La victoire de Trump a largement surpris les analystes et commentateurs : non seulement il a gagné, mais de manière assez fracassante. Pourtant, de nombreux nuages s'étaient amoncelés sur la campagne de Biden et Harris, comme les mensonges autour de la « bonne » santé de Biden ou encore les politiques « va-t-en-guerre » désastreuses en Europe et au Moyen-Orient. Mais plus déterminant encore, la dévastation économique d’une vaste partie de la population américaine, lourdement frappée par la crise inflationniste, a définitivement poussé l’Amérique à se tourner vers Trump. On vous explique tout !
Abonnement Élucid
1- La deuxième victoire de Trump
2- Une folle campagne électorale
3- Des médias très largement biaisés
4- Trump, candidat de l'économie et du pouvoir d’achat
5- Les déterminants du vote Trump ou Harris
6- Comment Trump a gagné en 2024
7- L'argent faiseur de rois – mais pas en 2024
Ce qu'il faut retenir
Après des mois de suspens, le résultat est donc tombé : après un improbable come-back, Donald Trump est réélu président des États-Unis. C’est le deuxième président à avoir obtenu deux mandats non consécutifs (après Grover Cleveland à la fin du XIXe siècle) : il est donc à la fois le 45e et 47e président des États-Unis.
Les médias mainstream connaissent désormais le nom du « nouveau leader du monde libre », et les citoyens de l’Europe (protectorat américain), celui de leur nouveau suzerain. Nous allons aujourd’hui analyser les résultats pour comprendre les raisons de cette victoire.
Rappelons pour commencer que le mode de scrutin présidentiel américain est très particulier. Il est indirect : les électeurs votent pour élire 538 grands électeurs (répartis par État au prorata de la population) qui voteront pour le candidat. De plus, cette élection n’est pas réalisée à la proportionnelle : le candidat qui arrive en tête dans un État y obtient généralement tous ses grands électeurs. C’est donc un mode de scrutin particulier, souvent critiqué, mais il est en réalité plus équilibré qu’il n’y parait, avec une certaine utilité. Si ces généralités sur le mode de scrutin vous intéressent, nous les développons dans cette annexe.
La deuxième victoire de Trump
Donald Trump a donc remporté la présidentielle avec (probablement) 312 grands électeurs, obtenus dans 31 États, contre 226 à Kamala Harris dans 19 États (+ Washington).
En raison des énormes différences de densité aux États-Unis, ce cartogramme des grands électeurs par État donne une vision plus équilibrée que les cartes traditionnelles.
Il n’y a donc pas eu de surprise dans les États hors swing states (= États pivots ou États au résultat serré), et Trump a remporté 7 des 7 swing states, lui assurant une large victoire.
Les sondeurs n’avaient pas anticipé la victoire de Trump dans les États industriels du Wisconsin et du Michigan ni sa forte poussée nationale. Une nette percée républicaine a en effet touché le pays.
Le score obtenu par Donald Trump est au final une vraie surprise. La forte polarisation du pays fait que le Président obtient habituellement, au fil des élections, des scores de plus en plus faibles. Et cela fait plus de 35 ans qu’aucun Président n’a obtenu plus de 70 % des grands électeurs.
Les 50 États américains (+ le district de Washington) se répartissent en une vingtaine de bastions démocrates et une vingtaine de bastions républicains, qui changent très peu d'orientation politique, ainsi que 7 swing states (+ la Floride parfois indécise) où le résultat est serré, et où la couleur du candidat vainqueur change régulièrement. Et 2024 n’a pas fait exception.
Une folle campagne électorale
On pensait Donald Trump coulé après la fin orageuse de son premier mandat, en particulier après que ses partisans aient pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021. En 2023, il a été déclaré coupable d’agression sexuelle sur l’écrivaine E. Jean Carroll dans une affaire civile. En mai 2024, il a été condamné par un tribunal de Manhattan pour 34 chefs d’accusation pour des versements d’argent pour faire taire des gens. Au total, il fait face à 116 inculpations. En conséquence, il a été banni des réseaux sociaux et de l’espace médiatique. Mais tout ceci ne l’a pas empêché de devenir le 47e président des États-Unis.
