Le gouvernement français plancherait sur la création d’un fonds de 100 millions d'euros pour accueillir des chercheurs américains désireux de fuir la politique de Donald Trump visant la communauté scientifique. En cause, les coupes budgétaires, les licenciements au sein des agences fédérales américaines chargées du climat ou de la santé, le retrait des accords de Paris, etc… Si l’intention française est louable, il y a un fort risque de douche froide pour les scientifiques américains qui tenteront l’aventure dans l'hexagone. Ils seront rapidement confrontés à la mauvaise santé de la recherche française, qui produit de moins en moins de publications et de brevets, avec des investissements en baisse et des politiques publiques de relance à la peine. En ligne avec l’incongruité de cette annonce, le même gouvernement annonce un mois plus tard près de 500 millions d’euros de coupes dans la mission « recherche et enseignement supérieur ». L’opération d'accueil de chercheurs américains ressemble de plus en plus à un dépouillement supplémentaire des chercheurs français et de la recherche hexagonale, mis au pain sec et à l’eau depuis maintenant des décennies.

S'il est admis que la recherche et l'innovation permettent de faire face aux crises et aux défis à venir, alors la France a hypothéqué son avenir. En cause, un manque de vision stratégique qui se traduit par des politiques peu efficaces. Pourtant, pour le ministère des Finances, l’innovation reste la source des profits.
Décrochage de la France en R&D : diminution du nombre de publications et innovation en berne
La R&D, diminutif de « recherche et développement », vise à développer des innovations, c'est-à-dire les applications industrielles et commerciales d’une invention ou d’une découverte. En économie, cela regroupe donc l’ensemble des processus qui permettent de passer de la recherche fondamentale ou appliquée à la production industrielle en usine. Les publications scientifiques et les dépôts de brevet sont des indicateurs qui permettent de mesurer les difficultés de l’hexagone dans le domaine.
Le verdict est sans appel : la France décroche en matière de production de brevets et de publication d’articles scientifiques. Sur l’année 2022, la part mondiale de publications de la France s’élève à 2,3 %, ce qui la classe derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Italie. Pour le syndicat UNSA Éducation, qui a publié début 2025 une note d’analyse intitulée « Le lent désinvestissement de la France dans la R&D », « la part des publications scientifiques mondiales détenue par la France, comme par l’ensemble des pays européens, diminue tendanciellement au profit des pays émergents ».


La situation concernant les brevets est similaire. Tous domaines technologiques confondus, la France se taille une part de 3 % du total des dépôts de brevets sur la période 2016-2021. Cela place le pays au sixième rang au niveau mondial, mais loin derrière les 9 % du total des dépôts de l’Allemagne. En volume, en 2022, c’est un tiers de brevets déposés en moins par rapport aux plus hauts du début des années 2000.


