Le projet de Bernard de Mandeville selon lequel les vices privés font les vertus publiques a réussi. Dany-Robert Dufour, professeur émérite des universités, auteur d’une œuvre considérable portant notamment sur la généalogie du récit libéral et sur ses effets contemporains, qui fait paraître avec Nicolas Postel, De l’utopie à l’effondrement : d’où vient et où va le capitalisme ? (Septentrion), montre à quel point cet auteur oublié, repris à sa façon par Adam Smith et situé au cœur du logiciel intellectuel de Hayek permet de comprendre l’économie capitaliste et la politique qui lui est associée.

publié le 08/09/2024 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Vous accordez une grande importance à Bernard de Mandeville dans votre travail. Qui était-il ?

Dany-Robert Dufour : Bernard de Mandeville était très oublié lorsque je m'y suis intéressé de près, il y a déjà une vingtaine d'années. Il est né à Rotterdam en 1670, héritier d'une famille de médecins d'origine française. Il a suivi des études de médecine à Leyde et a obtenu son doctorat en 1689. Il a fait également des études en philosophie et soutenu une Dissertation discutant la doctrine cartésienne selon laquelle les corps animaux sont de simples automates dépourvus d'âme. Puis il est parti s'installer à Londres, s'est marié et est devenu père de deux enfants. Il a été rapidement connu comme spécialiste des maladies nerveuses, c'est-à-dire « médecin de l'âme », comme on disait depuis l'Antiquité, « psy », dirait-on aujourd'hui.

Il savait assez de français pour traduire et publier en 1704 une trentaine de Fables de La Fontaine. Le genre lui a plu puisqu'il écrit aussitôt, en 1705, une fable intitulée La Ruche mécontente ou les Fripons devenus honnêtes. Nous sommes au début de la première révolution industrielle au cours de laquelle va naître le capitalisme moderne. Ce texte décrit une ruche florissante où prospèrent non seulement tous les métiers, mais aussi et surtout tous les vices. Cependant, les habitants de la ruche, qui se sentent coupables, décident d'opter pour l'honnêteté. Résultat : plus les vices disparaissent et plus les abeilles deviennent contentes, mais plus les métiers disparaissent et plus la ruche dépérit.

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