Marché de l'armement : la France devient le deuxième exportateur mondial d'armes

Depuis la guerre en Ukraine, la carte mondiale du commerce des armes se redessine à toute vitesse. Alors que les dépenses militaires mondiales sont au plus haut depuis la Guerre froide, les États-Unis renforcent de manière écrasante leur position dominante dans le secteur. Dans le même temps, l’Hexagone exporte désormais plus d’armes que la Russie, concentrée sur ses propres matériels… et sur l’Afrique.

publié le 09/10/2023 Par Marine Rabreau

Terminée, l’ère du duopole russo-américain datant de la Guerre froide. En 2022, la France a exporté davantage d’armes que la Russie, et se positionne désormais comme numéro deux mondial du secteur (quoique toujours très loin) derrière les États-Unis. Ces derniers concentraient 40 % des exportations d'armes dans le monde sur la période 2018-2022 (+15 %), selon le Sipri, quand la Russie chutait à 16 % (-31 %) et la France grimpait à 11 % (+47 %).

Porté par des dépenses militaires au plus haut depuis 30 ans au niveau planétaire (1), et considéré comme une référence mondiale grâce à ses fameux Rafale (mais aussi ses missiles, frégates, sous-marins, artillerie, hélicoptères, radars, et autres satellites d’observation), l’Hexagone a battu l’année dernière son record historique de prises de commandes de matériels militaires à l’export, selon le récent rapport au Parlement sur les exportations d’armement.

26,7 milliards d’euros (dont une commande de 80 Rafale par les Émirats arabes unis, pour un montant de 16 milliards d'euros) (2) ! C’est plus de deux fois supérieur aux ventes – déjà exceptionnelles – de 2021 (11,7 milliards). C’est 10 milliards de plus que le précédent record atteint en 2015, une année également marquée par des records de vente de Rafale en Inde, au Qatar et en Égypte.. Et c’est beaucoup plus que les 10,8 milliards de dollars exportés par la Russie en 2022 (-26 % en un an).

L’Europe se réarme massivement

Parmi les plus gros clients historiques de la France en matière d’armement : l’Égypte, l’Inde, le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Belgique, la Grèce, Singapour, les États-Unis et le Koweït.

Si la zone Moyen-Orient reste le plus gros débouché de la France (64 % des commandes de 2022), le marché européen monte en puissance. Le Vieux continent représentait déjà un tiers des prises de commandes françaises en 2021, contre 10 % en moyenne de 2012 à 2017. Sur la période 2018-2022 étudiée par le Sipri, l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, les importations d'armes européennes ont ainsi affiché une hausse de 47 % par rapport aux cinq années précédentes. Et ce alors qu'au niveau mondial, les transferts internationaux d'armes ont diminué de 5,1 % par rapport à la période 2012-2017 : un contraste majeur qui témoigne de la volonté des Européens « d'importer plus d'armes, plus rapidement », explique Pieter​ Wezeman, coauteur de l’étude.

D’après le Sipri, cette tendance haussière va se poursuivre dans les années qui viennent. Avec l’offensive russe en Ukraine, démarrée le 24 février 2022, les dépenses militaires en Europe ont atteint 480 milliards de dollars l’année dernière (+13 %), soit autant (en dollars constants) que celles engagées l’année de la chute du mur de Berlin en 1989.

Dans un contexte de montée considérable des tensions entre l'Occident, la Russie et la Chine, Emmanuel Macron a proposé, en janvier dernier, une hausse de 100 milliards d'euros pour la loi de programmation militaire 2024-2030 par rapport à la période 2019-2025. Outre-Manche, le Premier ministre britannique Rishi Sunak prévoyait en mars 5,6 milliards d'euros supplémentaires dans la défense. Tandis qu’en Allemagne, le chancelier Olaf Scholz avait annoncé dès février 2022 un fonds spécial de 100 milliards d'euros (qui peine à se mettre concrètement en place face à la lourdeur bureaucratique outre-Rhin) pour moderniser son armée affaiblie par des décennies de sous-investissement.

Quant aux importations d’armements, elles se sont littéralement envolées en 2022 en Europe : elles ont en effet grimpé de 93 %, en un an (hors Ukraine, la hausse atteint 35 %), soit un quasi doublement. L'Ukraine, qui de 1991 à 2021 était un importateur insignifiant d’armes, est soudainement devenue, l’année dernière, le troisième plus grand importateur d'armes au monde après le Qatar et l'Inde. À lui seul, le pays a concentré 31 % des importations d'armement en Europe et 8 % des achats mondiaux. Ses principaux fournisseurs ont été les États-Unis (35 %), la Pologne (17 %), l'Allemagne (11 %), le Royaume-Uni (10 %) et la République tchèque (4,4 %).

Des techniciens de la société allemande d'armement Rheinmetall assemblent un char de combat Leopard 2A4 à Unterluess, dans le nord de l'Allemagne, le 6 juin 2023 - Axel Heimken - @AFP

Les industriels prêts au décollage

« L'invasion (en Ukraine, ndlr) a vraiment provoqué une envolée significative de la demande d'armes en Europe, qui n'a pas encore montré sa pleine puissance et va, selon toute vraisemblance, mener à de nouvelles hausses d'importations », assure Pieter Wezeman.

