Cela fait plus de deux mois que la plupart des responsables politiques et l’écrasante majorité des médias affichent leur « soutien inconditionnel à Israël », justifiant des massacres d’innocents au nom d’une singulière vision de la « légitime défense ». Pris dans les passions, peu de personnes s’intéressent aux sondages d’opinion réalisés en Israël et en Palestine. Ces derniers sont pourtant très édifiants sur le très grave échec stratégique du gouvernement israélien, dont les actions meurtrières ont alimenté l’escalade et compromis sérieusement les chances de paix dans la région.
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Cela fait plus de deux mois que la guerre a éclaté en Israël et à Gaza, et elle a depuis lors occupé une place importante dans le débat public. Les chaînes prétendument d’information ont rivalisé d’audace dans le choix de leurs « experts » sensés nous éclairer sur cette situation complexe et délicate – de Patrick Bruel à Manuel Valls, en passant par Enrico Macias et l’inévitable BHL...
On a entendu peu d’intervenants compétents, de chercheurs et d’universitaires dont c’est le sujet d’étude. Et cela pour une raison assez simple, qu’a révélée le journaliste Georges Malbrunot : la censure.
Il nous a donc semblé utile de vous présenter les résultats de différents sondages dans plusieurs pays sur ce dramatique conflit qui dure depuis plus de 50 ans. Ces sondages ont été présentés et commentés dans notre interview avec Michèle Sibony :
Des Israéliens endurcis et déboussolés
Sans surprise, Israël a été profondément atteint par les affreux massacres du 7 octobre, remémorant à certains les attaques du 11 septembre aux États-Unis.
Ces drames sont hélas presque tout le temps suivis de réactions politiques irréfléchies, actant que les dirigeants des pays concernés sont très réceptifs à la stratégie de « terreur » poursuivie par les auteurs de ces attaques. C’est en effet bien souvent la réaction que les terroristes cherchent à provoquer, comme l’expliquait à l'époque Oussama ben Laden. En ce sens, Israël n’a pas fait exception.
Comme le rappelle fort bien Michèle Sibony, le niveau de propagande en Israël est difficilement concevable, tant il est démesuré. Son impact sur la population est important. Ainsi, quand on a demandé aux Israéliens, au bout de presque un mois de féroces bombardements et de milliers de morts à Gaza, comment ils jugeaient la puissance de feu déployée, près de 60 % la jugeaient encore « insuffisante » et un peu plus de 35 % « appropriée ». Seuls 2 % l’ont jugée « trop importante ».
Selon le Washington Post, début décembre, ce sont plus de 22 000 bombes, de 100 à 500 kg d’explosifs, qui ont été lâchés par Israël, tuant probablement plus de 20 000 habitants, majoritairement des enfants. La puissance générée commence donc à se rapprocher de celle de la bombe atomique lancée sur Hiroshima, qui avait une puissance de 15 000 tonnes de TNT.
En conséquence, selon une analyse de photos satellites réalisée par le Financial Times, environ 100 000 logements sont en ruines, près de 70 % des habitations ont été détruites ou endommagées, soit un niveau comparable aux pires bombardements sur des civils en Allemagne durant la Seconde Guerre mondiale, dont l’horreur avait entrainé la signature des Conventions de Genève en 1949 et 1977, au nom du « plus jamais ça ».
Cette horrible situation était cependant bien le projet de l’extrême-droite israélienne, comme l’a honnêtement déclaré l’ancien député israélien Moshe Feiglin : « la seule solution est la destruction complète de Gaza, avant de l'envahir. […] Une destruction comme celle de Dresde et d'Hiroshima, mais sans arme nucléaire ».
Plus généralement, de façon lucide, près de 90 % des Israéliens considèrent que le conflit israélo-palestinien nuit plus ou moins gravement au pays. Pourtant, 2 Israéliens sur 3 sont opposés à des négociations de paix.
Pire encore, quand on présente aux Israéliens différentes options pour l’avenir, ils refusent la solution à 2 États, la solution à 1 État et même le statu quo !
Aucune solution ne semble leur convenir. Ce contexte de guerre brouille toutes les options pour en sortir et connaître enfin la paix. Pire, bien que minoritaire (32 %), c’est la solution d’annexion avec poursuite de l’apartheid qui a la préférence des Israéliens.
