Afin de pallier les difficultés de recrutement de saisonniers, la FNSEA a développé un service baptisé « Mes saisonniers agricoles » en partenariat avec les ministères et les « partenaires emploi » de la Tunisie et du Maroc.

Confinement printanier, 2020. Le 24 mars, en dépit des mesures de confinement, le ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume appelle les « inactifs » ou les personnes assignées au chômage partiel à « travailler dans les champs ». Cette déclaration est révélatrice : l’essentiel de l’agriculture nationale repose sur des emplois saisonniers habituellement pourvus par des dizaines de milliers de ressortissants venus de Roumanie, de Pologne ou du Maroc.
La crise du coronavirus confirme, une fois de plus, la formidable proximité du gouvernement avec la FNSEA, syndicat agricole majoritaire. En effet, le jour même de la déclaration de M. Guillaume, la FNSEA met en ligne une plateforme permettant la mise en relation entre agriculteurs et « volontaires », avec l’appui de Pôle emploi et de l’Anefa (Association nationale pour l’emploi et la formation des agriculteurs). Une semaine plus tard, plus de 200 000 personnes auront répondu à l’appel soviétisant « Des bras pour ton assiette », conformément à l’objectif annoncé par le syndicat.
Il faut dire que la FNSEA a le don des prophéties autoréalisatrices. Après avoir investi dans la banque, l’assurance, les oléoprotéagineux ou le biodiesel, le paquebot dirigé par Stéphane Rousseau vient de lancer un service destiné à fournir des saisonniers aux agriculteurs français. Ce « service de recrutement » de la FNSEA, intitulé « Mes saisonniers agricoles » repose sur « un partenariat avec les ministères et les partenaires emploi de la Tunisie et du Maroc », et ne proposera que des saisonniers recrutés hors Union européenne.
La FNSEA prend en charge les démarches officielles, notamment la demande d’autorisation de travail que la France rechigne à accorder aux ressortissants maghrébins passant par les voies conventionnelles. Les accords internationaux spécifiques permettent aux cellules de recrutement de la FNSEA d’effectuer un recrutement massif et d’être prioritaires sur les demandes individuelles d’autorisation de travail. Le service inclut toutes les étapes du recrutement de saisonnier issu du monde rural au Maghreb jusqu’à la fin du contrat temporaire.
Une telle entreprise est grandement facilitée par la récente concession gouvernementale à la FNSEA avec l’inscription de plusieurs métiers agricoles dans la liste des métiers en tension : agriculteurs, éleveurs, maraîchers, horticulteurs, viticulteurs et arboriculteurs salariés. Cette mesure prise par arrêté le 2 mars 2024 permet justement d’accélérer les procédures de recrutement hors UE.
Dans une vidéo mise en ligne par la fédération départementale de la Manche, les tarifs sont indiqués sans ambiguïté : « 600 euros hors taxe » par saisonnier en cas de commande « de 1 à 3 saisonniers », puis « 510 euros hors taxe le saisonnier » « à partir du 4e saisonnier ». Ces tarifs sont ceux appliqués aux adhérents de la fédération. Une note interne que se sont procuré nos confrères de Mediapart précise qu’un montant de 330 euros est affecté à la « prestation fixe » du syndicat (« rétribution FNSEA »), pour la « recherche / formalité » et le fonctionnement de la « cellule recrutement ». Et qu’une rétribution de 270 euros, « ajustable », pourra être perçue par la fédération départementale du syndicat.
Les montants indiqués sont calculés « pour la première année », car la FNSEA propose aussi son « offre renouvellement ». Le syndicat entend donc faire payer tous les ans les agriculteurs, même ceux qui appellent directement à l’étranger leurs saisonniers réguliers – une logique somme toute proche de celle des semis OGM, dont il faut racheter le brevet tous les ans en raison de l’impossibilité de les reproduire soi-même.
La transparence est relative – aucune précision n’est donnée sur la procédure du recrutement. Comment les hommes du Maroc et de Tunisie passeront de leurs villages aux fermes françaises ? La FNSEA présente toutefois les « devoirs de l’employeur » : chercher le travailleur à l’aéroport (cela sera-t-il seulement possible pour un agriculteur déjà débordé si l’aéroport en question est à 500 kilomètres de l’exploitation ?), indemniser les heures supplémentaires, loger le saisonnier…
La base légale du contrat saisonnier est le SMIC. Mais il est prévu par la loi que le contrat saisonnier ne donne pas lieu à l’indemnité de précarité. Le montant de cette indemnité de précarité correspond à 10 % de la rémunération brute totale perçue pendant la durée du contrat. Sans compter que les contrats saisonniers dans le milieu agricole présentent une autre particularité : la quasi-impossibilité de définir exactement la date de fin, en raison des éventuels aléas climatiques qui peuvent retarder les récoltes.
Dans les faits, le code rural est un « sous-code du travail » qui ouvre la possibilité à de nombreuses dérogations aux employeurs. Il ne permet pas de sanctionner par une amende administrative les exploitants qui violeraient le dépassement de la durée maximale quotidienne, contrairement aux autres entreprises. Pourtant, les journées de travail sur une ferme durent fréquemment plus de dix heures.
Les contrats saisonniers sont principalement réservés aux tâches les moins qualifiées, les plus pénibles et les plus répétitives : tâches d’appoint chez les céréaliers comme le transport à la main de matières lors des moissons, ramassage manuel des haricots verts chez les maraîchers, travail sous serre et sous 50 degrés, cueillettes impliquant de rester courbé pendant des heures… À l’inverse, les postes les plus techniques font généralement l’objet d’un contrat à l’année.
Comme une illustration macabre d’un système dont tous les paramètres sont défectueux et aussi gourmands en pesticides qu’en hommes : en mai 2023, un accident de la route en Espagne impliquant un bus ne transportant que des travailleurs saisonniers marocains avait fait une morte et 39 blessés.
Photo d'ouverture : Des membres du syndicat agricole FNSEA protestent avec des pancartes pendant que le ministre français de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire Marc Fesneau s'exprime lors du 78e congrès national du syndicat agricole FNSEA à Dunkerque, dans le nord de la France, le 28 mars 2024. (Photo DENIS CHARLET / AFP)