La Chine, l’Inde et le Brésil ont été moins frappés que l’Occident par la crise du Covid. Plus récemment, l’absence de politique de sanctions en 2022 a largement préservé leurs économies de la crise inflationniste occidentale. Ces pays poursuivent leur croissance, mais avec des robustesses différentes : si la Chine a retrouvé un haut niveau de croissance et l’Inde un niveau encore plus élevé, le Brésil a des difficultés pour atteindre les niveaux qui faciliteraient son développement. Mais tout ceci reste conditionné aux conséquences de la guerre commerciale que Donald Trump a lancée au reste du monde…



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1- Chine : un manque de consommation intérieure
2- Inde : le décollage économique se poursuit
3- Brésil : une croissance de plus en plus modérée
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En Chine, une économie trop peu assise sur la consommation intérieure
En Chine, l’observation du Produit Intérieur Brut (le fameux PIB, c’est-à-dire, en simplifiant, la valeur de ce que le pays a réellement produit) montre clairement l’incroyable robustesse de l'économie chinoise, sur laquelle les différentes crises semblent glisser sans grands dommages depuis un demi-siècle.


Plus en détail, l’économie chinoise présente la particularité de fonctionner avec un très fort taux d’investissement (40 % du PIB, soit le double de la moyenne mondiale). De ce fait, la consommation des ménages reste très faible : elle n’atteint même pas 40 % du PIB. Ceci est notamment lié à la faiblesse de la protection sociale en Chine, où les habitants doivent beaucoup épargner et investir pour s'assurer une retraite décente.


C’est une situation économique rare : le niveau de la consommation chinoise se situe environ 20 points en dessous que la moyenne mondiale. La Chine est pratiquement le pays développé qui a le plus faible taux de consommation ; elle se situe au niveau de certains pays non développés (comme la Zambie par exemple).


Comme il n’y a pas assez de consommateurs pour acheter les produits fabriqués avec le surcroît d’investissements productifs, la Chine a traditionnellement misé sur l’exportation. Cependant, si la Chine est souvent critiquée pour son énorme excédent commercial et ses exportations, ces derniers ne représentent respectivement que 3 % et 20 % du PIB. Ce sont des niveaux qui n’ont rien d’exceptionnel : pour l’excédent commercial, c’est 4 % pour l’Allemagne, 5 % pour la Russie et 12 % pour la Suisse ; et pour les exportations, c’est 35 % en France, 50 % en Allemagne et 85 % en Belgique par exemple.
Cependant, comme l’a rappelé l’économiste chinois Yin Jianfeng, « le but ultime du développement économique est la consommation. L’investissement n’est qu’un moyen ». Le gouvernement tente donc de modifier cette situation en encourageant la consommation et la fabrication à plus forte valeur ajoutée. C’est particulièrement important en raison du vieillissement de la population et des rendements décroissants des investissements. D’autant que l’épargne chinoise s’est largement investie dans la spéculation immobilière, ce qui a fini par créer une importante bulle, dont on craint régulièrement l’explosion.
Si l'on revient au PIB chinois, il s’est situé au premier trimestre 2024 à son plus haut historique. La crise économique de 2020 a été d’une ampleur un peu plus faible par rapport à beaucoup de pays européens. La situation s’est normalisée en quelques mois à peine et l’économie s’est remise à croître. La crise de 2022 a à peine touché ce pays, qui n’a mis en place aucune sanction économique, comme la quasi-totalité des pays non occidentaux.


Si l'on s’intéresse à la croissance du PIB (c’est-à-dire à la valeur de sa hausse ou de sa baisse), on observe que la Chine n’a connu qu’une baisse de 4 points de son taux de croissance en 2020, rapidement compensée en 2021. En 2022, la croissance a légèrement faibli dans la tourmente énergétique mondiale, avant de rebondir à +5 % en 2023 et 2024.
En 2025, la croissance devrait rester solide, les prévisions tournant autour de +4 %, un niveau nettement plus faible qu’en 2015-2019.


Hors crise, depuis une dizaine d’années, la croissance chinoise fluctue donc entre +6 % et +8 % par an, contre +5 % actuellement.


L’analyse des contributions sectorielles à la croissance au cours des dernières années révèle que la croissance chinoise est largement entretenue par la consommation. Contrairement à ce que l’on pourrait penser pour ce pays très exportateur, le commerce extérieur a, en moyenne, une contribution assez faible à la croissance, à l'exception des trois derniers trimestres : les menaces de guerre commerciale avec les États-Unis ont entraîné une hausse des exportations (stockage ou délocalisations frauduleuses).


