Dans L’Euro. Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe (2016), Joseph Stiglitz présente une critique de la zone euro ainsi que de la logique néolibérale qui sous-tend les politiques de la BCE et de la Troïka.

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publié le 27/06/2025 Par Élucid
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Reprenant les enseignements de Mundell sur les zones monétaires, il met en évidence la situation « milieu du gué » dans laquelle se trouvent les États depuis la création de la zone euro ainsi que la dynamique économique profondément asymétrique qui a été mise en place (profitable aux uns, défavorable aux autres). Derrière ce tableau qui promet l’austérité et l’impasse aux pays perdants de la zone euro (la France notamment), l’objectif de l’auteur est de présenter les trois perspectives alternatives, pour s’en sortir : des réformes pour la zone euro, un euro flexible ou un divorce à l’amiable.

Ce qu’il faut retenir :

La situation « milieu du gué » dans laquelle se situe la zone euro actuellement, et depuis sa construction, n’est profitable qu’aux grandes entreprises, sociétés financières et aux pays excédentaires, tout particulièrement l’Allemagne. Ce phénomène s’explique par plusieurs raisons :

- La libre circulation des personnes et des capitaux provoque une concurrence législative entre les États, alimentant une « course au moins-disant » en matière de salaires et de protections sociales et salariales. Cette libre circulation encourage le phénomène de polarisation des capitaux et des compétences, lesquels sont attirés par les performances économiques que ces mêmes pays excédentaires présentent.

- Le mode de calcul de l’euro favorise le commerce des uns et entrave celui des autres. Avec l’Euro, certains pays, notamment l’Allemagne, bénéficient d’une monnaie plus faible pour commercer que ce que nécessiterait leur PIB (par exemple, l’Euro est plus faible que ne le serait le Deutschemark). Au contraire, pour d’autres pays (France, Grèce, Italie, Espagne…), l’euro est bien trop fort en comparaison de leur poids économique respectif.

- Le mandat de la BCE étant essentiellement centré sur la lutte contre l’inflation ; « l’inflation », instrument économique permettant de corriger cette asymétrie entre les États, est impossible. L’ajustement ne peut donc se faire qu’au niveau de l’emploi.

Mais les critères de convergence empêchent les États d’utiliser les instruments économiques traditionnels pour relancer les exportations et améliorer leur compétitivité afin de réduire le chômage, faire repartir leur économie et rétablir leur équilibre budgétaire. Seule reste l’option de la « dévaluation interne », celle de la Troïka : laisser courir le chômage pour diminuer les salaires afin, à terme, de diminuer les importations au niveau des exportations.

En zone euro, la bonne santé économique des uns n’est donc possible que grâce à l’appauvrissement des autres. Trois voies s’offrent à l’Europe : soit les pays en excédent cessent de s’enrichir via un système asymétrique et acceptent « plus d’Europe », c’est-à-dire la création de mécanismes de redistributions compensatoires ; soit la zone euro se divise en deux ou plusieurs zones euro, où des États similaires peuvent disposer d’une politique monétaire adaptée à leur situation économique respective ; soit la zone euro se désagrège à l’amiable.

Biographie de l’auteur

Joseph Stiglitz (1943-) est un économiste américain, Prix Nobel en 2001. Ancien économiste en chef de la Banque Mondiale, il est très critique vis-à-vis des politiques de libéralisation et d’austérité menées par cette dernière, ainsi que par le FMI et la BCE. Stiglitz est en effet l’un des représentants les plus connus de l’école du nouveau keynésianisme, courant de pensée selon lequel le marché, loin de s’équilibrer naturellement, présente de nombreuses imperfections. Afin d’améliorer le fonctionnement de l’économie, cette école appelle notamment à renforcer l’interventionnisme étatique.

Actuellement professeur à l’Université Columbia, ses travaux portent en particulier sur l’asymétrie de l’information, le salaire d’efficience et la concurrence monopolistique.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

Partie I. L’Europe en crise

En 1992, lorsque les États signèrent leur participation à l’Union Économique et Monétaire (UEM), ou zone euro, ils s’engagèrent dans un système vicié par nature. Pourtant, les connaissances étaient suffisantes pour prédire le désastre. D’éminents économistes, dont Robert Mundell (dans les années 1960), avaient mis en garde contre le partage d’une monnaie unique entre États trop différents économiquement et culturellement. Une monnaie unique suppose en effet un taux de change fixé irrévocablement et des taux d’intérêt directeurs identiques pour tous.