Dans un rapport de 2021, la Cour des comptes note les carences de l’hexagone en matière de R&D. En 2020, le pays occupait le dixième rang de l’Union européenne et le douzième rang mondial en matière d’innovation, selon l’indicateur synthétique de la Commission européenne. Quatre ans plus tard, le pays a perdu deux places dans le classement européen et trois au niveau mondial. Les résultats ne sont pas brillants non plus en matière de synergies entre la recherche académique et les entreprises : la France se place en 2024 au 26e rang mondial, ce qui traduit un manque de coopération néfaste pour l’innovation.
Cette perte de compétitivité est en contradiction avec l’augmentation des moyens alloués au secteur privé au cours de ces dix à quinze dernières années. En effet, les moyens financiers publics destinés aux entreprises pour soutenir l'innovation, notamment via le crédit impôt recherche, sont passés de 3 milliards d’euros en 2010 à près de 10 milliards d’euros par an aujourd’hui.
En parallèle, le nombre de chercheurs par emploi a augmenté. En 2019, la France se classait au 6e rang mondial en termes de densité de chercheurs, en incluant le secteur public, soit 11 chercheurs pour 1 000 emplois, une augmentation de 2,3 chercheurs pour 1 000 emplois en 10 ans. Sur cet indicateur, la France se classe au-dessus de la moyenne de l’Union européenne, de l’Allemagne (10,0 ‰) et du Royaume-Uni (9,6 ‰), mais en dessous, de la Suède (15,3 ‰) et du Danemark (14,9 ‰).
Pourtant, malgré un contexte qui semble favorable, la Cour des comptes pointe que « les retombées économiques de l’innovation sont moins importantes que dans d’autres pays, ce qui interroge sur le ciblage du soutien public qui peine à toucher les PME, qui constituent pourtant l’essentiel du tissu économique et ont un fort potentiel d’innovation, en particulier dans les procédés ». Et d'ajouter que « ces moindres performances économiques peuvent aussi s’expliquer par les difficultés de développement des start-ups ». Un comble pour la « start-up nation » macronienne !
La Cour des comptes propose plusieurs pistes pour améliorer la stratégie du soutien public français à l’innovation des entreprises. Il s’agit par exemple d’améliorer « le suivi et la lisibilité des aides financières actuelles », de « mieux articuler les dispositifs de soutien à l’innovation avec d’autres interventions publiques », de renforcer les partenariats entre public et privé, et de muscler « la dimension européenne du soutien à l’innovation ».
Depuis les années 1980, l’investissement dans la recherche décroît plus en France qu’en Europe
En 2000, l’Union européenne met en place la « stratégie de Lisbonne ». Les pays membres s'engagent à affecter à la recherche 3 % de leur PIB pour faire de l’UE, d'ici 2010, « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
La stratégie de Lisbonne s’est soldée par un échec. Avec seulement 1,9 % du PIB de l’UE consacré à la R&D, la cible n’a jamais été atteinte, et de loin. Quant à l’objectif affiché de 3 % de croissance du PIB, il est raté de plus de moitié avec seulement 1,25 % de croissance moyenne. Les résultats attendus en termes de plein emploi ou d’emploi des 55-64 ans sont aussi décevants et consacrent l’échec patent de la stratégie.
Mais cet échec n’a pas empêché, fin 2024, de prendre les mêmes pour recommencer. Le nom est changé, et la « stratégie de Lisbonne » devient le pacte de compétitivité. Avec une reformulation de l’objectif qui semble tout droit sorti des entrailles d’une intelligence artificielle conversationnelle : « Placer l'Europe à l'avant-garde de la recherche et de l'innovation mondiales, en particulier dans les technologies de rupture, et réaliser l'objectif de dépenses de 3 % du PIB dans la R&D d'ici à 2030 ».
Se pose alors une question légitime : pourquoi ce qui n’a pas réussi dans les années 2000 réussirait 25 ans plus tard ? Au-delà de la méthode, l’objectif des 3 % semble sorti du chapeau… du moins si l'on en croit les chiffres du rapport de Mario Draghi sur l’avenir de la compétitivité européenne. Pour que l’Europe rattrape son retard face aux autres puissances mondiales, l’investissement annuel supplémentaire minimum s’élèverait à 800 milliards d’euros par an, soit de 4,4 % à 4,7 % du PIB… presque moitié plus par rapport aux 3 % du tout nouveau pacte.
Quoi qu’il en soit, actuellement, les 27 sont bien loin d’atteindre l’objectif de 3 %. En 2023, ils ont consacré en moyenne 2,1 % de leur PIB à la recherche et développement, contre 3,5 % pour les États-Unis et 2,6 % pour la Chine (hors Hong-Kong).
Dans l’UE, les bons élèves en matière d’investissement pour la recherche sont la Suède (3,5 %), la Belgique (3,3 %), l'Autriche (3,2 %) et l'Allemagne (3,2 %). La France affiche une part de 2,2 % de son PIB consacré à la recherche, c’est à peine la moyenne européenne.

La France n’est jamais parvenu à respecter son engagement d’atteindre 3 % du PIB sur la période 2010-2020. Au point qu’aujourd’hui, le manque d’investissement pèse à la fois sur le travail des scientifiques français qui ne peuvent plus assurer leurs missions, et sur les entreprises qui peinent à rivaliser dans le domaine de l’innovation avec, entre autres, la Chine, les États-Unis ou la Corée du Sud.
La recherche du passé a planté les graines des innovations d’aujourd’hui. Le rapport Draghi documente le gouffre en matière d’innovations entre l’Union européenne et les États-Unis et souligne le rôle des secteurs numériques qu’il considère comme « déjà perdus ».


