Il y a quelques mois, le gouvernement s’était bruyamment félicité des chiffres du chômage en baisse, parlant même d’un futur retour au « plein emploi ». Les grands médias avaient alors relayé sa propagande sans recul. Pourtant, enjolivée par des interventions statistiques, la reprise de l'emploi était bien moins réjouissante qu'annoncé. A contrario, un large silence médiatique a accompagné les derniers chiffres du chômage, qui révèlent un retournement de tendance. Si l'on en croit certains indicateurs avancés, la situation de l'emploi devrait hélas continuer de se dégrader en 2024.

publié le 16/05/2024 Par Olivier Berruyer

1- Le chômage quasiment stable au 1er trimestre
2- Un actif sur cinq est inscrit à Pôle emploi
3- Des évolutions différentes entre catégories
4- Fin d'une baisse historique des entrées à Pôle Emploi
5- Réalités statistiques
6- Le retournement se confirme
Ce qu'il faut retenir


Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

Rappelons tout d'abord qu’en France, il existe plusieurs manières de définir un « chômeur » et donc de mesurer le chômage. Pôle emploi distingue cinq catégories de chômeurs, à la recherche de n’importe quel type de contrat (CDI, CDD, à temps plein, à temps partiel, temporaire ou saisonnier). La catégorie la plus utilisée dans le débat public est la catégorie A, qui désigne « une personne sans emploi, à la recherche de n’importe quel type de contrat, et tenue de rechercher activement un emploi ».

Nombre de chômeurs par catégorie de Pôle emploi en France, 1996-2024Nombre de chômeurs par catégorie de Pôle emploi en France, 1996-2024

Le chômage est quasiment stable au 1er trimestre

Selon Pôle emploi, au premier trimestre 2024, le nombre de chômeurs en « catégorie A » est en très légère diminution, quasiment en stagnation. Cependant, le nombre de chômeurs au sens large (catégories A à E) a légèrement augmenté de +0,05 %, soit 2 600 chômeurs. Le nombre d’intérimaires a quant à lui baissé de 3 400 personnes.

Chiffres du chômage et de l'intérim en France, premier trimestre 2024Chiffres du chômage et de l'intérim en France, premier trimestre 2024

Si on observe de plus près la variation du chômage (de catégorie A), on constate un comportement assez étrange, erratique depuis la fin de 2022, alors que 10 ans auparavant, les évolutions suivaient les grands cycles économiques. C’est surprenant, surtout dans un contexte de dégradation marquée de l’économie, comme on l’a vu dans notre article sur la conjoncture ou celui sur l’activité économique en France.

Variation trimestrielle du nombre de chômeurs en France, 2008-2024Variation trimestrielle du nombre de chômeurs en France, 2008-2024

En revanche, si l'on élargit le spectre à l’ensemble des chômeurs (qu’ils aient récemment travaillé ou pas, catégories A à C), les choses redeviennent beaucoup plus « logiques ». On observe une dégradation continue de la situation depuis début 2022, en phase avec l’activité économique.

Variation trimestrielle du nombre d'inscrits ne travaillant pas en France, 2008-2024Variation trimestrielle du nombre d'inscrits ne travaillant pas en France, 2008-2024

Cela indique donc que l’évolution du nombre de chômeurs de catégorie A ne suit pas une évolution uniquement « naturelle » ; elle est influencée par d’autres facteurs, dont des manipulations statistiques (reclassements entre catégories, etc.).

Variation trimestrielle du nombre d'inscrits à Pôle Emploi en France, 2008-2024Variation trimestrielle du nombre d'inscrits à Pôle Emploi en France, 2008-2024

Une analyse plus fine de l’évolution du dernier trimestre laisse apparaître une différence assez marquée par genre, avec 6 200 hommes de plus au chômage et 3 600 femmes de moins. Le nombre de jeunes au chômage est resté stable, celui des séniors a baissé de 1 800 alors que les chômeurs d’âge intermédiaire ont augmenté de 4 000.

Demandeurs d'emploi inscrits à Pole emploi par sexe et âge, 2023T4-2024T1Demandeurs d'emploi inscrits à Pole emploi par sexe et âge, 2023T4-2024T1

Une baisse pas si « historique » : 1 actif sur 5 est inscrit à Pôle emploi

Comme on l’a déjà expliqué en détail, il faut savoir que depuis 2007, le nombre de chômeurs en Catégorie A – c’est-à-dire des « personnes sans emploi récent qui en recherchent un » – a de plus en plus fortement divergé de celui des chômeurs selon la définition du BIT (Bureau International du Travail) qui est utilisée pour les comparaisons internationales, et qui est sans cesse mise en avant par le gouvernement.

