La « Crise » si abondamment citée par le monde médiatico-politique dure depuis cinquante ans et englobe maintenant les domaines les plus divers. Le croisement de travaux de sociologues, de philosophes et d’historiens permet de comprendre en quoi l’usage dévoyé du mot dissimule la réalité d’une dérive. Il aide aussi à saisir comment cette notion, telle qu’elle est employée, détourne les yeux de la saturation du capitalisme.
Le premier choc pétrolier a marqué le coup d’envoi d’une inflation spectaculaire des occurrences du mot dans les prises de parole et les écrits politiques et médiatiques. Les générations nées après les Trente Glorieuses seraient ainsi des enfants-victimes de la « Crise », par opposition à des baby-boomers qui seraient nés coiffés et vivraient de leur rente. Cette rupture générationnelle semble d’autant plus juste que les trois décennies d’après-guerre avaient donné l’impression d’une éradication des grandes crises économiques, à défaut d’autres d’un genre différent (les « crises ministérielles » de la IVe République par exemple).
Au contraire, elles sont nombreuses à être advenues depuis, dans un contexte marqué à la fois par les taux de change flottants, la dérégulation financière et l’ouverture commerciale (choc pétrolier, krach de 1987, krach consécutif à la « bulle Internet » en 2000, krach d’août 2007, « crise des dettes souveraines », « crise » consécutive au Covid, etc.), si tant est qu’il soit juste de les nommer ainsi.
Crise ou décadence ?
L’usage du mot a été à ce point exponentiel qu’il s’applique aujourd’hui à tout propos, des Gilets jaunes à la famille en passant par la différenciation sexuée. La Crise s’assimile à une nuée dont il s’avère inutile de préciser quel domaine (économique, sociale, politique) elle concerne ou de quel ordre elle est (moral, existentiel, individuel, collectif). Elle s’affirme dans le même mouvement, sans contradiction avec ce qui vient d’être dit, comme le condensé de crises démultipliées (politique, énergétique, scolaire, morale, migratoire, écologique, géopolitique), rattachées très souvent à celle qui serait la mère de tous les maux, « la crise économique », du fait d’une représentation économiciste du monde.
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