Le « monde d’après » le Covid est bien loin des promesses : les consommateurs ont désormais le moral au plus bas dans tout l’Occident, ce qui entraîne une baisse de confiance pour les entreprises. Une bascule vers une baisse de la production industrielle de l'économie est actuellement enclenchée dans beaucoup de pays, dont la France, et celle-ci ne sera hélas pas sans conséquences pour nos emplois et nos salaires. Comme le déficit public gigantesque en France ne peut plus être maintenu, « l'argent magique » dilapidé par le gouvernement ne va très bientôt plus pouvoir camoufler les problèmes en cours. Explications.

publié le 30/05/2024 Par Olivier Berruyer

1- Une confiance du consommateur morose
2- De sombres perspectives pour le climat des affaires
3- L'indice PMI en repli, surtout dans l'industrie
Ce qu'il faut retenir


Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.

Le PIB reste un indicateur majeur de l’activité économique. Il mesure la valeur de la production d’un pays, mais également celle des revenus avec, en premier lieu, les salaires perçus. De ces notions découle logiquement l’évolution du chômage, du pouvoir d’achat, de la pauvreté, etc. Anticiper l’évolution de l’activité économique est donc particulièrement important pour chacun d'entre nous. Pour cela, il est possible d’utiliser différents indicateurs avancés, que nous allons analyser dans cet article.

L’indice de confiance du consommateur reste morose

L’indice de confiance du consommateur permet de visualiser le « moral des ménages », à partir de sondages d’opinion. Un indicateur supérieur à 100 signale un « optimisme » des consommateurs envers la situation économique future, ce qui entraîne généralement une baisse de l’épargne et une volonté de dépenser de l'argent pour des achats importants au cours des 12 prochains mois. Cela présage souvent d’un meilleur climat économique à venir. En revanche, les valeurs inférieures à 100 indiquent un pessimisme envers l’avenir, qui entraîne souvent une tendance à épargner davantage et à dépenser moins, ce qui s'avère mauvais pour l’emploi et les salaires.

En France, la confiance du consommateur – qui avait pourtant rapidement rebondi en 2021 après la chute liée à la crise du Covid – reste morose depuis le retour de l’inflation et la guerre en Ukraine. Alors qu’un plus bas a été atteint en septembre 2022 – inconnu depuis 40 ans – l’indice est à peine remonté et il redescend depuis quelques semaines, à un niveau qui n’a pas été atteint depuis 10 ans. C’est le signe que l’économie est bien loin d’être sortie de la crise.

Indice de confiance du consommateur en France, 1970-2024Indice de confiance du consommateur en France, 1970-2024 Indice de confiance du consommateur en France, 2015-2024Indice de confiance du consommateur en France, 2015-2024

Ceci est inquiétant, car un tel moral des ménages ne peut qu’entraîner un niveau de consommation très bas. Et ceci va probablement maintenir la croissance à des niveaux très bas également– si cela n’entraîne pas une récession – dans les prochains trimestres.

Plus en détail, on note que les consommateurs sont toujours plus pessimistes sur l’évolution du pays que sur celle de leur situation personnelle. Les opinions sur ces deux situations, passées comme futures, restent malgré tout pessimistes, et en dégradation.

Soldes d'opinion sur la situation financière personnelle et le niveau de vie, 2005-2024Soldes d'opinion sur la situation financière personnelle et le niveau de vie, 2005-2024

Comme souvent, le moral du consommateur français est proche de celui du consommateur allemand. Les deux restent nettement pessimistes. La différence,  c'est que l’Allemagne est entrée en récession il y a maintenant un an, en raison des problèmes énergétiques que connaît ce pays. La France devrait logiquement connaître la même situation, mais notre calamiteux gouvernement a préféré générer d'immenses déficits (voir cet article sur le budget de l’État en France) qui, certes, ont un peu amorti la crise, mais dont les énormes charges d’intérêts vont à l’avenir pénaliser nos services publics et mettre le pays encore plus sous la coupe des marchés financiers.

