Malgré les nombreux témoignages des atrocités d’Hiroshima et Nagasaki, les États-Unis persistent à considérer l’attaque comme justifiée et raisonnable. Découvrant les interviews des survivants du bombardement, Howard Zinn a cependant pris conscience l’inhumanité de telles attaques.

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publié le 14/03/2025 Par Élucid
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Dans La Bombe (2010), l’auteur cherche ainsi à partager cette prise de conscience, en décrivant le processus de dépersonnalisation et la brutalité produits par les bombardements aériens.

Ce qu’il faut retenir :

La mise au jour des atrocités d’Hiroshima et Nagasaki, plus de soixante ans après les faits, n’ont pas suffi à convaincre de la cruauté des agissements américains. Certains continuent de considérer qu’il s’agissait d’une stratégie militaire raisonnable, montrant ainsi la véritable déliquescence morale qui caractérise aujourd’hui les États-Unis.

Le bombardement de la ville de Royan en 1945, auquel participa Howard Zinn, révèlent comment de tels désastres peuvent avoir lieu. Malgré le fait que ces bombardements n’étaient justifiés par aucun argument stratégique, les soldats se sont exécutés sans résistance, succombant à la force de l’habitude de l’obéissance.

Biographie de l’auteur

Howard Zinn (1922-2010) est un historien et ancien combattant américain. Militant chevronné, il s’est engagé dans les mouvements suffragiste, pacifiste, syndicaliste et abolitionniste. Dans ses écrits, il offre ainsi une analyse critique et contestataire du pouvoir.
Dans son Histoire populaire des États-Unis (1980), Zinn considère que la politique aux États-Unis, fondée sur l’idée selon laquelle tout le monde partagerait les mêmes intérêts, a pour objectif d’enrayer toute tentative de révolte. La Mentalité Américaine (2008), publiée peu de temps avant sa mort, renouvelle ce message, tout en voyant dans les déceptions nées de la politique de Barack Obama, les prémisses d’un mouvement social.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid  ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

I. Hiroshima. Briser le silence

Août 1945, le bombardement d’Hiroshima entraîne la mort de plus de 140 000 personnes, et celui de Nagasaki, quelques jours plus tard, provoque 70 000 morts, sans compter les 130 000 qui succombent plus tard aux radiations. Ces données, rassemblées par une équipe de scientifiques et de médecins japonais, sont publiées dans le rapport Hiroshima et Nagasaki: The Physical, Medical, and Social Effects of the Atomic Bombings, traduit en anglais en 1981. Ces chiffres, déjà effrayants, n’ont pas pu faire acte de l’intégralité des atrocités produites par la bombe. En raison d’une tendance à utiliser des statistiques, les données non quantifiables passent inaperçues. Souvent, la souffrance n’est pas numérisable.

Le récit d’une étudiante japonaise de 16 ans, rapporté par Kinuko Laskey à l’attention du Sénat des États-Unis fut particulièrement troublant :

« Elle aperçut un bombardier B-29, puis survint un éclat de lumière. Portant ses mains à son visage, elle eut l’impression que celles-ci le "traversaient". Elle vit "un homme sans pieds, marchant sur les chevilles", puis s’évanouit. "Quand je me réveillai, il tombait une pluie noire. […] Je croyais être devenue aveugle, mais, en ouvrant les yeux, je vis un magnifique ciel bleu au-dessus de la ville morte. Personne ne se tenait debout, personne ne marchait. […] Je voulais rentrer chez moi, voir ma mère." »

Comme Laskey, Howard Zinn soutient fermement qu’il est indispensable de divulguer les témoignages des survivants. Dans une perspective similaire, dans The Making of the Atomic Bomb (1986), récit le plus réaliste de cette sombre mission, Richard Rhodes raconte :

« En une fraction de seconde, dans un rayon de 800 mètres, les personnes exposées à la boule de feu provoquée par Little Boy ont été carbonisées, réduites en amas fumants, leurs organes internes évaporés. […] Parsemant rues, ponts et trottoirs d’Hiroshima, ces petits tas noirs se comptaient par milliers. Au même moment, des oiseaux prenaient feu en vol. Dans un crépitement, insectes, écureuils et animaux de compagnie étaient anéantis. »

Il faudra attendre soixante-cinq ans pour que les répercussions atroces de la bombe soient rendues publiques. Et malgré la mise au jour des abominations d’Hiroshima et Nagasaki, certains soutiennent encore qu’il était raisonnable et nécessaire de réaliser cette mission. Ce type de position révèle la déliquescence de l’état de la morale aux États-Unis. Le gouvernement américain justifie ses actes les plus violents alors qu’il condamne les atrocités de ceux dont l’idéologie s’oppose à la sienne.