Dans un tel système monétaire, selon Mundell, les tensions qui naissent inévitablement des déséquilibres commerciaux doivent être compensées par des mécanismes de redistribution dans l’union et/ou par une fluidité des flux de personnes, pour alléger les pressions sur l’emploi et l’inflation entre les régions de plein emploi et celles de chômage. Les États-Unis constituent une parfaite illustration : malgré la diversité des situations économiques entre les États, la population partage une même langue et une même culture et de nombreux organismes de redistribution en matière de protection sociale sont gérés à l’échelle fédérale. Or, les États de la zone euro ne présentent aucune de ces caractéristiques. Le budget communautaire est d’environ 1 % contre 20 % aux États-Unis. Les identités nationales sont fortes et les conceptions du rôle de l’État, de la politique économique et de la société sont multiples. En 1992, l’homogénéité fut affirmée arbitrairement, sur la base du respect par les États de critères économiques dits « de convergence ».

Par ailleurs, l’UEM, reposant sur la doctrine néolibérale, défend l’idée selon laquelle l’État doit s’effacer pour laisser agir la force régulatrice du marché. Ainsi, aucun mécanisme d’ajustement ne fut mis en place et la structure ainsi créée était caractérisée par une forte rigidité. En outre, le néolibéralisme interdit aux États, en cas de choc négatif, de mener à bien les politiques habituelles pour relancer l’économie. Cette foi aveugle dans la perfection du marché fut à l’origine de la crise de l’euro.

De 1997 à 2007, les marchés, confondant l’absence de risques de change avec l’absence de risques souverains, permirent aux capitaux d’affluer à des taux très bas dans des pays fragiles (Grèce, Espagne, Irlande, ou Portugal). Lorsque le financement de ces États cessa brusquement, ces « victimes » de l’irrationalité du marché furent considérées comme des « coupables » par les dirigeants européens. Alors même que ces États n’avaient pas une dette particulièrement haute, ils furent accusés d’avoir mal contrôler leurs déficits et leur dette.

Les programmes de sauvetage proposés par la Troïka, composés de mesures d’austérité et de réformes structurelles, s’inspirèrent d’un modèle de relance initié par le président Herbert Hoover à la suite du krach de 1929 et des politiques habituelles demandées par le FMI. Pourtant, ces précédents ont montré que l’austérité provoque une contraction de l’économie et une aggravation du phénomène de récession. Les réformes structurelles demandées, qui consistent dans des privatisations et pressions à la baisse sur les salaires et les prix, diminuent certes le déficit budgétaire, mais au prix d’une baisse du PIB, d’une augmentation du chômage (27 % en Grèce en 2013), de la dette, de la pauvreté et du mal-être, tout en entravant la croissance future.

En 2015, seule l’Irlande avait ainsi retrouvé une (faible) croissance. Il eut été possible que ce rattrapage des pays en crise soit réparti plus équitablement avec les autres pays européens. En acceptant, par exemple, que l’inflation ait également lieu en Allemagne, la compétitivité des États périphériques, notamment de la Grèce, aurait été améliorée et ses exportations plus soutenues. Mais, les pays de la zone euro ne sont liés par aucune sorte de solidarité politique.

En économie, la performance d’une politique n’est pas jugée au moment de la reprise finale de la croissance, qui est inévitable, mais à la période intermédiaire entre la crise et la reprise, selon l’impact de la crise sur la société. À cet égard, les résultats de la zone euro, pourtant présentés comme des succès, sont de dangereux échecs. En 2015, la production moyenne de la zone euro est inférieure à son niveau d’avant crise alors que celle des États-Unis s’est accrue de 10 % durant cette période.

De 2007 à 2015, le taux de croissance de la zone euro stagne à environ 0,6 % alors que les pays européens hors zone euro ont connu sur la même période une croissance annuelle moyenne de 8,1 % et les pays en transition pour intégrer la zone euro, la Roumanie et la Pologne, de respectivement 12 % et 28 % sur cette même période d’après-crise. Le niveau de vie de la zone euro a quant à lui diminué de 1,8 % contre une augmentation de 3 % aux États-Unis. En 2015, le chômage de la zone est de 11 %. Entre 2010 et 2014, les inégalités se sont accrues de 9 % sous l’effet de l’augmentation de la pauvreté dans tous les pays européens. En somme, si la dynamique de la croissance du PIB de 1980 à 1998 était extrapolée sur la période de 1998 à 2015, c’est-à-dire sans la rupture que représenta la mise en place de la monnaie unique, l’écart entre le PIB extrapolé et le PIB réel devrait être de 18 % en 2015 soit 2100 milliards d’euros supérieurs à ce qu’il est actuellement. En écarts accumulés de 1998 à 2015, cette différence s’élèverait à 11 000 milliards d’euros.