En ce qui concerne la France, l'État, à force de se désengager de la recherche publique, voit l’objectif de la stratégie de Lisbonne de 1 % du PIB consacré à la R&D publique s’éloigner. L’effort supplémentaire qui doit être consenti aujourd’hui pour l’atteindre représente plus de 7 milliards d’euros par an, selon une note de la Fédération des métiers de l’Éducation, de la recherche et de la Culture. Quant à retrouver les plus de 1 % du PIB de la période faste des années 1980, pour la Fédération, il faudrait ajouter 9 milliards d’euros aux 21 milliards d’euros du budget actuel des administrations publiques de R&D. Ces augmentations de dépenses constitueraient un investissement pour le futur, mais elles ne semblent pas vraiment dans l’air du temps...


Du côté de la R&D du secteur privé, ce sont 18 milliards d'euros que les entreprises françaises devraient ajouter à leur budget actuel de 40 milliards pour atteindre les 2 % de PIB visés par les engagements de Lisbonne. Une cible qui, combinée à celle de 1 % de dépenses publiques de R&D, permettrait d’atteindre les 3 % du PIB consacrés à la R&D du « nouveau » pacte de compétitivité.
Une note du site Fipeco développe le cas de la R&D du secteur privé. Si les entreprises françaises réalisent les deux tiers des dépenses de R&D de la France, presque un tiers provient d’aides publiques à la recherche et de commandes publiques. Car, dans le domaine des aides à la R&D du secteur privé, l’État français est cette fois sur le podium :
« En additionnant les dépenses des entreprises qu’elles financent (crédits d’impôt inclus) et les dépenses qu’elles exécutent et financent elles-mêmes, les dépenses des administrations publiques en faveur de la recherche et développement ont représenté 1 % du PIB en 2020 en France (1), ce qui est plus élevé que dans les autres pays du G7. »


Des politiques de relance de la recherche peu efficaces
« Le crédit d'impôt recherche (CIR) a pour but d'encourager les entreprises à engager des activités de recherche et développement (R&D). Le taux du CIR varie selon la localisation géographique de l'entreprise. »
En France, entre les aides directes et indirectes (comme le crédit d'impôt recherche), c’est presque un tiers des dépenses de recherche du secteur privé qui est subventionné par l’État. C’est plus du double de la moyenne de l’Union européenne, trois fois plus qu’aux États-Unis et presque dix fois plus qu’en Allemagne, où les aides indirectes sont absentes.
Ces largesses de l’État français vis-à-vis des entreprises sont constituées en grande majorité de cadeaux fiscaux, dont le fameux crédit d'impôt recherche. Ce sont ainsi 20 % des dépenses de R&D du secteur privé français qui sont financés par des incitations fiscales, des dispositifs inexistants en Allemagne jusqu’en 2020 – quasi inexistants aujourd’hui – et qui aboutissent à trois fois plus de soutien de l’État aux entreprises que dans la moyenne de l'OCDE (6 %) et presque quatre fois plus qu’aux États-Unis (5 %).


Pourtant, malgré un soutien aux entreprises privées inégalé dans l’OCDE de la part des gouvernements successifs, les dépenses de R&D du secteur privé français sont plus faibles que la moyenne de l’OCDE (2 % du PIB). À seulement 1,4 % du PIB, elles sont même largement à la traîne des plus de 2,1 % du PIB de l’Allemagne ou des 2,7 % du PIB des États-Unis en 2023.
Une grande part de ce financement public de la recherche privée se fait via le crédit impôt recherche (CIR). Instauré en 1983, c’est le dispositif fiscal d’aide à la R&D le plus généreux des pays de l’OCDE. Des largesses qui se sont significativement accrues suite à la réforme de 2008. Profitant surtout aux grandes entreprises, il constitue aujourd’hui la plus importante niche fiscale de l’État. En 2018, les cents premiers bénéficiaires recevaient un tiers de l’enveloppe totale du CIR et les entreprises de 5 000 salariés et plus un autre bon tiers.


