Le Premier ministre, Michel Barnier, a confirmé mardi 1er octobre 2024, lors de sa déclaration de politique générale à l’Assemblée nationale, son intention de faire de la santé mentale la « grande cause » de l’année 2025. Mais alors, comment se fait-il que les professionnels ne l’entendent pas de cette oreille et qu’ils continuent à dénoncer sans cesse la casse de la psychiatrie ?
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En septembre dernier, dans ma ville, Marseille, un café de la Colère a été organisé par les syndicats Sud, CGT et FO et a réuni environ 200 professionnels de la psychiatrie devant l’hôpital psychiatrique Édouard Toulouse situé dans les quartiers nord de Marseille. Ces professionnels en colère dénonçaient la fermeture supplémentaire d’une vingtaine de lits – faute de médecins pour soigner – à la suite du départ à la retraite d’un praticien hospitalier (ils ne sont plus que cinq sur les douze nécessaires). Ils rappellent opportunément que la suppression des lits conduit inévitablement à mettre les patients à la rue, où les soignants rencontrent de plus en plus de psychotiques délirants.
Fermetures de lits et politiques court-termistes
Les politiques et l’opinion publique feignent d’ignorer la chose jusqu’à ce que surgisse un drame ordinaire, une tragédie du quotidien, telle l’agression d’une septuagénaire à Toulouse par un patient atteint d’une forme grave de schizophrénie, ou le meurtre d’un étudiant à Grenoble par un schizophrène en 2008. Dès lors, la réponse politique à la surmédiatisation de l’évènement tragique ne s’est pas fait attendre avec la promotion d’une psychiatrie « sécuritaire » (1).
À Toulouse, par exemple, différentes mesures furent prises, comme la fermeture à clé de toutes les unités de psychiatrie « lourde » durant le week-end suivant l’évènement, l’appel à un organisme privé de gardiennage à l’entrée de l’hôpital, la création d’un bureau d’orientation chargé de la validation des entrées et sorties, et la mise en place d’un pôle de sécurité comprenant 13 agents chargés de patrouiller dans l’hôpital et d’intervenir dans les unités de soins. Le financement de ces mesures étant imputé au budget de l’hôpital, elles diminuent d’autant les ressources attribuées à la prise en charge ordinaire des patients...
Cet exemple est tout à fait révélateur de la manière dont le politique demeure aujourd’hui aimanté par l’actualité, captif d’une réaction à court terme, pris dans les exigences de la société du spectacle et de la démocratie des émotions. Il s’agit davantage de rassurer l’opinion publique plutôt que de soigner les patients. Les questions majeures sont passées sous silence, recouvertes par le présentisme des émotions. Ces réactions à court terme n’empêchent d’aucune manière une politique d’étranglement du budget des hôpitaux et en particulier des hôpitaux psychiatriques.
Un article d’Hospimédia, L’actualité des territoires de Santé, nous informe qu’au 31 décembre 2022, 25 % des établissements publics ayant une activité de psychiatrie déclarent avoir dû fermer de 10 à 30 % de leurs lits. Ils n’étaient que 5 % avant la crise sanitaire. Cette hausse spectaculaire des fermetures de lits, entre 2020 et 2022, révèle les tensions structurelles qui traversent la psychiatrie publique. Selon la Fédération Hospitalière de France, c’est essentiellement le manque de médecins et de personnels soignants qui s’avère le facteur principal de 88 % des fermetures structurelles de lits.
Selon les déclarations des responsables du Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux, la situation est alarmante : près de 48 % des postes de praticiens hospitaliers demeurent vacants à l’hôpital. Alors que les demandes de prise en charge explosent – on est passé d’un peu plus d’un million de personnes suivies en ambulatoire dans les années 2000, à près de deux millions et demi aujourd’hui – on a fermé 88 000 lits sur la même période. On « trie » les patients que les soignants peuvent prendre en charge, et le personnel est submergé et découragé.
Bien sûr, cette situation de pénurie qui règne dans les hôpitaux psychiatriques se révèle un cas particulier des politiques d’endettement des hôpitaux et des cures d’austérité auxquelles ils sont soumis. Pour prendre un autre exemple marseillais, le Centre Hospitalo-Universitaire de la Timone souffre d’un manque de personnel, tel qu’un tiers des blocs chirurgicaux ont été fermés. Dans un autre établissement hospitalier marseillais, l’Hôpital Nord, depuis le Covid, 30 % des infirmières de bloc ont démissionné et le manque de personnel soignant a des conséquences médicales parfois très sérieuses, diminuant d’autant le pourcentage d’espérance de guérison des patients, malgré l’extrême dévouement du personnel.
