À la suite de la gifle électorale historique subie par le camp présidentiel aux élections européennes, Emmanuel Macron a prononcé la dissolution de l’Assemblée nationale. Plutôt qu’une redoutable stratégie, il faut y voir une capitulation. La fin du règne macroniste. Mais est-ce vraiment le début d’un renouveau pour la France ?

Article Politique
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publié le 12/06/2024 Par François Boulo
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Évacuons d’emblée les scénarios de politique fiction. La dissolution de l’Assemblée nationale n’a strictement aucun effet institutionnel sur l’interdiction posée par l’article 6 de la Constitution, qui interdit au Président de la République d’effectuer plus de deux mandats consécutifs. Dissolution ou pas, la règle reste la même. Là n’est donc pas le débat.

Certains vont donc jusqu’à imaginer qu’en cas de défaite aux élections législatives, Emmanuel Macron démissionnerait de façon anticipée pour contourner la limite des deux mandats consécutifs en arguant qu’il n’aurait alors pas effectué deux mandats « complets », ce qui l’autoriserait à se représenter dans la foulée à la nouvelle élection présidentielle. Outre que cette interprétation de la Constitution apparaît en soi très hasardeuse, tant du point de vue de la lettre (1) que de l’esprit du texte, cette théorie ne tient pas.

Le risque serait en effet non négligeable de déclencher un mouvement insurrectionnel si le Conseil constitutionnel venait à autoriser une troisième candidature consécutive d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle, dans un contexte où il viendrait d’être largement désavoué par les électeurs lors des scrutins européens et législatifs. Surtout, Macron réélu une troisième fois devrait alors à nouveau dissoudre l’Assemblée nationale pour pouvoir gouverner – ce qu’il ne peut plus faire avant juin 2025 désormais (2) – et il n’aurait pas plus de chances d’obtenir un résultat plus favorable qu’aujourd’hui. Toutes ces considérations ne mènent donc nulle part, mais elles sont néanmoins compréhensibles.

La question d’un éventuel troisième mandat consécutif de Macron s’est effectivement posée depuis sa réélection en 2022, mais elle a depuis lors été tranchée. Ce dernier a essayé d’obtenir une modification constitutionnelle pour supprimer la limite des deux mandats consécutifs qu’il a expressément qualifiée par le passé de « funeste connerie ». Plusieurs personnalités de premier plan, dont l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, avaient publiquement plaidé pour une modification de la Constitution.

Le Président de la République lui-même avait évoqué la création d’une commission transpartisane qui aurait eu pour mission d’élaborer les contours d’une réforme en ce sens. Mais les consultations effectuées auprès des anciens Présidents Hollande et Sarkozy ont conduit Emmanuel Macron à se rendre à l’évidence : il n’obtiendrait jamais les soutiens nécessaires à une réforme constitutionnelle. Et c’est pourquoi il déclarait le 5 mai dernier : « [la limite des deux mandats consécutifs] est là et je ne vais pas changer la Constitution ». La formule ne doit pas être comprise comme une marque de respect envers les institutions, mais bien comme un aveu d’impuissance.

Et c’est peut-être là un premier élément de contexte permettant de comprendre la décision de Macron de dissoudre l’Assemblée nationale. Voilà un Président français qui est le premier dans l’histoire de la Ve République à ne pas pouvoir être candidat à sa propre succession. Rappelons en effet que la limite des deux mandats consécutifs n’a été introduite dans la Constitution qu’en 2008 lors de la mandature de Nicolas Sarkozy. Or, ce dernier avait échoué à être réélu en 2012, et François Hollande avait tout simplement dû renoncer à briguer un second mandat en 2017 au vu de son impopularité.

Emmanuel Macron est le premier Président sous l’ère du quinquennat, et depuis l’instauration de la limite des deux mandats consécutifs, à avoir été réélu. Or, il a vite fait le constat que n’étant plus un candidat possible pour 2027, il n’était plus tout à fait au centre du jeu et n’avait en tout cas plus les moyens de canaliser les ambitions personnelles au sein de son propre camp, et en particulier de certains de ses ministres passés ou actuels (Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Édouard Philippe…). Jupiter a senti que le pouvoir lui échappait. Et c’est sans doute pour tenter de réaffirmer son autorité qu’il vient d’utiliser l’une des prérogatives les plus importantes du Président de la République. Mais plutôt que d’en ressortir grandi, il pourrait bien avoir signé sa propre fin, et celle de tout son camp idéologique.

Le génie tactique a ses limites : le réel

Prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale à la suite d’une débâcle électorale aussi humiliante pour le camp présidentiel, et alors que le Rassemblement national est arrivé très largement en tête peut apparaître complètement stupide à première vue.

Mais Emmanuel Macron sait bien que les élections européennes et législatives sont tout à fait différentes. D’une part, car les élections européennes – souvent vues comme étant sans enjeu – peuvent parfois servir d’exutoire en sorte qu’un certain nombre de voix exprimées pour le RN pourraient se reporter sur le camp macroniste lors des législatives. Soyons honnêtes, cela demeure marginal. D’autre part, les élections européennes répondent à un scrutin proportionnel à un tour, alors que les législatives sont soumises à un scrutin majoritaire à deux tours. Et cela change tout. Aux élections législatives, il n’est pas nécessaire d’arriver en tête au premier tour, il faut uniquement se qualifier au second et le remporter en comptant sur le barrage républicain contre le Rassemblement national.

