Ils sont partout, dans tous les secteurs : des transports aux énergies, en passant par les télécoms, mais aussi la défense et l’aérospatial. Les semi-conducteurs – qui permettent de fabriquer des puces électroniques, des plus classiques aux plus avancées et basées sur la « méga-tendance » de l’IA – se retrouvent au cœur des enjeux économiques, financiers et géopolitiques mondiaux. Ils représentent une arme décisive pour devenir une superpuissance technologique et militaire à l’échelle mondiale. Sur ce marché ultra-mondialisé et hyper-spécialisé, les rôles se sont répartis entre les États-Unis pour la conception et les logiciels, le Japon, mais surtout l'Europe pour l'outillage industriel, et l'Asie, particulièrement Taïwan, pour la fabrication des puces. Une interdépendance qui cristallise les risques de pénurie mondiale.

publié le 23/10/2024 Par Marine Rabreau

Dans ce contexte, les États-Unis, historiquement leaders sur le marché, mettent le paquet pour relocaliser la production, tout en livrant une bataille économique brutale à la Chine qui, elle, progresse malgré tout et prépare sa riposte… sur le long terme. Et au milieu, un élément peut tout faire basculer : le sort de Taïwan qui héberge le plus grand et le plus avancé – et de loin – des fabricants de semi-conducteurs au monde.

Les semi-conducteurs sont absolument partout

L’ère où le pétrole était LE chef d’orchestre des enjeux économiques, financiers et géopolitiques mondiaux est bel et bien terminée. Désormais, ce sont les semi-conducteurs qui sont au cœur du grand jeu stratégique international.

Les semi-conducteurs sont des corps non métalliques qui conduisent parfaitement l’électricité. Ce sont eux qui permettent de produire des puces électroniques. Ces puces ont complètement envahi le quotidien des Hommes : elles sont présentes dans les voitures (il faut désormais plus de 1 000 puces dans une voiture thermique et plus de 3 000 dans une électrique), les bus, les trams, les trains, les avions, les ascenseurs, mais aussi les téléphones, tablettes et montres connectées, les ordinateurs et les téléviseurs, ou encore toutes les machines à laver le linge ou la vaisselle, les grille-pains, les cafetières, les aspirateurs, etc.

Elles sont indispensables dans le déploiement de la 5G, dans la fourniture d’énergies renouvelables, des panneaux solaires aux éoliennes en passant par le nucléaire. Les puces électroniques sont en outre au cœur de la révolution concernant les technologies de pointe : il en faut toujours plus – et toujours plus miniaturisées, mais toujours plus puissantes – dans les secteurs de l’Internet des objets, de l’Intelligence artificielle (IA) – particulièrement de l’IA générative –, des voitures autonomes, etc.

Un marché à 1000 milliards de dollars en 2030

Les enjeux économiques et financiers sont donc colossaux : après un passage à vide éphémère en 2023 avec un marché des semi-conducteurs en repli de 8,2 % en un an (à la fois à cause d’un repli de la demande de smartphones et d’ordinateurs et d’un contexte géopolitique compliqué), l’année 2024 est partie pour afficher un rebond de +13 %, selon la Semiconductor Industry Association (SIA). Les ventes mondiales de semi-conducteurs devraient ainsi atteindre 555 MILLIARDS d’euros dans le monde cette année.

D’ici à 2030, le marché devrait dépasser les 1 000 milliards de dollars (sauf choc géostratégique majeur), tiré par la demande explosive de la part des plus grands acteurs du cloud et de l’intelligence artificielle générative pour les puces électroniques les plus avancées. Une nouvelle donne qui rebat déjà les cartes internationales du pouvoir en la matière.

Le secteur se consolide, avec notamment l’américain Nvidia (devenu le nouveau maître du monde du secteur) et Samsung, qui ont raflé des parts de marché à Intel, en mauvaise posture et en proie au rachat, notamment par un autre géant américain, Qualcomm. En chiffre d’affaires, les dix premières entreprises dominant le marché se sont arrogé 64 % du marché total au deuxième trimestre 2024 – soit la part la plus élevée jamais enregistrée, en hausse de sept points par rapport à une moyenne à 57 % sur les cinq dernières années.

