Les Européennes 2024 vont entrer dans l’Histoire comme les premières élections qui ont entraîné une dissolution de l’Assemblée nationale. Ce choix, qui pourrait sembler de prime abord très démocratique, recèle en réalité beaucoup d’inconnues, voire de réels dangers. On vous explique tout.

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publié le 10/06/2024 Par Olivier Berruyer
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Les résultats des élections européennes de 2024 n’auront finalement pas créé en eux-mêmes de grosses surprises, car ils sont, à quelques exceptions près, plutôt en ligne avec les derniers sondages publiés. Il y aurait néanmoins beaucoup à dire sur eux, et nous le ferons dans un article très détaillé sur ces élections européennes, qui sera publié très prochainement sur Élucid.

Il ne restera de ces élections que le souvenir du déclenchement de la dissolution de l’Assemblée nationale française par Emmanuel Macron, qui va entraîner des élections législatives aux implications sans doute historiques.

Un naufrage électoral pour le gouvernement

Cet évènement, que très peu d’analystes avaient anticipé, est lié à la confirmation du score dérisoire de la majorité présidentielle : moins de 15 % des suffrages exprimés.

Résultats des élections européennes de juin 2024 en France, pourcentage des exprimésRésultats des élections européennes de juin 2024 en France, pourcentage des exprimés

Si on ramène ces résultats à l’ensemble du corps électoral, le Président a obtenu les suffrages de moins de 8 % des inscrits. Quoi qu’on pense de sa décision, il semble qu’une telle situation politique, véritable insulte à la notion de Démocratie (même « représentative ») était difficilement tenable longtemps.

Résultats des élections européennes de juin 2024 en France, pourcentage des inscritsRésultats des élections européennes de juin 2024 en France, pourcentage des inscrits

Emmanuel Macron a donc décidé de dissoudre l’Assemblée, comme l’article 12 de la Constitution lui permet. Celui-ci précise que « Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution ». Macron a décidé de précipiter les choses, et a fixé les élections 21 jours après la dissolution, les 30 juin et 7 juillet.

Une précipitation légale, mais suspecte

S’il était difficile de continuer longtemps ainsi, Macron aurait cependant pu annoncer son intention de dissoudre sans pour autant le faire immédiatement. Il aurait très bien pu attendre début août pour tenir les élections législatives début septembre, soit dans de bonnes conditions démocratiques, en permettant aux partis de s’organiser correctement, tant au niveau du choix des candidats, des alliances, du programme à proposer que du financement lourd d’une telle campagne, et ce alors que la précédente est à peine finie et donc non encore remboursée.

La précipitation est telle que certains juristes ont lancé une polémique sur le fait que le délai retenu viole la lettre de l’article 157 du Code électoral : « Les déclarations de candidatures doivent être déposées, en double exemplaire, à la préfecture au plus tard à 18 heures le quatrième vendredi précédant le jour du scrutin ». C'est notamment le cas de Marylise Lebranchu et Jean-Jacques Urvoas, deux anciens Gardes des Sceaux socialistes.

Pourtant, une connaissance minimale du principe de la hiérarchie des normes en Droit permet de conclure que la Constitution va évidemment primer sur les dispositions législatives. Ce qu’a d’ailleurs déjà confirmé, sur ce point, le Conseil constitutionnel en 1981 et 1988. Fin de la polémique !

Cette précipitation démontre donc (pour ceux qui en auraient encore douté) que les intentions de Macron ne sont en rien guidées par le souci du respect de la Démocratie représentative. Comme ses intentions réelles sont bien entendu secrètes, on en est réduit à échafauder de simples hypothèses, en fonction des résultats possibles.

Une sérieuse incertitude électorale

Beaucoup d’éditorialistes de plateau, macronistes dans l’âme et le cœur, ont tenté de défendre leur Président en parlant d’un « coup de poker ». Cependant, le principe du coup de poker est quand même d’avoir une chance raisonnable de gagner, alors qu’ici, la bonne analogie serait plutôt celle du « saut en parachute... sans parachute ».

