Alors que les discours sur une Europe fédérale et les volontés d’instaurer un gouvernement mondial fleurissent, Marie-France Garaud, dans Impostures Politiques (2010), met en lumière les véritables désirs souverainistes des États d’Europe et du monde (Allemagne, États-Unis, Russie, Chine), qui cherchent uniquement à sauvegarder leurs intérêts nationaux.

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publié le 24/05/2024 Par Élucid
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L’auteur appelle la France à suivre cette tendance et à cesser d’abandonner à d’autres États ou à des organisations supranationales des secteurs politiques qui dépendent de l’adhésion populaire et doivent ainsi être dirigés par le principe de la souveraineté nationale.

Ce qu’il faut retenir :

Les États qui prospèrent sont ceux qui font primer leurs propres intérêts nationaux sur l'idéologie. Là où la France s'investit dans le projet européen au détriment de son économie et de sa souveraineté, l'Allemagne veille quant à elle à ses propres intérêts. Pourtant, malgré tous les intérêts que l'Allemagne retire de l'Europe, elle ne risquera pas pour autant la perte de sa souveraineté, étroitement protégée par la Cour de Karlsruhe.

Outre l'imposture européenne, la source de l'affaissement français provient de la désynchronisation de la pratique du pouvoir avec l'adhésion du peuple.

C'est en tant qu'États souverains et soucieux de leurs intérêts nationaux, que la Russie et la Chine se sont redressées. Désormais, face à l'hégémonisme américain, la Chine et la Russie, soutenues par le monde eurasiatique, prônent un Nouvel Ordre mondial multipolaire fondé sur le strict respect du droit international.

Biographie de l’auteur

Grande figure de la vie politique française entre les années 1970 et 1990, Marie-France Garaud, née en 1934, est une femme politique française gaulliste. Elle fut conseillère de Georges Pompidou de 1967 à 1974, lorsque ce dernier occupait la fonction de Premier ministre puis de Président de la République. Elle aida également à lancer la carrière de Jacques Chirac.

Candidate malheureuse aux élections présidentielles de 1981, puis aux législatives de 1986, elle s'engage contre le Traité de Maastricht en 1992 au côté de Philippe Séguin et Philippe de Villiers et contre la Constitution européenne en 2005. Elle est élue députée européenne de 1999 à 2004, sur la liste du Rassemblement Pour la France.

Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.

Synthèse de l’ouvrage

I. Les ambiguïtés de la construction européenne

La construction européenne est caractérisée par une double imposture qui a permis, d’une part, le renforcement de la souveraineté de l’Allemagne – processus en cours depuis 1948 – et, d’autre part, la dilution de celle de la France.

En effet, en juillet 1945, la conférence de Postdam actait la disparition de l'Allemagne et la partition de son territoire ainsi que de sa capitale, Berlin, en quatre secteurs entre l'URSS, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Cependant, dès lors que l’URSS refusa l’aide du Plan Marshall et que l’armée rouge ne montrait aucune intention de se retirer des territoires libérés, les relations entre les Alliés et l’URSS se détériorèrent rapidement. L’URSS comptait profiter des évènements pour repousser plus à l’ouest les limites de ses frontières. Face à elle, les États-Unis, également, cherchaient à constituer un empire fondé sur les accords de Bretton Woods et sur la domination du dollar. Chaque État fut alors invité à choisir derrière quelle puissance il désirait se ranger.

Il devint rapidement indispensable aux yeux des États-Unis et des Alliés de créer un bloc occidental afin de contenir l'hémorragie communiste qui déferlait sur l'Europe de l'Est. À cette fin, l'Allemagne devait servir de barrière par sa réunification et sa remilitarisation. Le 20 juin 1948, les trois secteurs allemands des « Alliés » créèrent tout d'abord un espace monétaire commun doté du Deutschemark. Quelques mois plus tard, était officiellement créée la République Fédérale Allemande, dont la capitale se trouvait à Bonn. La Loi Fondamentale, promulguée à cette occasion le 23 mai 1949, anticipait d'ores et déjà la réunification intégrale de l'Allemagne au sein de la structure fédérale qui venait d'être érigée à l'ouest.