Un PIB par habitant qui commence à être impacté par la décroissance démographique chinoise
Le recours au PIB trimestriel par habitant permet de mieux analyser l’évolution du niveau de vie moyen. Il est en effet important de tenir compte de la croissance démographique : si le PIB augmente de +1 % et que la population augmente de +2 %, la richesse par habitant baisse en réalité de -1 %. Cet indicateur est donc beaucoup plus pertinent pour apprécier la croissance réelle d’une économie.
La Chine connaît actuellement un grave problème démographique, conséquence de la politique d’enfant unique mise en place en 1979. La croissance de la population est entrée en déclin en 2017, et la population baisse depuis son pic de 2021 (-0,2 %, mais cela représente 3,5 millions de Chinois en moins en 2024). Le solde naturel, c’est-à-dire les naissances moins les décès, s’établit à -3 millions de Chinois en 2024, et le solde migratoire et aussi négatif, avec -500 000 Chinois ayant émigré (en valeur nette).


La population évoluant néanmoins faiblement, la prise en compte du facteur démographique ne change pas beaucoup l’analyse : la croissance par habitant évolue de manière soutenue.


Au cours de la dernière décennie, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant en Chine reste robuste, fluctuant autour de +6 % ; elle a atteint +5,4 % début 2025. Cependant, le déclin démographique va finir par se ressentir sur ce chiffre au fil du temps (l’ONU estime la décroissance démographique annuelle à -0,5 % en 2040 et -1 % en 2055).


Sans surprise, au vu de son retard de développement, l’économie chinoise superforme considérablement par rapport à celle de la France depuis les années 1980.


La croissance chinoise se tasse depuis les années 2000
Pour prendre du recul sur la dynamique de croissance chinoise, on peut observer la croissance décennale depuis les années 1960. Le décollage économique de la fin des années 1970 et 1980 est patent, avec un maximum dans les années 2000 au niveau incroyable de +10 % de croissance annuelle moyenne (cela entraîne un doublement du niveau de vie en à peine 7 ans).
La Chine a vraiment été la plus grande bénéficiaire de la mondialisation. Depuis, la croissance diminue un peu, tout en restant à de hauts niveaux, exception faite des périodes de crises mondiales.


Sur le temps très long, l’exceptionnalité du dernier demi-siècle est frappante : la Chine s’est finalement « éveillée »…


Et son développement se poursuit toujours à vive allure, lui permettant de combler le fossé avec l’Occident : le revenu moyen par habitant en Chine atteint désormais 40 % de celui en France. À 4 % de croissance moyenne, la Chine atteindra le niveau actuel de la France dans 25 ans, à 5 % dans 20 ans et à 6 % dans 15 ans seulement.
La Chine connaît cependant de très fortes disparités de développement, avec de nombreuses villes gigantesques au niveau de vie presque occidental et des campagnes toujours misérables. La sortie de la pauvreté des paysans chinois est donc une priorité du gouvernement. Elle passe hélas souvent par un exode rural vers les villes, d’où les immenses chantiers de construction actuels, avec leurs lots de bouleversements sociaux et environnementaux. La gestion de ces problèmes est donc un des enjeux majeurs pour Pékin dans les prochaines décennies.
Inde : le décollage économique se poursuit
L’économie de l’Inde connaît un décollage depuis quelques décennies, mais moins marqué que celui de la Chine.


Plus en détail, l’économie indienne repose à près de 75 % sur la consommation. Elle a la particularité de disposer d’une faible consommation publique, et d’un très fort taux de consommation directe des ménages, à peine inférieur à celui des États-Unis. Elle est aussi généralement en déficit commercial.


Comme la Chine, l’Inde a un peu moins souffert que l’Europe lors de la crise du Covid, dont elle s’est rapidement remise. Elle n’a guère été impactée par la crise de 2022, dont elle a au contraire bénéficié en partie, car elle a pu acheter des hydrocarbures à bon marché à la Russie.


En Inde, la croissance de 2022 n’a donc que très peu ralenti à +7,0 %, et elle a atteint le niveau impressionnant de +8,2 % en 2023 et 8,2 % en 2024. En 2025, la croissance devrait fléchir légèrement, les prévisions tournant autour de +6,2 %.


Comme la Chine, la croissance indienne, hors crise, fluctue globalement entre +6 % et +8 % par an depuis une dizaine d’années, ce qui correspond à un doublement du PIB réel en 10 ans.