Les plus importantes entreprises de semi-conducteurs au 1er trimestre 2024Les plus importantes entreprises de semi-conducteurs au 1er trimestre 2024

Semi-conducteurs : des enjeux géostratégiques de domination mondiale

Mais ce n’est pas tout : les enjeux sont également éminemment géopolitiques. Car les puces électroniques, qui équipent aussi les drones, les avions de chasse, les missiles, les canons ou encore les satellites-espions perfusés à l’IA et aux supercalculateurs, sont des amplificateurs de puissance militaire. Maîtriser la chaîne de valeur des semi-conducteurs, c’est détenir un avantage absolument décisif pour les armées de la planète.

Les semi-conducteurs cristallisent en somme la notion de sécurité nationale et la bataille pour l’indépendance technologique. Ils sont résolument au cœur d’une compétition géostratégique et idéologique pour la domination mondiale.

Ceci n’est pas nouveau. C’était déjà grâce à leur avance technologique sur les semi-conducteurs – et donc sur leurs équipements militaires – que les États-Unis avaient gagné la Seconde Guerre mondiale puis la Guerre froide. Les Américains ont d’ailleurs toujours conservé le leadership dans le domaine, mais il s’est largement internationalisé depuis les années 1960, à coups de subventions massives et d’investissements colossaux pour construire des usines toujours plus grandes et sophistiquées, notamment en Asie, qui s’impose aujourd’hui comme un acteur clé du secteur, et plus particulièrement la Chine, la Corée du Sud et Taïwan, devenus de véritables poids lourds.

Comme le résume parfaitement Chris Miller, auteur de l’excellent livre Chip War (« La guerre des semi-conducteurs : l’enjeu stratégique mondial »), traduit en français en mai dernier : avec le temps, « pour des raisons d'optimisation des coûts, les rôles se sont répartis entre les États-Unis pour la conception et les logiciels, l'Europe et le Japon pour l'outillage industriel, et l'Asie pour la fabrication des puces ».

Les États-Unis conçoivent les puces et les logiciels

Il y a en effet d’un côté les concepteurs (ou designers) de puces en silicium – d’où le nom de la Silicon Valley – et des logiciels avancés de conception assistée par ordinateur (CAO), aujourd'hui massivement américains. Les États-Unis détiennent une avance technologique absolument remarquable, et qui a connu un nouveau bond en avant ces derniers mois à la faveur de l’incroyable ascension d’un Nvidia devenu en quelques mois le maître du monde d’un futur sous IA générative.

Mais, si les Américains détiennent clairement le pouvoir sur les brevets, ils n'ont pas le monopole de la fabrication à l’échelle industrielle : ils ne produisent plus que 13 % des puces mondiales, contre 37 % en 1990. Pour produire des puces, il faut des usines ultra-sophistiquées et ultra-coûteuses (compter entre 5 et 20 milliards d’euros pour une seule usine, en fonction du niveau de précision qu’elle peut offrir). Surnommées les fabs, elles sont capables de transformer la matière première, le silicium donc, en tranches ultrafines, appelées des wafers (ou « galettes » en français).

Elles doivent en outre être dotées d’une salle blanche 10 000 fois plus pure qu'un bloc opératoire. Sur le créneau des fabricants de puces électroniques, basés sur le modèle des fonderies, c’est clairement l’Asie qui domine : la Chine, Taïwan, et la Corée du Sud fabriquent à eux seuls 80 % des puces commercialisées au niveau mondial (l’Europe et les États-Unis en fabriquent moins de 10 % chacun).

TSMC, de loin le fondeur le plus grand et le plus avancé

D’un côté, la Chine est entrée avec fracas dans la course aux semi-conducteurs. À tel point qu’elle concentre carrément 60 % de la demande mondiale : la Chine dépense en effet plus pour les semi-conducteurs que pour le pétrole… Toutefois, elle n’en produit que 6 %, principalement via son mastodonte national SMIC, pour Semiconductor Manufacturing International Corp.

Acculée depuis plusieurs années par une série de restrictions, à l’initiative des États-Unis (voir plus bas) sur les exportations de technologies les plus avancées, la Chine s’est positionnée sur le marché des puces à technologies matures, c’est-à-dire celles qui équipent les biens communément déployés dans le monde actuellement, et qui nécessitent des nœuds d’une précision de 10 nanomètres ou plus.

Plus précisément, ils ont mis le paquet sur la production de microcontrôleurs et des composants électroniques de puissance, deux familles de semi-conducteurs qui jouent des rôles clés dans l’électrification de l’automobile et l’amélioration de l’efficacité énergétique de l’industrie. Si bien que désormais, la Chine est en passe de dominer ce marché des puces matures. Au grand dam de l’Europe, qui est également positionnée sur ce créneau… et qui s'inquiète de ce risque de dépendance.