Cependant, la réunification tardait à se produire, et, lorsque le mur de Berlin s’effondra le 9 novembre 1989, l’évènement était inattendu. Quelque temps plus tôt, le chancelier de la RDA, Hans Modrow, avait néanmoins remis sur la table des négociations l'ancien projet des années 1950 d'un rapprochement des deux Allemagne au sein d'une Communauté contractuelle d'intérêts. L'objectif était alors pour l'URSS d'obtenir un contrôle partagé de cette zone avec l'Occident afin d'éviter une réunification intégrale de l'Allemagne, qui aurait immanquablement fait retomber le pays sous influence américaine. Pourtant, après la chute du mur, une réunification complète fut décidée, notamment grâce au chancelier Helmut Kohl, qui comprenait l’importance, pour les États-Unis, du maintien l’Allemagne dans l’OTAN. Dans sa déclaration en Dix Points du 28 novembre 1989, Kohl a réussi à faire accepter la réunification à Modrow. RDA et RFA s'engageaient dans un processus d'union, au sein d'une Communauté contractuelle d'intérêts, en vue d'aboutir à une réunification. Malgré l'hostilité de Margaret Thatcher et de François Mitterrand, la réunification fut officialisée le 12 septembre 1990, à l'aube des négociations sur l'Union Européenne.

La construction européenne qui débutait alors voyait s’opposer deux visions, issues de conceptions fondamentalement différentes de la souveraineté nationale – l’une allemande, l’autre française.

La première différence fondamentale concerne la question des frontières. Dès le Traité de Verdun en 843, la Francie occidentale, qui devint plus tard la France, bénéficiait d'une délimitation topographique de son territoire. À l'inverse, la Francie Orientalis, qui fut le noyau de l'empire germanique, ne disposait d'aucune frontière naturelle. Cette simple différence géographique encouragea les peuples germaniques à se lancer dans une quête des limites naturelles de leur territoire – quête qui fut sans fin.

Pendant que la France, sous Philippe Le Bel, se construisait en État « souverain » sur un territoire défini, la Germanie s’organisait comme un empire, le Saint-Empire Romain germanique, sans frontière fixe. En effet, dans un empire, la cohésion des provinces et royaumes qui le composent repose sur l’existence d’une dynamique d’expansion, c’est-à-dire de conquêtes. Ce faisant, la Germanie n'eut jamais l'occasion, comme la France, de structurer durablement la souveraineté de l'État à travers une nation unie et un territoire déterminé. Aujourd'hui encore, l'Allemagne demeure une entité fédérale regroupant des provinces politiquement distinctes. La France a également connu des phases d’expansion, mais ces dernières n’étaient pas indispensables à sa survie en tant qu’entité politique. Elles permettaient l’expression de la « vocation universelle » de la France, une extension d’elle-même en dehors de son territoire, mais pas une condition de son existence.

L'idée d'Europe éveillait ainsi des aspirations antithétiques entre ces deux pays. Pour l'Allemagne, il s'agissait d'une voie pour se construire en tant qu'État, à travers une structure « unie dans sa diversité » autour d’elle, à l’instar de l'empire germanique. Il était, de ce fait, primordial que la réunification allemande se réalise parallèlement à la construction européenne afin de pouvoir inspirer les principes par lesquels elle se trouverait au centre de cette structure, avant que le poids de l'Allemagne réunifiée n'effarouche ses partenaires européens. Pour la France, au contraire, l'idée d'Europe était un moyen d'étendre au niveau européen des idées socialistes chères à ses dirigeants de l'époque.

Dans cette optique, dès novembre 1989, Helmut Kohl insista pour une accélération du calendrier de création de l'UE, car cela revêtait pour l'Allemagne une « grande importance pour des raisons de politique intérieure ». Les 27 et 28 avril 1990, Kohl et Mitterrand se rencontrèrent et convinrent ainsi d'une part de l'extension de la RFA à la RDA selon les modalités prévues par la Loi Fondamentale de 1949, d'autre part de la création d'une union politique parallèlement à l'Union Économique et Monétaire et enfin de l'établissement d'un programme d'intégration destiné à élargir l'UE aux États de l'ancienne sphère d'influence germanique. Peu de temps avant la signature définitive du Traité de Maastricht les 9 et 10 décembre 1991, l'une des ébauches du texte avait évoqué explicitement la vocation fédérale de l'Union, exprimant ainsi pour la première fois, la finalité, supputée par de nombreux acteurs et pudiquement dissimulée par le jargon européen. Bien que le terme fût finalement écarté, l'essence du Traité de Maastricht représentait ainsi bel et bien une victoire dissimulée pour l'Allemagne réunifiée de Kohl.