Et c’est de cette situation que Macron a sans doute pensé pouvoir tirer avantage en élargissant la base de ses soutiens aux membres des LR (Les Républicains) et, surtout, du Parti Socialiste et des Verts, en rupture avec La France Insoumise. Le timing de la dissolution intervient en effet après des mois de calomnies et d’attaques répétées contre la France Insoumise accusée, injustement, d’antisémitisme pour ses prises de position contre la politique criminelle d’Israël à Gaza. De fait, l’acharnement médiatique et politique contre LFI, associé aux ambitions personnelles des personnalités des autres partis de gauche, ont conduit à l’explosion de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale) à l’occasion des élections européennes.

Par ailleurs, le camp présidentiel a immédiatement fait savoir après l’annonce de la dissolution qu’il n’opposerait aucun candidat face aux députés sortants appartenant au « champ républicain ». La stratégie apparaît dès lors limpide : consolider sa majorité, mais surtout, expulser un maximum de députés France Insoumise du Palais Bourbon. Car même en cas de défaite face au RN, cette stratégie permettrait d’écraser une bonne fois pour toutes la France Insoumise et d’enraciner plus encore dans le paysage politique un clivage binaire (et non tripartite) : le centre libéral contre la droite identitaire.

Fort heureusement, le plan échafaudé par Macron se retourne d’ores et déjà contre lui. Le Rassemblement National est en train de passer des alliances avec des membres de LR, dont son Président Éric Ciotti. Surtout, et malgré les querelles passées, les partis de gauche semblent en voie de s’unir dans un « Nouveau Front Populaire ». Là est le coup de théâtre auquel Macron ne s’attendait pas ! Il n’y a qu’à voir les réactions ulcérées des journalistes vedettes pour comprendre que tout le petit monde parisien n’avait pas anticipé un tel revirement de situation.

Dès lors, si l’élargissement du camp présidentiel est impossible, c’est à un carnage électoral qu’il doit se préparer, avec la perte de très nombreux députés à l’Assemblée. Dans cette bataille opposant trois pôles distincts (gauche unie, centre libéral et droite identitaire), c’est le camp macroniste qui se retrouve en situation de se faire broyer. On comprend pourquoi la Présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, et le Premier ministre, Gabriel Attal, s’étaient tous deux montrés extrêmement réticents à l’idée de la dissolution…

Et c’est là qu’on en arrive à l’essentiel. Ce qui se joue sous nos yeux est le fruit de dynamiques profondes et structurelles face auxquelles les petites combines électorales et d’appareils deviennent dérisoires. La situation politique actuelle est l’aboutissement de politiques économiques et sociales inégalitaires menées depuis plus de quarante ans par les partis de droite et de gauche qui ont conduit au déclin du pays et à l’abaissement du niveau de vie des citoyens. Emmanuel Macron aura été l’ultime représentant de cette caste incompétente, mais sûre d’elle-même, incapable de la moindre remise en question. Pendant toutes les années où il aura gouverné, il n’aura eu de cesse que d’écraser les petites gens, de brutaliser les manifestants et d’humilier la France sur la scène internationale.

Tous ces actes ne pouvaient indéfiniment rester impunis. On ne fait pas la réforme des retraites malgré l’opposition de plus de 90 % des actifs sans conséquences. On ne mène pas une politique au seul profit des ultra-riches sans en payer l’addition. On ne malmène pas ainsi un pays entier pendant des années sans qu’à un moment il ne vous mette à la porte. Ce que Macron et son camp sont sur le point de recevoir, c’est la sanction d’une politique injuste et inefficace associée à une communication méprisante et arrogante. C’est le moment de passer à la caisse. Il était temps !

La France est à un tournant de son histoire

Si le sort du macronisme est désormais scellé, celui de la France ne l’est pas. Loin de là. Notre pays entre dans un moment décisif, puisqu’il va devoir choisir entre s’abandonner à l’extrême droite ou s’en remettre à l’union des gauches.

Il n’est pas certain que les élections législatives qui viennent permettent de trancher clairement la question, car il est possible qu’aucun de ces deux camps n’obtienne de majorité absolue à l’Assemblée nationale. Le pays se retrouverait alors en situation de blocage, incapable de constituer un gouvernement, ce qui serait historique sous la Ve République.

Toujours est-il qu’aujourd’hui et pour les années qui viennent, les Français vont devoir choisir entre un projet égalitaire et émancipateur d’un côté, et un projet identitaire et réactionnaire de l’autre. Soyons clairs afin d’éviter tout malentendu.

S’il s’agit d’augmenter les salaires, d’obtenir de meilleures conditions de travail, d’abroger la réforme des retraites, d’acquérir de nouveaux droits sociaux en matière d’assurance maladie et d’assurance chômage, d’améliorer la qualité des services publics, c’est vers la gauche unie – malgré toutes les critiques légitimes qu’elle mérite – qu’il faut se tourner.

S’il s’agit de se lancer dans une aventure violente consistant à pourrir la vie des autres sans que cela ne change positivement la sienne – car même sur l’insécurité il échouera – c’est pour le Rassemblement national qu’il faut voter. Que soient prévenus tous ceux qui pensent qu’en votant pour le parti de Marine Le Pen, ils amélioreront leur propre vie : ils seront les dindons de la farce, les cocus de l’histoire.

L’extrême droite trahira ses électeurs, car elle a déjà pactisé avec la classe dominante, en renonçant à toute rupture avec l’Union européenne et l’OTAN. Il n’est donc pas très étonnant que Jordan Bardella ait d’ores et déjà rétropédalé sur la réforme des retraites en renonçant à l’abroger en cas d’accession au pouvoir. Demain, ils rétropédaleront sur tout le reste comme Georgia Meloni en Italie a renoncé à toutes ses promesses de campagne, même sur l’immigration. Tout est déjà écrit. Le Rassemblement national, c’est comme le macronisme en un peu plus raciste.

La France vaut mieux que cela.

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