Les massacres d’Israël après les horreurs du 7 octobre, portés par un sionisme religieux aux antipodes du sionisme originel, sont totalement hors de proportion. L’historienne Esther Benbassa, sénatrice de 2011 à 2023, et le philosophe Jean-Christophe Attias, directeur d’étude à l’École pratique des hautes études, auteurs de La conscience juive à l’épreuve des massacres (Textuel, 2024), décrivent le traumatisme éprouvé par les Israéliens le 7 octobre, tout en déplorant le jusqu’au-boutisme sanglant du gouvernement de Benjamin Netanyahou, la dépolitisation du conflit israélo-palestinien et le laisser-faire des puissances occidentales. Entretien.
Laurent Ottavi (Élucid) : En géopolitique de façon générale, et encore plus au sujet du conflit israélo-palestinien, l’excès d’émotions et le manichéisme empêchent la compréhension. Comment avez-vous cherché à échapper à ces travers dans votre livre sur le 7 octobre et ses conséquences, sans tomber dans d’autres excès ?
Jean-Christophe Attias : Nous n’avons pas échappé à la stupéfaction et à l’émotion, comme beaucoup de monde. Nous avons en revanche tâché de prendre une certaine distance avec l’événement. Nous sommes identifiés depuis longtemps comme des Juifs de gauche, militants de la cause palestinienne. On s’attendait donc peut-être à ce que nous nous exprimions assez vite après le 7 octobre ; or, nous sommes restés très en retrait. Nous avons juste publié deux tribunes, l’une dans Le Monde, l’autre dans L’Obs, et nous nous sommes tus.
Puis, quand la première vague d’émotion a été surmontée, le silence a commencé à nous peser et nous avons eu l’idée d’écrire un texte. Le premier moyen pour nous d’échapper aux travers que vous avez décrits a été de recontextualiser, c’est-à-dire de situer l’événement dans le temps long. Nous nous inscrivons en faux contre la droite et l’extrême droite françaises, pour qui recontextualiser revient à excuser. Dans ce cas, les historiens n’auraient aucune utilité et nous deviendrions tous les esclaves des événements.
Esther Benbassa : Nous avons tous deux une histoire personnelle liée à Israël. J’y ai fait une partie de mes études, j’y ai vécu sept ans et nous y avons de la famille. Tout cela représente de l’émotion qui s’ajoute à l’émotion générale suscitée par les horreurs commises le 7 octobre d’un côté, puis par ce qui arrive, de l’autre, aux Palestiniens et aux Libanais depuis lors. Nous avons cependant pu nourrir un raisonnement le plus proche possible de ce que vivaient les deux parties, les Israéliens et les Palestiniens, grâce à notre longue familiarité avec des chercheurs sur ces sujets. Les gens qui ont lu notre livre nous disent que nous avons mis des mots et de la pensée sur leurs émotions.
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