cette denrée, qui a augmenté de 130 % entre janvier 2019 et mars 2022. En mars 2022, l’Argentine — premier exportateur mondial de soja — a annoncé la suspension des nouvelles exportations de farine et d’huile de soja, ce qui pourrait prolonger cette tendance.

L’augmentation du prix des céréales s’explique en partie par la forte hausse des cours des céréales secondaires d’avril 2019 à mars 2022 :

- Les prix internationaux du maïs ont ainsi augmenté de 80 %. Le conflit entre la Russie et l’Ukraine, respectivement cinquième et septième exportateurs de maïs, va sans doute prolonger cette tendance.

- Sur la même période, le prix du blé a augmenté de 115 %, et atteint un niveau supérieur au pic de février 2008. Cette augmentation est en partie liée aux mauvaises conditions climatiques dans les pays d’Europe de l’Est. La Russie et l’Ukraine sont respectivement premier et quatrième exportateurs mondiaux de blé : là encore, le conflit qui s’y déroule devrait prolonger la hausse des prix.

- Dans le même temps, le prix du riz est inférieur à son niveau d’avril 2019.

Enfin, on remarque que le prix du café Arabica a quasiment doublé entre avril 2019 et mars 2022 : il retrouve ainsi son plus haut niveau depuis une décennie, sans dépasser son niveau historique de 2011. Sur la même période, les prix du thé et du chocolat sont restés stables.

Depuis 1990, le doublement des prix des importations alimentaires en France

Si l’on considère le prix des seuls produits alimentaires importés en France, comptabilisé par l’Insee, on constate que l’indice des prix est à son plus haut niveau depuis 1990. Entre 2008 et 2017, les prix des matières premières importées en France ont augmenté de 63 %, avant de redescendre et de se stabiliser 40 % au-dessus de leur niveau de 1990, entre 2018 et 2020.

La crise sanitaire est alors survenue et les prix des produits alimentaires ont augmenté de 43 % entre avril 2020 et février 2022. Par rapport à 1990, les prix des produits alimentaires importés en France ont donc doublé.

En considérant la période d’avril 2019 à février 2022 — afin de mesurer l’impact économique de la crise sanitaire — on s’aperçoit que la quasi-totalité des prix des produits alimentaires importés en France a augmenté de 25 % pour les céréales ; de 50 % pour le sucre ; de 20 % pour la viande bovine ; de 65 % pour les denrées tropicales et les fruits secs, et de seulement 7 % pour les produits de la mer.

Une hausse des prix français portée par les produits végétaux

Les données d’Eurostat sur le prix des produits alimentaires en France (importés et non importés) font apparaître que c’est d’abord la hausse du prix des productions végétales qui porte la hausse générale des prix. Le graphique ci-dessous montre en effet que les prix des animaux et des « produits animaux » sont très stables depuis 2017.

Dans le même temps, les prix des plantes industrielles ont augmenté de 60 % depuis avril 2019, tandis que les prix des céréales ont augmenté de 50 %. Le prix de production des « biens agricoles » a quant à lui augmenté de 13 % sur la période, tandis que les prix des produits maraîchers et horticoles ont légèrement baissé.

Parmi les plantes industrielles, ce sont les graines de colza dont le prix a le plus augmenté entre avril 2019 et octobre 2021 (+80 %). Cette augmentation est en partie due à une forte baisse de production au Canada, premier exportateur mondial de colza, en raison des fortes chaleurs de l’année 2021.

Les prix des graines de tournesol et des protéagineux (pois, fèves) ont quant à eux augmenté de 70 %. Le prix des fèves de soja a augmenté 50 % entre avril 2019 et mi-2021, avant de légèrement baisser. Le prix des betteraves sucrières a légèrement augmenté, tandis que le prix du tabac est resté stable.

Parmi les céréales, on constate une augmentation généralisée des prix en France entre avril 2019 et octobre 2021. Le blé a augmenté de 50 %, l’orge de 60 %, l’avoine de 30 %, le maïs de 40 % et les autres céréales de 45 %. Cette augmentation du prix des céréales en 2021 est notamment due aux intempéries survenues en Europe de l’Ouest, qui ont dégradé les récoltes.

L’augmentation des prix des animaux est bien moins marquée que celle des produits végétaux entre avril 2019 et octobre 2021. Ainsi, les prix des bovins (vaches, bœufs) n’ont augmenté que de 8 %, ceux des volailles de 5 %, tandis que les prix des équidés (chevaux) sont restés stables. Le prix des porcins a quant à lui diminué de 15 % sur la période, en raison d’une baisse de la demande mondiale.

On constate cependant une hausse de 20 % des prix des ovins (moutons) et des caprins (chèvres) sur la période, notamment en raison de la réduction des abattages britanniques et irlandais d’ovins début 2021.

De la même manière, le prix des « produits animaux » n’a pas beaucoup augmenté entre début 2019 et octobre 2021. Le prix du lait de vache a ainsi connu une augmentation de seulement 4 %, contre 7 % pour les autres laits.

Le prix des œufs a d’abord baissé de presque 20 % entre avril 2019 et octobre 2020. Depuis, il a réaugmenté et en octobre 2021, se situait 13 % au-dessus de son niveau d’avril 2019. En 2022, il pourrait encore augmenter, en raison l’interdiction de la mise à mort des poussins mâles entrée en vigueur en France le 1er janvier 2022, et qui va entraîner des coûts supplémentaires pour les éleveurs.

Les prix alimentaires mondiaux ont donc augmenté d’environ 66 % entre mai 2020 et mars 2022, pour atteindre leur niveau le plus élevé depuis 1990, selon l’ONU. Ce niveau record des prix alimentaires est dû en premier lieu à la très forte augmentation du prix des céréales et des huiles végétales, une tendance que l’on retrouve dans les prix des importations françaises.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette hausse. La crise du Covid a ainsi perturbé les chaînes d’approvisionnement mondiales et fait augmenter le prix de l’énergie. Parallèlement, plusieurs événements climatiques (sécheresses, pluies torrentielles) survenus ces dernières années ont engendré des baisses de production énormes, qui ont affecté les prix mondiaux. Enfin, le contexte géopolitique — en premier lieu l’invasion russe de l’Ukraine — risque de maintenir les prix à un niveau élevé et d’engendrer des pénuries, les deux belligérants faisant partie des plus gros producteurs mondiaux de céréales.

Annexes

Les deux graphiques ci-dessous montrent la variation des prix mondiaux d’une sélection de viandes, de produits de la mer et de fruits. Les données sont issues de la Banque mondiale et sont en base 100 de 2019.

Les deux graphiques ci-dessous montrent la variation des prix des matières premières importées en France (en base 100 de 1990), et leur détail par secteur (en base 100 de 2019). Les données sont issues de l’Insee.

Les trois graphiques ci-dessous montrent la variation des prix français des produits agricoles, des productions animales et végétales, ainsi que des différents produits maraîchers et horticoles. Les données sont issues d’Eurostat et sont en base 100 de 2019.