Alors que les élites médiatiques soutenaient Kamala Harris, il a su s’entourer de personnalités comme Robert Kennedy ou Elon Musk, qui ont su canaliser vers sa candidature la colère d’une grande partie du peuple américain. Cette colère a de multiples racines : les réformes sociétales de Biden, ses mensonges récurrents à propos d’une inflation présentée comme bénigne alors que le pouvoir d'achat des plus pauvres baissait fortement ou encore les méthodes scandaleuses des grands médias pour soutenir Harris (on se souviendra que CBS a tout de même du éditer une de ses interviews pour l’avantager). Alors que les Démocrates dénoncent régulièrement les mensonges de Trump, les électeurs ont largement pu constater que ces derniers mentaient également, en particulier sur la santé de Biden.
Pendant ce temps, Trump a su créer à son avantage de puissants moments politiques, créant des images emblématiques qui l’identifient comme une sorte de « guerrier » auprès de la moitié des Américains.
On peut citer quatre photos emblématiques de cette campagne victorieuse : celle du 24 août 2023, prise dans une prison d'Atlanta, qui l'a fait passer pour une victime politique du pouvoir ; celle du 13 juillet 2024, levant triomphalement le bras en l’air après sa tentative d’assassinat ; celle du 20 octobre, portant un tablier McDonald's et servant des clients pour se moquer d’une remarque de Kamala Harris et envoyer un message fort à la classe ouvrière ; et enfin celle du 30 octobre, moins d'une semaine avant le jour du scrutin, où vêtu d'un gilet orange, il s'est glissé dans un camion poubelle suite à une énième bourde de Biden qui avait qualifié les partisans de Trump de « déchets ». Ce dernier point a permis à Trump de montrer qu’il était attaqué au motif que les Démocrates détestaient ses partisans.
Dans un système politique de plus en plus polarisé où les gens se détestent (en 1960, environ 5 % des sondés se disaient mécontentes si leur enfant épousait un partenaire d’un autre parti politique que le leur, contre environ la moitié des sondés en 2010, et surement plus aujourd’hui), la méthode a fait mouche.
En face, Kamala Harris a enchainé les bourdes, fuyant les interviews sans proposer de solutions concrètes à beaucoup de problèmes politiques rencontrés par les électeurs. Le match a donc été sèchement plié.
Des médias très largement biaisés
La couverture médiatique a été très largement biaisée dans cette campagne, ce qui questionne évidemment beaucoup la question de la Démocratie. En 2024, les trois grands réseaux historiques de télévision ont ainsi réalisé une couverture de Harris positive à 81 % et une couverture de Trump négative à 75 %. Jamais un tel écart n’avait été observé.
Il en est de même des journaux, dont 90 % ont officiellement pris position pour appeler leurs lecteurs à voter pour la candidate démocrate, contre 10 % pour Trump. C’est la même proportion depuis 2016.
Le changement est remarquable, car les Démocrates remportent le soutien majoritaire des journaux depuis l’an 2000. Avant, c’était les Républicains, et dans des proportions impressionnantes dans les années 1970-1980.
C’est une des conséquences de la conversion de la gauche au néo-libéralisme au cours des années 1980-1990. Auparavant, la gauche captait surtout les suffrages des citoyens qui gagnaient le moins, dont les métiers étaient les plus durs et dont l’éducation était la plus faible ; les Républicains étaient le parti des riches à l’éducation longue. En une trentaine d’années, les choses se sont totalement inversées.
C’est cette couverture aussi biaisée des médias en faveur des Démocrates qui explique le surprenant soutien qu’ils obtiennent auprès d’une majorité de citoyens de la plupart des pays occidentaux. Cela en dit long sur le niveau de propagande dans nos pays...