En effet, rappelons que les législatives 2022 s’étaient conclues par une tripartition de l’électorat, avec un bloc de gauche Nupes ayant obtenu environ 30 % des voix, un bloc « Macron-LR » de 40 % des voix et un bloc d’extrême droite d’environ 25 % des voix. Le mode de scrutin majoritaire, foncièrement défaillant et antidémocratique, avait avantagé le bloc en tête ; il a ainsi transformé ce 30-40-25 % des voix en un 25-60-15 % des députés finalement élus (pour les 3 blocs gauche-libéraux-extrême-droite).

Composition de l'Assemblée nationale élue lors des législatives de 2022Composition de l'Assemblée nationale élue lors des législatives de 2022

Nous avions d'ailleurs largement parlé de cette tripartition dans notre entretien avec Jérôme Fourquet :

Cependant, cela correspondait au paysage politique de 2022 et, hélas, beaucoup de choses graves se sont passées dans le pays depuis lors, tant au niveau économique et social que politique. Hier soir, le 30-40-25 % des voix de 2022 s’est transformé en un 30-25-35 %. Et ce que le scrutin majoritaire a fait en 2022 pour le bloc arrivé en tête, il peut parfaitement le refaire en 2024 pour un autre bloc arrivé en tête – mais d’extrême-droite cette fois-ci.

Certes, le scrutin européen n’est pas un bon scrutin pour évaluer la vie politique, car il est extrêmement biaisé avec une participation très différente suivant les âges et les opinions politiques. Le journal Le Parisien a cependant révélé il y a quelques mois que le parti Les Républicains avait fait réaliser en décembre 2023 un large sondage resté secret, afin d’estimer les résultats... en cas de dissolution de l’Assemblée.

Et les résultats étaient très différents de ceux de 2022, avec un RN possiblement majoritaire à lui seul, avec une fourchette d’élus entre 243 et 305 (la majorité étant à 289). Le groupe macroniste était donné perdant de la moitié de ses membres, la chute étant encore plus sévère au niveau de la Nupes.

Sondage de décembre 2023 sur les votes en cas de dissolution de l'AssembléeSondage de décembre 2023 sur les votes en cas de dissolution de l'Assemblée

Ce sondage date donc d’il y a 6 mois, et la recomposition qui se déroule sous nos yeux pourrait renforcer le RN et donc lui permettre d’atteindre cette majorité. Il va donc être très intéressant d’observer les tendances qui vont se dégager à partir d’aujourd’hui. Car beaucoup de choses sont possibles.

Quelle est la stratégie de Macron ?

Dans ce contexte, on peine à discerner la stratégie de Macron. Ou peut-être « les stratégies », tant il nous a habitué à en adopter une le lundi, avant de choisir la stratégie contraire le mercredi, et parfois même de finalement en adopter une autre le vendredi, pour peu qu’il ait demandé conseil à Bernard-Henri Levy...

Quels sont donc les plans possibles de Macron ?

Hypothèse 1 : D’abord, il peut espérer un sursaut pro-Macron le positionnant en leader du barrage face à l’extrême-droite, en espérant fracturer la Nupes et attirer à lui une partie des Républicains. C’est pour cela qu’il a proposé que « la majorité présidentielle s'engage à ne pas présenter de concurrent face aux députés sortants, à condition qu'ils soient dans “l'arc républicain” ». Cela pourrait marcher pour les politiques, mais il n’est pas sûr que beaucoup d’électeurs suivent.

Le risque de la prise du pouvoir du RN pourrait aussi entraîner un sursaut pro-Nupes, c’est la stratégie qu’a lancé François Ruffin en parlant d’un nouveau « Front Populaire ». Beaucoup d’électeurs pourraient y être prêts, mais près d’une année de bashing contre LFI (dont le résultat tangible aura été 8 députés européens de plus pour le PS et 8 députés de moins pour les écologistes – une bien belle stratégie de long terme donc…) risque de se ressentir au niveau électoral. Et il semble peu probable à ce stade d’espérer avoir une majorité Nupes le 7 juillet.