Le chômage au sens du BIT a baissé notablement en raison de reclassements internes dans ses catégories, principalement pour les séniors qui ont été de plus en plus retenus sur le marché du travail (et au chômage) par les réformes des retraites.

Ces manipulations statistiques posent un vrai problème, car l’Insee utilise cette définition restreinte du BIT pour calculer le taux de chômage, que la plupart des médias et des dirigeants politiques reprennent, puisqu'il est bien moins élevé (il ne comptabilise pas beaucoup de chômeurs considérés comme inactifs). Cela fausse évidemment la lecture des chiffres du chômage. Le taux officiel du BIT est ainsi actuellement de 7,5 % de la population active.

Taux de chômage au sens du BIT en France, 1945-2023Taux de chômage au sens du BIT en France, 1945-2023

Premier point : c’est un chiffre qui est bas par rapport aux moyennes depuis 1982, mais il reste élevé, sans commune mesure avec la situation de plein emploi des Trente Glorieuses. Vouloir faire croire le contraire est donc extrêmement manipulatoire. C’est pourtant ce que le président Macron et la majorité ont fait au printemps 2023, en déclarant que le « plein emploi est atteignable, plus proche que jamais », ce qui est évidemment faux.

Source : Twitter

Second point : si l'on souhaite corriger les imperfections de la méthode du BIT liées à la hausse de la proportion de chômeurs très âgés, il suffit simplement de se baser sur les chiffres de Pôle emploi. Avec la seule Catégorie A, le taux de chômage n’est alors plus de 7,5 %, mais plutôt de 10 %. Et si l'on prend tous les inscrits à Pôle emploi, on dépasse les 20 % de la population active ! 1 actif sur 5 est donc inscrit à Pôle emploi.

Taux de chômage en France, 1950-2023Taux de chômage en France, 1950-2023

Au final, le niveau de chômage – qu’il soit mesuré par Pôle emploi ou le BIT – est donc assez proche du niveau enregistré à la veille de la crise de 2008. Nous vous renvoyons à notre chronique vidéo où nous avons démonté la propagande gouvernementale au sujet du chômage.

Des évolutions étrangement différentes entre catégories

Autre problème : au niveau des catégories au cours du dernier trimestre, on observe une très étrange décorrélation entre la catégorie A, qui baisse de 3 500 personnes, et la catégorie B qui augmente de 6 000 chômeurs.

Demandeurs d'emploi inscrits à Pole emploi par catégorie et âge, 2023T4-2024T1Demandeurs d'emploi inscrits à Pole emploi par catégorie et âge, 2023T4-2024T1

Si l’on considère l’ensemble des catégories définies par Pôle emploi, depuis trente ans, le nombre de chômeurs en France a augmenté significativement, particulièrement depuis la crise de 2008 : il est en effet passé de 4 millions à près de 7 millions d’inscrits en 10 ans, avant de retomber au niveau actuel de plus de 6 millions. La seule « Catégorie A » – dont on parle généralement dans les médias – comptabilise toujours 3 millions de chômeurs.

Niveaux du chômage en France, 1991-2024Niveaux du chômage en France, 1991-2024

On observe également un autre problème statistique en 2022, avec une baisse du nombre de chômeurs en catégorie A qui ne correspond en rien à une baisse du chômage au sens du BIT. Ce phénomène est simplement lié à un retraitement statistique opéré par Pôle emploi, qui a basculé des dizaines de milliers de chômeurs de la Catégorie A, très scrutée, vers d’autres catégories, sans aucun impact sur le total des inscrits à Pôle emploi. Et cela génère des discordances étonnantes entre les catégories.

Beaucoup d'indices montrent que le gouvernement a mis une énorme pression pour forcer les chiffres du chômage à atteindre le bas niveau actuel – le quotidien La Marseillaise a par exemple publié des témoignages édifiants ce ces actions proches de la manipulation statistique.

Depuis 2021, le nombre d’inscrits en catégorie A a beaucoup baissé, mais pas celui en catégories B et C, qui sont pourtant proches (ce sont des chômeurs ayant plus ou moins travaillé au cours du mois).

Nombre de chômeurs par catégorie de Pôle emploi en France, 1996-2024Nombre de chômeurs par catégorie de Pôle emploi en France, 1996-2024

Ces discordances s’observent bien en analysant l'évolution en nombre des catégories de chômeurs au fil des mois, surtout depuis mi-2022. Elles deviennent même flagrantes lorsque l'on compare avec les périodes précédentes de forte baisse du chômage, en 2000 ou 2007. À l’époque, les catégories A, B et C baissaient bien ensemble.

Évolution du nombre de chômeurs par catégorie de Pôle emploi, 1997 à 2024Évolution du nombre de chômeurs par catégorie de Pôle emploi, 1997 à 2024

Or, en 2022, elles avaient des tendances opposées. Ce phénomène de divergence entre catégories a repris en 2024, signe que des phénomènes non naturels sont à l’œuvre (reclassements entre catégories, radiations, subventions à l’emploi impactant seulement certaines catégories…).