La ferveur pro-Harris – qui confine parfois au fanatisme – de certains médias et journalistes français n’aura pu que confirmer la défiance de beaucoup de citoyens envers les grands médias.
Trump, candidat de l'économie et du pouvoir d’achat (à tort ou à raison)
On ne peut toutefois analyser des élections sans s’intéresser au contexte économique dans lesquelles elles se déroulent. Durant la campagne de 1992, un conseiller de campagne de Bill Clinton lança un slogan qui assura sa victoire en cette période de crise : « it’s the economy, stupid ! », qu’on pourrait traduire dans ce contexte par « Il n’y a que l’économie qui compte, imbécile ! ».
L’économie a certainement pesé bien lourd en 2024. En effet, la présidence Biden/Harris a été marquée par le Covid et la crise inflationniste qui a suivi. Tous deux ont eu de très lourdes conséquences. Ainsi, en raison de la crise inflationniste, le revenu moyen réel aux États-Unis (corrigé de l'inflation) a baissé de 11 % durant le mandat de Biden, et de -2 à -3 % pour la zone médiane de la population. Le revenu réel n'a augmenté que pour les 10 % les plus riches (et de seulement 1 % par an).
Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi la force du vote républicain de la moitié du pays la plus frappée par la crise a surpris les sondeurs.
On comprend cependant beaucoup moins pourquoi la presse française n'a pas cessé de chanter les louanges du bilan économique de Biden.
Intéressons-nous maintenant en détail aux résultats de l’élection par sous-catégories de votants. Le résultat de 2024 montre un renversement de tendance, avec une nette progression du score en voix des Républicains. Il y avait depuis 1992 (à l’exception de 2004, en pleine guerre d’Irak) une suite presque ininterrompue de fortes victoires en voix des Démocrates, avec les réserves précédemment apportées.
Soulignons une particularité américaine assez étrange : il faut environ 15 jours pour disposer du décompte final de toutes les voix. Quelques jours après le scrutin, il reste toujours une quinzaine de millions de voix en attente de dépouillement (très majoritairement démocrates, car beaucoup sont en Californie), ce qui explique les grosses baisses de nombre total de voix des finalistes qui apparaissent toujours le lendemain du vote, et qu'il ne faut donc surtout pas chercher à commenter.
La victoire de Trump est donc bien plus forte qu’en 2016, malgré une campagne des médias contre lui et des publicités démocrates encore plus à charge.
L'image de Kamala Harris se révèle problématique, avec seulement 66 % d’adhésion à sa personne, 34 % ayant d’abord voté pour faire barrage à Trump. Le nouveau président des États-Unis a obtenu pour sa part 78 % de votes d’adhésion. L’écart entre les deux finalistes est important, et donc de nature à davantage mobiliser l’électorat.
Les principaux enjeux du vote sont clairs : l’économie à 40 % (« stupid ! »), l’immigration à 20 %, l’avortement à 11 %, la santé à 8 % et le changement climatique à 7 %. Trump écrase Harris dans les deux premiers items (à 60 % et 88 %), qui s'avèrent centraux pour les citoyens américains.
Lorsque l'on demande aux Américains LE principal déterminant qui a incité à voter pour un candidat, il en ressort principalement l’enjeu démocratique qui a incité à voter Harris, et l’économie qui a incité à voter Trump.
Autre façon d'analyser le choix du candidat : sa principale qualité d’après la perception des Américains. Trump superforme nettement dans les deux principales : sa capacité à diriger et à apporter un changement. Harris surperformait dans les deux suivantes : avoir un bon jugement et se préoccuper des gens. Harris a clairement souffert d’un manque de « leadership », l'un des gros problèmes de sa campagne.
Le souci pour Kamala Harris, c'est que les Américains ont clairement exprimé une volonté de changement substantiel ou total à 83 %. En tant que Vice-Présidente sortante, Harris était bien moins crédible pour répondre à cette exigence.
