Une immense prison à ciel ouvert dont personne ne peut s'échapper et où les voix libres sont réduites au silence ou éliminées physiquement. C'est un instantané sans appel de ce qu'est devenue l'Égypte aujourd'hui. Le 3 juillet 2013, un coup d'État militaire dépose Morsi et porte au pouvoir le général Abdelfattah al-Sissi.
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La répression s’étend rapidement à toute voix critique. De juillet 2013 à mai 2019, plus de 2.400 condamnations à mort ont été prononcées et 144 exécutions ont eu lieu, souvent à l'issue de procès irréguliers. À la fin de 2020, le total était passé à plus de 200, avec 51 condamnations effectuées rien qu'entre octobre et novembre.
Multiplication de prisons et de prisonniers politiques
Le président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, en dessinant les priorités de l'État et ses fondations, a choisi de commencer par la répression. En 2011, il y avait 43 grandes prisons égyptiennes actives. En moins de dix ans, elles sont passées à 78. En quelques années, le système diabolique mis en place par la NSA, l'Agence de sécurité nationale, bras armé du pouvoir d'al-Sissi, a conduit à une vague d'arrestations sans précédent : des dizaines de milliers de prisonniers à ne pas considérer comme des "criminels de droit commun".
Selon l'ANHRI (Arab Network for Human Rights Information), un total d'environ 120.000 personnes sont actuellement renfermées dans les prisons d'État, dont 65.000 sont des prisonniers politiques : des journalistes, des avocats, des médecins, des professionnels ou des simples citoyens dont l’unique crime a été de critiquer le gouvernement en descendant dans la rue ou en publiant un post sur Facebook ou Instagram.
Autour de l'état d'urgence, qui continue d'être renouvelé sans interruption, gravite toute une série de lois : la loi antiterroriste, dont le contenu est tellement vague et générique qu'il permet de criminaliser des activités pacifiques tout à fait légitimes au regard du droit international, puis la loi sur les manifestations, la loi sur les organisations non gouvernementales, les syndicats, les médias, etc.
Les protagonistes de la répression sont l'Agence de sécurité nationale, qui procède à la plupart des arrestations, et le Bureau du procureur suprême de la sécurité de l'État, qui, au cours des cinq premières années de la présidence d'al-Sissi, a plus que triplé le nombre d'affaires qu'il traite. Ce bureau du procureur est également chargé de nier un nouveau phénomène dans l'Égypte d'al-Sissi : les disparitions forcées, les tortures et les crimes politiques qui représentaient en moyenne deux à trois cas par jour en 2015-2016 et n'ont guère diminué dans les années qui ont suivi.
Torture, mensonges, dissimulations : le meurtre d'État de Giulio Regeni
Parmi les disparitions forcées et les crimes étouffés, le meurtre du chercheur italien Giulio Regeni a fait grand bruit. Giulio, un doctorant effectuant des recherches sur les syndicats indépendants égyptiens à l'Université américaine du Caire, a été enlevé le soir du 25 janvier 2016 : son corps torturé a été retrouvé neuf jours plus tard, le long de la route reliant Alexandrie au Caire.
Dans les premières semaines qui ont suivi la découverte de son corps, de nombreuses fausses pistes se sont succédé, fabriquées sciemment par le gouvernement égyptien pour détourner l'enquête : on a d'abord parlé d'un accident de voiture, puis d'un vol qui aurait mal tourné, puis on a insinué que le jeune homme avait été tué parce qu'il était considéré comme un espion, puis qu'il s'était retrouvé dans un réseau de trafic de drogue, de fêtes homosexuelles et de malversations qui l'avaient amené à se faire des ennemis.
Mais derrière l'écran de fumée du régime la manœuvre s'est avéré être une pantomime grotesquement construite. Les vérifications ont montré que le chercheur était déjà surveillé par la police et qu’il avait été torturé puis assassiné dans des locaux de la police par les services secrets égyptiens qui ont ensuite essayé d'effacer grossièrement les traces de leur crime odieux. Pour ce meurtre quatre hommes des services secrets égyptiens ont été mis en examen par la magistrature italienne. Mais les juges égyptiens contestent les résultats de l'enquête italienne, niant toute responsabilité des institutions égyptiennes, et déclarant que pour l'Égypte, l'affaire Regeni est close.
Détention provisoire et censure
Le cas de Regeni est un cas parmi tant d'autres. Sous le régime du président al-Sissi, la détention provisoire est constamment utilisée. Bien que la loi prévoie une durée maximale de détention sans procès de deux ans, depuis 2013, il y a eu des milliers de cas dans lesquels cette période a été prolongée même jusqu'à quatre ou cinq ans, par l'émission de nouveaux mandats d'arrêt à l'expiration de la période établie par la loi.
La détention préventive est appliquée à de nombreux prisonniers d'opinion, frappés par des chefs d'accusation inexistants tels que "menace pour la sécurité nationale", "incitation à la manifestation illégale", "subversion", "diffusion de fausses nouvelles" et "propagande pour le terrorisme". Afin d'éviter que la population égyptienne ne soit informée de la situation des droits de l'homme et que les nouvelles ne soient diffusées en dehors du pays, les médias sont soumis à une stricte censure. Il y a au moins 30 journalistes condamnés ou en attente de jugement.
Depuis 2018 la loi égyptienne permet aux autorités, notamment au Conseil suprême de régulation des médias de censurer les médias en ligne, les sites internet et les comptes personnels sur les réseaux sociaux de plus de 5.000 followers. À ce jour, plus de 500 sites web, dont celui de Reporters Sans Frontières (RSF), ont été bloqués pour "diffusion de fausses informations". Pour ces raisons et bien d'autres, l'Égypte est classée 166ème sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse 2020 de RSF.
L'Égypte actuelle est une dictature militaire impitoyable qui étouffe toute dissidence et toute voix critique mais également une mine d'or pour les pays occidentaux qui vendent au régime d’al-Sissi des armes et des fournitures militaires. Une affaire juteuse qui implique néanmoins un silence coupable sur la suppression des droits civils. Les millions en jeu ont créé un mur de silence autour de ce pays qu'aucune voix dissidente ne saurait pénétrer.
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