NON, « L’ÉCO-TERRORISME » N'EXISTE PAS EN FRANCE

C’est une sorte de nouveau poncif tiré de la lecture anxieuse d’Orwell : celui qui manipule le langage manipule l’esprit humain. Voilà qui revient à dire que celui qui invente des mots implante sa réalité dans le cerveau des hommes.

Le 25 mars dernier, la manifestation contre le projet des mégabassines à Sainte-Soline a donné le prétexte idéal pour l’usage abusif d’un néologisme : celui d’éco-terroriste. À froid, le mot distille l’idée que les manifestants menacent autant le quidam que les djihadistes. Il est vrai que l’accélération des effets visibles de la crise climatique a précipité une très petite minorité de militants écologistes à s’engager dans l’action directe, c’est-à-dire l’action pilotée par soi-même, en dehors des cadres légaux et « démocratiques ».

Récemment, ces actions directes consistaient à crever les pneus des SUV dans les centres-villes, saboter des golfs dans la région de Toulouse ou jeter de la peinture sur des œuvres d’art. Si Gérald Darmanin a propulsé le terme sur le devant de la scène, éco-terroriste est apparu dans les années 1980 aux États-Unis pour désigner des groupes prêts à utiliser les moyens du terrorisme dans le but de défendre la nature ou les animaux.

Le FBI voit alors d’un très mauvais œil les agissements de deux groupes anglais, l’Animal Liberation Front (ALF) et l’Earth Liberation Front (ELF), impliqués dans des actions directes menées en Amérique, en Europe et en Israël. Mais en France, le choix de la violence pour la condition animale ou la préservation des terres arables n’a pas pris. Ce n’est pas du gauchisme, de la culture de l’excuse ou de la complaisance pour les nouveaux fascistes mais un fait.

Par ailleurs, le Code pénal ne définit pas « l'écoterrorisme » en particulier, mais le terrorisme de manière générale, comme des infractions « en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

Les actions enregistrées depuis 2003 se situent sur un continuum allant de la désobéissance civile à la destruction de bien privés : sabotages d'antennes 5G, faucheurs d'OGM ou encore incendie de l'usine Techniplast, à Limonest, dans le Rhône, qui fabriquait des cages pour animaux. Aucune de ces actions n’a fait de victime. Ces actions n’ont pas atteint la fréquence et le degré de gravité observé dans le monde anglo-saxon. Encore une fois, on tente d’importer en France un phénomène américano-britannique qui ne fait pas écho à la situation nationale.

En parallèle à la prose gouvernementale, des observateurs de la Ligue des droits de l’Homme présents à Sainte-Soline ont relevé « un usage immodéré et indiscriminé de la force sur l’ensemble des personnes présentes, avec un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain ». D’après ces personnes présentes sur place, les cortèges ont été ciblés avant et après leur arrivée sur les lieux par des tirs de grenades lacrymogènes, assourdissantes et explosives « de type GM2L et GENL », ainsi que de LBD 40.

Des gendarmes mobiles en quad tirent des grenades lacrymogènes en direction des manifestants lors d'une manifestation appelée par le collectif "Bassines non merci", le mouvement écologiste "Les Soulèvements de la Terre" et le syndicat français "Confédération paysanne" pour protester contre la construction d'une nouvelle réserve d'eau pour l'irrigation agricole, à Sainte-Soline, dans le centre-ouest de la France, le 25 mars 2023 - Thibaud Moritz - @AFP

« Des grenades ont été envoyées très loin et de manière indiscriminée » et les détonations « étaient régulièrement suivies de cris d’appel au secours ». La LDH pointe aussi des tirs en direction d’élus et des entraves à l’arrivée des secours. Au total, 4 000 grenades ont été tirées par les forces de police, selon le ministre de l’Intérieur.

Pour rester au-dessus du vide sur la corde sémantique, Gérald Darmanin prétend que « les violences policières n’existent pas ». Il existerait donc des écoterroristes qui ne menacent aucun citoyen, dont les actions sont imperceptibles au quotidien (sauf pour les conducteurs de SUV désirant se rendre au golf dans le sud-ouest), mais pas les violences policières qui seraient, elles, une vue de l’esprit.

Les gilets jaunes énucléés apprécieront ce deux poids-deux mesures reconnu à demi-mots : pour Darmanin, la légitime défense pour les citoyens (celle relative à la protection des biens naturels indispensables à la survie ou à l’opposition à des politiques structurellement discriminantes) est un crime ; la réponse, même disproportionnée, de l’État est quant à elle toujours légitime et indiscutable.

Autre mot-valise piégé : « l’écototalitarisme », concept déniché dans une tribune pro-corrida de novembre 2022, publiée dans le Journal du Dimanche. « Nos traditions doivent résister à l’écototalitarisme ». Comprendre : ceux qui s’opposent « à la chasse, aux sapins de Noël, au barbecue amical, aux aéroclubs »… Et maintenant aux toreros ! Tout le monde dans le même sac : les bigots de l’écologie, les opportunistes du glissement de bulletin dans l’urne, les anti-nucléaires, les zadistes, les anti-vivisection, les anti-accaparement des nappes phréatiques.

Cet amalgame est très utilisé dans l’arsenal lexical du gouvernement, qui adore confondre les opposants au passe vaccinal avec les platistes et les conspirationnistes bas du front, les gilets jaunes avec les négationnistes et les djihadistes avec les partisans de l’instruction en famille, d’où la loi dite « contre le séparatisme », qui vise quiconque envisagerait de se couper du modèle en place. Le totalitarisme, pourtant, est bien là : annihiler toute possibilité de choix conscient et personnel pour gérer, à la place des individus et des communautés, absolument tous les aspects de leur existence.

En l’absence de structures mentales, de vocabulaire, de culture générale et de vie politique vascularisée, chaque acteur de la vie publique (semi-privatisée) peut imposer, par le langage, sa réalité. Et pour se démarquer, être vu, entendu, il faut coller à son adversaire une étiquette définitive.

Si on suit les consignes véhiculées au travers des différentes interventions des principaux ministres, on peut en conclure qu’un bon citoyen ne manifeste pas, ne vote ni pour Mélenchon ni pour Le Pen, ne conduit pas de diesel mais prend l’avion, est favorable à l’écologie à la seule condition qu’elle soit pilotée par les firmes du CAC40, ne remet en question aucune institution et n’erre pas dans les gares en n’étant pas grand-chose. Le message est clair : un bon citoyen est un électeur de Macron.

Photo d'ouverture : Manifestation de soutien aux victimes de brutalités policières, après les événements de Sainte-Soline et les manifestations contre les retraites, à Nantes, dans l'ouest de la France, le 30 mars 2023 - Sébastien Salom-Gomis - @AFP