Les délais d’obtention de rendez-vous médicaux dans le privé – même dans une région qui ne souffre pas de désertification médicale – s’allongent également et la situation devient extrêmement sensible, médicalement bien sûr, mais aussi socialement. Les transferts de tâche des médecins vers les paramédicaux et pharmaciens, pour utiles qu’ils puissent être, ne résolvent pas la pénurie structurelle de la prise en charge des patients.
Je pense que cette situation a un fort potentiel révolutionnaire : Georges Canguilhem (2) rappelait que la santé, concept vulgaire, n’est pas seulement « la vie dans le silence des organes », c’est aussi « la vie dans la discrétion des rapports sociaux ». C’est aussi une « maladie » propre à notre système de santé actuel : à la financiarisation des actes médicaux s’ajoute la violence technocratique de l’obésité bureaucratique.
À tous les échelons du système de soins, le management par le « droit mou » des règles de bonnes pratiques, de recommandations et d’évaluations diverses et variées, métastase pour le plus grand malheur des soignants et des patients, sans que pour autant nous puissions être assurés de leurs bienfaits du point de vue des finances publiques. Ces règles de normalisation et de contrôle social des professionnels comme des patients sont largement imposées par des technocrates ou de supposés experts assez éloignés de la pratique de terrain. Tous les jours, j’entends des médecins, des psychologues, des professionnels du soin, dénoncer une politique gestionnaire obnubilée par des objectifs financiers percutant le travail du soin qu’ils tentent de mettre en pratique.
Aux coupes budgétaires, aux fermetures de lits, s’ajoutent le harcèlement des grilles d’évaluation, les réorganisations incessantes des organigrammes décisionnels et la mise en pièces des institutions comme des pratiques soignantes acquises au cours de leurs formations. Les emplois du soin sont précarisés, les professionnels sont prolétarisés dans le sens où, à l’insuffisance des moyens matériels nécessaires, s’ajoute la confiscation par les protocoles standardisés, par les normes quantifiées, par le filet des scores dans lequel ils sont pris, par la violence d’une dépossession de leur savoir, de leur savoir-faire et de leur savoir-être au profit d’habitus, hérités du management technico-affairiste.
Comment soigner quand on est aussi maltraités par cette « société de contrôle » qui « trie », surveille, traque, trace, norme et aliène ?
Une psychiatrie au bord de la crise de nerfs ?
Par cette transformation sociale et politique des dispositifs de santé, la nature des actes de prise en charge psychiatrique ne reste pas indemne. Depuis sa naissance, la psychiatrie vit une tension dialectique entre son pôle médical et ce que Pinel nommait son pôle « moral », féconde à certains moments de son histoire, délabrante à d’autres moments. De ce fait, elle est dans une situation particulière, celle par exemple qui, après 1968, l’a rapprochée des sciences humaines et sociales et l’en éloigne maintenant. Depuis la fin des années 1980/début des années 1990, elle s’est repliée dans le giron médical, renonçant à la spécificité de son internat (jusqu’alors distinct) et par la suite conduisant également à l’extinction du diplôme spécialisé d’infirmier psychiatrique.
Cette période est également celle où commence à s’imposer une nouvelle manière de diagnostiquer, de soigner, de former et de faire des recherches en psychopathologie et en psychiatrie. Cette « néo-psychiatrie », largement inspirée par la psychiatrie américaine – jugée, jusque-là, trop utilitariste, pragmatique et indigente par la psychiatrie continentale – qui occupe aujourd’hui tous les postes universitaires et siphonne les financements. C’est ainsi qu’aujourd’hui, quasiment plus aucun poste de professeur de psychiatrie ou de pédopsychiatrie ne se trouve, a contrario des années 1970/80, détenu par un tenant de la psychanalyse ou de la psychothérapie relationnelle.
De même, en psychologie, année après année, les formations et les recherches en psychanalyse cèdent du terrain, malgré quelques « beaux » ilots de résistance. Postes et crédits vont aux « alliés objectifs » d’une civilisation capitaliste néolibérale qui fait du sujet humain une microentreprise autogérée ouverte à la concurrence et à la compétition sur le marché des jouissances existentielles. Nombre de thèses (canadiennes notamment) n’hésitent pas à approcher le système neuronal comme un ensemble de stratégies mises en actes sur les marchés financiers. N’est-ce pas la mission de la nouvelle éducation que d’apprendre au cerveau à bien fonctionner au profit d’un sujet qui le pilote sur les conseils émerveillés des neuroscientifiques ?