La multiplicité des ambiguïtés et équivoques contenues dans le Traité de Maastricht ainsi que la dissimulation de ses véritables finalités et modes de gouvernement ont également permis de camoufler les nombreuses inconstitutionnalités de ce Traité pour la France, constituées notamment par de nombreux transferts de souveraineté. Cette démarche de dissimulation s’est poursuivie lorsqu’il a fallu modifier la Constitution française, préalablement à la ratification du Traité : au lieu de modifier les articles incompatibles avec le Traité, un nouvel article stipulant la participation de la France à l’UE a été ajouté. Cette procédure a été répétée avec le Traité de Lisbonne de 2007.

Si l’Europe servit à l’Allemagne d’instrument d’affirmation de son existence en tant qu’État, cette dernière veilla pourtant à ce qu’aucune évolution ultérieure ne vienne porter atteinte à sa propre souveraineté. Selon la Loi Fondamentale de 1949, l'Allemagne dispose en effet d'un cadre juridique très différent de celui de la France. En Allemagne, à l'inverse de la France, ce sont les juges, pas le Président, qui sont garants de la Constitution. Par ailleurs, la souveraineté de l'Allemagne, qui repose sur le peuple, s'exprime tant dans les länder qu’à l’échelle fédérale. L'Allemagne s'organise ainsi en République fédérale, où chaque länder possède sa propre Constitution et des institutions qui lui sont propres. Chacun envoie alors des députés au Bundesrat, lequel élit le Chancelier. De cette manière, la volonté des élus allemands ne peut porter atteinte à la Constitution, cette dernière étant garantie par les juges.

En juin 2009, la Cour Constitutionnelle Fédérale fut saisie pour se prononcer sur une question concernant l’Union européenne. Dans cet arrêt, la Cour réaffirmait que l’UE était une « union contractuelle d’États souverains ». La durée de cette union est ainsi indéterminée et cette dernière peut être rompue à tout moment, dès lors qu’elle ne respecterait plus ses engagements (par exemple : assurer la stabilité monétaire). Par conséquent et parce qu’il n’existe pas de peuple européen uni, l'UE ne peut fonder sa légitimité que sur les structures démocratiques nationales. De cette manière, la Cour Constitutionnelle a défendu la souveraineté allemande – position très différente de celle choisie par la France. Depuis 1992, la France semble se complaire dans des relations manifestement déséquilibrées en faveur de l'Allemagne, en fuyant cette réalité malheureuse. Aussi, alors même que la population, pressentant ce jeu de dupes, rejetait le Traité instaurant une Constitution européenne, la France préféra trahir sa population plutôt que d'imposer un temps d'arrêt à l'engrenage européen. Depuis ce jour, l'UE n'a cessé de perdre en légitimité.

II. Aux sources de l'affaissement français

Selon Baptiste Duroselle, cette attitude de soumission systématique à une puissance étrangère caractérise la France depuis 1932, en excluant la période sous les Présidents de Gaulle et Pompidou. En effet, dès les années 1930, la France fait preuve d’une grande lâcheté vis-à-vis du parti nazi en Allemagne. Elle courbe l’échine en acceptant une diminution des réparations (Plan Dawes). La France de la IIIe République et notamment durant les années 1930 présentait en effet une grande instabilité politique. Incapables de mener à bien des politiques d'envergure pour contrer le piétinement par l'Allemagne du Traité de Versailles, les gouvernements successifs ne purent empêcher le camouflet que représenta la remilitarisation de la Rhénanie.

Toutefois, cet affaissement français n'est pas indépendant de l'émergence du parti démocrate-chrétien, d'où est issu, en partie, le projet européen. Cette doctrine, née au XIXe siècle avec pour devise « Dieu et la liberté », connut une renaissance politique durant les années 1920 grâce à l'intervention du Pape Benoit XV pour réconcilier les Français, les Allemands et les Italiens. Il réunissait alors des personnalités telles que Konrad Adenauer, Robert Schuman ou Alcide de Gasperi. Ce parti reposait sur les principes du catholicisme libéral, selon lequel l'humain est plus important que l'État. D'après cette doctrine, toute chose (institutions, lois ou corps social) devait s'organiser autour de l'individu. Consciemment ou inconsciemment, les artisans de l'UE, principalement issus de ce parti, cherchèrent dans le projet européen un moyen de supplanter l'étiolement inéluctable de l'État qui découlait de cette doctrine.

