Coup de tonnerre dans la vie politique française : la candidate déclarée (et annoncée favorite du 1er tour) à l’élection présidentielle 2027 est frappée d’une sanction d’inéligibilité pour cinq ans ! C’est la conséquence d’une décision du Tribunal correctionnel de Paris du 31 mars 2025 qui a condamné différents cadres du Rassemblement national, dont son ancienne présidente, pour « détournement de fonds publics ». La déflagration est sans précédent : voilà que plus de 30 % d’électeurs se retrouvent soudainement privés de leur candidate pour l’élection la plus importante du pays ! La petite élite bien-pensante du microcosme parisien s’est immédiatement réjouie de cette condamnation pénale pourtant lourde de conséquences, tout en vilipendant sévèrement les critiques du verdict au nom de « l’indépendance de la justice ». De leur côté, les partisans de la cheffe de file frontiste ont crié au scandale et dénoncé le « gouvernement des juges », c’est-à-dire l’immixtion de la justice dans la vie politique et l’usurpation supposée de la volonté du peuple. Comme souvent, il se pourrait bien que ni les uns ni les autres n’aient tout à fait raison…

Article Démocratie
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publié le 10/04/2025 Par François Boulo
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Qu’un juge puisse, par son appartenance au milieu culturel petit-bourgeois, être orienté idéologiquement et, par-là, opposé aux idées du Rassemblement national est un truisme. Que nombre de magistrats soient acquis à la pensée dominante aujourd’hui incarnée par le macronisme et qui se caractérise essentiellement par un mépris – même inconscient – envers les classes sociales inférieures est tout aussi évident. La complicité avec laquelle la justice a agi pour accompagner la féroce répression menée par le pouvoir à l’encontre du mouvement des Gilets jaunes en a été une preuve exemplaire.

Pour autant, il serait simpliste, et même malhonnête, de qualifier la condamnation de Marine Le Pen de « décision politique ». En réalité, les juges n’avaient pas une grande marge de manœuvre…

Une décision judiciaire quasi inéluctable

La loi Sapin II votée en 2016 a conféré à la peine d’inéligibilité un caractère automatique pour toutes les infractions commises par une personne exerçant une fonction publique et caractérisant un manquement au devoir de probité (1). Et c’est le cas du délit de détournement de fonds publics réprimé par l’article 432-15 du Code pénal. Ce n’est que par une décision spécialement motivée que le juge peut décider d’écarter l’application de cette peine d’inéligibilité en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur.

Là est désormais tout le dilemme des magistrats : laisser s’appliquer la peine conformément à ce qu’a préconisé le législateur ou assumer expressément de l’écarter pour des raisons dûment motivées. Certes, la loi Sapin II ne s’appliquait pas au présent litige, car les faits incriminés étaient antérieurs, mais elle a fortement influencé le Tribunal qui l’a d’ailleurs expressément visée dans son jugement. Cela étant dit, et sous un prisme plus politique, les juges auraient pu s’appuyer sur l’absence d’enrichissement personnel de Marine Le Pen et arguer ne pas vouloir interférer dans l’élection présidentielle pour laisser le libre choix aux électeurs. Mais soyons honnêtes, du strict point de vue judiciaire, l’ampleur du détournement – 4 millions d’euros – et l’attitude des prévenus qui ont nié leur responsabilité pendant toute la durée de la procédure, n’incitaient pas à la clémence. Ne pas appliquer la peine d’inéligibilité aurait tout eu du traitement de faveur qu’on refuse aux citoyens ordinaires, une sorte de privilège de noblesse lié au statut particulier de Marine Le Pen.

Il est possible que le Tribunal n’ait pas eu beaucoup de scrupules à rendre sa décision, et peut-être même en a-t-il tiré une certaine satisfaction, mais un juge même parfaitement impartial aurait sans doute rendu la même décision. Quant à la polémique sur l’exécution provisoire de la peine – qui fait échec à l’effet suspensif de l’appel –, il est inutile de rentrer dans le détail de la discussion puisqu’en définitive, la Cour d’appel de Paris a d’ores et déjà annoncé que la décision sera rendue à l’été 2026. Et le jugement de première instance sera fort probablement confirmé.

Un système inéquitable à l’origine de l’infraction

Comprendre une décision judiciaire ne signifie pas l’approuver. Il faut se détacher de l’approche purement juridique pour saisir toutes les limites de la justice, surtout quand elle intervient en matière politique. Certes, l’infraction en cause impressionne : « détournement de fonds publics ». Mais de quoi parle-t-on exactement ? Sur la période de 2004 à 2016, le Rassemblement national a employé les fonds du Parlement européen censés rémunérer des assistants parlementaires pour, à la place, payer des salariés du parti.