Et, je prie une fois pour toutes mon lecteur de s’en souvenir, j’ai la plus grande estime pour les chercheurs en neurosciences et tous ces travailleurs de la preuve qui font de la recherche sans devoir se transformer en missionnaires des idéologies totalitaires à la mode. J’ai, par contre, une réserve des plus tenaces à l’égard de fondations qui – telle FondaMental – occupe une majorité de postes décisionnels pour répandre la « bonne nouvelle » d’une origine neurogénétique des « troubles du développement ».
Les nouvelles technologies ont fourni aux recherches en psychiatrie et en psychopathologie de nouveaux instruments – imagerie fonctionnelle (IRM) du cerveau, traitement épidémiologique des big data – qui ne se sont pas contentés d’être simplement des outils ou des techniques, mais sont devenus véritablement des paradigmes conceptuels. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on peut impunément parler d’Intelligence artificielle ou encore considérer que c’est le cerveau qui décide de nos choix de vie, apprend à lire ou à compter, régule nos émotions, décrypte nos choix esthétiques, sans nous rendre compte que nous cédons à une séduction des métaphores. Georges Canguilhem écrivait (3) :
« Un modèle de recherche scientifique a été converti en machine de propagande idéologique à deux fins : prévenir ou désarmer l’opposition à l’envahissement d’un moyen de régulation automatisée des rapports sociaux ; dissimuler la présence de décideurs derrière l’anonymat de la machine. »
À partir de ce moment-là, les symptômes psychiques ont cessé de vouloir dire quelque chose à quelqu’un. Ils ont été réduits à des dysfonctionnements neurocognitifs supposés produits par l’action conjuguée d’une héritabilité génétique et d’activation de facteurs environnementaux. Les symptômes ont perdu leur sens et avec eux le travail psychiatrique aussi… La psychiatrie a rejoint le Pôle Neuro dont elle s’était séparée en 1968, la nosologie psychiatrique (névrose, perversion, psychose, états-limites) a été pulvérisée en « troubles du comportement » et le sujet du dialogue soignant est devenu un paquet d’informations en interactions avec d’autres signaux de l’environnement, un « homme numérique ».
L’acte psychiatrique change de nature ! Nous avons avec ces nouveaux dispositifs de prise en charge, qui sont tout autant des machines de gouvernement, un « gommage anthropologique » des souffrances psychiques et sociales et un retour de la psychiatrie dans le giron de l’hygiène publique, une nouvelle hygiène du corps social. Cette manière de penser la souffrance psychique et son diagnostic réduit le sujet à un segment de population statistique, à une configuration multidimensionnelle de ses anomalies, efface le contexte, le sens et l’histoire des symptômes au profit d’une fiabilité inter-juges.
On conçoit aisément que cette psychiatrie, qui lâche la proie de la clinique pour l’ombre de la fiabilité inter-juges, du positivisme logique, de la « validité procédurale » (4), ait pu trouver dans l’épidémiologie un allié de taille, un instrument et un modèle (5). Cette manière automatisée de poser le diagnostic psychiatrique, en procédant à partir d’analyses de populations, incline toujours plus la pratique du psychiatre et du psychologue vers la technique et place toujours plus leurs actes sous le magister de la recherche biomédicale, plus qu’elle n’incite au soin et au souci du patient (6).
Le souci du patient dans cette nouvelle psychiatrie se trouve confié aux plans de réhabilitation sociale, de groupes d’entraide des malades et de leurs familles et à toutes sortes de dispositifs associatifs qui, pour n’être pas inutiles, loin de là, témoignent de la « défausse » du psychiatre au profit d’une « gestion sociale » du « handicap ». La notion même de « trouble » est trouble, elle est vaseuse, comme la prolifération des dys dont on oublie la signification première d’« embarras » ou « difficulté ». Faut-il vraiment traiter comme pathologiques toutes les difficultés de l’existence ? Jusqu’à quel point la notion de « handicap » n’est-elle pas handicapante pour dire un symptôme ?
La neuro-biologisation des souffrances est, à ce titre, politiquement problématique. Le patient n’est pas un logiciel d’apprentissage piloté par son système neuronal. La notion de « troubles neuro-développementaux » tend à siphonner toute la nosologie psychiatrique pour mieux en finir avec la psychanalyse et promouvoir la référence aux neurosciences. Cette critique de la transformation de la psychiatrie contemporaine ne conduit, en aucune manière, à sous-estimer l’importance des travaux neuroscientifiques ou à mépriser les psychotropes, je l’ai dit et le redis encore et encore.