Les rêves pacifistes et « anti-nations » furent cependant bien vite rattrapés par la réalité des relations humaines et internationales. À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, ce fut encore en faisant vibrer la fibre nationale et en faisant appel au patriotisme de la population française que le Général de Gaulle parvint à rassembler un peuple profondément divisé pour libérer et redresser le pays. Sa mission de sauvetage accomplie, et les hommes ne s'étant pas bonifiés par la guerre, les querelles politiciennes reprirent leur cours et le Général se retira. Le parti de la Démocratie chrétienne ne fut pas découragé par son échec initial. Il ressuscita après la guerre sous la forme du Mouvement Républicain Populaire (MRP). L'un de ses membres, Robert Schuman, fut présent dans presque tous les gouvernements d'après-guerre. Ce dernier était alors « l'homme de main » de Jean Monnet.

Jean Monnet avait connu une ascension fulgurante durant sa jeunesse et s'était créé un réseau international particulièrement apprécié par les gouvernements américains. Ancien conseiller de différents chefs d‘État, il était membre d'une organisation américaine (un « think tank ») très influente : le Council of Foreign Relations. La doctrine défendue par cette organisation reposait sur la croyance selon laquelle l’intégration économique des nations et les transferts de souverainetés en découlant devaient garantir la paix entre elles. Homme de l'ombre par excellence, Jean Monnet œuvra pour cet objectif tout au long de la guerre puis de la reconstruction : il fallait empêcher les États de se reconstituer en tant que nation. Il perçut ainsi le Général de Gaulle comme une menace et, en 1943, lorsqu’il fut dépêché à Alger par Roosevelt, il décrit le Général de Gaulle comme une force hostile qu’il fallait impérativement éliminer, pour le salut du projet d’intégration économique. Schuman, en s’appuyant sur les partis politiques appropriés (MRP et SFIO notamment), donnait au mouvement un vernis social et humaniste.

La première œuvre concrète de Monnet consista dans la mise en commun du charbon et de l'acier au niveau européen. Proposé au grand jour dans le discours de Schuman du 9 mai 1950, le Traité de Paris fut signé le 18 avril 1951. Jean Monnet s'attribua le Secrétariat Général et établit la première représentation de la CECA à l'étranger, à Washington. Washington en parallèle, ayant déjà hâté la reconnaissance de la RFA, faisait pression pour le réarmement de l'Allemagne. Encouragé par le succès de la CECA, Monnet rédigea donc un Plan intitulé plus tard « Plan Pleven ». Ce dernier consistait à créer une armée européenne intégrée à l'OTAN, au sein d'une Communauté Européenne de Défense, selon la même structure institutionnelle que la CECA. Ce Plan organisait un transfert de souveraineté sur des pans extrêmement stratégiques de la défense française (notamment concernant le nucléaire). Si le projet fut accepté par le Conseil des ministres en 1950, plus tard, en 1954, le Parlement français le rejeta. En revanche, les États européens acceptèrent le réarmement de l'Allemagne à l'automne suivant et la reconstitution de son armée nationale.

Malgré ces tentatives d'intégration, le Général de Gaulle, de 1944 à 1946 puis de 1958 à 1969, œuvra pour rétablir l’indépendance et la souveraineté de la nation. Il rétablit le prestige de la France sur la scène internationale. Ainsi, en 1945, il créa le Commissariat à l'énergie atomique qui fit de la France une puissance militaire de premier plan pour le siècle suivant. Par la suite, il quitta le commandement intégré de l'OTAN afin d'assurer l'indépendance de la France et de renforcer ses relations diplomatiques avec le reste du monde, notamment avec la Russie et la Chine. Enfin, il instaura la Constitution de la Ve République qui plaçait le peuple comme la source directe de la légitimité politique du chef de l'État. Sa démission en 1969 après le rejet par référendum de la voie politique qu'il proposait, témoigne ainsi de la valeur qu'il accordait à l'adhésion du peuple pour justifier du pouvoir présidentiel.