Le Parlement européen s’est estimé lésé, mais on pourrait arguer que ce sont en réalité les députés du Rassemblement national qui se sont porté préjudice à eux-mêmes en se privant d’une précieuse aide dans l’exercice de leur fonction. Pour le dire plus prosaïquement, ils se sont tiré une balle dans le pied en se passant des services d’un assistant parlementaire. Tant pis pour eux si, de ce fait, ils ont été de mauvais députés ! Il n’y a aucune loi pénale qui oblige un élu ni à remplir ses obligations efficacement (en s’aidant d’un assistant parlementaire) ni à être compétent. Si tel avait été le cas, bien des députés français auraient déjà été condamnés depuis le temps !

On peut ajouter un argument politiquement très incorrect : « Le Parlement européen ne sert à rien, cette institution n’a aucun pouvoir de décision !  Dès lors, quel est le réel préjudice pour les contribuables ? ». Dès que l'on déconstruit la fiction de la prétendue utilité du Parlement européen, aucun ! Ajoutons encore que sur la période incriminée, le Rassemblement national était ouvertement opposé à l’Union européenne. Dans ces conditions, utiliser les enveloppes attribuées par une institution dont on conteste la légitimité au service du parti n’est pas de nature à choquer ses partisans. Sans surprise, aucun électeur du RN n’a d’ailleurs exprimé le moindre sentiment de trahison à propos de cette affaire, car elle n’entre nullement en contradiction avec la ligne idéologique défendue à l’époque.

Soulignons enfin qu’à cette période, le Rassemblement national n’était encore qu’un trublion sur la scène politique française, loin du puissant parti arrivé en tête du premier tour des dernières élections législatives de 2024. Or, les règles en matière de financement électoral sont largement à l’avantage des grands partis installés – UMP et Parti socialiste à l’époque des faits – si bien que nombre de petits partis, dont le MODEM de François Bayrou, pratiquaient le même système de détournement.

Faut-il rappeler qu’en 2014, Marine Le Pen avait dû recourir à une banque russe pour obtenir un prêt de 9 millions d’euros, car son parti avait essuyé des refus de la part de tous les établissements français ? Il y a donc une forme d’hypocrisie à faire preuve d’une approche particulièrement rigoriste quant à l’utilisation des fonds alloués aux élus au titre de leur enveloppe parlementaire, lorsque le système dans son ensemble place structurellement les petits partis politiques en situation de précarité sur le plan matériel et financier.

Mais évidemment, toutes ces considérations échappent à l’appréciation de la justice et c’est pourquoi la condamnation qui a été prononcée était difficilement évitable, surtout que l’emploi en tant qu’assistant parlementaire du majordome de Jean-Marie Le Pen était là difficilement défendable…

Deux poids, deux mesures : un système injuste et verrouillé

Il n’en demeure pas moins que les conséquences de cette décision de justice sont gravissimes sur le plan démocratique : la représentante du premier parti de France est interdite de se présenter à l’élection présidentielle de 2027. Certes, la justice a simplement accompli son travail, mais cette décision ne peut que susciter l’incompréhension et le ressentiment chez nombre de citoyens, car elle intervient dans une période où le système politique est devenu totalement défaillant.

Il l’est d’abord parce que depuis près de cinquante ans, ce sont les mêmes qui gouvernent. De Giscard d’Estaing à Macron, l’orientation idéologique n’a jamais vraiment changé : atlantiste, européiste et néolibérale. Or, c’est bien cette ligne politique qui a conduit au déclassement de la France et au mécontentement croissant de la population qui, ces dernières années, a choisi de se détourner des partis traditionnels. Mais plutôt que d’encourager la contradiction dans le débat public pour permettre la montée de partis proposant des alternatives au modèle dominant, le système incarné aujourd’hui par le macronisme s’est raidi.

Tout a été fait pour maintenir de force le statu quo contre l’avis de la majorité du peuple. Entre censures et attaques médiatiques en tous genres, tout opposant au système – réel ou non, puisque le Rassemblement national n'en est pas un, contrairement à ce que croient ses électeurs – est fusillé sur place. Même lorsque le parti présidentiel et ses alliés n’arrivent qu’en troisième position en nombre de sièges à l’Assemblée nationale – derrière le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national –, ils s’accrochent coûte que coûte au pouvoir ! Pour tous ceux qui aspirent désespérément à un changement radical de politique, l’obstination manifeste du système à se maintenir en place a de quoi rendre fou ! Le pays est devenu une cocotte-minute prête à exploser à tout moment, et c’est dans ce contexte que la condamnation de Marine Le Pen intervient…

La situation est d’autant plus insupportable que le « deux poids, deux mesures » saute aux yeux pour quiconque se tient un minimum informé sur l’actualité. Étrangement, la macronie semble bénéficier d’une incroyable chance puisqu’elle parvient toujours à s’en tirer à bon compte malgré toutes les affaires dans lesquelles elle a trempé.