Concernant les puces les plus avancées – qui sont actuellement ultra-demandées par tous les géants de la Tech mondiale pour croître au plus vite dans l’IA générative, les télécoms et les équipements militaires de pointe, donc celles qui définissent les enjeux géostratégiques actuels pour la domination mondiale future – elles exigent des niveaux de précision bien inférieurs à 10 nanomètres.

À ce stade, seuls trois acteurs sont capables de proposer des nœuds de 5 voire 3 nanomètres : Intel et le sud-coréen Samsung, en tant que concepteurs-producteurs (un modèle dit « intégré » qui est à la source de la chute d’Intel, et qui aussi pèse sur Samsung) et, surtout, TSMC (Taïwan Semiconductor Manufacturing Corp) le plus grand fondeur au monde, mais aussi – et de loin – le plus avancé, puisqu’il prévoit d’être en capacité de fournir des puces à gravures de 2 nanomètres, à l’échelle industrielle, d’ici 2025, puis de 1,6 nanomètre fin 2026. Une prouesse qu’elle réservera à ses usines implantées sur son sol, afin de toujours conserver « deux ou trois générations d’avance » par rapport à la concurrence étrangère.

C’est ainsi que tout le gratin de l’écosystème numérique mondial se rue sur les puces électroniques de très haute qualité qui sortent des usines de TSMC. En 2023, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 61 milliards d’euros auprès de ses 530 clients, pour un bénéfice net de 24 milliards d’euros. Sa capitalisation boursière a dépassé les 1 000 milliards de dollars l’été dernier (+ 80 % en sept mois), portée par l’emballement généralisé autour de l’IA.

TSMC dispose par exemple de l’exclusivité sur la fabrication des processeurs qui équipent les produits des gammes iPhone, iPad et Mac d’Apple, qui pèse plus de 10 % de son chiffre d’affaires. À ce jour, TSMC concentre 62 % du marché mondial de la fonderie contre 10 % pour Samsung (par ailleurs leader des puces mémoire), et 92 % du marché des puces les plus avancées !

ASML : l’acteur européen absolument incontournable

Une fois la puce fabriquée, il reste les étapes de tests, opérées principalement en Asie du Sud, puis l’assemblage et le conditionnement, qui se passent essentiellement en Chine. Et l’Europe, quel rôle a-t-elle dans ce paysage économique ? Discrètement, l’Europe accueille « l'entreprise la plus importante dont vous n'avez jamais entendu parler », comme l’écrit Chris Miller. Il s’agit d’ASML, deuxième capitalisation boursière d’Europe, son cours en Bourse ayant augmenté de 40 % depuis le début de l’année, porté par la » méga-tendance » autour de l’IA.

Basée à Veldhoven, aux Pays-Bas, l’entreprise fabrique des machines dites de photolithographie. Ce sont des monstres, de la taille d’un bus à deux étages – dont les prix peuvent dépasser les 300 millions d’euros –, qui utilisent la lumière ultraviolette pour graver la surface des wafers, et dont les fondeurs (Intel, Samsung, TSMC ou SMIC…) ont absolument besoin dans leurs salles blanches pour imprimer leurs puces.

ASML, dirigée depuis cette année par le français Christophe Fouquet (il était au sein du groupe depuis 2008), et dont le chiffre d’affaires annuel atteint à 27 milliards d’euros, détient ainsi 80 % des parts du marché mondial de la lithographie, le reste du gâteau étant partagé principalement avec les japonais Canon et Nikon.

Mais encore une fois, concernant les procédés les plus avancés, c’est ASML qui domine le monde : il est même en situation de monopole sur la technique de lithographie extrême ultraviolet (EUV). Ce qui lui confère un pouvoir monumental… D'ici à 2030, les machines d'ASML seront à l'origine de puces à plus de 1 000 milliards de transistors, soit trois fois plus qu'aujourd'hui pour un gain de performance dans la même proportion.

Des risques d’approvisionnement omniprésents, Taïwan au cœur des préoccupations

États-Unis, Corée du Sud, Japon, Chine continentale, Taïwan et Europe contribuent chacun à hauteur de 8 % ou plus de la valeur ajoutée de cette industrie. À un moment ou à un autre, depuis sa conception jusqu’à sa commercialisation, les 1 150 milliards de semi-conducteurs produits chaque année –qui subissent chacun 500 opérations différentes – passent par chacune des six régions géographiques et traversent 70 fois une frontière internationale.