« Quand des bandes de fanatiques se livrent à des atrocités, personne n’hésite à les qualifier de "terroristes" — c’est d’ailleurs ce qu’ils sont — et à rejeter leurs justifications. Toutefois, si celles-ci sont perpétrées par le gouvernement, et ce, à une échelle beaucoup plus grande, le mot "terrorisme" est exclu, et l’on considère le fait que ces actes soient l’objet de débats comme un signe de vitalité démocratique. Pourtant, si le terme « terrorisme » a la moindre signification (ce dont je ne doute pas, car il permet de qualifier d’intolérable un acte de violence aveugle commis contre des êtres humains pour des motifs politiques), il s’applique parfaitement aux bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. »

Le sociologue Kai Erikson également, notant que les attaques aériennes avaient été minutieusement organisées afin d’envoyer un message aux Russes et aux Japonais, déplorait la morale qui sous-tendait cette mission : « Dans quel état d’esprit un peuple essentiellement honnête doit-il se trouver, quel genre de contorsion morale doit-il accomplir, pour être prêt à anéantir jusqu’à 250 000 êtres humains dans le seul but de marquer des points ? » Alors que les Américains aiment se présenter comme un « peuple essentiellement honnête » (expression également employée par Erikson), ils ont été capables de commettre les pires abominations. «Toutes les atrocités ne sont-elles pas commises par des "peuples essentiellement honnêtes" ayant été placés malgré eux dans des situations contraires à la morale propre au genre humain ? » Ce constat conduit à s’interroger sur le climat psychologique et politique qui pousse les citoyens à pratiquer, tolérer ou simplement ignorer passivement le largage de bombes atomiques sur des individus innocents.

Un climat de rectitude morale unanime est possible lorsqu’un ennemi commun se dresse contre une population tout entière comme ce fut le cas du fascisme. Puisqu’il n’existe aucun doute sur le caractère abominable de l’ennemi, ce dernier est certainement diabolique et “nous” autres citoyens, incontestablement bons. C’est l’usage de ce pronom “nous” qui a permis de manipuler la conscience individuelle de chaque individu, exploitant ainsi l’illusion de partager les mêmes objectifs que l’État. De la guerre du Péloponnèse à nos guerres modernes, sans oublier de mentionner les croisades, les technologies de la communication ont permis de mobiliser les populations en faveur de la “pureté morale” du gouvernement afin de convaincre la population qu’elle partage les mêmes intérêts, et ainsi, inciter cette dernière à se mobiliser pour la guerre.

Alors que le président Roosevelt n’hésitait pas à qualifier les bombardements par les nazis en Europe « d’actes d’une inhumaine barbarie ayant profondément choqué les consciences », il ne tardera pas lui-même à lancer des attaques aériennes du même type en 1943. Peu à peu, le recours aux bombardements aériens durant la Seconde Guerre mondiale était devenu parfaitement acceptable aux yeux des grandes puissances. Aussi, le bombardement d’Hiroshima a paru plus que naturel.

Avant cela, en 1942, convaincu que les Japonais de la côte ouest présentaient une menace à la sécurité des États-Unis, le président Roosevelt autorise l’armée à arrêter sans mandat de nombreux Nippo-Américains. Ces démarches ont permis de « préparer psychologiquement » la population américaine à accepter, et à revendiquer, les bombardements qui auront lieu peu de temps après à Hiroshima et à Nagasaki. Le gouvernement initie un processus de diabolisation de l’ennemi — ici, des Japonais — afin de rallier l’ensemble de la population à sa cause : « Sitôt prise la décision de larguer une bombe atomique sur Hiroshima, il fallait préparer les esprits. Comme la barbarie de l’ennemi dépassait l’entendement, tout ce que nous pouvions lui infliger était moralement juste. »

Peu de temps après avoir largué les bombes sur le Japon, le gouvernement américain accepte pourtant que l’empereur garde son titre après la guerre. Cette étrange contradiction pousse à s’interroger sur les motivations des bombardements. Et si Hiroshima et Nagasaki n’étaient en réalité rien de plus qu’une démonstration de force de la part des États-Unis ? La bombe apparaît alors comme une tentative de dicter les conditions de la fin de la guerre. En effet, à Washington, lorsqu’on eut ouï dire que l’Armée Rouge allait marcher sur le Japon, on s’empressait alors d’arriver les premiers. « Il semble qu’il ne souhaitait pas que la défaite des Japonais soit due à l’intervention des Russes, mais bien aux bombes américaines. Voilà qui explique l’empressement manifeste des Américains de larguer la bombe en août, soit quelques jours avant la date prévue d’entrée en guerre de l’URSS et des mois avant toute invasion planifiée du Japon. » Ainsi, les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki représenteraient la première opération d’envergure de la guerre froide.

