« L'obsession de la compétitivité nous mène dans une impasse » - Benjamin Brice

Les politiques de compétitivité n’ont pas tenu leurs promesses de prospérité et ont pris de plus en plus la forme d’un impératif d’adaptation aux contraintes de la mondialisation. Benjamin Brice, docteur en sciences politiques, en dresse le bilan dans son livre L’impasse de la compétitivité (Les Liens qui libèrent) et réfléchit à une alternative plus bénéfique économiquement, plus juste socialement et à la hauteur des enjeux écologiques.

publié le 24/09/2023 Par Laurent Ottavi

Laurent Ottavi (Élucid) : Vous attribuez notre incapacité à faire face aux défis actuels davantage à un refus d’agir qu’à une impuissance, dans la mesure où il existe des leviers d’actions. Celui-ci tiendrait à un blocage intellectuel que vous nommez l’impératif de la compétitivité. Quand ce terme est-il devenu prépondérant, que recouvre-t-il et de quelles promesses est-il paré ?

Benjamin Brice : La notion de compétitivité a commencé à s’imposer dans le débat public à la fin des années 1970 et au début des années 1980 en Europe et aux États-Unis. Le contexte était alors celui de la pression commerciale du Japon qui menaçait les industries occidentales. Depuis, le terme a toujours occupé une place centrale dans le débat politique. Cela tient au fait que la mondialisation a continué de s’intensifier avec une hausse de l’ouverture commerciale, un accroissement de la part des profits des multinationales faits à l’étranger et l’ascension de la Chine dans le commerce international. Le taux d’ouverture commerciale de la France, c’est-à-dire la part des exportations et des importations dans le PIB de la France, a plus ou moins triplé entre les années 1960 et aujourd’hui.

Sous son aspect positif, la compétitivité est une promesse de prospérité pour un pays, grâce à la stimulation de l’innovation et de la productivité. Une meilleure compétitivité de la France et de ses entreprises devrait permettre aux produits français de gagner des parts de marché à l’international, ce qui a plusieurs avantages : une balance extérieure positive, des moyens pour financer notre modèle social et nos services publics, le plein-emploi et du pouvoir d’achat pour consommer plus.

Élucid : L’autre versant de la compétitivité que vous évoquez dans votre livre est l’adaptation à la mondialisation. Quelles formes cela prend-il ?

Benjamin Brice : Derrière la carotte, il y a effectivement le bâton. Dans une conjoncture marquée par l’intensification de la mondialisation, la contrainte économique extérieure est devenue beaucoup plus forte qu’avant. Si nous ne sommes pas capables de produire moins cher ou de meilleure qualité que nos concurrents, nous perdons des parts de marché et des emplois, notre balance commerciale se dégrade, nous nous endettons vis-à-vis du reste du monde, le pouvoir d’achat stagne et nous disposons de moins d’argent pour financer nos services publics.

La compétitivité n’est plus alors vue sous l’angle d’une vie meilleure, mais sous l’angle de la nécessité extérieure, une nécessité à laquelle il faut se soumettre sous peine de décrocher dans le système économique international. Ces deux aspects – positifs et négatifs – sont intimement liés puisqu’il y a nécessairement des gagnants et des perdants dans la grande compétition internationale pour les parts de marché à l’exportation.

Depuis une ou deux décennies, la France n’apparaît plus assez compétitive par rapport à ses partenaires. Entre le début des années 2000 et 2022, la part de la France dans les exportations mondiales de biens est passée d’environ 5 % à 2,5 %. Il est donc compréhensible que les gouvernants aient pour priorité – voire pour obsession – de rétablir la compétitivité de notre économie. Voilà pourquoi, aujourd’hui, le bâton l’emporte sur la carotte.

Les dirigeants français n’ont-ils pas eu raison de s’inquiéter de la perte de compétitivité de l’économie française ?

Je ne conteste pas l’importance prise par la compétitivité dans les relations internationales au cours de la dernière période. Il est normal que ce sujet ait sa place dans la définition des politiques publiques. En revanche, je conteste deux choses. Premièrement, les politiques de compétitivité mises en œuvre en France depuis une vingtaine d’années, afin d’adapter le modèle productif et social français à la mondialisation. Il s’agit de la baisse du coût du travail, sous la forme d’exonérations de cotisations sociales (de l’ordre de 3 points de PIB par an), de la baisse de la fiscalité sur les entreprises et sur les revenus du capital, de la flexibilisation de la main-d’œuvre, qui entraîne une hausse de la précarité, et des mesures d’économie dans les dépenses publiques, notamment dans les services publics. Au vu des résultats, ces politiques devraient être largement questionnées.