La force de cette Constitution commença à se détériorer lorsque l'adhésion du peuple fut peu à peu déconnectée de l'exercice du pouvoir. Cette boîte de Pandore fut ouverte en 1978. Alors que les élections législatives à venir menaçaient de lui être défavorables, le président Valéry Giscard d'Estaing déclara qu'il avait l'intention de demeurer en fonction même si l'opposition remportait les élections. Théorisé par Edouard Balladur en 1983, le principe de la cohabitation fut finalement repris et mis en pratique par Mitterrand en 1986, après l'échec du PS aux législatives. Dès lors, le Président pouvait gouverner sans légitimité démocratique. Ce faisant, il n'y avait pas loin à ignorer le résultat d'un référendum, comme l'illustre le fameux évènement de 2005, qui s'est traduit par la trahison de 2007 avec le Traité de Lisbonne.

III. La roue tourne

Si, à la faveur de l'effondrement de l'URSS, les États-Unis se congratulèrent d'exercer une domination hégémonique sur le monde, cette situation fut temporaire. En 1985, après les décès prématurés de plusieurs Secrétaires Généraux du Comité Central, Mikhaïl Gorbatchev arriva au pouvoir. Ce dernier engagea le processus, dit de la « perestroïka », pour instaurer une « nouvelle façon de penser ». Le coup d'arrêt porté à l'industrie de l'armement à partir de 1987 provoqua l'effondrement de l'économie, laquelle était engagée par ailleurs dans un processus d'ouverture sur l'extérieur. En matière politique, Gorbatchev créa un Parlement en 1989 et autorisa le pluralisme politique qui amena au pouvoir le libéral Boris Eltsine en 1990.

Eltsine mit en place une économie de marché libérale et procéda à de nombreuses privatisations sans période de transition. En peu de temps, la Russie assistait à une décomposition de l'État, de l'armée et la prolifération de scandales mettant en lumière le règne des oligarques russes. En parallèle cependant, l'image occidentale se dégrada. Eltsine était soupçonné d'appliquer des mesures dictées de l'extérieur. Par ailleurs, de nombreux hommes politiques russes désapprouvaient l'impunité américaine :

« Alors que les Russes ont dissous spontanément le Pacte de Varsovie et adhéré au Partenariat pour la paix proposée par l'OTAN aux ex-membres du bloc soviétique, ils n'apprécient pas la rupture, par l'administration Clinton, des accords par lesquels Moscou et Washington s'étaient interdit de construire des boucliers anti-missiles, pas davantage la célébration des avancées de l'OTAN vers l'Est. »

En 1998, la crise économique entraina une réorientation radicale de l'économie russe, initiée par Evgueni Primakov et continuée par Vladimir Poutine. La souveraineté de la Russie fut rétablie et l'objectif principal redevint la poursuite de ses intérêts nationaux ainsi que le renforcement de sa place dans le monde post-soviétique. Il ne s'agissait alors plus de rechercher l'approbation de l'Ouest, mais de se tourner vers l'Asie, en particulier vers la Chine, l'Inde et l'Iran.

Pour autant, l'Allemagne maintint des relations commerciales et diplomatiques privilégiées avec la Russie (et plus largement avec l'Asie), un allié traditionnel depuis le Traité de Rapallo de 1922. Par ce Traité, l'Allemagne humiliée par le Traité de Versailles avait trouvé un allié secret dans l'URSS de Lénine en matière militaire. En échange d'un renoncement mutuel aux dettes contractées l'un envers l'autre durant la Première Guerre mondiale, l'Allemagne fournissait son expertise technique à l'armée rouge tandis que cette dernière lui permettait de s'entrainer en territoire soviétique et de tester les armes interdites par le Traité de Versailles. Ces liens ne cessèrent de se renforcer jusqu'au 22 juin 1941, lorsqu'à la stupéfaction générale, Hitler envahit l'URSS. Aujourd'hui encore, l'Allemagne veille, plus que tout autre, à ses intérêts nationaux. Par exemple, en dépit du projet européen, c'est tout naturellement que Siemens se retira d'Areva pour s'engager dans le développement de l'industrie atomique russe ou bien que Berlin s’opposa au projet de construction du pipe-line Nabucco en raison d'une concurrence probable avec Nord Stream 1.