La zone euro est donc moins performante que les États-Unis et que l’Europe hors zone euro, sans compter le coût social de la crise, qui s’observe notamment dans l’augmentation du nombre de suicides ou dans la dislocation des relations familiales, conséquence des nécessaires émigrations de jeunes qui fuient le chômage dans les États périphériques.

Partie II. Malfaçons au départ

En zone euro, la BCE fixe les taux d’intérêt et le taux de change de l’euro par rapport aux devises étrangères grâce à la vente et à l’achat de devises. Ces deux taux sont généralement les principaux outils d’une politique monétaire. En diminuant un taux d’intérêt, une Banque Centrale peut augmenter l’offre de crédit et, ainsi, stimuler l’activité économique et agir sur le chômage. De même, en diminuant le taux de change de sa monnaie la Banque Centrale peut rééquilibrer la balance extérieure en favorisant les exportations et en décourageant les importations. Il s’agit donc d’instruments très importants de la politique économique d’un pays qui permettent de mettre en pratique les choix politiques d’une société.

Ces taux constituent également le principal outil d’ajustement pour résorber les tensions sur l’inflation et l’emploi, qui naissent des déséquilibres inévitables du commerce extérieur. En effet, à moins que deux États soient très ressemblants, voire identiques, leurs relations commerciales doivent s’équilibrer grâce à des mécanismes d’ajustement (c’est-à-dire les taux d’intérêt et les taux de change ou, dans le cadre d’une union monétaire, les mécanismes de redistributions compensatoires). Ainsi, aux États-Unis, malgré l’extrême ressemblance culturelle des États entre eux, les déséquilibres économiques sont compensés par des mécanismes d’ajustement au niveau fédéral (pour la sécurité sociale ou le chômage).

Étant donné l’absence de mécanismes de redistribution au sein de la zone euro, les déséquilibres de la balance extérieure des États ne sont jamais compensés pour résorber le déficit courant de certains. Cependant, en privant les États européens des outils monétaires, appartenant désormais à la BCE, la zone euro les empêche de prendre des mesures monétaires adaptées à leur situation propre et les force parfois à poursuivre des politiques contre-productives. Les critères de convergence se chargent par la suite de limiter les marges d’action qu’il reste aux États pour financer leur déficit, c’est-à-dire l’endettement (théoriquement limité à 60 % du PIB). Ce système conduit donc immanquablement les États en déficit à conduire les seules politiques économiques à leur disposition : réduire les dépenses publiques, libéraliser et privatiser les actifs d’un pays.

Ne pouvant jouer sur la politique monétaire et le taux de change nominal, la Commission européenne met en œuvre une méthode de relance « par le bas » : la « dévaluation interne ». Il s’agit de réduire le taux de change réel pour rétablir l’équilibre budgétaire. En corrigeant ainsi les critères budgétaires les plus importants pour les marchés (faible déficit voire excédent budgétaire, recettes fiscales, etc.), la Troïka espère « rétablir la confiance » des marchés. Pour ce faire, des mesures dites « d’austérité » sont prises pour faire monter le chômage afin de forcer la baisse des salaires, en réduisant les dépenses publiques en parallèle. La demande décroit mécaniquement et les importations diminuent, revenant au niveau des exportations.

En théorie, ce programme doit, à terme, permettre de rétablir l’équilibre du solde budgétaire de l’État. Mais, la méthode étant longue et douloureuse, le système fonctionne mal. La baisse des salaires est très longue à être acceptée. De plus, la difficulté d’emprunter auprès des banques empêche les commerçants de baisser leurs prix, quand bien même les salaires baisseraient. Méfiants, les partenaires étrangers cessent de s’approvisionner dans un tel pays et les exportations stagnent ou diminuent. La baisse des salaires et celle des aides publiques engendrent une réduction drastique de la demande qui favorise la flambée du chômage (donc l’augmentation des dépenses publiques sur ce poste), la diminution des rentrées fiscales et du PIB.