D’autre part, la place hégémonique prise par la compétitivité dans le débat public risque de nous faire oublier les autres contraintes, surtout celles qui sont apparues au premier plan au cours des crises récentes (Gilets jaunes, covid-19, canicules, guerre en Ukraine). Je pense surtout à l’impératif de résilience dans un monde dangereux, à la pression écologique qui réclame des mesures de sobriété et à la nécessité de renforcer la cohésion sociale pour faire face aux défis du XXIe siècle. En l’occurrence, l’obsession de la compétitivité risque de nous faire oublier l’importance que prennent aujourd’hui ces réalités.

« L’Union européenne a contraint la France à entrer dans le grand bain de la mondialisation, à travers la monnaie unique, le libre-échange et l’ouverture à la concurrence. »

« L’intégration économique européenne, écrivez-vous, a finalement été, à partir des années 1980 et 1990, une espèce de programme d’ajustement structurel du même ordre que ce que le FMI et la Banque mondiale imposaient, à la même époque, aux pays en voie de développement ». En quoi l’Union européenne a-t-elle joué un rôle considérable dans la diffusion de l’impératif de compétitivité en France ?

Je me suis permis de reprendre cette analogie avec le programme d’ajustement structurel imposé à certains pays du Sud, parce qu’elle se retrouve chez deux économistes qui ont pourtant des options politiques très différentes : David Cayla qui remet en cause le consensus économique actuel et Jean Pisani-Ferry qui a participé à l’élaboration du programme économique d’Emmanuel Macron.

À partir du tournant de la rigueur de 1982-1983, les dirigeants français se sont plus ou moins ralliés aux politiques de l’offre, mais ils n’ont jamais vraiment assumé ce qu’ils faisaient, en particulier les socialistes. Les politiques de dérégulation n’empêchaient pas de tenir des discours avec une certaine tonalité antilibérale et anticapitaliste. Dans ces conditions, le projet européen a été une manière de justifier auprès de la population – et d’imposer – des réformes de compétitivité. Les dirigeants français n’ont d’ailleurs jamais hésité à rendre l’Union européenne responsable de mesures impopulaires qu’ils estimaient par ailleurs nécessaire de prendre… Voilà pourquoi il est possible de dire que l’Union européenne a contraint la France à entrer dans le grand bain de la mondialisation, à travers la monnaie unique, le libre-échange et l’ouverture à la concurrence de nouveaux secteurs.

Ce qu’il importe de noter, c’est que la population française a montré assez tôt une certaine réticence. En 1992, les employés et les ouvriers votaient déjà majoritairement contre le traité de Maastricht, qui n’est passé qu’avec une très courte majorité. En 2005, le référendum a été rejeté par 55 % des électeurs, avec une écrasante majorité dans les classes populaires.

Emmanuel Macron a clairement écrit dans son livre Révolution qu’il projetait d’adapter la France à la mondialisation. N’est-il pas le président français qui a poussé le plus loin cet impératif de compétitivité ?

On l’a vu, cet impératif de compétitivité occupe une place importante dans le débat public depuis les années 1980. Mais c’est à partir des années 2000 que les politiques publiques ont eu pour priorité de combler le déficit de compétitivité de la France par rapport à ses partenaires, en particulier par rapport à l’Allemagne. En l’occurrence, les orientations sociales et économiques de la France n’ont pas beaucoup varié dans la dernière période, que le président soit Nicolas Sarkozy, François Hollande ou Emmanuel Macron.

En revanche, Emmanuel Macron se distingue de ses prédécesseurs par le fait qu’il a assumé beaucoup plus franchement qu’eux de mettre sa politique économique sous le signe de la compétitivité. Depuis son livre Révolution jusqu’à ses discours les plus récents, la compétitivité reste la pierre angulaire de sa présidence, car il s’agit, selon lui, de la clé du redressement de la France. Ainsi, il a basculé une partie des cotisations sociales sur la CSG, il a fortement réduit l’ISF, il a supprimé des impôts de production, il a réformé le Code du travail, il a rendu plus restrictif l’accès aux allocations chômage et il a poursuivi les politiques d’économie dans les services publics.