Des Palestiniens radicalisés par les bombardements
Le hasard a voulu qu’un large sondage ait eu lieu en Palestine en septembre 2023, avant les évènements dramatiques. Il a montré que les habitants de Gaza adoptaient majoritairement une attitude modérée : près de 70 % ne soutenaient pas le Hamas, et une majorité souhaitait une solution à 2 États.
Mais la riposte israélienne est alors survenue. Dans un autre sondage réalisé mi-novembre, près de la moitié des sondés avaient vu leur résidence détruite en tout ou en partie. Et plus de 10 % déclaraient avoir perdu un proche membre de leur famille, tué par Israël.
Dans ce contexte, la modération des Palestiniens a disparu : plus de 80 % des Palestiniens de Cisjordanie et plus de 60 % des Palestiniens de Gaza soutiennent désormais l’attaque du Hamas du 7 octobre.
Sans surprise, les Palestiniens estiment à 90 % que la possibilité d’une coexistence a baissé depuis le début de la guerre. Et ils ne sont plus que 5 % à soutenir une solution à 2 États, préférant majoritairement un seul grand État palestinien remplaçant Israël.
Enfin, quand on leur demande leur opinion sur différents pays et organisations, les Palestiniens déclarent désormais avoir une bonne opinion du Hamas à 90 % en Cisjordanie et 60 % à Gaza, et à 85 % pour le jihad islamique.
C’est un très grave échec stratégique du gouvernement israélien. D’abord, il a perdu la bataille de l’opinion publique mondiale et s’est de plus en plus vu accoler le qualificatif de « génocidaire », comble de l’indécence pour des Israéliens.
Mais, pire encore, les actions meurtrières du gouvernement israélien ont radicalisé les Palestiniens.
D'autre part, les Palestiniens rejettent à près de 90 % l’Autorité palestinienne censée les représenter. Seul 1 Palestinien sur 3 à une bonne image de l’Iran et de la Turquie, et 1 sur 8 des voisins arabes, égyptiens et jordaniens.
Enfin, plus de 95 % des Palestiniens se déclarent « très opposés » à Israël, aux États-Unis et au Royaume-Uni, l’Union européenne ne faisant guère mieux, avec seulement de 5 % d’opinions favorables.
Biden a perdu les Démocrates américains
On dispose également d’intéressants sondages en Occident. Dans un sondage réalisé en novembre aux États-Unis, on observe une quasi-égalité entre les opinions positives et négatives sur les opérations militaires israéliennes. Cependant, ces opinions sont très hétérogènes :
- seul 1 jeune sur 3 soutient Israël, contre 2 séniors sur 3 ;
- seul 1 non-blanc sur 3 soutient Israël, contre 2 blancs sur 3 ;
- et surtout seul 1 Démocrate sur 3 soutient Israël, contre 2 Républicains sur 3.
« Genocide Joe » Biden agit ainsi à rebours de la volonté de ses électeurs – encore un bien bel exemple de ce qu’est la « Démocratie », c’est-à-dire une Représentatie, comme nous l’avons expliqué dans cet article.
Nous saurons dans 11 mois si, comble de l’ironie, le Hamas aura eu une influence déterminante sur la présidentielle américaine, et donc sur l’avenir du monde, à cause d’une surréaction criminelle soutenue par Washington (qui a encouragé le gouvernement israélien et lui a fourni les moyens militaires de massacrer les civils), sans qu’on en comprenne bien les raisons rationnelles, les coûts politiques étant infiniment supérieurs aux bienfaits. Le professeur réaliste de relations internationales à Harvard, Stephen Walt, a d’ailleurs très bien résumé la situation :
« En tant que réaliste, je reconnais qu’il y a parfois des compromis entre les intérêts légitimes de sécurité et les considérations morales. Cela dit, j’ai du mal à comprendre comment de hauts responsables américains de la politique étrangère peuvent aujourd’hui se regarder dans le miroir. »
Des Français apathiques
Terminons par l’opinion publique en France. Ce sondage réalisé 15 jours après l’attaque du 7 octobre montre qu’un gros tiers des Français déclare avoir de la sympathie pour « Israël », et 12 % de l’antipathie ; la moitié des Français a une vision « neutre » du pays. La question est hélas un peu vague, car on peut y voir à la fois une interrogation sur le sentiment envers le pays en général, sur le gouvernement, ou sur la population qui venait d’être frappée par un massacre du Hamas, etc.