La fin d’une baisse historique des entrées à Pôle emploi

Sur longue période, les entrées mensuelles à Pôle emploi sont passées de 400 000 en 1996 à 570 000 début 2024. Les motifs d’entrées (démissions, recherches de premier emploi, fins de contrat d’intérim ou de CDD…) n’ont pas varié dans de grandes proportions ces 25 dernières années.

Entrées et sorties mensuelles à Pôle emploi, 1996-2024Entrées et sorties mensuelles à Pôle emploi, 1996-2024

La baisse du chômage depuis 2021 a été le résultat d’une forte baisse des entrées et d’une relative stabilité des sorties. Ce phénomène positif s’est terminé en juillet 2023. Désormais, les entrées sont à la hausse et les sorties à la baisse, ce qui montre la dégradation de l’économie et explique la hausse du chômage.

Entrées et sorties mensuelles à Pôle emploi, 1996-2024Entrées et sorties mensuelles à Pôle emploi, 1996-2024

On comprend mieux l’origine de cette baisse des entrées en observant le taux d’emplois vacants, c’est-à-dire la proportion d’emplois (nouvellement créées, inoccupés ou occupés) pour lesquels des démarches actives sont entreprises pour trouver le candidat convenable. Il saute aux yeux que la situation est exceptionnelle : ce taux est près de 5 fois supérieur à sa moyenne 2003-2013. Plus de 2 % des emplois sont vacants, soit 360 000, essentiellement en raison de difficultés à trouver un remplaçant.

Taux d'emplois vacants en France, 2003-2023Taux d'emplois vacants en France, 2003-2023

Après la crise du Covid, au vu des difficultés de recrutement, de très nombreuses entreprises ont préféré ne pas se séparer d’employés de crainte de ne pouvoir en retrouver à court ou moyen terme. C’est cela qui explique que les entrées à Pôle emploi sont tombées à un très bas niveau en 2021, ce qui a mathématiquement beaucoup joué dans la baisse du chômage. Mais ce phénomène est désormais terminé. La question qui se pose désormais est donc : combien de ces postes excédentaires les entreprises vont-elles garder à moyen terme ?

Plus en détail, les motifs des entrées à Pôle Emploi montrent bien la baisse des licenciements et des fins de contrats après la crise du Covid. La hausse récente des « retours d’inactivité » a deux principales causes : les retours de maladie (après Covid par exemple) et de formation (suite aux manipulations statistiques pour sortir des chômeurs de la catégorie A).

Entrées mensuelles à Pôle emploi par motif, 1996-2024Entrées mensuelles à Pôle emploi par motif, 1996-2024

Le nombre de sorties de Pôle emploi a également progressé depuis 1996, passant de 350 000 à 560 000 actuellement.

Motifs de sortie de Pôle emploi, 1996-2024Motifs de sortie de Pôle emploi, 1996-2024

On note une forte augmentation de la part des défauts d’actualisation dans le nombre de sorties : elles représentaient 90 000 personnes en 1996, soit moins de 30 % des sorties, contre 250 000 mi 2023, soit 45 % des sorties.

Cette explosion historique des radiations s’accompagne d’une très brutale chute des sorties pour reprise d’emploi, qui revient à un niveau inconnu depuis 10 ans. Contrairement à la propagande gouvernementale, la situation de l’emploi, bien que longtemps en amélioration, n’est en rien radieuse.

La hausse des radiations administratives est également notable : entre 1996 et 2007, les radiations administratives de Pôle emploi ont été multipliées par 6, passant de 8 000 à 50 000 par mois. Elles fluctuent depuis entre 40 000 et 56 000 par mois, un maximum historique qu’elles viennent d’atteindre.

Radiations administratives par Pôle emploi, 1996-2024Radiations administratives par Pôle emploi, 1996-2024

Cette forte augmentation des radiations et des défauts d’actualisation, même après la présidentielle 2022, confirme bien les actions menées pour embellir fictivement les chiffres du chômage.

Un nombre d’offres d’emplois élevé, mais insuffisant face au chômage de masse

Alors qu’en 2019 le nombre d’offres d’emplois collectées par Pôle emploi chaque mois oscillait autour de 280 000, il se situe désormais autour de 330 000 – c’est une des conséquences des problèmes actuels de recrutement.

Offres d'emplois collectées par Pôle emploi chaque mois, 2016-2023Offres d'emplois collectées par Pôle emploi chaque mois, 2016-2023

Cependant, avec 15 fois plus de demandes que d’offres d’emploi, même si toutes ces offres étaient pourvues en un instant, il resterait toujours plusieurs millions de chômeurs en France.