« À force de nous concentrer exclusivement sur les exportations, nous en oublions les importations, et donc notre dépendance croissante à des fournisseurs étrangers. »

En quoi les politiques de compétitivité, dont Emmanuel Macron est donc à la fois le continuateur et l’accélérateur, ont-elles été un échec sur les plans économique et environnemental ?

Vaste question ! Tout d’abord, les efforts de compétitivité demandés à la population française se justifient souvent par nos mauvais résultats commerciaux. Or, le déficit commercial de la France ne fait que s’accroître depuis 20 ans. La situation a encore beaucoup empiré sous les mandats d’Emmanuel Macron. Même en enlevant la facture énergétique – dont le prix a explosé depuis la guerre en Ukraine – la situation reste très préoccupante. Le déficit manufacturier de la France (biens industriels et produits agroalimentaires) continue de s’accroître. Nous étions à l’équilibre en 2006, à environ 20 milliards d’euros de déficit au début des années 2010, à près de 40 milliards de déficits à la fin des années 2010 et à 80 milliards de déficits en 2022.

Qu’est-ce que cela signifie ? Que nous produisons de moins en moins ce que nous consommons. En effet, si le déficit commercial s’agrandit, ce n’est pas que les exportations de la France n’augmentent pas, c’est que les importations augmentent plus vite que les exportations. À force de nous concentrer exclusivement sur les exportations, nous en oublions les importations, et donc notre dépendance croissante à des fournisseurs étrangers. Dans la consommation des ménages en produits industriels (hors agroalimentaire), seulement 1/7 de la valeur ajoutée est d’origine française !

Ici, l’obsession de la compétitivité nous a largement fait perdre de vue notre vulnérabilité. Les domaines d’excellence de la France – l’aéronautique, le luxe et le tourisme – ne compensent pas du tout la disparition progressive de nos bases industrielles, celles qui produisent les biens que nous consommons tous les jours. D’autant plus que la concurrence s’intensifie, puisque les pays auxquels nous avons délégué la production industrielle à faible valeur ajoutée cherchent à leur tour à monter en gamme et à gagner des parts de marché.

Cette situation représente également un problème sur le plan écologique. Délocaliser notre production revient à importer des marchandises produites loin de chez nous, avec une énergie généralement plus carbonée que la nôtre et des normes environnementales moins strictes. Il y a d’ailleurs un lien entre délocalisation et surconsommation, car nous nous sommes habitués à consommer des produits de moindre qualité en plus grande quantité, avec pour conséquence une plus forte pression sur les écosystèmes.

Qu'en est-il des effets sociaux de ces politiques aux mauvais résultats ?

La désindustrialisation du pays représente un véritable drame social. Elle a détruit de nombreux bassins d’emplois, ce qui a conduit au déclin de pans entiers du territoire : baisse de la population active, fermeture des commerces et raréfaction des services publics. En parallèle, la concentration de la valeur ajoutée dans les services de pointe des métropoles a créé d’importantes tensions. Les emplois ouverts aux classes populaires dans les métiers de services au sein des métropoles (sécurité, soin, garde d’enfant, vente, manutention, construction), souvent au service des classes supérieures, ne sont pas toujours de bonne qualité : emplois précaires, horaires atypiques et faibles rémunérations. Étant donné que les prix de l’immobilier se sont envolés dans les métropoles, les conséquences sont majeures en termes de pouvoir d’achat.

« Si les services publics se dégradent, c’est parce que les dépenses ne suivent pas l’évolution des besoins. »

Quelles conséquences les politiques de compétitivité ont-elles eues sur les services publics en particulier ?