Le journaliste et activiste Dwight Macdonald décrivait la bombe atomique comme « le résultat naturel du genre de société que nous avons créé. […] Ceux qui disposent d’une telle puissance destructrice sont des misanthropes. ». Et, le silence et l’apathie devant de telles atrocités représentent eux-mêmes un crime contre l’humanité.

Le crime est d’autant moins acceptable que ses justifications sont douteuses. L’argument de la stratégie par exemple doit être réfuté : il n’existait pas la moindre nécessité militaire de bombarder le Japon. Prôner un prétexte militaire ou politique afin de justifier les atrocités dont souffrent les victimes des bombardements massifs n’est pas moralement acceptable. Cette tendance pourrait peut-être s’expliquer par le “fanatisme technologique” qui semble aveugler les scientifiques à l’origine de l’élaboration de ces bombes atomiques.

II. Le bombardement de Royan

Mi-avril 1945, trois semaines avant la capitulation de l’Allemagne, la ville de Royan fut détruite lors d’une offensive à la fois terrestre et aérienne. Officiellement, on raconte que les bombes visaient des « garnisons allemandes récalcitrantes ». Cependant, les attaques ont frappé Royan et ses environs, ainsi que les populations qui s’y trouvaient. Howard Zinn avait lui-même participé à cette opération, convaincu, tout comme ses collègues, qu’il s’agissait d’une opération comme une autre. En effet, ces derniers avaient reçu pour instruction d’éliminer les poches allemandes de Royan.

Cependant, seules des bombes actionnées à l’aide d’un interrupteur à levier, faites pour les bombardements massifs et inadaptées aux bombardements de précision, leur avaient été fournies. « L’interrupteur à levier était branché à un intervallomètre qui, une fois la première bombe lâchée, larguait les autres de manière séquentielle. Je me souviens parfaitement d’avoir vu, du haut du ciel, les bombes exploser dans la ville, s’embrasant telles des allumettes dans le brouillard. J’étais totalement inconscient de la tragédie humaine qui se déroulait en bas. »

Dans le cas de Royan, impossible de revendiquer une soi-disant stratégie militaire comme on l’eût fait pour Hiroshima. La ville de Royan se situait bien trop loin du front pour représenter le moindre enjeu militaire. De plus, l’offensive contre Royan dont il est question a eu lieu trois semaines avant la fin de la guerre, alors qu’on ne faisait qu’attendre la reddition des troupes allemandes encore présentes dans la région.

Les bombes avaient complètement détruit la ville et tout ce qu’on trouvait à dire c’est que l’événement n’était qu’une “tragique erreur”. Les hauts responsables militaires de l’époque soutenaient qu’au départ les avions avaient bien reçu pour mission de bombarder l’Allemagne, cependant, le mauvais temps les avait forcés à emprunter un autre itinéraire et s’étaient ainsi retrouvé à Royan.

« Une famille entière est prisonnière dans une cave… l’eau monte… Les sauveteurs lèvent soudain la tête… ce ronronnement… mais oui, c’est une autre vague. Elle arrive comme l’orage et achève par le fer, le feu et le plomb la destruction complète de Royan et de ses habitants. […] Royan a sombré en même temps que le monde civilisé, par l’erreur, la bêtise et la folie des hommes » témoignait l’un des rares survivants du bombardement de Royan.

On accusera alors les généraux français ainsi que le service de bombardement britannique de ne pas avoir appliqué la recommandation de Charles de Gaulle selon laquelle « des attaques aériennes ne devraient être entreprises qu’en coordination avec des offensives terrestres ». En réalité, ce sont les ambitions militaires, la fierté, l’honneur et la gloire qui furent à l’origine du déclenchement de cette mission.

On peut spéculer sur les origines de la destruction de Royan. S’agit-il d’une erreur du commandement suprême des Forces alliées ? Du résultat d’une ambition militaire ? D’une envie irrépressible de tester une nouvelle arme ? Cependant, ce qu’il faut retenir de cet évènement, c’est l’habitude de l’obéissance chez les protagonistes.

« Enfin, chez tous les participants, quel que fût leur grade, Français comme Américains, le fondement le plus puissant d’entre tous : l’habitude de l’obéissance, cette propension, propre à toutes les cultures, à tenir son rang et à ne pas se poser de questions, cette responsabilité négative consistant à n’avoir ni raison ni volonté de manifester la moindre opposition. »

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