La répartition par proximité partisane donne des résultats très intéressants. La sympathie est la plus forte à droite, de 50 % à 60 % chez Renaissance, les Républicains et Reconquête, suivis du Parti socialiste (qui, pour mémoire, a joué un rôle central dans la fabrication par Israël de la bombe atomique). Elle est la plus faible chez la France insoumise, le Parti communiste et les écologistes, autour de 30 %. L’antipathie augmente de 3 % chez Reconquête à 30 % chez les insoumis.
Les manipulateurs tenteront de faire croire que tout cela révèle un gradient « d’antisémitisme » allant de droite à gauche. Certes, on note bien une petite anomalie de tendance au niveau du RN, tant pour la sympathie que pour l’antipathie, probables restes de l’antisémitisme originel de ce parti. Mais pour les autres partis, bien évidemment, la tendance montre plutôt un gradient d’opposition à un gouvernement d’extrême-droite en Israël.
Fait encore plus intéressant, le même sondage a été reproduit un mois plus tard, au tout début du mois de décembre. À ce moment, le bilan humain à Gaza apparaissait comme effroyable :
- plus d’une soixantaine de journalistes avaient été assassinés en ayant été souvent été visés en parfaite connaissance de cause ;
- le Secrétaire général de l’ONU allait, fait rarissime, saisir le Conseil de sécurité de l’ONU ;
- les multiples fake news honteuses du gouvernement israélien visant à manipuler l’opinion publique mondiale avaient été débunkées ;
- et de plus en plus de spécialistes de l’Holocauste n’hésitaient plus à employer le mot de « génocide ».
Quels changements dans l’opinion publique française ces scandaleux faits ont-ils induits ? Eh bien, en réalité, très peu. La sympathie envers Israël a baissé de 37 à 28 %, et l’antipathie a augmenté de 12 à 15 %. Il est difficile de savoir si ces faibles impacts sont dus à la propagande de masse des médias, à une compassion suite au massacre du 7 octobre ou à une simple conformation sociale, puisqu’à l’évidence, en France, pour ne pas avoir de problèmes, il vaut mieux soutenir Israël...
Au niveau partisan, le recul de la sympathie envers Israël a été très fort chez les Insoumis, les Socialistes, Renaissance et LR. Fait étonnant, la sympathie a même augmenté durant le massacre chez les électeurs de Zemmour, dont le parti a cependant vu un quintuplement de la proportion de ses sympathisants antipathiques envers Israël. Et l’antipathie a fortement reculé chez les Socialistes et le RN.
Au final, il est assez surprenant que seuls 15 % des Français aient une opinion négative d’un pays voyou qui a violé – et viole toujours – des dizaines de résolutions de l’ONU et qui pratique l’apartheid avec des dizaines de lois discriminatoires, comme cela est désormais bien documenté.
Ce pays est également dirigé depuis longtemps par un gouvernement d’extrême droite violent, qui a historiquement, et comme souvent en Occident (par exemple avec les moudjahidin en Afghanistan), soutenu l’islamisme radical au prétexte complètement fallacieux du « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». En l’occurrence, le Hamas – soutenir ne voulant bien entendu absolument pas dire « contrôler », comme on l’a vu tragiquement le 7 octobre.
Le journal de la gauche israélienne Haaretz est d’ailleurs un des seuls à rappeler depuis des mois que, dans le but de diviser les Palestiniens pour empêcher un juste accord de paix, le gouvernement Netanyahou s’est démené pour que le Qatar continue à financer ce « mouvement reconnu comme terroriste en Occident », et c’était encore le cas en septembre 2023.
Il est quand même vraiment dommage que les grands médias dépensent autant d’énergie pour exiger de tout politicien qu’il qualifie le Hamas de « groupe terroriste », sans jamais indiquer aux lecteurs les États qui le sponsorisent et sans qui il n’aurait pu ni exister ni disposer de tels moyens.
On comprend mieux, dans ce contexte, la volonté de certains parlementaires de faire taire toute critique d’Israël en assimilant antisémitisme et antisionisme, doctrine qui compte pourtant dans ses partisans les plus zélés bon nombre de célèbres antisémites rêvant que leurs concitoyens juifs déménagent à l’autre bout du continent. Par exemple, dans cette récente proposition de loi, des sénateurs veulent rendre passible de prison « la contestation de l’existence d’Israël », « l’injure envers Israël » ou « la provocation à la haine envers Israël ».
Le but de ces élus est évident : permettre à Israël de conserver une belle dose de « sympathie ». Et ce, « quoiqu’il en coûte » au niveau de la liberté d’expression...
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