
Pour beaucoup, en particulier au sein d'une gauche républicaine, la démocratie est inséparable de la méritocratie. Selon celle-ci, l'État, grâce à l'Éducation nationale, doit fournir à chacun, quelle que soit sa naissance, les moyens de développer ses capacités : on parle d'« égalité des chances ». Il s'agit de compenser des inégalités socio-culturelles et économiques pour limiter la fatalité d'une reproduction sociale qui destinerait l'enfant d'ouvrier à des métiers peu qualifiés, pas valorisés, mal payés.
La métaphore de l'« ascenseur social » résume ce dont il s'agit : ceux qui sont au « bas » de l'échelle sociale – les « classes populaires » – doivent pouvoir accéder aux étages supérieurs – c'est-à-dire s'extraire de leur milieu social. Couronnée par un diplôme, la réussite scolaire, en théorie du moins, en est la condition. La méritocratie implique donc la « mobilité sociale », forcément ascendante.
Or, elle récompense et encourage un certain type de « mérite » : « C'est le raisonnement théorique ou abstrait, par opposition à la connaissance empirique ou à l'intelligence pratique, qui détermine de plus en plus les chances », analyse, dans un essai paru en 2020, le journaliste et économiste britannique David Goodhart (1: La tête, la main et le cœur : la lutte pour la dignité et le statut social au XXIe siècle, Les Arènes, 2020.1). Est donc méritoire le parcours scolaire conduisant à des postes de cadre, d'ingénieur, d'enseignement – disons d'« expert » et de « sachant ».
Difficile de voir le rapport avec la démocratie, « gouvernement du peuple, par et pour le peuple » ou espace de débat entre opinions contradictoires sur l'organisation collective d'une société. La méritocratie évoque plutôt l'idéal de « gouvernement des savants » contre lequel l'anarchiste Mikhaïl Bakounine mettait en garde. Elle évoque l'idéal libéral (2: Lire à ce propos : La révolte des élites, Christopher Lasch, 1995, Flammarion, 2007, pp. 173-179 ; Gouvernance : le management totalitaire ou La Médiocratie, d'Alain Deneault.2), qui considère que la décision – politique, notamment – doit revenir à qui maîtrise des données « objectives » et possède l'expertise technique. La « gouvernance », confiée à des « bons élèves » passés par les « grandes écoles », laisse penser que le mérite a quelque chose de l'alibi moral des détenteurs du pouvoir.
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