Hypothèse 2 : Une hypothèse beaucoup plus probable est donc une victoire du RN, majoritaire à l’Assemblée, surtout en cas d’union plus ou moins large des droites que Marion Maréchal vient d’appeler de ses vœux. Il pourrait alors y avoir nomination de Jordan Bardella à Matignon. Macron pourrait espérer rester à l’Élysée et compter sur un mécontentement populaire pour que Édouard Philippe gagne en 2027, voire que lui-même revienne en 2032 ou 2037… Mais il n’est pas certain que le RN accepte ce jeu, perdu par chaque parti de cohabitation en 1988, 1995 et 2002. Une forte victoire, dans un tel contexte, pourrait même amener le RN à refuser le pouvoir et exiger la démission du Président, qui serait dans une position très difficile et sous de multiples pressions.

Hypothèse 3 : Et il y a enfin une troisième hypothèse également plausible : qu’aucun parti ne dispose d’assez de voix, directe ou en soutien, pour échapper à une motion de censure de ses oppositions. Aucune majorité autre que purement technique ne pourrait se former, et il faudrait attendre soit une autre dissolution soit 2027 avec un gouvernement expédiant les affaires courantes (comme cela a pu arriver il y a quelques années en Belgique par exemple).

Il est difficile à ce stade d’en dire plus. Macron a sans doute lui aussi fait réaliser de sondages secrets qui ont pu l’éclairer. Mais dans à peu près tous les cas, on lui reprochera longtemps de ne pas avoir tenu sa promesse de passage au scrutin proportionnel.

Hypothèse 4 : Enfin, il faut aussi garder à l’esprit une dernière piste : l’hypothèse « Néron », soit le nihilisme. Macron est bien conscient de son échec, et un retour aux urnes pourrait alors participer soit à une sorte de volonté de nuire, pour montrer que « c’était mieux avant avec lui » ou, de façon plus optimiste cette fois, l’amener à démissionner après avoir perdu une dissolution, inscrivant son départ dans les pas de de Gaulle (puisqu’il ne peut pas se représenter dans la foulée).

Secousses économiques en vue

Cependant, si l’avenir politique est brumeux, l’avenir économique est pour sa part plus discernable bien qu'inquiétant. Car ces élections, et le chaos qui peut en résulter, ne seront pas sans conséquence sur la stabilité de notre système économique.

En effet, s’il y a bien deux choses que détestent les marchés financiers, ce sont les mauvaises surprises et l’incertitude. Ce 9 juin n’a donc pas dû leur plaire, et ils le font bien savoir dès ce 10 juin. Il va donc être intéressant de suivre l’évolution de la Bourse ou du taux d’intérêt de la dette française cette semaine.

À plus long terme, cette situation va dégrader la confiance des ménages et des entreprises en France, et donc la croissance en France, avec des conséquences sur l’emploi et le pouvoir d’achat des Français.

Le jeu de Macron est vraiment dangereux, alors que la France s’est fait dégrader par Standard & Poor’s il y a à peine une semaine, et que l’agence s’inquiétait que « la fragmentation politique rendra probablement quelque peu incertaine la poursuite de la mise en œuvre des politiques visant à remédier aux déséquilibres économiques et budgétaires ». Il y a des choses qu’un État ne devrait pas faire quand il a perdu le contrôle de ses finances – et c’est bien ce qu’a permis Macron avec ses budgets historiquement déficitaires.

Si les réactions des marchés sont assez mesurées et brèves, cela voudra dire qu’ils ont déjà largement anticipé une victoire du RN. Sinon, attachez vos ceintures !

Mais n’ayez crainte, dans ce monde néolibéral, les journées ne sont jamais perdues pour tout le monde…

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