Concept cher à la gauche républicaine, la méritocratie promeut l'idée que, en aplanissant les inégalités de naissance, l'effort dans le parcours scolaire récompensera les plus méritants. Centré sur la réussite scolaire et les carrières intellectuelles, cet idéal éclipse pourtant d'autres formes d'accès à un statut social digne et, surtout... a peu à voir avec la démocratie.
Pour beaucoup, en particulier au sein d'une gauche républicaine, la démocratie est inséparable de la méritocratie. Selon celle-ci, l'État, grâce à l'Éducation nationale, doit fournir à chacun, quelle que soit sa naissance, les moyens de développer ses capacités : on parle d'« égalité des chances ». Il s'agit de compenser des inégalités socio-culturelles et économiques pour limiter la fatalité d'une reproduction sociale qui destinerait l'enfant d'ouvrier à des métiers peu qualifiés, pas valorisés, mal payés.
La métaphore de l'« ascenseur social » résume ce dont il s'agit : ceux qui sont au « bas » de l'échelle sociale – les « classes populaires » – doivent pouvoir accéder aux étages supérieurs – c'est-à-dire s'extraire de leur milieu social. Couronnée par un diplôme, la réussite scolaire, en théorie du moins, en est la condition. La méritocratie implique donc la « mobilité sociale », forcément ascendante.
Or, elle récompense et encourage un certain type de « mérite » : « C'est le raisonnement théorique ou abstrait, par opposition à la connaissance empirique ou à l'intelligence pratique, qui détermine de plus en plus les chances », analyse, dans un essai paru en 2020, le journaliste et économiste britannique David Goodhart (1). Est donc méritoire le parcours scolaire conduisant à des postes de cadre, d'ingénieur, d'enseignement – disons d'« expert » et de « sachant ».
Difficile de voir le rapport avec la démocratie, « gouvernement du peuple, par et pour le peuple » ou espace de débat entre opinions contradictoires sur l'organisation collective d'une société. La méritocratie évoque plutôt l'idéal de « gouvernement des savants » contre lequel l'anarchiste Mikhaïl Bakounine mettait en garde. Elle évoque l'idéal libéral (2), qui considère que la décision – politique, notamment – doit revenir à qui maîtrise des données « objectives » et possède l'expertise technique. La « gouvernance », confiée à des « bons élèves » passés par les « grandes écoles », laisse penser que le mérite a quelque chose de l'alibi moral des détenteurs du pouvoir.
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