Au niveau des contributions sectorielles, la croissance indienne est en général entretenue par la consommation des ménages et par l’investissement. Le commerce extérieur a en moyenne une faible contribution, ce qui n’est guère étonnant pour un pays encore peu industrialisé, mais les choses semblent changer sur ce point depuis deux ans.


Une évolution du PIB par habitant pénalisée par la croissance démographique
L'Inde poursuit sa « transition démographique » (nous avons présenté ce concept dans notre article sur l’évolution de la population mondiale). La croissance de sa population continue de diminuer naturellement, mais elle reste encore de près de +1 % par an, soit une douzaine de millions d’habitants en plus (ce qui représente l’équivalent de la population belge).
Le solde naturel en 2024 a été d’environ +13 millions et le solde migratoire a été négatif, avec -1 million d’Indiens ayant émigré (en valeur nette). L’Inde est d’ailleurs depuis 2023 le pays le plus peuplé de la Planète, dépassant désormais la Chine.


En conséquence, l’évolution du PIB par habitant de l’Inde est un peu moins robuste que celle du PIB global, mais elle reste très dynamique.


Au cours de la dernière décennie, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant en Inde (hors crise) s’est maintenue, se situant entre +5 à +7 % par an.


Depuis 50 ans, une croissance indienne en nette hausse
Sur le temps long, on s’aperçoit que la croissance indienne a commencé à décoller dans les années 1980-1990 avant d’accélérer fortement dans les années 2000-2010, mais sans connaître les très hauts niveaux chinois. Ce sont néanmoins des niveaux proches de ceux des Trente Glorieuses en France.


Au final, la croissance du PIB par habitant en Inde se maintient à des niveaux relativement élevés, mais qui restent relativement limités au vu des énormes besoins de développement de sa population.
L’économie indienne a donc encore un long chemin avant de pouvoir accorder à sa population un niveau de vie décent : le revenu moyen d’un Indien reste plus de 6 fois plus faible que celui d’un Français, avec de très fortes inégalités. À 4 % de croissance moyenne, l’Inde atteindra le niveau actuel de la France dans 50 ans, à 5 % dans 40 ans, à 6 % dans 33 ans, à 8 % dans 25 ans et à 10 % dans 20 ans.


Brésil : une croissance de plus en plus modérée
L’économie du Brésil connaît un développement relativement modéré depuis les années 1970.


Elle a subi un fort choc lors de la crise du Covid en 2020. Cependant, elle s’en est assez rapidement relevée et elle poursuit depuis lors une croissance dynamique.


Le pays n’a procédé à aucune sanction économique en 2022. Dès lors, sa croissance en 2022, 2023 et 2024 a atteint les +3 %. En 2025, la croissance devrait fléchir légèrement, les prévisions tournant autour de +2,2 %.


Hors crise, la croissance brésilienne fluctue globalement entre +1 % et +3 % par an depuis une dizaine d’années.


Au niveau des contributions sectorielles, la croissance brésilienne est largement entretenue par la consommation des ménages. Le commerce extérieur a en moyenne une faible contribution.


Une évolution du PIB par habitant proche de celle du PIB global
Le Brésil termine sa transition démographique : en déclin depuis plusieurs décennies, la croissance de sa population n’est plus que de +0,2 %. Le solde naturel en 2024 a été d’environ +1 million et le solde migratoire a été négatif, avec -200 000 Brésiliens ayant émigré (en valeur nette).


En conséquence, le PIB par habitant du Brésil a évolué moins vite que le PIB global, mais la différence s’estompe désormais.


Au cours de la dernière décennie, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant au Brésil est plus faible que la Chine ou l’Inde, se situant entre +1 à +3 %.


Depuis 50 ans, une croissance brésilienne qui patine
Sur le temps long, on s’aperçoit que la croissance brésilienne est faible, depuis la fin du « miracle des années 1970 », quand les capitaux internationaux sont massivement venus s’investir dans le pays. Mais ils s’en sont détournés dans les années 1980 et 1990 en raison de la forte inflation qui a surgi. La croissance annuelle moyenne par décennie fluctue donc entre 0 et 2 %.


Au final, la croissance du PIB par habitant du Brésil est retombée à un niveau qui est classique dans les pays occidentaux, mais qui est assez dramatique dans un pays où le revenu moyen par habitant reste environ 3 fois moindre qu’en France, avec là encore de très fortes inégalités.
À 1 % de croissance moyenne, le Brésil atteindra le niveau actuel de la France dans 120 ans, à 2 % dans 60 ans, à 3 % dans 40 ans, à 4 % dans 30 ans et à 6 % dans 20 ans. Le chemin du développement brésilien est donc encore très long.


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