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« LA FINANCIARISATION DE LA NATURE VISE À MAINTENIR LE STATU QUO » Par Laurent Ottavi 21/05/2023 Économie 21/05/2023 Partagez A+ A- La financiarisation de la nature s’accélère au prétexte de la préserver, entraînant par la même occasion de multiples risques économiques, sociaux et géopolitiques. Frédéric Hache, co-fondateur de L’Observatoire de la finance verte, après avoir travaillé pendant 12 ans en salle des marchés avant d'œuvrer au sein de l’ONG Finance Watch, suit de près les fausses solutions de marché appliquées aux politiques environnementales. Il en détaille les méthodes, les visées ainsi que le lexique et esquisse un chemin alternatif. Laurent Ottavi (Élucid) : La « finance verte » serait-elle aujourd’hui une variante du « développement durable », c’est-à-dire une fausse alternative à une croissance vorace en ressources ? Frédéric Hache : C’est en effet chaque jour un peu plus vrai. La grande majorité des gouvernements actuels sont prêts à agir contre le réchauffement climatique et la destruction de la biodiversité, mais seulement dans la mesure où cela ne nuit pas à la croissance économique et à la compétitivité des entreprises. Autant dire qu’ils n’agissent qu’à la marge, un renoncement camouflé par de fausses solutions, sans efficacité, qui visent à maintenir le statu quo. Dans le cas du changement climatique, les politiques environnementales contraignantes sont ainsi exclues au profit de l’instauration de marchés où s’achètent et se vendent des permis d’émettre des gaz à effet de serre. Depuis qu’ils existent, c’est-à-dire 2005, leur bilan écologique est un échec total. Élucid : Pouvez-vous expliquer le premier type de marché carbone qu’est le système d’échanges des quotas d’émission de l’Union européenne ? Frédéric Hache : Il fonctionne à travers deux mécanismes. Le premier est la réduction des permis de polluer émis, censée faire baisser mécaniquement les émissions. Or, le nombre de permis est toujours supérieur à celui des émissions réelles, d’autant plus qu’on a autorisé pendant une période l’usage de quotas du protocole de Kyoto en supplément. C’est un choix politique de privilégier la croissance et la compétitivité. L’autre mécanisme par lequel ce marché pourrait fonctionner est le signal-prix. L’idée est que l’augmentation du prix sur la tonne de CO2 pourrait inciter les entreprises à changer de technologies et de sources d’énergie. Cela requiert non seulement que le prix demeure élevé, mais aussi la confiance dans le fait que la tendance haussière perdure. Pourtant, le prix sur le marché de CO2 est très volatil au point qu’il n’existe aucune tendance observable. C’est un paramètre paralysant pour un directeur d’entreprise. Face à une situation où le prix de la tonne de CO2 passerait de 90 euros aujourd’hui à 60 demain, il ignorerait sur quel prix il doit baser ses prévisions industrielles à 10 ou 15 ans. On pourrait réduire cette volatilité des prix en limitant la spéculation sur le marché de CO2, mais là encore, le choix politique est de ne pas le faire. Nous avons donc un marché inefficace qui donne simplement une illusion de fonctionnement. La volonté n’est pas qu’il soit inefficace, certes, mais il l’est fatalement dans la mesure où il est voulu qu’il n’entrave pas la croissance dont on sait qu’elle se confond avec l’émission de CO2. L’une veut dire l’autre. Quel est le deuxième type de marché carbone en plus du système européen d’échange des quotas d’émission ? Il s’agit des marchés de compensation. Typiquement, c’est le cas d’une entreprise qui va détruire un habitat de flamants roses pour construire une bretelle d’autoroute, et s’engager à recréer l’habitat de flamant rose dans un rayon de 10 km alentour, ou dans la version promue par la Commission européenne compenser quelque part en Europe, et pas nécessairement par le même type d’habitat que celui qui a été détruit. « Un nouveau marché réglementaire distribue des permis de détruire la biodiversité avec l'objectif de maintenir les modes de vie des pays riches. » Quels nouveaux marchés vont se créer dans les prochains mois et à qui profiteront-ils ? Ces nouveaux marchés existent déjà en Australie, aux États-Unis et au Canada, avec un bilan exécrable, et vont être lancés dans quelques mois au Royaume-Uni, l’un des trois pays à la pointe avec la France et l’Australie (qui a fait une proposition de loi pour un marché de réparation de la nature à peu près similaire au cas anglais). Il s’agit d’un marché réglementaire de permis de détruire la biodiversité. Ce genre de nouveautés répondent à plusieurs objectifs. Elles