La cordillère des Andes au Pérou est malheureusement un exemple clair de l’accélération du changement climatique ces dernières années. Alors qu’elle possède la plus grande part des glaciers tropicaux au monde, elle a perdu 56 % de sa superficie glaciaire entre 1962 et 2023. La fonte des glaciers impacte directement la ressource en eau de la région, mais aussi l’agriculture, l’élevage, la biodiversité et la population locale.

Le changement climatique dans la cordillère des Andes a trois grands effets importants : l’augmentation des températures, la variation des précipitations et la fonte des glaciers. « La température augmente et diminue graduellement. Les conditions météorologiques ne se produisent plus comme avant », explique Walter López, Responsable régional des ressources naturelles et de la gestion environnementale du gouvernement régional de Junín.
D’après un rapport publié par l’ONG Care Pérou, intitulé « Projet Polyvalent en Eau et Gestion Intégrée des Ressources en Eau », la température a augmenté de +0,78 °C en 60 ans dans la cordillère des Andes. Selon le niveau d’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, la température pourrait s’élever entre +1,4 °C et +5,8 °C dans les prochaines années.
Quant aux précipitations, il y a des changements notables d’intensité, la saison des pluies est complètement déréglée et les périodes de sécheresse sont de plus en plus importantes. « Avant, la saison commençait à partir du mois d’octobre jusqu’au mois de mars, mais aujourd’hui c’est plutôt à partir des mois de décembre et janvier jusqu’aux mois de février ou mars », ajoute Walter López.
Les précipitations liquides surpassent les précipitations solides, ce qui représente un vrai danger pour le futur des glaciers tropicaux au Pérou. « Lorsque la pluie liquide tombe, elle sert de drainage et emporte les parties les plus faibles du glacier, accélérant son recul », assure Roque Vargas, spécialiste en Gestion des Risques de Catastrophes à l’INAIGEM.
La fonte des glaciers est la preuve la plus visible des effets du changement climatique dans la région andine. « L’élévation de la température des milieux montagneux agit comme un chalumeau, en injectant de la chaleur à la surface des glaciers et en accélérant le processus d’ablation », explique l’expert.

Le glacier Verónica, qui appartient à la Cordillère Urubamba, se situe dans le Sud du Pérou, dans la région de Cusco - @LucieTouzi
Le Pérou a déjà perdu plus de la moitié de sa superficie glaciaire
D’après le dernier inventaire réalisé par l’INAIGEM, le Pérou a perdu 56 % de sa superficie glaciaire totale. « Dans les années 1962, on comptabilisait 20 chaînes de montagnes ayant une couverture glaciaire. En 2020, lors de la publication de notre premier inventaire national des glaciers, il ne restait plus que 18 chaînes de montagnes enneigées. Les deux cordillères les plus importantes – Volcánica et Barroso – ont disparu », assure Roque Vargas. Plusieurs d’entre elles sont sur le point de disparaître prochainement, telles la cordillère Chila, Chonta, Huanzo et Raya. « Dans 5, 10 ou 15 ans, il ne restera plus que 14 massifs enneigés ou moins… », prévoit-il.
La fonte des glaciers dans la région andine est visible à l’œil nu et « les experts prédisent que 70 % de tous les glaciers andins vont disparaître d’ici 2050 », affirme Constantino Auccas Chutas, président de l’ONG ECOAN et Action Andine. En plus de l’augmentation des températures au niveau global et du manque de précipitations solides, d’autres facteurs s’ajoutent à l’accélération du recul des glaciers, tels que le carbone noir. Comme l'explique le spécialiste de l'INAIGEM :
« Ces particules provenant de grands incendies forestiers en Amazonie péruvienne et brésilienne, se déposent sur la glace. Dans des conditions propres et solides, la surface des glaciers a un pouvoir réfléchissant très élevé. Lorsqu'elle est contaminée, les rayons du soleil pénètrent cette surface avec une plus grande intensité, augmentant la température de cette couche superficielle et accélérant le processus de retrait glaciaire. »

Le Parc national de Huascarán recouvre une grande partie de la Cordillère Blanche dans la région d'Ancash, dont le glacier Pastoruri (5200 mètres d'altitude) qui est un exemple clair de l'accélération de la fonte des glaciers tropicaux au Pérou - @LucieTouzi
Des pratiques ancestrales, toujours d’actualité dans la région andine, participent à la fonte accélérée des glaciers, comme l’agriculture sur brûlis. « Traditionnellement, les communautés andines brûlent les terres lorsque la saison des pluies prend fin dans le but de générer une meilleure végétation pour le bétail », clarifie Roque Vargas. De plus, dans la culture andine, les montagnes sont sacrées et pour montrer leur dévotion, les communautés réalisent ce qu’on appelle « un paiement à la montagne » ou des offrandes. « Ces allées et venues contribuent à augmenter la température locale. En laissant des déchets ou des particules solides, cela participe à l’accélération du retrait des glaciers », affirme le spécialiste Roque Vargas.
Par ailleurs, en reculant, les glaciers exposent des métaux précieux (argent, or) aux intempéries et les conséquences sont particulièrement néfastes. « Avec l’intervention de l’oxygène, le processus de lixiviation des métaux commence et ils sont transportés jusque dans les gorges qui alimentent en eau les bofedales, les pâturages et aussi la population locale. Ce drainage rocheux acide dégrade les écosystèmes des principales chaînes de montagnes », indique Roque Vargas. La fonte des glaciers est également à l’origine de la formation de lacs qui, en règle générale, présentent un niveau de danger élevé. Comme l'explique le spécialiste :
« Lorsque le volume de ces cuvettes d’eau naturelles augmente et que la topographie est favorable à la formation de grands lacs, celles-ci exercent une charge hydraulique qui génère souvent des débordements, les barrages se brisent, provoquant des alluvions que nous connaissons bien dans la cordillère Blanche, mais aussi dans le sud de la région, à Cusco et à Huancayo par exemple. C’est donc le premier regard que nous devrions avoir sur le changement climatique. »
D’après les évaluations de l’INAIGEM réalisées en 2018, sur l’ensemble de la cordillère des Andes, il y a un total de 57 lagunes dites « dangereuses » et le plus grand nombre d’entre elles se trouvent dans la cordillère Blanche.

