Chaque année depuis cinquante ans, le montant des dépenses publiques françaises est plus élevé que celui des recettes publiques. Le déficit public français se creuse donc depuis 1970. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette tendance, parmi lesquels les choix politiques de baisse de fiscalité, le vieillissement de la population, ou encore les crises économiques ayant affecté la croissance, diminuant ainsi les recettes publiques.
Si l’on regroupe toutes les administrations publiques, on s’aperçoit que l’augmentation des recettes et des dépenses a été continue depuis 1974, année du dernier excédent budgétaire français. Mais c’est particulièrement à partir des années 1980 que les dépenses publiques sont devenues durablement plus importantes que les recettes. Depuis cette période, les déficits des administrations publiques n’est ainsi quasiment jamais descendu en dessous de 2 % du PIB.
En 1981, à la suite de l’appréciation du dollar et au second choc pétrolier, François Mitterrand lance le « Plan Mauroy », un plan de relance qui engendre l’augmentation du déficit public. Après le « tournant de la rigueur » de 1983, les dépenses baissent et le déficit se résorbe. Au début des années 1990, la France entre en récession et ses exportations baissent : les dépenses en soutien à l’économie augmentent drastiquement jusqu’en 1995, ce qui creuse le déficit.
On observe ensuite une période de croissance qui engendre une augmentation des recettes permettant de réduire le déficit, puis une relative stabilisation du déficit jusqu’en 2008. La crise des subprimes entraîne un plan de relance de 35 milliards d’euros qui creuse le déficit à près de 8 % du PIB en 2009.
Puis le déficit baisse en continu et retrouve son niveau d’avant crise en 2017, où il passe sous la barre des 3 % du PIB, le seuil maximum de déficit public imposé par l’Union européenne. De 2017 à 2019, le déficit reste inférieur à 3 %, jusqu’à la crise sanitaire de 2020 : le déficit double alors pour atteindre 6 % du PIB, en dessous du pic de déficit consécutif à la crise des subprimes.
L’État déficitaire…
La situation budgétaire des administrations centrales et locales est très différente. Depuis 1995, on observe en effet que le déficit des administrations centrales — c’est-à-dire de l’État — oscille autour de 4 % du PIB. Bien que les dépenses de l’État baissent, les recettes diminuent également, ce qui ne permet pas de retrouver l’équilibre budgétaire. Ceci s’explique notamment par les crises économiques successives qui ont engendré des baisses de croissance, et donc de recettes fiscales.
Cependant, représenter le déficit en pourcentage de son PIB peut être un procédé contesté, car cela revient à comparer le déficit de l’État avec la richesse produite par le pays tout entier et sur une seule année. Il est donc intéressant de rapporter le déficit de l’État à ses recettes.
On observe ainsi qu’après la crise des subprimes le déficit de l’État a atteint jusqu’à 88 % de ses recettes en 2010. Puis de 2011 à 2019, ce déficit est supérieur à 35 % des recettes de l’État. Converti en euros, cela signifie que ces dernières années, pour 100 € de recettes en une année, l’État creusait son déficit de 135 €. Avec la crise sanitaire de 2020, le déficit de l’État a atteint 80 % de ses recettes, soit 180 € de déficit pour 100 € de recettes. Ce niveau très élevé reste cependant inférieur à celui de la crise des subprimes.
… et le budget des collectivités en hausse
La hausse continue du budget des administrations locales montre la tendance à la décentralisation. Depuis le premier acte de la décentralisation en 1982, l’État a en effet transféré certaines de ses prérogatives aux collectivités locales, et a donc augmenté leur budget, qui est passé de 6 % du PIB en 1978 à 11 % en 2020. Les administrations locales n’ayant pas le droit de voter des budgets en déficit, ceux-ci sont très limités.
Finalement, lorsqu’on regroupe les administrations centrales et locales, on constate depuis 1985 une grande stabilité des recettes et des dépenses, et donc du déficit public autour de 3 %. La baisse du budget de l’État a donc été compensée par la hausse du budget des administrations locales, sans qu’il s’agisse forcément de transferts de compétences organisés de l’État vers ces collectivités. L’année 2020 a encore une fois changé la donne, puisque le déficit des administrations centrales et locales a atteint 5 % du PIB.
L’influence du vieillissement de la population sur la sécurité sociale
La Sécurité sociale représente le troisième poste de dépense du secteur public français. Depuis 1980, les dépenses de la Sécurité sociale sont passées de 20 % du PIB en 1990 à 26 % du PIB en 2020.
Entre 2010 et 2019, les dépenses étaient stables autour de 25 % du PIB et l’objectif national de dépense de l’assurance maladie (ONDAM) fixé par la loi était respecté. Elles baissaient même depuis 2015, et étaient devenues inférieures aux recettes entre fin 2016 et fin 2019. Avec la crise sanitaire, les dépenses sont à nouveau repassées au-dessus des recettes.
Cette évolution est la conséquence du vieillissement de la population française, qui a mené à la diminution du nombre d’actifs par senior. Ainsi, en 1946, il y avait 16 actifs pour chaque senior de plus de 75 ans, contre seulement 5 actifs pour chaque senior de plus de 75 ans en 2021. Si l’on prend pour référence les seniors de plus de 60 ans, on observe que nous sommes passés de 3,5 à 1,8 actif par senior de plus de 60 ans entre 1946 et 2021.
Le rôle décisif de la croissance
Le déficit de l’État français est aussi dépendant du dynamisme de la croissance. Les graphiques ci-dessous montrent le parallélisme entre le déficit et la croissance depuis 1978. On distingue que, indépendamment des couleurs politiques des gouvernements successifs (symbolisées ici par le bleu pour la droite, le rouge pour la gauche, et l’orange pour le centre), la courbe de croissance suit de près la courbe de déficit.
Ainsi, les brutales chutes du déficit correspondent à la récession du début des années 1990, à l’explosion de la bulle internet au début des années 2000, à la crise des subprimes en 2008 et à la crise sanitaire de 2020. Ceci permet de prévoir grossièrement l’évolution future du déficit public.
L’observation des comptes publics de la France permet donc de se rendre compte que les dépenses et les recettes publiques — hors sécurité sociale — sont relativement stables en France depuis 40 ans. Cependant, on voit aussi que ces recettes publiques sont de plus en plus affectées aux collectivités locales, dans le cadre de la politique de décentralisation.
Cette analyse graphique permet également de voir que la France est depuis 1974 en « déficit permanent », qui se situait en 2020 à 6 % du PIB. Ce déficit a plusieurs causes. Il est en partie dû aux crises économiques et sanitaires successives qui ont affaibli la croissance et contraint l’État à dépenser pour soutenir l’économie. Il est aussi dû au vieillissement de la population qui engendre l’augmentation des dépenses de la Sécurité sociale. Enfin, il est la conséquence de choix politiques qui ont abaissé la fiscalité, et du même coup amoindri les recettes de l’État.