Depuis sa réforme de 2008, le CIR permet aux entreprises de déduire de leurs impôts 30 % des sommes qu’elles allouent à la recherche, dans la limite d’un montant maximal de 100 millions d’euros. Au-delà de 100 millions d’euros, 5 % des sommes investies sont déductibles de l’imposition.
La nature du dispositif a encouragé un recours dérégulé à ce crédit d’impôt, surtout dans les grands groupes. En effet, l’objectif officiel est l’incitation à l'investissement en R&D et pas la distribution d’exonération fiscale. Or, comme le note le Conseil d’analyse économique, les dépenses annuelles en R&D des grandes entreprises bénéficiaires du CIR sont dans l’ensemble supérieures à 100 millions d’euros. Au-delà de ce seuil, la subvention est de seulement 5 %, pas de quoi freiner ou inciter ces entreprises dans leur investissement selon le Conseil. Pour les plus grands bénéficiaires, c’est ainsi près du tiers du crédit d’impôt qui est associé au taux de 5 %. Dès lors, le CIR subventionne généreusement des investissements qui auraient dans tous les cas été réalisés.
À titre d'exemple, le CIR avait permis en 2024 d'exempter d’impôts les entreprises à hauteur de 7,65 milliards d’euros, un montant équivalant au budget réuni du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), du Centre national d’études spatiales (CNES) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM).
D’autre part, le CIR est mal fléché puisqu’il bénéficie à des entreprises peu innovantes, comme Carrefour ou la Société Générale. Sanofi en a également profité alors que l'entreprise a licencié des chercheurs. Lors de l’audition de plusieurs directeurs du laboratoire Sanofi au Sénat en mars dernier sur le sujet des aides publiques, le rapporteur de la commission d’enquête, Fabien Gay, avait déclaré : « Vous êtes un des champions du crédit impôt recherche et dans le même temps, les effectifs ont fondu de 3 500 emplois dans la R&D […] On peut se demander à quoi a servi l’argent du CIR ».
Globalement, les effets sur l’emploi sont assez flous. Le ministère de l’Économie lui impute une hausse de l'activité de 0,5 point de PIB et la création de 30 000 emplois en 15 ans. À long terme, la réforme permettrait d’augmenter l'activité de 0,8 point de PIB et de créer 60 000 emplois.
Autre son de cloche, celui de l’association « Sciences en marche », qui relève l’absence d’« effet discernable » du CIR entre 2007 et 2012 sur l’emploi en R&D en France. Or, il représentait à l’époque 5,5 milliards d’euros de pertes de recettes pour l’État, un coût plus élevé que… la totalité du budget annuel du CNRS (3,3 milliards d’euros).
Le CIR participe dans une certaine mesure à l’attractivité de la France, qui est pour la cinquième année le pays le plus attractif d’Europe pour les projets d’investissements internationaux pour les activités de R&D. Mais si le crédit d’impôt agit comme un chant des sirènes pour des entreprises ayant soif de réductions d’impôts, ses effets sur le pur plan de la recherche, qui est pour rappel son objectif principal, sont plus contrastés.
Comme le rappelle le rapport CNEPI sur l'évaluation du Crédit d’impôt recherche de 2021, les performances de la France en matière d’innovation se hissent à peine au-dessus de la moyenne des 27 pays de l’UE. Le Crédit Impôt recherche « ne semble pas avoir non plus permis aux groupes français de suivre le rythme de croissance de R&D de leurs principaux concurrents mondiaux », ni « de maintenir en France les activités de R&D des groupes américains qui augmentent fortement ailleurs en Europe et surtout en Allemagne ». Et le Conseil d’Analyse Économique enfonce le clou : « le Crédit d’impôt recherche est une dépense fiscale élevée dont l’efficacité est faible pour les entreprises de taille intermédiaires, les grandes entreprises et au niveau macroéconomique ».
Pour les entreprises de taille intermédiaire et les grandes entreprises, il n’y a ainsi aucun effet avéré du CIR sur l’innovation. Le CNEPI note toutefois « des impacts significatifs de la réforme du CIR en 2008 sur les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), tant pour leurs activités de R&D que pour leurs performances économiques ».
Un million d’euros de CIR fléché vers les très petites entreprises a conduit à 1,2 brevet déposé, et c’est à peine 0,5 brevet lorsque ce million d’euros va vers les grands groupes. Un tel résultat plaide pour un meilleur ciblage du CIR, comme le demande de nombreux syndicats français.
Le CFTC propose également d’autres pistes de progrès comme la prise en compte, comme critère d’éligibilité au CIR, de la réindustrialisation. Réindustrialisation qui est par ailleurs censé faire partie des priorités économiques du gouvernement. Pour le syndicat, « le CIR pourrait, par exemple, concentrer l’éligibilité de ses aides aux entreprises industrielles. Il ne s’agirait pas d’exclure les autres entreprises du dispositif, mais plutôt de le rendre plus aisément accessible aux firmes industrielles qui souhaitent investir dans la R&D ». En outre, la CFTC plaide en faveur d’un mécanisme de conditionnalité du CIR à « l'innovation verte ». Dit autrement, il s’agit de moduler l’attribution du CIR au respect de « critères qui répondent aux enjeux de la transition énergétique et écologique ».