servent à maintenir les modes de vie des pays riches tout en prétendant compenser leurs destructions dans les pays pauvres. Elles visent aussi à créer une classe d’actifs très profitables au secteur financier et aux pays riches. Elles entendent enfin transformer le rôle de l’État, en vertu de ce que l’économiste Daniela Gabor appelle le « consensus de Wall Street », dans le sens d’un maintien d’un cadre légal et de subventions favorable aux marchés. La financiarisation de la nature dont vous décrivez l’intensification s’accompagne de tout un vocabulaire au centre duquel se trouve l’expression de « capital naturel ». De quoi s’agit-il ? Le capital naturel est une réduction, dans le cadre d’une approche utilitariste et anthropocentriste, de la nature à un ensemble de services qui contribuent au bien-être humain. Cette conception permet de justifier l’idée qu’il est nécessaire de mettre un prix sur la nature pour la sauver. Le capital naturel serait, à écouter ses promoteurs, l’unique manière de mobiliser les gouvernements alors que le simple fait de mettre un prix sur la nature légitime sa destruction au lieu de la freiner. La mise en prix de la nature se fait à partir de deux ou trois services écosystémiques d’un écosystème donné, en faisant fi de tous les autres et de leur interdépendance. Non seulement le capital naturel ne correspond donc pas à la nature, mais il ne s’en rapproche même pas ! Pour reprendre une formule que j’affectionne, il est seulement la nature que le capital peut voir. Cette vision tronquée des choses peut laisser penser qu’il est possible d’assembler partiellement des services écosystémiques pour recréer de la biodiversité, un peu comme si n’importe quel assemblage de verre, de métal et de plastique créait automatiquement une voiture. Nous sommes pourtant totalement incapables de restaurer les capacités écosystémiques détruites. « Les méthode de financiarisation de la nature privilégient la vision des touristes à celle des populations locales, qui sont pourtant les premières victimes des désastres écologiques. » Quels moyens sont utilisés pour convertir la nature en termes monétaires ? Il existe plusieurs types de méthodes dont les biais sont notoirement connus. Celles des préférences révélées ont pour but de déduire des prix de la nature à partir des prix de marché. Pour deux appartements identiques, par exemple, dont l’un dispose d’une vue sur Central Park et l’autre non, la différence de prix servira à estimer la valeur de Central Park. Le problème est qu’elle peut aussi s’expliquer par des facteurs non environnementaux, par exemple pour des raisons de prestige. De la même façon, le critère de la beauté est privilégié par rapport à celui de la biodiversité. Une vue sur une marina bétonnée sera évaluée bien plus cher qu’une vue sur un champ. Devant la fantaisie de ces estimations, l’ONU elle-même a pris ses distances avec les méthodes des préférences révélées. Elle y voit une base de valeurs dans le meilleur des cas, et non pas une valeur. Pourtant, elles sont utilisées comme telles ! Le deuxième et troisième types de méthodes consiste en des enquêtes. Dans un cas, les gens sont interrogés sur le montant qu’ils seraient prêts à dépenser pour se rendre sur un site naturel et le temps de transport qu’ils auraient à faire. De là est déduite la valeur du lieu. Outre qu’il n’y a là rien de scientifique, la méthode privilégie la vision des touristes à celle des populations locales qui sont les premières victimes des désastres écologiques. Dans la troisième méthode enfin, il est demandé aux gens combien ils seraient prêts à débourser pour qu’un site naturel existe encore l’an prochain ou le dédommagement qu’exigerait selon eux sa destruction. L’ensemble des chiffres obtenus par toutes ces modalités d’évaluation donnent un chiffre final sans rapport avec la réalité. « Au-delà de la financiarisation de la nature se dessine une financiarisation de la vie humaine. » Le « capital humain » s’inscrit dans la lignée du « capital naturel ». Pouvez-vous en détailler le contenu ? Au-delà de la financiarisation de la nature se dessine une financiarisation de la vie humaine, bien observable au Royaume-Uni. Le capital humain fait référence à la capacité productive des citoyens qui contribue à l’économie. Il s’inscrit dans le cadre de pensée d’un directeur de Ressources humaines où la seule chose qui compte est de maximiser la productivité des employés. La valorisation se fait sur la base des salaires futurs attendus. Autrement dit, la vie d’un banquier vaut plus que celle d’une infirmière et celle d’un Européen davantage que celle d’un