Indice de confiance du consommateur, Allemagne-France, 2007-2024Indice de confiance du consommateur, Allemagne-France, 2007-2024

Dans les autres grands pays européens, la dynamique pour les consommateurs est la même – en léger rebond après une forte baisse –, seuls les niveaux changent : l’Italie a un moral proche de la neutralité, ceux du l’Espagne et du Royaume-se situent à des niveaux proches de celui de la France et de l’Allemagne.

Indice de confiance du consommateur, Royaume-Uni-Italie-Esapgne, 2007-2024Indice de confiance du consommateur, Royaume-Uni-Italie-Esapgne, 2007-2024

Le même mouvement a également lieu en Belgique aux Pays-Bas et en Suisse, mais la confiance reste cependant à un niveau très bas en Suisse.

Indice de confiance du consommateur, Belgique-Pays-bas-Suisse, 2007-2024Indice de confiance du consommateur, Belgique-Pays-bas-Suisse, 2007-2024

La confiance des consommateurs américains a globalement suivi celle des consommateurs européens depuis la crise des subprimes ; les deux sont en amélioration, mais restent actuellement dans un relatif pessimisme.

Indice de confiance des consommateurs aux États-Unis et en Europe, 2007-2024Indice de confiance des consommateurs aux États-Unis et en Europe, 2007-2024

La situation est très différente en Chine, où le pessimisme des consommateurs reste à des niveaux abyssaux – la Chine remporte même la palme du pessimisme des grands pays –, ce qui va probablement poser de graves problèmes économiques à Pékin. La situation est meilleure au Japon, mais le moral reste dans un pessimisme qui s’éternise depuis 6 ans.

Indice de confiance des consommateurs de la Chine et du Japon, 1998-2024Indice de confiance des consommateurs de la Chine et du Japon, 1998-2024

Les consommateurs mondiaux restent donc généralement dans un état d’esprit pessimiste. Mais qu'en est-il des entreprises ?

La confiance des entreprises reste neutre mais les perspectives sont sombres

Tout comme l’indice de confiance du consommateur sonde le moral des ménages, l’indice du climat des affaires évalue la confiance des entreprises à partir de sondages. Il permet donc d’anticiper leurs futures embauches et investissements.

Contrairement à celui des consommateurs, le moral des entreprises françaises n’est pas à un plus bas historique, il est même à un niveau moyen, un peu supérieur à 100, donc proche de la neutralité.

Indice de la confiance des entreprises en France, 1985-2024Indice de la confiance des entreprises en France, 1985-2024 Indice de la confiance des entreprises en France, 2015-2024Indice de la confiance des entreprises en France, 2015-2024

L’Insee calcule d’ailleurs un indicateur de retournement, qui tente de détecter le plus tôt possible le moment où la conjoncture se retourne. Il évolue entre +1 et -1 : un point très proche de +1 (respectivement de -1) signale que l'activité est en période de nette accélération (respectivement de nette décélération). Et justement, cet indicateur vient de très brutalement s’inverser : un mauvais signe pour l’activité économique des prochains mois.

Indicateur de retournement en France, 2000-2024Indicateur de retournement en France, 2000-2024

Ce pessimisme frappe particulièrement le commerce de gros. Le moral dans l’industrie et les services est également en baisse depuis février 2022. Le moral du commerce de détail a connu un brutal retournement durant l’été 2023, autre signe inquiétant venant des professionnels le plus en contact avec les consommateurs. Celui du bâtiment se dégrade également depuis quelques mois, en raison des problèmes actuels du secteur immobilier.

Indice de la confiance des entreprises en France, 2015-2023Indice de la confiance des entreprises en France, 2015-2023

Conséquence hélas logique de cet état d’esprit, le climat de l’emploi – c’est-à-dire l’opinion des entreprises sur la tendance récente et à venir des effectifs dans leur entreprise – est également en net repli. Ceci est cohérent avec la hausse actuelle du chômage que nous avons analysée.

Climat de l'emploi en France, 2000-2024Climat de l'emploi en France, 2000-2024

Chez nos grands voisins, le climat des affaires est cohérent avec celui des consommateurs : orientée à la baisse en Italie et en Allemagne. Le climat vient cependant de repasser dans un léger optimisme au Royaume-Uni.