La Chine, quant à elle, sut parfaitement bien user du jeu de la mondialisation par lequel on la considérait comme un simple atelier du monde. Comme la Russie, à force de patience et d'une grande acuité de ses intérêts nationaux, la Chine sut récupérer sa place d'empire millénaire. Empire relativement ignoré jusqu'au XIXe siècle, la Chine fut réellement confrontée aux puissances occidentales lors des deux guerres de l'opium déclenchées par l'interdiction chinoise de consommer de la drogue, un commerce notamment détenu par la famille Roosevelt. Ces deux défaites chinoises aboutirent au démantèlement de l'empire et ouvrirent une période particulièrement mal vécue par le peuple chinois, qu'il nomme d'ailleurs le « siècle de la honte ». Dans un tel contexte, la reconnaissance de la République Populaire de Chine et le rétablissement de relations purement diplomatiques avec elle, initiée par le Général de Gaulle en 1964 envoyèrent un signal symbolique fort aussi bien pour cet État que pour le reste du monde. Ce geste fut par la suite imité par Nixon, bien que les dirigeants chinois demeurassent sceptiques quant au désintéressement affiché des États-Unis, notamment au sujet de Taiwan.

Si certains espéraient que l'effondrement de l'URSS entrainerait celui du Parti Communiste chinois (PCC), l'administration de la Chine par le PCC s'inscrit dans une tradition millénaire de régulation stricte du développement, qui permit d'assurer la stabilité et donc la pérennité de l'Empire chinois à travers les siècles. Passant tour à tour d'une économie strictement planifiée à ouverte ou interventionniste, la Chine a accumulé de nombreuses expériences économiques. De sorte que, même si elle organisa un contrôle étroit de l'économie à partir de 1949, puis procéda depuis son entrée dans la mondialisation à une ouverture de ses marchés, qui lui assurèrent des taux de croissance très corrects, le monde occidental n'est pas à l'abri que la Chine décide, pour le bien national, de réintroduire un jour ou l'autre des politiques de régulation et de fermeture partielle de son économie. En effet, la Chine, comme la Russie, cherche avant tout à se mettre « hors de portée » en assurant ses intérêts vitaux (alimentation, ressources, défense, technologie, espace…).

Unis dans cette même démarche, ces deux États ont multiplié les Traités et accords stratégiques depuis 1985. En 2001, ils officialisaient cette alliance à travers le « Traité de bon voisinage, d'amitié et de coopération », scellé pour vingt ans entre Vladimir Poutine et Jiang Zeming. L'objectif était de créer un nouvel ordre mondial multipolaire fondé sur le strict respect du droit et des conventions internationales, sans ingérence, afin d'instaurer une stabilité mondiale juste et rationnelle. Il s'agissait également de s'opposer à l'extension de l'OTAN, mais aussi à l'hégémonie américaine.

En parallèle fut fondée, la même année, l'Organisation de Coopération de Shanghai qui regroupe aujourd'hui la quasi-totalité de l'Asie centrale et orientale. Cette structure, opérant principalement dans les domaines politiques et économiques, s'est également développée pour répondre aux menaces terroristes, extrémistes et séparatistes tendant à déstabiliser cette région.

Les lieux de pouvoir se sont ainsi progressivement déplacés d'Ouest en Est comme l'a clairement révélé la démarche occidentale visant à demander l'aide financière de la Chine après la crise de 2008. Or, alors que l'Eurasie regroupe les lieux de pouvoir, les ressources, les puissances militaires, les lieux de production, la technologie et la main-d'œuvre, il appartient aux dirigeants français de cesser de s'illusionner et de faire preuve de lucidité afin de mettre en valeur les atouts dont le pays dispose, au risque de disparaître. Depuis trop longtemps, les hommes politiques français abandonnent à d'autres (pays ou organisations supranationales) la conduite de la politique, censée être nationale, et de la diplomatie.

Le « politique » est ainsi écarté au profit de la seule économie, laquelle ne se résume plus qu'à une simple gestion économique empirique de l'État, selon des critères statistiques, de productivité et de rentabilité. Le politique ayant ainsi été vidé de sa substance philosophique, morale, voire religieuse, les « valeurs » mêmes, au nom desquelles on justifie en désespoir de cause cette gestion technocratique de l'économie, perdent, in fine, elles aussi, tout leur sens. Le pouvoir politique s'étiole, l'État se délite, mais ne meurt jamais.

Avec la patience d'une nation millénaire, il attend son redressement, qui « […] surgira de la passion de ceux qui, sans se lasser, sauront guetter le moment où tout devient possible, afin de réveiller l'esprit d'un peuple abandonné. »

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