Africain. On devine assez vite comment de telles approches peuvent justifier des politiques néolibérales très dures, comme le fait de financer seulement un certain type d’écoles, les écoles de commerces typiquement, ou de financer un système de santé à deux vitesses selon le degré de productivité (et donc l’âge) des individus. De telles régressions sont promues derrière le masque, apparemment progressiste, de la « richesse inclusive », somme du capital productif, du capital naturel et du capital humain, qui permettrait de se passer du PIB. L’Europe, à travers la Commission, reprend les mêmes concepts de capital humain et de capital naturel dans le cadre de ce qui s’appelle l’« économie du bien-être » élaborée par l’OCDE. « Le choix des responsables publics revient à celui du suicide collectif avec l’idée qu’avoir un peu plus d’argent que les autres dans nos pays retardera le moment des souffrances. » Vous disiez que les politiques n’ont pas de volonté d’agir sur les questions environnementales dès lors que cela met en cause la croissance. Pour se détourner de l’avenir sombre que vous avez suggéré, vers quels remèdes peut-on se tourner et qu’est-ce qui fait barrage à leur application ? L’efficacité en la matière tient aux réglementations environnementales classiques. Elles ont notamment permis d’interdire l’utilisation des aérosols qui trouaient la couche d’ozone ou encore l’amiante, et la limitation par la loi Littoral de la bétonisation du territoire français. Le seul blocage à leur application est l’absence de volonté politique de renoncer à la croissance à court terme. Ce serait prendre le risque pour les gouvernants de ne pas être réélus. Reconnaître l’impasse dans laquelle nous sommes leur fait craindre par ailleurs que les citoyens demandent des comptes sur le plan de la justice sociale. Tant que le gâteau est censé croître, on ne questionne pas trop son partage. Tout cela change quand on saisit que la croissance infinie est un mythe. Le choix des responsables publics revient donc à celui du suicide collectif avec l’idée qu’avoir un peu plus d’argent que les autres dans nos pays retardera le moment des souffrances. Vous avez mentionné dans certains de vos articles l’idée fausse selon laquelle la finance serait mieux à même de gérer des incertitudes faibles, auxquelles sont assimilés à tort les risques naturels, et celle selon laquelle les marchés seraient capables de mettre un prix sur la rareté. Une part de l’inaction politique que vous déplorez n’est-elle donc pas due également à des croyances ? Beaucoup de gens ne comprennent pas le jargon technique et il y a des gens qui pensent que le marché est efficient. Je ne sais combien de prix Nobel ont pourtant démontré que l’efficience des marchés n’existe dans le meilleur des cas que dans sa forme faible. La simple observation des prix du pétrole depuis des années suffit aussi à voir qu’ils sont incapables de valoriser la rareté de façon adéquate. Pour autant, tout le monde est capable de comprendre que planter des arbres en Roumanie – où la terre est moins chère – pour compenser la destruction d’un habitat de flamants roses en Espagne ne fonctionne pas. « Nos gouvernants ont accepté l’idée que les pauvres soient condamnés à être les premières victimes des désastres environnementaux. » Je préfère donc parler d’une ignorance volontaire dans les hauts niveaux financiers et politiques, autrement dit un refus d’entendre les vérités sur des sujets pas si compliqués en substance. Lorsque je discute avec ces responsables, ils savent d’ailleurs très bien que ce qu’ils appuient est voué à l’échec. Avec un cynisme fou, ils ont accepté l’idée que les pauvres soient condamnés à être les premières victimes des désastres environnementaux. S’appuyer sur les expériences passées comme vous l’avez préconisé doit-il se doubler paradoxalement d’un changement de modèle global ? Même l’ONU reconnaît la nécessité d’un changement de modèle. Nos modes de vie, fondés sur la transformation de matières premières et la destruction de la biodiversité, ne sont pas durables. L’horizon de la catastrophe se rapproche : les zones rendues inhabitables, la fin de la mondialisation, les millions de migrants climatiques… Il nous faudrait réduire l’activité d’un certain nombre de secteurs, en considérant ce dont nous avons réellement besoin en arrêtant de produire toujours plus de nouveaux aéroports ou de bretelles d’autoroutes par exemple, ou les transformer. On sait faire et on peut faire. Reste à trouver la volonté politique… Propos recueillis par Laurent Ottavi. Partagez
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