Depuis le 24 février et l’invasion russe en Ukraine, l’Europe est en guerre. Emmanuel Macron s’est érigé en interlocuteur de premier plan dans ce conflit, proférant des « condamnations fermes » et exigeant de Vladimir Poutine « une cessation immédiate » des hostilités sous peine de sanctions. Hélas, la guerre, quand elle n’est pas évitée en amont par une diplomatie efficace, ne peut s’arrêter ni par de belles paroles, ni pas des sanctions économiques. Concernant ces dernières, on peut dire qu’elles n’ont absolument pas porté leurs fruits, et pénalisent même en partie la France.

Graphe Politique
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publié le 02/06/2022 Par Olivier Berruyer
Les sanctions occidentales ont favorisé la monnaie russe !
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Le 24 mars dernier, Emmanuel Macron déclarait « L'économie russe à l'heure où je vous parle est en cessation de paiement, sa monnaie a dévissé, son isolement est croissant ».

Ces propos d'Emmanuel Macron faisaient suite à ceux, encore plus brutaux, tenus par Bruno le Maire le 1er mars :

« Les sanctions économiques et financières sont d’une efficacité redoutable. […] Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. […] Le peuple russe en paiera aussi les conséquences. […] Nous visons toute l’économie russe. Nous avons donc préparé un train de sanctions […] Ces sanctions doivent frapper vite et fort. Et on en voit déjà les effets. Le rouble s’est effondré de 30 %. Les réserves de change russes sont en train de fondre comme neige au soleil et le fameux trésor de guerre de Vladimir Poutine est réduit à presque rien. […]

La Banque centrale n’a pas eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt de 10 % à 20 %, ce qui veut dire que les entreprises ne pourront pas emprunter, sauf à des taux très élevés, pour investir et pour développer l’économie. Nous allons donc provoquer l’effondrement de l’économie russe. »

Où en sommes-nous 3 mois plus tard ?

La première leçon est que « l’efficacité redoutable » des sanctions est à relativiser, vu qu’elles ont totalement échoué à atteindre leur but : faire cesser la guerre. Ceci est d’ailleurs peu surprenant, il n’y a guère d’exemples historiques où une décision politique de cette ampleur a pu être modifiée en raison de sanctions économiques. La raison en est simple, comme l’a par exemple expliqué le professeur de relations internationales de l’université Harvard, Stephen M. Walt :

« Les États ne peuvent pas savoir avec certitude ce que les autres peuvent faire à l’avenir, ce qui les rend réticents à se faire confiance et les encourage à se protéger contre la possibilité qu’un autre État puissant tente de leur nuire dans l’avenir. […] Dans un monde où chaque État est en fin de compte livré à lui-même, signaler que l’on peut être victime de chantage peut encourager le maître chanteur à formuler de nouvelles exigences. »

C’est également ce qu’expliquait en substance Ali Laïdi, spécialiste de la guerre économique, dans notre entretien YouTube.

En plus d’avoir échoué sur le plan politique, ces sanctions ont même parfois eu des résultats contreproductifs au plan économique. Pour comprendre pourquoi, rappelons dans un premier temps quelles ont été ces sanctions, sachant que ce lundi 30 mai a été adopté un sixième lot de sanctions par l’Union européenne :

- 23 février, premier lot : 351 députés et 27 responsables et oligarques russes sont frappés par une interdiction de voyager sur le territoire européen, et leurs avoirs en Europe sont gelés – c’est la conséquence de se retrouver sur les listes des sanctions européennes. De fortes restrictions sont imposées sur le commerce avec les zones du Donbass sous contrôle séparatiste. Plus important encore, l’UE interdit le financement de certaines institutions russes, comme la banque centrale, en limitant leur accès aux capitaux européens ;

- 25 février, deuxième lot : Vladimir Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov sont placés sur la liste des personnalités sanctionnées, avec d’autres membres du Conseil national de sécurité de la Fédération de Russie. Des sanctions visent à limiter drastiquement les échanges commerciaux dans les secteurs des technologies, de l’énergie et du transport aérien et de l’industrie spatiale ;

- 28 février, troisième lot : des membres du gouvernement russes, des responsables militaires et plusieurs autres oligarques et hommes d’affaires des secteurs pétrolier, bancaire et financier sont visés par les sanctions. Les transactions avec la banque centrale de Russie sont prohibées et ses avoirs, environ 300 milliards de dollars, sont gelés pour limiter sa capacité à défendre la valeur du rouble. L’espace aérien de l’UE est interdit à tous les avions russes. Plusieurs grandes banques russes sont exclues du système d’échanges Swift, limitant leurs possibilités de réaliser des transactions avec l’Occident. La diffusion des médias RT et Sputnik est interdite dans l’UE ;

- 15 mars, quatrième lot : les transactions avec certaines entreprises détenues par l’État russe sont interdites, ainsi que les exportations de biens de luxe ;