Le lac glaciaire Palcacocha a déjà débordé en 1941 détruisant une partie de la ville de Huaraz. Son volume est aujourd'hui beaucoup plus élevé, faisant de cette lagune une véritable bombe à retardement - @LucieTouzi
Le Pérou a l’avantage incroyable de posséder 68 % des glaciers tropicaux du monde et pourtant, cette ressource en eau, essentielle pour la population et les activités agricoles notamment, disparaît chaque jour un peu plus…
Principaux impacts du changement climatique dans les Andes péruviennes
Les glaciers sont essentiels au bon fonctionnement du cycle hydrologique, notamment pendant la période d'étiage. Cependant, face au réchauffement climatique et aux variations des précipitations, la diminution rapide de la superficie glaciaire dans la cordillère des Andes entraîne une baisse de la ressource hydrique dans les bassins versants de la région. Comme l'explique Roque Vargas :
« Au-delà de considérer en priorité la question de la sécurité des lagunes, identifiées comme potentiellement dangereuses, il faut penser à des projets polyvalents qui non seulement assurent la sécurité, mais servent également de stockage d'eau lors des crues afin d’utiliser cette eau pendant la saison sèche. »
Pis encore, certaines régions qui dépendent uniquement des précipitations sont durement touchées par le stress hydrique. « Ce dernier nous a durement frappés en 2022 et 2023. Il existe déjà des données sur la perte des récoltes, des espaces pour le bétail, et également sur l'approvisionnement en eau potable qui a été rationnée dans les principales villes du département de Junín », assure Walter López.
L’agriculture est particulièrement vulnérable au changement climatique, mettant en danger la sécurité alimentaire de la population. Les épisodes de sécheresse sont un véritable cauchemar pour les agriculteurs et les répercussions économiques sont désastreuses :
« Par exemple, dans les hautes terres andines, l’essentiel de l’activité agricole dépend des pluies. En 2022, la sécheresse et la perte d’une grande partie de la production de pomme de terre ont entraîné une augmentation de son prix au kilo qui est passé d’environ 50 centimes (0,12 centime d’euros) à 5 soles (1,25 euro). »
Il y a également des saisons marquées par de fortes gelées et grêles qui affectent sérieusement la production agricole et l’élevage. Walter López poursuit :
« Lorsque la grêle est très intense, des hectares de cultures déjà en floraison sont perdus, générant des pertes importantes pour les agriculteurs. La même chose se produit avec le gel. Les chutes de neige et les gelées peuvent entraîner la mort des nouveau-nés dans les zones de haute montagne. »

L'élevage des alpagas et des lamas est une des principales activités des communautés andines - @LucieTouzi
Les éleveurs doivent faire face à une augmentation des maladies chez le bétail (alpagas, lamas et ovins notamment). « De nombreux membres des communautés andines se déplacent vers les vallées plus tempérées, car les conditions dans les Andes sont de pis en pis », explique Constantino Auccas Chutas, président de l’ONG ECOAN.
La vigogne (petit lama sauvage), une espèce de la famille des camélidés qui vit à l’état sauvage, est directement impactée par le manque d’eau en altitude et se voit dans l’obligation de migrer à basse altitude à la recherche d’eau dans les abreuvoirs des alpagas et des lamas. C’est ainsi que les animaux se transmettent des maladies comme la gale.
« En raison du retrait des glaciers et de l'absence d'eau, nous avons constaté que de nombreux écosystèmes, notamment les bofedales, les prairies et les zones humides, s’assèchent », confirme Walter López. Or, la grande partie du bétail dépend de ces prairies naturelles, c’est la raison pour laquelle le surpâturage est un véritable problème.
Dans les prochaines années, les conflits liés à l’utilisation de l’eau, une ressource si précieuse, vont s’intensifier. Constantino Auccas Chutas conclut : « Peut-être qu’après la COP n° 500, on va enfin dire qu’il est temps de sauver la planète, quand il ne restera plus qu’une roche à sauver… On perd du temps avec ces réunions, il faut passer à l’action. C’est une course contre la montre ».
Photo d'ouverture : Nuamfolio - @Shutterstock