Ainsi, le 8 octobre 2024, quand on lui a posé la question la plus évidente pour un vice-président d’un président impopulaire : « Qu’auriez-vous fait de différent du président Biden ? », elle a répondu « Rien de précis ne me vient à l’esprit, j’ai été impliquée dans la plupart des décisions importantes ». C’est une sérieuse erreur de casting, mais qui était largement identifiée dès le début (raison pour laquelle Obama a trainé des pieds pour la soutenir).
Pourquoi tant d’électeurs souhaitaient-ils un changement profond ? Tout simplement parce que leur situation financière s’est dégradée durant le mandat de Joe Biden. Cela transparait bien dans les sondages : 24 % des gens vont mieux qu’il y a 4 ans, et 45 % aussi bien ; ils ont donc voté Harris à 83 et 70 %. Mais 45 % des sondés déclarent aller moins bien qu’en 2020 ; ces derniers ont voté Trump à 80 %.
L’inflation en est une cause majeure, puisqu’elle a causé des difficultés graves à 22 % des citoyens et des difficultés modérées à 53 %.
La situation devrait s’aggraver, puisqu’une disposition législative a supprimé en 2024 la couverture publique de santé (destinée aux plus pauvres) à plus de 25 millions d’Américains – soit autant d’électeurs potentiels fâchés... Ce n’est pas pour rien que la première mesure du programme républicain 2024 concerne l’inflation.
Enfin, spécifiquement sur le sujet démocratique, environ 75 % des citoyens pensent qu’elle est menacée. Mais parmi ceux-là, il y a eu autant de citoyens qui ont décidé de voter Harris que de voter Trump.
La campagne médiatique contre ce dernier n’a donc pas pris sur une vaste majorité de l’opinion américaine.
Les déterminants du vote Trump ou Harris
Le genre reste un fort facteur de choix du vote aux États-Unis, certainement en raison du sujet de l’avortement. Les femmes, plus mobilisées que les hommes, sont ainsi 53 % à avoir voté Démocrate alors que les hommes ont voté à 54 % Républicain.
Si on simplifie en s’intéressant simplement à l’écart entre le vote démocrate et le vote républicain, il apparaît que les femmes votent Démocrate 9 points de plus que Républicain, soit pratiquement l’inverse des hommes.
Au niveau ethnique, les blancs ont majoritairement voté Trump (à 55 %) et les minorités ont voté Démocrate (à 55 %, sauf les personnes noires à 83 %).
L’écart des voix est donc massif entre les communautés, ce qui traduit l’état d’un pays profondément divisé.
Au niveau des âges, les votes, bien que différenciés, ont des écarts bien moindres qu’avec le critère ethnique. Les jeunes votent un peu plus Démocrate et les adultes et séniors un peu plus Républicain.
Au niveau éducatif, on retrouve de nouveau un vote de plus en plus démocrate quand le niveau éducatif augmente, ce qui a d’ailleurs fortement évolué en un demi-siècle.
L’écart est massif : 26 points d’avance des Démocrates chez les diplômés Bac+6 et 18 points d’avance pour les Républicains chez les non-diplômés.
Cependant, il faut se garder d’une conclusion largement prégnante dans les grands médias mais fausse, selon laquelle les électeurs de Trump seraient plus « stupides ». Ce n’est pas quelques années à la faculté qui rendent intelligent. Elles rendent en revanche plus riche, le niveau de revenus étant largement corrélé au niveau d’étude. Les électeurs de Donald Trump ont souvent des conditions de vie plus difficiles que ceux de Kamala Harris (sauf les minorités ethniques).
Il est cependant plus pertinent d’analyser l’impact des revenus que celui du niveau éducatif, car il est bien plus causal du vote en ce qu’il concerne les conditions de vie. Les Démocrates surperforment chez les riches et les pauvres (dont une grande partie de minorités ethniques). Trump obtient quant à lui plus de soutien chez les classes moyennes.
