Le PIB valorise toujours plus de volumes de production, peu importe la nature de ce qui est produit et les conséquences sociales ou environnementales. Florence Jany-Catrice, économiste à l'université de Lille, qui a notamment écrit avec Dominique Méda Faut-il attendre la croissance ? (La documentation française, 2022) et L'économie au service de la Société (Les petits matins, 2019), souligne les limites d'un indicateur omniprésent et suggère de repenser nos besoins fondamentaux par le biais de processus délibératifs.
Laurent Ottavi (Élucid) : À partir de quand et pour quelles raisons le PIB a-t-il pris une si grande importance ?
Florence Jany-Catrice : Le PIB a été élaboré dans sa version contemporaine d’abord aux États-Unis en 1932, puis mis en place à partir du lendemain de la Seconde Guerre mondiale dans le cadre des systèmes de comptabilité nationale, dont le processus d’harmonisation internationale a débuté au début des années 1950. Mais, alors qu’il a été longtemps un indicateur de moyens (il servait à compter les ressources dont les nations disposaient pour faire la guerre, ou encore les ressources nécessaires pour reconstruire les pays totalement détruits), il a progressivement acquis le statut de finalité.
Tim Jackson, par exemple, considère que c’est avec la grande crise économique mondiale du milieu des années 1970 qu’un tel renversement s’est produit. Diverses logiques dans les faits ont été à l’œuvre pour résister aux premières prises de conscience vis-à-vis des limites planétaires et du mythe de la croissance infinie. Et ces résistances (dont les économistes mainstream ont été de puissants porte-parole) se sont précisément déployées à un moment où la croissance a connu un ralentissement, qui n’a cessé depuis.
Élucid : Le calcul du PIB a-t-il beaucoup évolué depuis ses débuts et, si oui, cela est-il révélateur des grands changements économiques survenus depuis la seconde moitié du XXe siècle ?
Florence Jany-Catrice : En effet, les changements ont été multiples. Un peu comme dans le cas de l’inflation (indicateur sur lequel je travaille en parallèle), le PIB est soumis à une grande diversité de logiques : il est soumis aux transformations du capitalisme, aux alignements d’intérêts, aux rapports de force (par exemple de genre), mais aussi à la domination de certains régimes d’idées : tout cela concorde pour expliquer par exemple l’introduction en 1977 des services rendus par les administrations publiques dans le périmètre du PIB, des drogues illicites et de prostitution dans les PIB européens à la demande de l’Union européenne depuis 2015, ou encore du changement de statut de la R&D, qui est passée dans les années 2010 d’une dépense à un investissement.
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