Réalités statistiques

Il existe également de vastes différences des taux de chômage au niveau local : les départements du nord de la France et ceux du pourtour méditerranéen sont fortement frappés par le chômage, et plus encore ceux des Départements d'outre-mer.

Taux de chômage par département en France, décembre 2023Taux de chômage par département en France, décembre 2023

Terminons par une observation du chômage de longue durée. Celui-ci n’a cessé d’augmenter entre 2009 et 2021. Une décrue a enfin lieu depuis 3 ans, mais elle reste insatisfaisante. Le nombre de chômeurs de longue durée reste en effet identique à celui de 2015. Et le mouvement de baisse semble être désormais terminé.

Nombre de chômeurs de longue durée en France, 1996-2024Nombre de chômeurs de longue durée en France, 1996-2024

Cette baisse s’est logiquement ressentie sur la durée moyenne passée au chômage. Passée en une décennie de 13 mois à 23 mois, elle vient de baisser d’à peine 2 mois, ce qui dément donc l’hypothèse d’une embellie historique de la situation de l’emploi.

Ancienneté moyenne au chômage en France, 1996-2024Ancienneté moyenne au chômage en France, 1996-2024

Cette notion de durée moyenne au chômage de 21 mois est aussi très importante, car elle influe fortement sur l’indemnisation. En effet, l’indemnisation au taux de 75 % est limitée à une durée variant de 18 à 27 mois selon l’âge (+ 15 à 22 mois de fin de droits). Ceci explique une partie de la baisse de la proportion de chômeurs indemnisés.

Proportion des chômeurs indemnisés en France, 2006-2024 Proportion des chômeurs indemnisés en France, 2006-2024

La baisse récente du taux d’indemnisés s’explique aussi par les réformes régressives de l’assurance chômage impulsées par le président Macron, et qui devraient se poursuivre cette année.

Le retournement se confirme

Au niveau de la tendance récente, nous annoncions au trimestre dernier que les chiffres du chômage s’étaient retournés, et que le chômage devrait continuer à augmenter. Et les derniers chiffres de l’Insee confirment bien notre analyse.

Ce retournement est particulièrement flagrant au niveau du halo du chômage (les quasi-chômeurs, comme beaucoup de séniors) qui continue à augmenter, alors que le sous-emploi stagne désormais. Le chômage devrait donc continuer (hélas !) à augmenter en 2024, d’autant que le gouvernement va devoir cesser ses colossales subventions aux entreprises (financées de manière irresponsable par de la dette), qui expliquaient une large partie de la baisse du chômage depuis 2018.

Chômage, halo et sous-emploi en France, 2003-2023Chômage, halo et sous-emploi en France, 2003-2023

On note aussi une très étrange décorrélation entre l’évolution du chômage et du halo depuis 2016-2017, alors que précédemment, les évolutions étaient logiquement parallèles, dépendantes du climat économique. Cela confirme de nouveau que l’embellie de l’emploi de 2017-2022 était très différente des précédentes, devant plus à des actions sur les postes de travail et les travailleurs (d’où la baisse de la productivité analysée dans cet article sur les réformes antisociales d'Emmanuel Macron) qu’à une réelle amélioration intrinsèque du marché de l'emploi.

Ce qu’il faut retenir

Le taux de chômage atteint 7,5 %, un niveau relativement bas, assez proche de celui de 2008. Cependant, ce chiffre est assez trompeur, car il ne tient pas compte de certains types de chômeurs.

En réalité, les chômeurs représentent au sens le plus strict 10 % de la population active, soit 3 millions de personnes, et les inscrits à Pôle emploi s’élèvent à plus de 6 millions de personnes, 20 % de la population active – soit 1 travailleur sur 5, et même environ 1 sur 4 dans le secteur privé.

La situation du chômage reste donc toujours dramatique. Il y a quelques mois à peine, le gouvernement s’est répandu dans les grands médias sans contradiction pour déverser sa propagande sur un chômage au « plus bas depuis 40 ans ». Pourtant, le fait que les inscrits à Pôle emploi restent à un niveau stratosphérique, qui n’avait jamais été atteint avant 2015, montre que l’amélioration de l’emploi mesuré par les statistiques a surtout correspondu à la création d’emplois au rabais, subventionnés, à temps partiel et insatisfaisants pour nombre de travailleurs.

Les derniers chiffres publiés confirment que le chômage s’est bien retourné. Il augmente désormais fortement, surtout au niveau de l’ensemble des inscrits à Pôle emploi, et ceci pour épargner au maximum la Catégorie A, très scrutée par les médias. L’activité économique morose laisse donc craindre une poursuite de la tendance haussière du chômage pour 2024.