Au fond, dans ce secteur ultra-mondialisé mais aussi hyper-spécialisé, aucune entreprise, aucun pays ni aucune région du monde n’en maîtrise l’intégralité de la chaîne de valeur. C’est d’ailleurs précisément ce qui alimente les pressions géopolitiques : le risque de tensions (voire de rupture) d’approvisionnement est omniprésent. Le moindre imprévu peut provoquer une pénurie, que ce soit :

  • une hausse spectaculaire de la demande, comme ça a été le cas avec la pandémie de Covid-19, et comme c’est le cas actuellement avec le boom des besoins en puces ultrapuissantes d’IA générative, où la demande surpasse largement les capacités de production, tirant les prix à la hausse ;
  • une perturbation dans le transport commercial mondial, comme ça a été le cas avec la pandémie de Covid-19 ;
  • des contraintes écologiques, ce qui est prégnant alors que l’industrie est une très grande consommatrice d’eau, utilisée pour rincer les wafers produits par les usines lors de chaque étape, qui sont d’autant plus nombreuses que la puce est avancée. Or, une pénurie d’eau pourrait engendrer une hausse drastique du prix des composants électroniques.
  • Ou encore des tensions géopolitiques exacerbées, entre deux puissances par exemple, comme c’est le cas entre les États-Unis et la Chine depuis plusieurs années, précisément concernant ce sujet des semi-conducteurs.

Et comme c’est le cas depuis plusieurs dizaines d’années entre la Chine et Taïwan, cette petite île de 23 millions d’habitants à portée des missiles et avions chinois, par laquelle transitent 80 % des puces de la planète, que la Chine entend réintégrer dans la République populaire d’ici à 2049 (date du centenaire de la fondation de la République populaire de Chine), quitte à employer la force (et auquel cas, les États-Unis la défendraient, a dit Biden).

Alors que TSMC se rapproche des pays occidentaux… qui eux-mêmes ne reconnaissent pas diplomatiquement Taïwan, l'île est un goulot d'étranglement et donc « le prochain champ de bataille dans un avenir proche », prévoit Chris Miller.

Les États-Unis tentent d’écraser la Chine, vite et fort

Dans ce contexte d’interdépendances généralisées et dans un secteur si stratégique, deux grandes puissances s’affrontent : les États-Unis prêts à tout pour conserver leur leadership mondial, face à la Chine qui, malgré tout, a bel et bien l’intention de rattraper son retard et répète son objectif de « devenir autonome d’ici à 2030 » (et, soit dit en passant, de prendre le leadership mondial en… 2049). Pour maintenir leur suprématie, les États-Unis déploient ainsi une double stratégie depuis plusieurs années :

1/ Multiplier les initiatives et investissements massifs au niveau national, pour relocaliser la production des parties critiques de la chaîne de valeur des semi-conducteurs.

En 2022, les États-Unis ont mis en place le Chips and Science Act, qui prévoit plus de 52 milliards de dollars d’investissement public pour stimuler la fabrication de semi-conducteurs sur le sol américain, et éviter une fuite de géants comme Intel (8,5 milliards de dollars de financement directs et 11 milliards de prêts) ou Samsung (6,4 milliards pour de nouvelles usines au Texas) vers son grand rival chinois, au nom de « la sécurité nationale ».

Par ailleurs, les États-Unis ont négocié avec TSMC pour l’installation d’usines sur leur sol. Après une première usine annoncée en 2020 (qui devrait produire des puces en 4 nanomètres dès le premier semestre 2025), puis une autre en 2022 (avec une production en 3 et 2 nanomètres vers 2028), et enfin une troisième en 2023 (en 2 nanomètres voire moins, « à la fin de la décennie »), pour un investissement global de… 65 milliards de dollars ! Sans compter les crédits d’impôt.

2/ Interdire l'accès des technologies les plus avancées à la Chine, dans le but d’affaiblir la capacité chinoise à produire des puces de haute performance, et ainsi la freiner dans son essor époustouflant. Ce, à travers des restrictions commerciales radicales.

