Longtemps opposé à la dépossession de l'outil de travail et de l'organisation du temps et de la production – c'est-à-dire contre le travail aliéné –, le mouvement ouvrier a porté un idéal d'autonomie, terme qui renvoie étymologiquement au fait de se gouverner soi-même par ses propres lois. L'autonomie vis-à-vis des partis et vis-à-vis du capital fut ainsi, entre autres, l'idéal anarcho-syndicaliste ou celui des conseils ouvriers.

publié le 22/03/2025 Par Mikaël Faujour

Depuis l'âge d'or de l'idéal d'autonomie au tournant des XIXe et XXe siècles, mais aussi depuis sa résurgence lors des turbulentes années 1970, l'eau a coulé sous les ponts. La base matérielle du monde du travail où s'épanouissaient ces idées – le petit artisanat urbain hostile à la concurrence de l'industrie au XIXe siècle, et l'usine de plus en plus exclusivement au fil du XXe siècle – a été largement balayée. La contre-révolution néolibérale a bouleversé l'organisation du travail et la France, comme d'autres pays industriels avancés, a vu le recul d'un emploi industriel de masse qui réunissait des centaines, parfois des milliers d'ouvriers en un même lieu, faire place à l'essor de bataillons de travailleurs précaires isolés les uns des autres.

Cariste dans les entrepôts de sites de vente en ligne, convoyeur de voiture, livreur, chauffeur, aide à domicile (car ce sont bien des emplois majoritairement féminins) aux horaires fractionnés, etc. : le prolétariat contemporain est épars.

Avec l'écrasement du petit artisanat par l'industrie, puis par la désindustrialisation, maints savoir-faire ont disparu, avec ce qu'ils emportent de relation concrète et empirique à des techniques, à des matériaux et au monde. Le travailleur contemporain semble évoluer dans un monde sur lequel il n'a pas prise : il est plus que jamais un « homme sans monde ». Le philosophe Günther Anders qualifiait par là le prolétaire qui, dépossédé, évolue dans un monde qui n'est pas le sien, c'est-à-dire dont il n'a pas décidé, un monde construit pour répondre aux nécessités d'autres : les bourgeois, les possédants et les maîtres.

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