Aucun doute donc : l’avenir est à la flambée des commandes pour les industriels de l’armement. Alors que les 100 plus grands producteurs d’armements au monde ont vendu pour 591 milliards de dollars en 2021 (selon les dernières données du Sipri datant de fin 2022), certains relèvent encore leurs perspectives pour 2023. À l’instar du mastodonte américain Lockheed Martin, le premier fournisseur d’armements au monde avec ses 66 milliards de dollars de chiffre d’affaires, qui a inventé le canon laser le plus puissant du monde.

Parmi les géants du secteur, figurent les américains Raytheon Technologies, Boeing, Northrop Grumman (qui a sorti le cyber-bombardier B-21 Raider pour l’US Air Force), General Dynamic, mais aussi les britanniques BAE Systems et Rolls-Royce, les chinois Norinco, AVIC et CETC (portées par des programmes de modernisation lancés par l'Armée Populaire de Libération), les français Airbus, Thales, Safran et Dassault ou encore l’italien Leonardo.


Armement : la suprématie américaine se renforce de manière écrasante

Le poids des États-Unis dans le secteur de l’armement s’est encore renforcé ces cinq dernières années. Entre la période 2013-2017 et la période 2018-2022, ils ont vu leur part dans les exportations mondiales passer de 33 % à 40 %. Leurs principaux acheteurs proviennent du Moyen-Orient (41 % des exportations), de l’Arabie saoudite, du Qatar, du Koweït et des Émirats arabes unis, dans le but de contenir l'influence iranienne. En Asie et en Océanie, le Japon (8,6 %), l’Australie (8,4 %) et la Corée du Sud (6,5 %) cherchent à maîtriser la puissance chinoise. Tandis qu’en Europe, les États-Unis ont principalement vendu des armes à leurs alliés de l'OTAN : le Royaume-Uni (4,6 %), les Pays-Bas (4,4 %) et la Norvège (4,2 %). Et désormais l’Ukraine…


Cette flambée attendue de la demande se heurte néanmoins à deux obstacles majeurs : le recrutement, alors que la pénurie de main-d'œuvre existe déjà et que le secteur peine à attirer les jeunes, et les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement (notamment dans les microprocesseurs), qui ont démarré avec la pandémie de Covid 19 et qui se sont accrues depuis la guerre en Ukraine, la Russie étant un grand fournisseur de matières premières utilisées dans la production d’armes.

« Augmenter la production prend du temps », souligne Dr Diego Lopes da Silva, chercheur principal au SIPRI. « Si les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement se poursuivent, il faudra peut-être plusieurs années à certains des principaux producteurs d’armes pour répondre à la nouvelle demande générée par la guerre en Ukraine».

La Russie se concentre sur ses matériels… et sur l’Afrique

De son côté, la Russie exporte moins : elle est contrainte de se concentrer sur le remplacement de ses propres matériels, qui subissent des pertes sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale (3). De plus, « la demande des autres États restera faible en raison des sanctions commerciales prises contre la Russie et de la pression croissante exercée par les États-Unis et ses alliés pour ne pas acheter d'armes russes », analyse Siemon Wezeman, chercheur au Sipri. Moscou conserve néanmoins ses clients fidèles – Chine et Égypte en tête – avec respectivement des exportations qui y ont augmenté de 39 et 44 % en 2022.

Alors que les Occidentaux parient sur l’épuisement des capacités russes, Moscou a assuré en juillet dernier avoir accéléré sa fabrication d’armements militaires et « produire, chaque mois, autant de munitions que pour l'ensemble de l'année 2022 ». La Russie peut en outre compter sur l’Iran (et peut-être bientôt sur la Corée du Nord), à qui elle a importé des véhicules aériens sans équipage (UAV) et des bombes volantes.

D'autre part, Moscou poursuit sa mobilisation sur le territoire africain. Entre 2018 et 2022, la Russie a été le premier exportateur d'armes vers le continent. De plus, elle remporte la guerre d’influence qu’elle livre à la Chine en Afrique. Au cours des cinq dernières années, Moscou a repris à Pékin la place de premier vendeur d’armes en Afrique subsaharienne avec un total de 26 % de parts de marché, contre 21 % sur la période précédente. Une proportion qui monte à 40 % en tenant compte du Maghreb, où l’Algérie figure parmi ses plus grands clients. La Chine, de son côté, a vu ses parts de marché plonger de 29 % à 18 % dans la sous-région (-11 points), passant à la seconde place, devant la France (8 %) et les États-Unis (5 %).

Photo d'ouverture : Un avion de chasse Rafale décolle du pont d'envol du porte-avions français Charles de Gaulle, naviguant entre le canal de Suez et la mer Rouge, le 19 décembre 2022 - Ludovic Marin - @AFP