L’exemple de François Bayrou, aujourd’hui Premier ministre, ne manque pas d’interpeller. Alors qu’il était poursuivi pour les mêmes faits de détournement que Marine Le Pen, les faux assistants parlementaires du MODEM ainsi que le parti ont été pénalement condamnés, mais pas son Président… François Bayrou a été miraculeusement relaxé par le Tribunal au motif que la preuve n’était pas faite qu’il ait eu connaissance de la non-exécution des contrats d’assistance parlementaire, même si le Juge a relevé qu’il était « très probable » que les actes de détournement aient été commis « avec l’autorisation de M. Bayrou ». Il faudrait comprendre que le Président du parti ne savait pas que les « assistants parlementaires » travaillaient en réalité… pour son propre parti ! On se moque du monde ! Et on a évidemment peine à croire que Marine Le Pen aurait bénéficié de la même indulgence…

Sans être exhaustif, la liste des proches du Président de la République ayant exercé des fonctions ministérielles et qui ont échappé à des condamnations judiciaires est longue comme le bras : Éric Dupont-Moretti relaxé par la Cour de justice de la République dans une affaire de prise illégale d’intérêts, Gérald Darmanin bénéficiant d’un non-lieu dans une affaire de viol, Richard Ferrand (devenu aujourd’hui Président du Conseil constitutionnel) mis hors de cause dans l’affaire des Mutuelles de Bretagne pour prise illégale d’intérêts, Sébastien Lecornu bénéficiant d’un classement sans suite dans l’affaire SAPN pour prise illégale d’intérêts, Olivier Dussopt jugé non coupable de favoritisme dans l’affaire de l’attribution du marché public de l’eau à Annonay…

On ne compte pas non plus les procédures en cours pour des motifs particulièrement graves mettant en cause la probité des personnes visées, mais qui n’ont eu à ce jour aucune incidence sur leur nomination ou leur carrière : Alexis Kohler mis en examen dans l’affaire MSC pour prise illégale d’intérêts, Muriel Pénicaud mise en examen dans l’affaire Business France pour complicité de favoritisme, Rachida Dati mise en examen dans le dossier Gohn pour corruption passive, trafic d’influence passif, recel d’abus de pouvoir et recel d’abus de confiance. Cela fait tout de même beaucoup de gens très haut placés passés entre les mailles du filet !

Tout cela ne peut qu’alimenter un sentiment de défiance des citoyens envers les institutions, car la justice semble bien plus prompte quand il s’agit de condamner avec sévérité et célérité les opposants politiques. « Tous pourris » peut-être, mais pas tous condamnés… Comment croire encore à l’État de droit lorsque l’iniquité dans le traitement judiciaire des affaires est aussi flagrante ? On en viendrait presque à se poser la question de soustraire au Juge le pouvoir de sanctionner d’inéligibilité les personnes condamnées pour laisser les électeurs se faire leur propre opinion au moment de voter.

En l’état de déliquescence actuel, le choix qui s’offre à nous est pour le moins terrifiant : continuer à faire confiance en des institutions largement défaillantes (voire corruptibles ?), ou redonner le pouvoir à des électeurs souvent dépolitisés et abreuvés de propagande depuis des décennies… Aucun doute : la démocratie française se porte bien !

Quand la colère est chassée par la porte, elle revient par la fenêtre…

Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir de l’inéligibilité de Marine Le Pen car, vaincue sur le terrain judiciaire, elle n’a pas perdu le combat politique. Ses idées, ses discours, ses mensonges et la colère sur laquelle elle a toujours prospéré continuent de hanter la société française. Les 30 % d’électeurs du RN n’ont pas subitement disparu ! Eux qui sont méprisés et humiliés depuis des décennies, comment peuvent-ils interpréter la situation autrement que comme une énième manœuvre de la caste dirigeante pour les empêcher d’arriver au pouvoir ?

Il y a fort à parier que, privés de leur candidate « titulaire » qui ne manquera pas de jouer au martyr, ils se mobiliseront massivement pour le candidat « remplaçant », quel qu’il soit, pour « foutre en l’air » une bonne fois pour toutes ce système qui les écrase. Et même si ce candidat les trahira dans la foulée de sa potentielle élection – comme Marine Le Pen les aurait trahis –, c’est ce qu’ils feront car « on n’a jamais essayé ».

Voilà l’argument qui l’emportera sur tous les autres… Pas de possibilité de discussion sur les sujets pourtant essentiels : réindustrialisation du pays, sortie de l’euro et du libre-échange, taxation des plus riches, fin des politiques d’austérité… En interdisant Marine Le Pen de se présenter à l’élection présidentielle, on ne fait qu’hystériser encore un peu plus un débat public qui l’était déjà trop. Tout esprit de raison a disparu, toute possibilité de discussion argumentée et contradictoire est empêchée, et c’est pourquoi la France n’est (déjà) plus une démocratie.

Notes

(1) Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique - Article 19 : […] « Par dérogation au 1° du présent article, le prononcé de la peine complémentaire d'inéligibilité mentionnée au 2° de l'article 131-26 et à l'article 131-26-1 est obligatoire à l'encontre de toute personne coupable de l'une des infractions définies à la section 3 du présent chapitre. Toutefois, la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer cette peine, en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ».

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