Complémentaires du CIR, les pôles de compétitivité sont l'autre pilier de la politique des gouvernements en faveur de la recherche. Mis en place en 2005, leur objectif est de constituer des réseaux mêlant entreprises et organismes de recherche et de formation. Pour favoriser ces rapprochements, des subventions sont accordées pour financer des projets collaboratifs de recherche et développement.
Ces deux dispositifs, CIR et pôles de compétitivité, sont indissociables, les entreprises des pôles cumulant subventions et CIR pour leurs projets de R&D. Les pôles sont censés permettre des rapprochements de travail et géographiques pour une meilleure collaboration des centres de recherche et des entreprises. Le défi est de taille, puisque 40 % de la recherche française est concentrée en région parisienne.
Mais le verdict sur l’efficacité de ces pôles de compétitivité est partagé. En février 2017, France Stratégie se félicitait de la fin « fin d’une malédiction », à savoir que pour un euro d’aide publique reçu en 2012, les entreprises des pôles dépensaient au total trois euros en R&D.
Le tableau n’est toutefois pas si rose. Si l’effet est incontestable pour les PME, il est moins évident pour les plus grandes entreprises qui ont bien moins de difficultés pour financer leur recherche. Les auteurs de l’étude de France Stratégie relèvent ainsi que « l’appartenance à un pôle ne se traduit pas par des performances supérieures en termes de chiffre d’affaires, de dépôt de brevet, d’exportation, d’emploi total ou de valeur ajoutée ».
D’autres programmes ont vu le jour récemment, comme l’initiative gouvernementale de la « Nouvelle France Industrielle » ou « l’Alliance pour l’industrie du futur ». Pour l’économiste Gilles Raveaud, « il est trop tôt pour préjuger de leur réussite. Mais ce qui est certain, c’est que, comme les pôles de compétitivité, ils sont sous-dimensionnés, puisqu’ils ne mobilisent que des dizaines ou des centaines de millions d’euros, là où il faudrait raisonner en milliards ».
Des subventions élevées, une forte densité de chercheurs… pour peu de résultats
Si la France se classe au 6e rang mondial en termes de densité de chercheurs – 11 chercheurs pour 1 000 emplois – et au 1er rang en termes de dépenses publiques pour la R&D (en incluant les soutiens aux entreprises), cet exploit ne se traduit pas par un leadership en nombre de publications scientifiques et de dépôt de brevet ou en matière d’innovation. Le secteur privé est le principal responsable de cette contre-performance. Il recueille en effet plus de 60 % des chercheurs de l'hexagone, un taux similaire à celui de l’Allemagne, dont les performances dans le domaine sont néanmoins bien meilleures.
Pour Jean-Michel Catin, ancien directeur de la rédaction Enseignement-Recherche d'AEF et spécialiste de l’enseignement supérieur et de la recherche, la faible place des titulaires de doctorat dans le dispositif R&D des entreprises est la première responsable. Le modèle dominant dans la recherche privée de la plupart des pays développés est le profil docteur ou docteur-ingénieur ; c’est l’inverse dans la R&D du secteur privé en France.
Le pays se distingue par un modèle culturel qui privilégie l’ingénieur au docteur, un choix loin d’être anodin en termes de R&D. Ainsi, si 8 sur 10 des jeunes diplômés qui travaillent dans les secteurs R&D des entreprises françaises sont de niveaux Bac +5 au moins, la majorité dispose d’un diplôme d’ingénieur. Les docteurs ne représentent que 12 % des effectifs et même parmi eux, plus des deux tiers ont fait une école d’ingénieur avant.
Sans remettre en cause les compétences des ingénieurs, « le modèle dominant [dans la R&D] aux États-Unis, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, est le PhD [ndlr, docteur] ou le PhD-ingénieur », trois pays qui aujourd’hui devancent largement la France en nombre de publications scientifiques ou de dépôts de brevet. Sans doute faut-il chercher du côté des coûts une explication à cette spécificité « construite » par les entreprises de culture française et leur vision du docteur.
Le rapport 2023 du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche sur « L'état de l'emploi scientifique en France » avançait ainsi que « dans un contexte de globalisation, d’ouverture de la recherche et de concurrence internationale, le critère du coût des chercheurs, parmi d’autres considérations, entre en ligne de compte pour l’implantation d’unités de recherche ». Dans le domaine de la réduction des coûts de R&D, force est de constater que les entreprises françaises sont plutôt bien loties en aides directes et fiscales (nationales et européennes). Grâce en particulier au crédit impôts recherche, c’est presque 30 % de leur facture R&D qui est supportée par la collectivité.
Selon l’Association nationale recherche et technologie, qui regroupe les acteurs de la R&D publique et privée, les coûts des chercheurs à proprement parler sont alors presque 20 % plus faibles qu’en Allemagne et équivalent à ceux du Royaume-Uni. Ils sont même plus de deux fois moindres qu’aux États-Unis et à peine supérieurs (+10 %) à ceux de la Chine !