Comment Trump a gagné en 2024
Il y a 4 ans, Trump a obtenu 47 % des voix face à Biden (51 %), soit 4 points de moins. En 2024, Harris et Trump ont tous les deux obtenu environ 49 % des suffrages. Autrement, la différence de suffrages entre les 2 candidats a augmenté 4 points en l'espace de 4 ans. Il est possible de calculer comment ces 4 points ont été récupérés au niveau de chaque groupe d’électeurs. L’évolution depuis 2020 est la suivante :
- au niveau des genres, les femmes comme les hommes ont plus voté Républicain ce qui a assuré la victoire de Trump. S’il existe de gros écarts absolus de votes entre genres, ils ont évolué de la même façon en 2024. Ce critère n’est pas explicatif pour cette élection ;
- au niveau des âges, Trump a largement plus convaincu en 2024 qu’en 2020 les très jeunes et les actifs de 40 à 64 ans. Il a perdu du soutien chez les retraités ;
- au niveau des groupes ethniques, Trump obtient en 2024 exactement la même avance chez les blancs qu’en 2020, et bien moins qu’en 2016. C’est sa forte progression chez les noirs (+ 14 points), les latinos (+ 13 points) et les Asiatiques (+ 5 points) qui lui a permis de l’emporter.
- au niveau des groupes de revenus, Trump a perdu le soutien historique aux Républicains des personnes de plus de 100 k$ de revenu, pour récupérer celui des 30-100 k€, historiquement Démocrates. Cela confirme bien que la baisse du niveau de vie des classes moyennes a fait perdre la présidentielle aux Démocrates ;
- au niveau des groupes selon l’éducation, Trump compense facilement sa forte baisse chez les Bac+6 par une nette hausse chez les autres catégories, et tout particulièrement les non-diplômés ;
- au niveau de la religion, Trump a généralement progressé dans la plupart des groupes, ce critère est donc peu explicatif en 2024 ;
- au niveau de groupes d’agglomération, Trump progresse nettement dans les campagnes, ce qui compense son recul dans les villes.
Trump doit ainsi sa victoire à sa progression chez les jeunes et les actifs de 40-65 ans, les noirs et les latinos, et les classes moyennes.
L’argent faiseur de rois – mais pas en 2024
Aux États-Unis, l’argent est devenu le faiseur de Présidents. Il n’en a pas toujours été ainsi. Dès 1907, le législateur américain avait interdit les dons directs des entreprises aux candidats en politique pour limiter la corruption. Plus tard, les dons directs des particuliers (« hard money ») ont été plafonnés. En 1971, un financement public des campagnes a été mis en place ; il avait cependant la tare mortelle d’être facultatif : soit un candidat acceptait de limiter ses dépenses à un plafond, et il bénéficiait d’un très large financement public, soit il pouvait dépenser sans compter, mais sans argent public.
Ce système a hélas rapidement périclité. Dès 1976, la Cour suprême a déplafonné les dons des candidats à leur propre campagne, autorisé les dépenses « indépendantes » (non coordonnées avec un candidat) des individus pour soutenir ou s’opposer à un candidat (« soft money »), et supprimé les limites aux dépenses globales des campagnes électorales. En 2008, c’est Obama qui a entamé la destruction du financement public des campagnes en refusant l’argent public pour dépenser sans compter, alors que son adversaire John McCain était resté limité à 84 M$. Depuis 2012, tous les grands candidats ont renoncé à l’argent public pour dépenser sans compter.
Cependant, le coup le plus grave est encore venu de la Cour suprême : en 2010, par son arrêt Citizen United, elle a accordé des droits civiques aux entreprises, pouvant se prévaloir comme les citoyens de la protection de leur liberté d’expression. La Cour a donc supprimé toute limite aux dépenses des entreprises, à la condition qu’elles restent « indépendantes » des candidats. En 2014, elle a fini par supprimer le plafond de dépenses totales de financement des campagnes (tous candidats confondus).