- 15 avril, cinquième lot : La liste des personnes placées sous sanctions est encore élargie, concernant au total près de 1 000 individus et entités. Tous les navires battant pavillon russe sont bannis des ports de l’UE et les opérateurs de fret routiers ont interdiction de travailler dans les frontières européennes. Les sanctions touchent désormais les échanges commerciaux de secteurs tels que l’informatique, les semi-conducteurs, mais aussi le bois, la vodka ou le caviar. Le charbon russe est également placé sous embargo ;

- 30 mai, sixième lot : interdiction d’ici fin 2022 du pétrole russe acheminé par voie maritime et réduction volontaire de certains pays du pétrole acheminé par oléoduc (90 % des importations de l'UE). Exclusions de nouvelles banques russes de Swift et interdiction de la diffusion de trois radiodiffuseurs russes. Interdiction des services de conseils ou de comptabilité à des entités russes. Allongement de la liste des personnalités sanctionnées.

L’annonce des premières sanctions a eu un effet rapide sur le rouble qui a donc perdu 30 % de sa valeur. Cependant, la Russie se préparait depuis longtemps à ces sanctions, en particulier en accumulant des réserves de change qui dépassaient 600 milliards. Elle a rapidement pris les mesures suivantes :

- la banque centrale russe a relevé son taux directeur à 20 % contre 9,5 % ;

- les entreprises russes ont eu obligation de vendre 80 % de leurs devises étrangères ;

- les capitaux étrangers ont eu interdiction de quitter les entreprises russes ;

- les achats de gaz des pays occidentaux doivent désormais être réglés en roubles ;

- la Russie a opéré de gros rabais (25 %) pour vendre son pétrole à la Chine et à l’Inde ;

- certaines entreprises étrangères ne voulant plus travailler en Russie ont été nationalisées de fait (récupération des 2,2 milliards des actifs de Renault en Russie par exemple) ;

- des accords ont été trouvés avec les banques chinoises pour utiliser leur système international de paiement, CIPS, concurrent de Swift.

Au final, toutes ces mesures ont fini par faire remonter le rouble, le propulsant même bien au-delà de son cours d’avant-guerre :

Le fait que les recettes d’exportation se maintiennent (en particulier les hydrocarbures, les produits miniers et les produits alimentaires) alors que les importations et voyages sont limités par les sanctions explique aussi cette situation.

En conséquence, le taux d’intérêt de la banque centrale a récemment été abaissé de 20 % à 14 % et le pourcentage de vente obligatoire des recettes en devises est passé de 80 % à 50 %. Cela permet aux entreprises de se financer un peu moins durement. Le budget russe bénéficie par ailleurs de la forte hausse des prix du pétrole et du gaz, bien supérieure aux rabais accordés.

Beaucoup de pays européens ayant refusé de signer des accords d’approvisionnement à long terme avec la Russie, ils doivent payer le gaz aux prix libres du marché. La moitié des recettes d’hydrocarbures attendues pour 2022 ont déjà été perçues en mai.

Toutefois, la situation économique en Russie est loin d’être bonne : le pays reste touché par une inflation importante, attendue à plus de 20 % en 2022, l’économie devrait décroitre de 3 % à 10 % ce qui constitue un choc très fort, et les pénuries de composants électroniques et autres pièces détachées perturbent la production industrielle russe.

Enfin, comme souvent, on constate que les sanctions sont loin d’être indolores pour les pays s’y adonnant. On pense évidemment aux prix des carburants – et le sixième paquet de sanctions (dont on n’attend, à terme, qu’une hypothétique baisse des ventes de pétrole de la Russie de 10 %) devrait encore plus le pousser à la hausse :

Mais, en affaiblissant nos économies et en alimentant l’inflation, les politiques de sanctions touchent également la valeur de notre monnaie, qui a perdu 10 % de sa valeur face au dollar, renchérissant d’autant nos importations :

L’inflation touche donc fortement l’Occident, à des niveaux inconnus depuis la fin des années 1970, sans que la BCE ne réagisse.

En conclusion, on assiste à un nouvel exemple d’inefficacité des sanctions économiques à obtenir des résultats politiques. Ne reste que la propagation de la dévastation économique, bien entendu en Russie (à des niveaux bien plus limités qu’attendu), mais également, sous forme d’un retour de flamme, en Europe.

Les fortes baisses de pouvoir d’achat qui vont frapper les populations européennes en 2022 vont faire chuter une croissance qui se remettait à peine de la crise du Covid, prélude à une multiplication de problèmes économiques et sociaux.

Photo d'ouverture : Le président russe Vladimir Poutine participe à une réunion avec son homologue biélorusse dans la station balnéaire de Sochi, sur la mer Noire, le 23 mai 2022 - Ramil Sitdikov - @AFP

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