Comme dans bien d’autres domaines, les entreprises françaises cherchent ici aussi à réduire les coûts sans véritable considération pour l’avenir, mais avec les yeux rivés sur les résultats (financiers) à court terme. Avec les conséquences que l’on connaît...
Les indicateurs quantitatifs de performances sont en berne, et plus largement, comme le note la Banque des territoires à la lecture des rapports de l’UE sur l’innovation, « les performances de la France en matière d’innovation la placent tout juste au-dessus de la moyenne des 27. Pis, elle est l’un des deux seuls États membres de l’Union à voir ses performances régresser depuis 2016 ».


La synthèse de l’UE sur les effets de la R&D en France sur l’activité économique est cruelle : malgré un niveau élevé d'investissements et de bonnes conditions-cadres, « l'impact sur les ventes est plus limité, les ventes d'innovations (nouvelles pour le marché et nouvelles pour l'entreprise) par les entreprises françaises s'effondrant au fil des ans et n'atteignant que 44,6 % de la moyenne de l'UE. Les exportations de produits de moyenne et haute technologie et de services à forte intensité de connaissances sont également inférieures à la moyenne de l'UE (respectivement 84,5 % et 77,1 % de la moyenne de l'UE) ».
Sans doute nos entreprises devraient-elles s’inspirer de leurs homologues allemandes, voire américaines. Ces dernières, malgré des coûts de revient des chercheurs deux fois plus élevés, restent à la pointe de la recherche et de l’innovation avec des entreprises qui semblent même trouver ce surcoût bénéfique… Un constat cohérent avec celui fait dans le rapport Draghi sur la compétitivité de l'UE.
À l’heure où la macronie se prête à rêver d'accueillir en grande pompe les chercheurs déçus du rêve américain, il n’est pas certain qu’une recherche qui fonctionne à l’économie soit le meilleur appât… sans compter l’aversion manifeste des entreprises françaises à délier les cordons de leurs bourses pour rémunérer leurs chercheurs en France. Voilà qui fait beaucoup de pilules à avaler pour échapper à Trump…
Notes
(1) Un chiffre supérieur à la dépense intérieure de R&D du secteur public (0,8 % en 2022), car les dépenses des entreprises financées par des aides publiques ou des commandes publiques apparaissent comme de la dépense publique de R&D. Mais il faut alors les retrancher de la R&D des entreprises privées. Dans ce cas, ce sont 25 milliards d’euros supplémentaires, et non 18 milliards d’euros, que le secteur privé devrait consacrer à la R&D pour que l’objectif de 3 % du PIB de la stratégie de Lisbonne soit respecté.
Photo d'ouverture : Emmanuel Macron prononce un discours lors de la conférence « Choose Europe for Science » à l'amphithéâtre de l'université de la Sorbonne à Paris, le 5 mai 2025. La conférence vise à encourager les chercheurs et les scientifiques du monde entier à exercer en Europe. (Photo par Gonzalo Fuentes / POOL / AFP)