Le financement des politiques de compétitivité, c’est-à-dire le financement des allègements de cotisations sociales pour faire baisser le coût du travail, a conduit à augmenter les impôts non progressifs sur les ménages. Cependant, la révolte des Gilets jaunes a montré les limites de cette politique. Désormais, l’exécutif se concentre principalement sur la réduction des dépenses publiques. Or, il s’agit pour une bonne part de s’attaquer aux dépenses de fonctionnement, c’est-à-dire aux services publics (les salaires et tout ce dont ont besoin les fonctionnaires pour travailler)

Pourtant, contrairement à ce que laisse entendre la tonalité du débat public sur le sujet, les dépenses de fonctionnement n’ont pas augmenté (en part de PIB) au cours des dernières décennies. En 2022, elles représentaient 18 points de PIB, soit exactement le même niveau qu’à la fin du mandat de Valéry Giscard d’Estaing en 1980. Quel est donc le problème de cette stabilité des dépenses ? Le problème est qu’en parallèle les besoins ont augmenté : le vieillissement de la population exerce une forte pression sur l’hôpital public, de plus en plus d’élèves s’engagent dans des études supérieures, les tensions géopolitiques appellent de nouveaux investissements dans la défense et l’urgence climatique nécessite de l’argent. Cette pression fait que les salaires ont décroché dans la fonction publique et que le maillage territorial des services publics diminue.

Bref, si les services publics se dégradent, c’est parce que les dépenses ne suivent pas l’évolution des besoins. Il n’est donc pas polémique de parler ici d’austérité. Cela a des conséquences au niveau national, avec l’accentuation des déséquilibres entre territoires et avec le non-traitement de nombreux problèmes sociaux (engorgement du système de santé, déclin du système éducatif public, sous-investissement dans l’aménagement du territoire). Et des conséquences au niveau international, avec le déclassement de la France, notamment sur le plan de l’éducation, de la recherche et de la défense.

Qu’en est-il des effets des politiques de compétitivité sur la démocratie ?

Le point central est le décalage d’aspirations entre une bonne partie de la population et la classe dirigeante (c’est-à-dire les gouvernants, mais aussi une fraction importante des journalistes, des intellectuels, des cadres supérieurs en entreprise, etc.). Je l’ai dit, depuis les années 1980, une bonne partie de la classe dirigeante française considère que la compétitivité est notre seule planche de salut. Malheureusement, après des décennies de réformes pour rattraper l’Allemagne et les pays du nord de l’Europe, force est de constater que la plupart des bénéfices attendus se font encore attendre. Que disent – ou suggèrent – les gouvernants ? Qu’il faut aller encore plus loin.

Or, dans la population française, en particulier dans les classes populaires – les premières victimes de la précarité et de la désindustrialisation – le sentiment est plutôt que nous sommes déjà allés trop loin. Il y a une demande de moins de mondialisation et de plus de nation, pas d’une intégration plus poussée dans la division internationale du travail. Le problème est que la classe dirigeante française juge cela déraisonnable. À son sens, même si les efforts de compétitivité sont impopulaires, ils seraient nécessaires.

Dès lors, les gouvernants s’efforcent de faire de la « pédagogie », et quand cela ne suffit pas, ils se font gloire de braver l’impopularité de leurs réformes, comme ce fut le cas au moment de la réforme des retraites. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette situation fragilise notre système démocratique, surtout dans une conjoncture où les oppositions ne semblent pas proposer d’alternative suffisamment crédible.

« La classe dirigeante juge mal notre situation. La compétitivité n'est pas la seule contrainte, et peut-être même pas la principale. »

Vous souligniez la place disproportionnée donnée à la compétitivité par rapport aux autres contraintes de notre temps. Comment la remettre à sa juste place ?

Ce que j’essaie de montrer dans le livre, c’est que la classe dirigeante juge mal notre situation. Oui, la compétitivité est une contrainte réelle dans le monde d’aujourd’hui. Mais ce n’est pas la seule contrainte, et peut-être même pas la principale. Les bouleversements du monde, de la guerre en Ukraine au Covid-19 en passant par la révolte des Gilets Jaunes et la question climatique, devraient nous rappeler que les nécessités qui pèsent sur l’action publique sont multiples et parfois contradictoires.

Ainsi, nous avons besoin de résilience dans un monde marqué par un regain de compétition géopolitique, avec de réels risques de guerre. Le grand affrontement qui a commencé entre la Chine et les États-Unis aura évidemment d’importantes répercussions sur notre économie, surtout si nous ne réduisons pas notre niveau de dépendance. Nous savons aussi l’importance de l’enjeu écologique, lui-même producteur de tensions internationales. Ne pas se préparer, en questionnant notre surconsommation matérielle, largement importée, me paraît très déraisonnable.