La zone euro favorise l’apparition de telles crises, car elle entretient une divergence entre les États. Les critères de convergence focalisent l’attention sur le déficit public et véhiculent l’idée qu’un État doit vivre dans les limites de son revenu. Or, un État n’est pas un ménage, mais est similaire à une entreprise devant investir pour le futur. Il convient donc de distinguer le déficit lié aux investissements, pouvant accroître la croissance, et les dépenses en pures pertes qu’il faut effectivement limiter. Les critères de convergence ignorent à l’inverse l’importance du déficit courant, c’est-à-dire le déséquilibre des échanges commerciaux entre États membres.

In fine, la somme totale des déficits et excédents courants est égale à zéro, ce qui signifie que lorsque certains États sont en excédent d’autres sont obligatoirement en déficit. Ce déficit est pourtant la source principale de divergence des États européens. Il est la cause des pressions inflationnistes pour certains et du chômage pour d’autres, que Mundell exhortait à compenser. Cependant, la BCE lutte exclusivement contre l’inflation et non le chômage, elle favorise donc la prospérité des États excédentaires et exacerbe le chômage dans les pays déficitaires.

Par ailleurs, les flux de capitaux sont attirés vers les pays excédentaires et fuient ceux, fragiles ou en crise, qui auraient pourtant besoin de financements pour améliorer leur compétitivité. Par conséquent, alors que l’opprobre est jeté sur les pays en déficit, qui sont fuis par les marchés et les investisseurs, la zone euro souffre en réalité de l’absence de régulation des excédents courants en son sein.

Enfin, l’absence de redirection centralisée des flux de capitaux (que pourrait par exemple effectuer la Banque Européenne d’Investissement) assure un développement inégal et inéquitable des régions d’Europe (en matière d’infrastructures, de technologies, d’éducation, de recherches etc.) qui nourrissent cette divergence. Ainsi dans la zone euro, les riches s’enrichissent et les pauvres s’appauvrissent.

La structure initiale de la zone euro, en offrant à la BCE l’indépendance et un mandat centré sur la lutte contre l’inflation, pose finalement un problème d’ordre démocratique. Le mandat anti-inflation repose sur l’idée simpliste et utopique selon laquelle la stabilité des prix, avec une inflation faible, permet de fluidifier les échanges et donc d’améliorer les performances économiques dans un système de marchés ouverts et de libre concurrence. Toutefois, le succès de cette doctrine suppose que toutes les Banques Centrales (BC) poursuivent cet objectif.

Or, les banques centrales, en dehors de l’Occident, ne sont pas coupée de tout contrôle démocratique et prennent ainsi en compte des objectifs sociaux tels que le plein emploi. Par conséquent, la rigidité du mandat de la BCE expose la zone euro à la concurrence d’autres États dont la banque centrale opterait pour une dévaluation compétitive, à l’instar de la FED américaine en 2008. La valeur de l’euro dépassa alors celle du dollar ce qui entrava les exportations de l’Europe et augmenta celles des États-Unis à destination de l’Europe. De cette manière, alors que l’économie américaine connut un rebond, celle de la zone euro végéta.

Cependant, la BCE n’est pas totalement indépendante et neutre. La préférence accordée à l’inflation plutôt qu’au plein emploi ou à la stabilité financière revêt en elle-même un aspect profondément politique et idéologique. L’inflation, diminuant la valeur réelle d’une créance, est donc profitable aux débiteurs et défavorable aux créanciers. De plus, la lutte contre l’inflation intervient sous la forme d’une augmentation des taux d’intérêts, mesure qui contracte l’économie et a ainsi un impact négatif sur la croissance, le chômage et les salaires. En effet, sous couvert d’indépendance, la BCE entretient des relations incestueuses avec les milieux financiers privés d’où sont issus de nombreux membres du Directoire et parfois même le gouverneur de la BCE (Mario Draghi travaillait en effet pour Goldman Sachs). Dans certaines circonstances exceptionnelles, comme la crise de l’Euro, la BCE a montré où allait son allégeance, c’est-à-dire dans la défense des milieux financiers.

Ainsi, lors de la crise de 2008, elle privilégia les banques aux citoyens en faisant reposer sur l’État, et pas sur les actionnaires ou les détenteurs d’obligations, le poids de la faillite des banques et en générant des Quantitative Easings d’une ampleur jamais atteinte par aucune politique sociale. De même, la restructuration de la dette grecque fut réalisée afin d’empêcher que ne se déclenchent les CDS (Credit Default Swaps), des assurances contractées par des actionnaires plus prudents que les autres. Les grandes sociétés financières furent ainsi protégées au détriment des petites banques et des citoyens.