Le triste bilan est là : avec environ 1,6 milliard de dollars, la campagne de Kamala Harris a été la deuxième plus cher de l’histoire (après les 2 milliards de celle de Biden en 2020), Trump dépassant « à peine » le milliard de dollars. Les dons de ces campagnes ont été majoritairement des gros dons de plus de 200 $.
Ce sont surtout les énormes dons extérieurs des entreprises et des milliardaires qui ont largement financé cette campagne, la Silicon Valley et les universités pour Harris, et Elon Musk et d’autres milliardaires pour Trump.
Au niveau des deux finalistes, on remarque deux sauts majeurs dans les dépenses, qui étaient inférieures à 500 M$ jusqu’en 2000 : 2004-2008, quand les candidats ont renoncé aux financements publics pour tripler leurs dépenses, et 2020-2024 où les candidats ont profité des déplafonnements des dépenses de soutien des entreprises pour encore doubler leurs dépenses.
Si l'on s'intéresse à l’ensemble des dépenses de tous les candidats, pour la présidentielle et toutes les élections législatives, l’élection 2024 devrait atteindre le total colossal de 16 milliards de dollars contre 18 en 2020. C’est le double des années 2000-2010, et près de 10 fois plus que durant les années 1970…
La politique américaine est donc devenue totalement gangrénée par l’argent : il est impossible de devenir président sans capacité à lever des centaines de millions de dollars, ce qui rend la « démocratie » captive des deux grands partis. Le seul point (un peu) positif, c’est que les deux victoires de Trump montrent que dépenser largement plus que son adversaire n’est pas forcément synonyme de victoire, comme l’ont constaté à leurs dépens Hillary Clinton et Kamala Harris, cette dernière ayant beaucoup plus dépensé dans les swing states (= États au résultat serré) que Donald Trump.
Mais la politique étant la politique, un candidat habile peut obtenir un retour bien supérieur à des heures de publicité après une simple balade dans un camion à ordures…
Rappelons enfin que ces énormes masses d’argent finissent généralement dans des dépenses de publicité, donc dans la poche des grands médias, ce qui explique probablement une partie des forts biais de ces derniers. L’indépendance financière d’un média restera toujours un gage de sécurité pour la qualité de l’information.
Ce qu’il faut retenir
La réélection de Donald Trump a surpris les sondeurs, qui n’ont pas vu venir un grand chelem républicain dans les 7 swing states. Trump a ainsi réalisé une performance qui n’avait plus été vue depuis au moins une vingtaine d’années pour les Républicains.
C’est d’autant plus surprenant qu’il avait contre lui quasiment l’ensemble des médias, et près du double d’argent.
Cependant, les faits sont têtus, et tout ce que peut dire la télévision n’effacera jamais les difficultés à boucler les fins de mois, qui se sont multipliées durant le mandant de Joe Biden pour une vaste partie de la population. La moitié la plus pauvre de la population a ainsi perdu plus de 20 % de ses revenus en 4 ans.
Il est peu surprenant qu’une telle situation ait entraîné un énorme besoin de changement, que Kamala Harris ne pouvait incarner puisqu'elle était en quelque sorte la candidate sortante. Trump est donc devenu pour beaucoup d’électeurs le candidat du pouvoir d’achat. Il doit sa victoire à une forte percée chez les jeunes et les actifs de 40-65 ans, les noirs et les latinos, et les classes moyennes.
Comme en France, la « gauche hollandiste » américaine a clairement tourné le dos aux classes laborieuses. Elle ne peut donc pas se plaindre que les classes laborieuses lui aient, en retour, également tourné le dos. D'une certaine manière, Kamala Harris a logiquement connu le sort de François Hollande...
Cet article est gratuit grâce aux contributions des abonnés !
Pour nous soutenir et avoir accès à tous les contenus, c'est par ici :
S’abonner
Accès illimité au site à partir de 1€
Déjà abonné ? Connectez-vous
20 commentaires
Devenez abonné !
Vous souhaitez pouvoir commenter nos articles et échanger avec notre communauté de lecteurs ? Abonnez-vous pour accéder à cette fonctionnalité.
S'abonner