Enfin, pour mener les réformes et les efforts indispensables à notre redressement, il va falloir renforcer le lien d’amitié qui nous rassemble. Or, l’obsession de la compétitivité a plutôt tendance à abîmer ce lien : on déresponsabilise les entreprises en ne leur demandant que de devenir les plus compétitives possible et on alimente la colère sociale en menant des réformes considérées comme de plus en plus injustes.

« Lorsque l’on appréhende les différentes dimensions de nos difficultés, résumez-vous, on finit par arriver à la conclusion que nos meilleures chances de redressement se rencontrent dans une combinaison de sobriété matérielle et de relocalisation industrielle ». Qu’entendez-vous par là ?

L’enjeu est de définir une alternative crédible aux politiques de compétitivité, ce que j’avais essayé de faire dans mon premier livre : La sobriété gagnante (Libri Nova, 2022). Pour cela, il est indispensable de prendre en compte toutes les contraintes, et non pas seulement celle de la compétitivité. C’est en ce sens qu’une combinaison de sobriété matérielle et de relocalisation industrielle me paraît plus crédible.

La sobriété matérielle, c’est-à-dire la révision de nos modes de vie pour réduire notre volume de consommation de combustibles fossiles et de biens industriels, a plusieurs avantages. En réduisant les importations, cette sobriété matérielle permettrait de rééquilibrer notre balance commerciale et de freiner – ou même de réduire – notre endettement extérieur. La sobriété matérielle est aussi un moyen de baisser notre empreinte écologique et de ramener notre consommation à un niveau compatible avec les limites planétaires. Là encore, cela concerne principalement les importations : non seulement la moitié de notre empreinte carbone est émise à l’étranger, mais, en plus, les émissions directes de la France sont majoritairement dues à des hydrocarbures que nous importons.

Par ailleurs, si nous combinons cet effort de sobriété matérielle avec un véritable projet de relocalisation industrielle, et notamment de relocalisation d’industries de base, alors nous en tirerons des bénéfices économiques et sociaux. La création d’emplois de production en dehors des métropoles permettrait de rééquilibrer les rapports entre classes sociales et entre territoires. Ces activités industrielles permettraient de dégager des moyens financiers (davantage de recettes fiscales et moins de transferts sociaux) qui pourraient servir à investir dans les services publics. Enfin, pour innover dans le domaine industriel, il est important de reconstruire un tissu industriel performant, notamment dans les secteurs à moins forte valeur ajoutée.

« Il est possible d’envisager une réduction de notre volume de consommation matérielle tout en créant de l’activité industrielle sur le territoire. »

Quelle différence faites-vous entre sobriété matérielle et décroissance ?

Telle qu’elle est présentée chez ses promoteurs, la décroissance est à la fois une baisse de la consommation et de la production. Or, dans le cas de la France, du fait de notre énorme déficit commercial, il est possible d’envisager une réduction de notre volume de consommation matérielle tout en créant de l’activité industrielle sur le territoire. Par exemple, nous aurions intérêt à consommer un peu moins de pièces de textile, mais des produits fabriqués localement et de meilleure qualité (donc plus durables), même s’ils sont plus chers. Ce qui suppose évidemment toute une réflexion – que j’entame dans le livre – sur le rôle de la collectivité dans ce changement et sur la répartition des efforts entre classes sociales.

Les promoteurs de la décroissance ont raison de remettre en cause les indicateurs économiques traditionnels et de s’intéresser à ce qui permet de réellement bien vivre. Mais ce que je cherche à montrer, c’est que, dans le cas de la France, du fait du poids des importations dans notre consommation matérielle, nous pouvons nous engager dans une voie de sobriété sans mettre en danger l’économie nationale.

Si j’aborde tous ces sujets à partir de l’angle de la compétitivité, c’est parce qu’il s’agit là de l’objection qui revient sans cesse : nous vivons dans un monde de compétition. Eh bien, je crois qu’en regardant le monde tel qu’il est, avec toutes ses contraintes (géopolitiques, écologiques, politiques et sociales), il est en réalité plus raisonnable de combiner sobriété matérielle et relocalisation industrielle plutôt que de rester prisonnier d’une logique de compétitivité qui nous mène dans une impasse.

Propos recueillis par Laurent Ottavi.

Photo d'ouverture : Avigator Fortuner - @Shutterstock

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