Les décisions de la BCE peuvent donc avoir un impact sur la répartition, c’est-à-dire la possibilité de faire reposer tout ou une partie d’une mesure sur un acteur plutôt qu’un autre. Par conséquent, cette institution détient par définition un rôle politique et doit donc être responsable devant une instance politique, sans quoi il s’agit ici de remettre aux mains du secteur financier (non élu), un rôle politique.

Partie III. Politiques inappropriées

En Grèce, les politiques de relance menées par la Troïka eurent des effets contre-productifs. Les mesures d’austérité tendent à contracter l’économie, à réduire les rentrées fiscales et à augmenter en parallèle les dépenses publiques liées aux aides sociales. Dans le meilleur des cas, la reprise est faible, mais entraine souvent une récession et entrave la croissance à long terme.

Il est pourtant possible de stimuler l’économie sans creuser le déficit, en utilisant par exemple les effets du « multiplicateur de budget équilibré ». Les répercussions liées à une dépense publique étant supérieures aux effets d’une contraction des impôts, il est plus intéressant pour un État de réinvestir un impôt perçu plutôt que de diminuer les impôts. Appliquée aux impôts sur les sociétés, cette méthode a un double effet positif. En plus de provoquer l’effet « multiplicateur du budget équilibré », elle a un impact sur l’investissement. Le taux d’intérêt étant bien souvent déductible des impôts sur les sociétés. Un impôt élevé encourage naturellement les entreprises à investir, car le taux d’intérêt de cet emprunt permet de réduire l’impôt. À l’inverse, baisser l’impôt sur les sociétés, comme c’est le cas en France, n’encourage pas les entreprises à investir.

En Grèce, selon le programme de la Troïka, l’augmentation des recettes de l’État repose majoritairement sur les revenus faibles et modestes. Certaines incohérences sont observables, comme l’exigence faite aux commerçants de payer leur impôt sur les sociétés en début d’année tandis que l’on supprime en parallèle le prélèvement à la source des revenus sur le capital versés à l’étranger pour lesquels la récupération de l’impôt sera beaucoup plus laborieuse. De même, l’augmentation de la TVA sur les activités touristiques ne peut qu’entrainer une baisse de l’activité de ce secteur. Les privatisations à la chaîne améliorent quant à elles ponctuellement le « cash-flow » de l’État, mais diminuent ses revenus à long terme et peuvent initier une dérive néfaste lorsqu’il s’agit de secteurs monopolistiques. Grâce à une telle puissance financière, un acteur privé peut acquérir une influence politique et nourrir le cercle vicieux de la corruption gouvernementale.

Parallèlement à ces mesures, la Troïka réalisait des coupes drastiques (parfois même inconstitutionnelles) dans les dépenses publiques. La part de l’endettement à destination des dépenses courantes était en réalité infime en comparaison de celle destinée aux banques européennes. Moins de 10 % du total des sommes prêtées à la Grèce depuis le début de la crise atteignirent le peuple grec lui-même.

La Troïka a également cherché à rééquilibrer le déficit commercial en imposant des réformes dites structurelles. Cependant, ces réformes se focalisèrent non pas sur les biens échangeables (pouvant s’exporter), mais sur ceux non échangeables (liés à un espace géographique) de sorte que leur impact réel fut bien inférieur à leur impact social. La Troïka concentra son action sur des aspects, de prime abord, incongrus tels que le prolongement de la dénomination du « lait frais » (qui permit aux Pays-Bas d’exporter leur production laitière au détriment des producteurs locaux), le poids des miches de pain ou encore la suppression de l’encadrement de la vente des médicaments (qui permettaient d’ouvrir le marché grec à des entreprises multinationales).

En somme, les mesures de la Troïka sont contre-productives et ne sont sous-tendues que par deux objectifs : les intérêts des sociétés financières et des grandes entreprises et l’idéologie néolibérale.

Sur la période 1980-2007, la Grèce avait pourtant déjà été victime de récessions en 1981-1983, en 1987 et en 1997, les contractions économiques que celles-ci provoquèrent furent respectivement de 4 %, 2,3 % et 1,6 %. De plus, un record de chômage avait été atteint en 1999 avec 12,1 %. Il semble néanmoins que son adhésion à la zone euro et les politiques de crise de la Troïka n’aient pas été aussi profitables que prévu puisque la seule année 2011 entraina une contraction économique de 8,9 % et le pays atteignit un record absolu de chômage en 2013 avec 27 %. Enfin de 2010 à 2015, la dette publique grecque passa de 109 % à 178 % du PIB.