Agacée par la montée en puissance fulgurante de la Chine dans le secteur des technologies, Trump s’en est pris dès 2019 à Huawei, ce géant des télécoms chinois devenu à la fois leader mondial et plus grand groupe déposeur de brevets au monde. Puis Biden a fini le travail fin 2022 en l’interdisant (ainsi que ZTE et des dizaines d’autres entreprises chinoises) carrément sur son sol. L’Europe est également sommée par Washington de ne plus travailler avec Huawei.

Dans la foulée, les États-Unis ont négocié avec les Pays-Bas et le Japon pour stopper les exportations des machines de lithographie les plus avancées vers la Chine. Et d’obtenir les mêmes accords avec la Corée du Sud et Taïwan afin d’empêcher la Chine de contourner ces barrières.

Par ailleurs, en juin 2023, les États-Unis ajoutent un contrôle des investissements des entreprises américaines en Chine, dans les secteurs sensibles (semi-conducteurs, IA, technologie quantique), puis interdisent l’accès de la Chine à des technologies encore plus avancées comme les puces mémoire utilisées pour les entraînements de systèmes d’IA.

La Chine avance malgré tout…

De son côté, la Chine maintient ses objectifs d’autosuffisance d’ici à 2030. Les restrictions successives des États-Unis l'y encouragent, même. Elle investit massivement dans le secteur (plus de 130 milliards d’euros sur cinq ans), sous forme de subventions et crédits d’impôt « sans plafond » accordés à quelques entreprises clés, dont SMIC et Huawei, et forme 600 000 ingénieurs chaque année (contre 70 000 aux États-Unis).

Comme nous l’avons vu, la Chine est en train d’imposer son leadership sur les puces matures. Et malgré toutes les restrictions dont elle fait l’objet, son leader SMIC a été capable de produire des puces en technologie de 7 nanomètres, installées dans les téléphones Mate 60 Pro de Huawei dès 2023, puis dans les Pura 70 en août 2024. Une prouesse technique qui a épaté la scène internationale et qui a conduit illico les États-Unis (dès septembre 2024) à « mettre fin à toutes les exportations de technologies américaines vers Huawei et la SMIC ».

Néanmoins, SMIC est encore loin de pouvoir afficher des niveaux de rentabilité comparables à ceux présentés par TSCM ou Samsung, faute d’accès libre aux technologies de pointe provenant de l’étranger, et notamment des machines d’ASML. Notons ici toutefois que pour la première fois, ASML, dont la Chine est le plus grand client (49 % des ventes au deuxième trimestre de 2024), a montré des signes d’agacement vis-à-vis des restrictions américaines qui le prennent en étau. En septembre dernier, le champion européen a accusé la Maison-Blanche de mêler intérêts économiques et sécurité nationale.

… et prend son temps pour riposter

De son côté, Pékin a pris le temps avant de riposter : ce n’est qu’en août 2023 que la Chine a annoncé que les exportations de deux métaux rares – le gallium et le germanium, terres rares entrant dans la fabrication des semi-conducteurs les plus performants et dont la Chine fournit respectivement 94 et 83 % dans le monde – seraient soumises à visa, invoquant à leur tour des raisons de « sécurité nationale ». Une mesure de « rééquilibrage », pour Jueting Shu, la porte-parole du ministère chinois du Commerce, qui déplorait que :

« Depuis un certain temps, les États-Unis abusent continuellement des mesures de contrôle des exportations pour renforcer leur répression à l’égard des semi-conducteurs chinois et diviser artificiellement le marché mondial des semi-conducteurs. Ces mesures nuisent au libre-échange mondial, ignorent les règles économiques et commerciales internationales et foulent au pied le principe de la concurrence loyale. »

La Chine met ainsi tranquillement en place les dispositifs qui lui permettront, quand le moment sera venu, d’être très offensive, en ciblant soit des pays, soit des entreprises et a minima en jouant sur l'augmentation des prix. Une augmentation des prix à laquelle les États-Unis et ses alliés n’échapperont de toute façon pas avec leur politique de relocalisation de la production. Le PDG de TMSC, Chung Ching Wei, qui installe des usines aux États-Unis mais aussi au Japon et en Europe, à la demande de ses clients, a été très clair :

« Nous sommes confrontés à des coûts plus élevés à l’étranger ou même récemment, à l’inflation et à l’électricité. […] Dans le contexte actuel de mondialisation fragmentée, les coûts seront plus élevés pour tout le monde, y compris pour TSMC, nos clients, nos concurrents et l’ensemble de l’industrie des semi-conducteurs. »

Photo d'ouverture : Dan74 - @Shutterstock