Nos diagnostics en psychopathologie en disent au moins autant sur la « substance éthique » d’une culture que sur la souffrance des patients et davantage encore sur le mode de formation des praticiens qui les prennent en charge. C’est en ce sens par exemple que l’on a tenté de dire comment « la dépression est devenue une épidémie » (7) et plus encore comment sa prise en charge médicamenteuse s’est progressivement légitimée en médecine générale à partir de 1975 en déconnectant les troubles dépressifs des entités psychiatriques classiques comme la mélancolie ou l’hystérie ou le trauma (8).
C’est en ce sens également qu’il s’avère aujourd’hui impossible de ne pas reconnaître dans les troubles du comportement portés au spectacle de l’opinion publique – troubles oppositionnels, troubles du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), troubles des conduites, suicide, dépression, addiction, troubles alimentaires et « dys » de toutes sortes — la substance éthique de la culture dont ils émergent, la niche écologique de ses savoirs et de son éthique. Le champ de la psychiatrie « ripolinée » en « santé mentale » devient totalitaire tout en perdant sa consistance médicale. Ce que Lantéri-Laura (9) avait largement souligné en qualifiant de « post-moderne » cette psychiatrie qui, tout en étendant son magistère social, abandonne ses préoccupations cliniques sémiologiques et nosologiques au profit d’indicateurs épidémiologiques ou biologiques.
La spécificité de la souffrance psychique et de sa prise en charge thérapeutique se trouve « gommée » au profit d’un dépistage généralisé des « vulnérabilités », de la prévention de « troubles mentaux » et de la prise en charge supposée « médicale » de populations à risques, de « sujets fragiles ». Pour ce faire, il fallait discréditer la validité des concepts psychopathologiques en montrant que leur autorité est très contestable. Les rhétoriques de propagande scientistes et conservatrices s’en sont donné à cœur joie. Et même si Léon Eisenberg, l’inventeur du TDAH, a avoué au Spiegel (10) à la fin de sa vie, en 2009, que ce diagnostic était fallacieux, une maladie inventée, il n’empêche tous les jours aujourd’hui on chante les louanges de la Ritaline et on traque les « dys » au nom des diagnostics précoces…
En médicalisant toutes les difficultés de l’existence et en les soumettant à la traque précoce des anomalies et à leur correction pharmacologique ou à une orthopédie pédagogique, il est clair que l’on fait exploser une demande de prise en charge à laquelle les moyens actuels de santé sont dans l’incapacité de répondre. Alors que font-ils ? Ils mettent de l’emplâtre sur une jambe de bois en canalisant les patients vers des plateformes d’orientation et des Centres Experts tout en fermant les services de soin. Cette politique des autorités visant à créer des plateformes ne peut en aucune manière remplacer le soin et la prise en charge des sujets en souffrance psychique et sociale.
Cette solution palliative décourage tous ceux qui ont la vocation de soigner dans et par la relation et promeut les tenants d’une santé mentale réduisant les souffrances psychiques et sociales à des « maladies » organiquement déterminées, transformant les psychiatres en délégués médicaux des laboratoires pharmaceutiques (11) ou des Centres d’imagerie médicale et les psychologues en manipulateurs de données épidémiologiques en vue de publications scientifiques dans des revues à fort impact factor que personne ne lira, excepté les « scribes » chargés des habilitations.
Sans devoir prendre parti pour une causalité psychique, sociale ou neurogénétique des souffrances psychiques et sociales, je dirai, pour travailler dans ce champ professionnel depuis des décennies, d’abord à l’hôpital, ensuite en libéral, qu’à la misère matérielle de ce secteur s’est rajoutée une misère symbolique, une disette des moyens de compréhension et d’action douloureusement ressentie par les soignants.
Ayant participé à la formation et aux recherches psychopathologiques des psychologues comme des psychiatres, je peux attester de leur désarroi face aux transformations sociales et politiques qu’ils subissent dans l’exercice public comme privé. Il suffit de lire les communiqués du Printemps de la Psychiatrie, de la Convergence des Psychologues et des différents syndicats de ces praticiens pour s’en rendre compte. Tous ceux qui ont une vocation véritable pour le soin sont harcelés par des mesures bureaucratiques et technocratiques des plus hautes instances gouvernementales – sous la houlette et la dépendance de supposés « experts », véritables « croisés » œuvrant pour l’excommunication des méthodes relationnelles – au profit d’autorités et de pôles de psychiatries davantage orientés vers la recherche.