Partie IV. Y a-t-il une solution ?

La zone euro doit être structurellement réformée. Tout d’abord, il est nécessaire de créer une Union Bancaire pour éviter une polarisation des capitaux vers les États qui n’en ont pas besoin. Il s’agit ici de créer une garantie commune des dépôts qui devrait être accompagnée d’une supervision commune et d’une « résolution commune des défaillances » (une procédure commune de gestion des défauts de paiements).

Dans le prolongement de cette union, il conviendrait de mettre en place une mutualisation des dettes – à l’instar par exemple des Eurobonds. Les fonds ainsi levés, à un coût plus avantageux, pourraient alors être redistribués aux États qui en ont le plus besoin pour se développer et rattraper leur retard.

La zone euro pourrait alors établir un « cadre commun de stabilité » dont le but serait de garantir un égal bénéfice à la participation à la monnaie unique des États membres. L’objectif serait ainsi d’assurer un niveau de production, d’emploi et de croissance élevé dans tous les États en instaurant un cadre budgétaire qui établit une distinction entre déficits liés aux investissements et celui lié aux dépenses. La création d’un fonds de solidarité pour la stabilisation permettrait alors d’aider les États en période de récession à maintenir le plein emploi, soutenir la demande, financer les dépenses sociales ou encore proposer des crédits aux PME.

Ces réformes viseraient également à établir une réelle convergence des économies, en agissant sur les États excédentaires dont la marge de manœuvre est plus aisée (décourager les excédents commerciaux, encourager les politiques budgétaires et salariales expansionnistes) et en soutenant ailleurs des politiques industrielles financées par la BEI. Le mandat de la BCE devrait bien entendu être modifié et étendu au plein emploi et à la stabilité financière. Enfin, le secteur financier devrait faire l’objet d’un encadrement juridique strict.

Si techniquement les réformes à mener ne sont pas particulièrement difficiles, elles requièrent un niveau de solidarité politique des États membres bien plus avancé que ce qu’il semble être raisonnablement envisageable en 2015. Deux autres options doivent être ainsi envisagées : créer un euro flexible ou admettre l’échec et abroger la zone euro à l’amiable. La première option consisterait à scinder la zone euro en deux ou plusieurs groupes d’États semblables (par exemple : l’Europe du Nord et L’Europe du Sud).

Chaque groupe utiliserait l’euro, mais avec une banque centrale distincte. Les échanges entre ces zones euro se feraient à l’aide de certificats d’importation ou d’exportation de sorte que les balances courantes des États entre eux et des zones entre elles seraient soit excédentaires soit à l’équilibre (pour importer ou exporter, il faut acquérir un certificat délivré par l’État). Les taux de change fluctueraient afin d’assurer une convergence des zones en termes de productivité. Il pourrait être alors envisageable de reprendre plus tard le projet de partage d’une monnaie unique.

Si l’option d’un divorce à l’amiable devait finalement être retenue, chaque État retrouverait sa monnaie nationale. Ce transfert serait facilité par l’usage de la monnaie électronique, que presque tout le monde utilise déjà. La banque centrale nationale retrouverait sa capacité à frapper monnaie et donc à émettre du crédit. Cette faculté annulerait par conséquent les craintes liées au risque de ne plus pouvoir se financer sur les marchés financiers pour l’État en question.

Au contraire, l’État pourrait lui-même émettre le crédit dont il a besoin pour ses investissements. Une politique industrielle ambitieuse pourrait ainsi être menée à bien. La dette serait restructurée et convertie en monnaie nationale. Les échanges pourraient alors se réaliser selon le modèle des certifications d’importation ce qui limiterait les déséquilibres courants tandis que les risques liés à la fluctuation des taux de change entre monnaies seraient gérés comme c’était le cas avant la monnaie unique, c’est-à-dire en convertissant par avance dans la monnaie souhaitée les sommes dues. Un encadrement du système bancaire permettrait de neutraliser les frais de conversion faramineux pratiqués et ainsi de les rapprocher de leur montant réel qui est pratiquement nul. Un divorce à l’amiable permettrait non seulement de gérer les problèmes de croissance, d’emploi et de productivité, mais il assurerait finalement le retour d’une gestion démocratique pleine et entière.

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