Indice de confiance des entreprises, Royaume-Uni-Italie-Allemagne, 2007-2024Indice de confiance des entreprises, Royaume-Uni-Italie-Allemagne, 2007-2024

La Belgique et la Suisse connaissent un net pessimisme, en cohérence avec la confiance du consommateur.

Indice de confiance des entreprises, Belgique-Suisse, 2007-2024Indice de confiance des entreprises, Belgique-Suisse, 2007-2024

Au Japon, la confiance des entreprises est stable, proche du pessimisme. En Chine, les entreprises restent évidemment pessimistes, en raison du niveau au plus bas de la confiance des consommateurs chinois.

Indice de confiance des entreprises, Japon-Chine, 2007-2024Indice de confiance des entreprises, Japon-Chine, 2007-2024

Terminons enfin par la locomotive économique américaine. Le climat des affaires y évolue comme en Europe, mais sur une base plus pessimiste depuis 2021. Le pessimisme américain a même atteint au printemps 2023, un plus bas inconnu depuis 2008. La confiance est un peu remonté début 2024.

Indice de confiance des entreprises, Zone-euro-États-Unis, 2007-2024Indice de confiance des entreprises, Zone-euro-États-Unis, 2007-2024

Cette tendance américaine à la morosité est confirmée par l’indice national d’activité de la Fed de Chicago, qui est une moyenne pondérée de 85 indicateurs de l’activité économique américaine.

Indice national d'activité de la Fed de Chicago, 1967-2024Indice national d'activité de la Fed de Chicago, 1967-2024

Si cet indicateur reste encore loin du niveau prédicteur d’une récession, on observe bien qu’il est en net repli, signe que l’économie américaine devrait bientôt commencer à ralentir.

L’indice d’activité PMI en repli, surtout dans l’industrie

Terminons par le fameux indice «PMI » (Purchasing Managers’Index) ou indice des directeurs d'achat, qui est un des plus suivis au monde. Il reflète la confiance des directeurs d'achat de près de 30 000 entreprises dans 40 pays. Il a pour intérêt de bien séparer la confiance dans le secteur industriel de celle du secteur des services. En France, l'indice PMI vient de repasser en territoire optimiste, mais l'indice PMI industrie reste à un niveau très faible, proche de ceux de 2009 et 2012.

Indice d'activité PMI des directeurs d'achat en France, 2008-2024Indice d'activité PMI des directeurs d'achat en France, 2008-2024

En Europe, les indices des services sont en zone rouge, mais ceux de l’industrie manufacturière sont très mauvais, et tout particulièrement en Allemagne, conséquence des coûts élevés de l’énergie.

Indice d'activité PMI des directeurs d'achat dans le monde, 2018-2024Indice d'activité PMI des directeurs d'achat dans le monde, 2018-2024

Dans le reste du monde, les indices américains et anglais sont proches de ceux de la zone euro, et les indices chinois sont un peu meilleurs, surtout dans l’industrie. L’industrie mondiale souffre ainsi lourdement dans la plupart des pays.

Indice d'activité PMI des directeurs d'achat en Europe, 2018-2024Indice d'activité PMI des directeurs d'achat en Europe, 2018-2024

Que faut-il retenir ?

La plupart des pays occidentaux connaissent de réelles difficultés économiques, en raison d’une dégradation marquée de la confiance des ménages. La situation est particulièrement inquiétante en France, en Allemagne, au Royaume-Uni, aux États-Unis et encore plus en Chine.

Suivant évidemment le moral des ménages, celui des entreprises connaît les mêmes difficultés. Les indices PMI montrent des secteurs industriels sinistrés par les coûts de l’énergie et des secteurs des services qui n’ont pas retrouvé leurs niveaux antérieurs.

Un tel constat devrait en théorie avoir conduit à une récession. Elle a été, et est toujours, limitée par les énormes interventions publiques, comme en France. Mais comme celles-ci ont été financées à crédit, elles augmentent de plus en plus la dette publique et donc entraînent le versement d’intérêts encore plus élevés, et ce pendant des décennies. Et comme ces interventions commencent à refluer, la dégradation de l’activité économique actuelle devrait donc se poursuivre dans les prochains trimestres, avec des impacts sur l’emploi et les salaires. Nous continuerons donc à suivre ce phénomène de très près.

Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.