Il y a de ce fait une « alliance objective » entre les instances technocratiques (12) qui contrôlent et normalisent les professionnels en les plaçant sur des « autoroutes de servitude », les tenants d’une psychiatrie « organiciste », et les politiques de pénurie pilotant la santé, en particulier la « santé mentale » dont le contour flou et indéfini – « notion vulgaire » et non scientifique écrivait le médecin-philosophe Georges Canguilhem – permet tous les ajustements opportunistes. Une fois encore, là comme dans de nombreux domaines, la gestion algorithmique des populations et la rationalité technique et instrumentale de leur prise en charge prévalent sur le soin, l’éducation, le souci et l’aide à offrir aux patients.
Pour faire passer la pilule des plateformes et des actes de soins ubérisés, les autorités s’appuient sur les courants les plus orientés vers la recherche biomédicale et qui se consolent de leurs difficultés à soigner par les postes et les financements d’infrastructures et de technologies où ils pourront, paisiblement, observer « le cerveau penser » ! Tout en s’efforçant d’oublier ce diagnostic de Ludwig Wittgenstein : « en psychologie, les méthodes sont expérimentales, mais les concepts confus ».
Alors si on veut une fois encore éviter que la santé mentale promue « grande cause nationale » en 2025 ne se transforme en « grande casse nationale », il faut, mesdames et messieurs les responsables politiques, commencer par écouter les professionnels, les professionnels de terrain qui se coltinent tous les jours la souffrance de leurs semblables. Et, peut-être commencer à fermer les écoutilles dans lesquelles se déversent les aigreurs, les ressentiments et la néguempathie de vos conseillers. Faute de quoi les « bonnes intentions » de cette « grande cause nationale » finiront en pur effet d’annonce sans produire le moindre tressaillement chez les scribes de nos nouvelles servitudes…
Notes
(1) Voir : Collectif, La nuit sécuritaire Le manifeste des 39, numéro 23 revue Sud-Nord, Toulouse : érès, 2009.
(2) Georges Canguilhem, Écrits sur la médecine, Paris : Seuil, 2002. Et, ce médecin-philosophe-résistant n’était pas un gauchiste, plutôt un homme de Centre Droit, ce qui ne l’a pas empêché de reconnaître cette violence des normes sociales propres à nos sociétés qui imposent à nos existences des exigences toujours plus violentes.
(3) Georges Canguilhem, 1980, « Le cerveau et la pensée ». In : Georges Canguilhem Actes du colloque 6-7-8 Décembre 1990, Paris : Albin Michel, 1993, p. 21.
(4) Stuart Kirk et Herb Kutchins, 1992, op. cit. ; Roland Gori, Marie-José Del Volgo, La Santé totalitaire Essai sur la médicalisation de l’existence (2005), Paris : Flammarion, 2014 ; Steeves Demazeux, Qu’est-ce que le DSM ? Paris : Ithaque, 2013.
(5) Je soutiens depuis longtemps que cette néo-psychiatrie devient une sous-discipline de l’épidémiologie et de l’hygiène publique (Roland Gori, Marie-José Del Volgo, 2005, op. cit. ; Roland Gori, Marie-José Del Volgo, Exilés de l’intime La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique (2008), Paris : LLL, 2020.
(6) Voir Marie-José Del Volgo, Le soin menacé Chronique d’une catastrophe humaine annoncée, Vulaines sur Seine : Le croquant, 2021.
(7) Philippe Pignarre, Comment la dépression est devenue épidémie, Paris : Hachette, 2001.
[8] Claude Legrand, « Les modes de légitimation de la prescription de médicaments psychotropes en médecine générale dans la presse professionnelle depuis 1950 », in : Alain Ehrenberg, Anne-M. Lovell (sous la dir. de), La maladie mentale en mutation. Paris : Odile Jacob, 2001, p. 219-228.
(9) Georges Lantéri-Laura, « Introduction générale ». Évolution psychiatrique, 2005, 70, p. 219-247.
(10) Interview publiée le 6 février 2012.
(11) Voir David Healy, La santé décapitée Brève histoire de l’avènement et de la chute du système de soins, Samizdat Health, 2020.
(12) Il n’est qu’à voir la composition du nouveau Conseil d’évaluation de la prise en charge des troubles neurodéveloppementaux, nommé par décret en pleine vacance gouvernementale, pour nous faire une idée de ce qui nous attend. On y trouve un certain nombre de « croisés » du combat contre la psychanalyse et les psychothérapies relationnelles.
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