L’œuvre de Tocqueville donne les clés d’interprétation des grands enjeux politiques du XIXe siècle, période fondatrice des pratiques politiques démocratiques, tout en restant d’une grande actualité en ce qui concerne l’expérience moderne de la démocratie.
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Dans son célèbre ouvrage De la Démocratie en Amérique. Tome 1 (1835), Tocqueville met en évidence les avantages, inconvénients, et écueils possibles du modèle démocratique. L’auteur expose les spécificités des institutions politiques et judiciaires américaines, insistant sur leur caractère décentralisé.
Ce qu’il faut retenir :
La vie politique américaine commence concrètement dans la Commune. Elle est l’expression d’un « État social », c’est-à-dire de l’ensemble des mœurs, idées et habitudes, intimement démocratiques. Ce goût originel pour l’égalité, la liberté, la prospérité matérielle explique le développement institutionnel que connurent par la suite les États-Unis.
La démocratie n’est pas aussi efficace, brillante et prestigieuse que l’aristocratie, mais elle est plus juste, et prend en compte les intérêts et le bien-être de la majorité.
Le système américain est adapté à des mœurs spécifiques. Il ne serait pas reproductible à l’identique en France. Toutefois, une véritable démocratie est possible sous réserve de certaines conditions : une population instruite, accoutumée à s’autogouverner concrètement et la présence d’une force spirituelle qui apporte un cadre psychologique indispensable à l’exercice de la liberté.
La démocratie possède également des défauts que Tocqueville identifie comme étant principalement la toute-puissance de la majorité, d’autant plus despotique du fait de la disparition des garde-fous entre le pouvoir et le peuple ; et le suffrage universel, qui souffre de l’incapacité du peuple à évaluer la pertinence du « programme » des candidats en provoquant du même coup le détournement des personnalités les plus brillantes.
Biographie de l’auteur
Alexis de Tocqueville (1805-1859), issu de la noblesse normande, est aristocrate de naissance, mais démocrate de raison. Son arrière-grand-père fut l’avocat de Louis XVI et, comme ce dernier, fut guillotiné par les révolutionnaires. Ses parents échappèrent de peu à la Terreur. Pourtant, il embrassera les idées libérales. Le libéralisme constituera la réponse de Tocqueville à l’épineuse question de la stabilité d’une société qui n’est plus régie par la transcendance religieuse.
Après un voyage aux États-Unis (1831-1832), il considère les défauts du régime démocratique, et spécifiquement l’ambivalence de l’égalité démocratique, qui, si elle est un facteur de l’émancipation humaine, constitue un risque majeur pour l’individu. Il rédige alors De la Démocratie en Amérique (1835, 1840). Il connaît en parallèle une brillante carrière politique, contribuant notamment à la rédaction de la Constitution de la IIe République. Hostile au coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, qu’il juge inconstitutionnel, il se retire de la vie politique et consacre ses dernières années à la rédaction de sa seconde œuvre maîtresse, L’ancien Régime et la Révolution (1856).
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
II. L'importance du point de départ
III. État social des Anglo-Américains
V. Particularismes des différents États
VI. Du pouvoir judiciaire
VII. Du jugement politique
VIII. De la constitution fédérale
IX. C’est le peuple qui gouverne
X. Des partis aux États-Unis
XI. De la liberté de la presse
XII. De l’association politique
XIII. Du gouvernement de la démocratie
XIV. Quels avantages ?
XV. De l’omnipotence de la majorité
Synthèse de l’ouvrage
Introduction
L’histoire de France, depuis les Capétiens, se présente comme un processus continu de nivellement des classes sociales vers l’égalité. La domination de l’Église, ouverte aux riches comme aux pauvres, l’autorité des légistes et l’influence des Lumières n’ont cessé d’affaiblir le pouvoir des aristocrates sur les affaires d’État. Celui des roturiers en revanche, fondé sur l’intelligence et l’argent, s’est formidablement renforcé jusqu’à s’accomplir parfaitement après la Révolution française. Cependant, les mœurs et l’instruction du peuple n’étaient pas encore adaptées au principe d’autogouvernement. Ignorant et livré à lui-même, le peuple risque désormais de s’abandonner naïvement aux mains de puissances tyranniques qui, sous couvert de démocratie, lui confisqueraient le pouvoir.
Le propre de la démocratie est l’égalité. Contrairement à la monarchie et l’aristocratie, la société démocratique est caractérisée par un nivellement des conditions de richesses, d’intelligence, de gloire et de temps libre. Cependant, en 1835, la marche de la France vers la démocratie est interrompue. La démocratie, loin d’avoir atteint un niveau de liberté et de bien-être suffisamment élevé, avait violemment rejeté la monarchie et la religion dont certains aspects pourtant, auraient pu soutenir son développement (par exemple, le christianisme prône les valeurs d’égalité et de libre arbitre). L’étude du régime américain doit permettre de mieux comprendre les besoins et les facteurs agissant en faveur de la démocratie, afin de reprendre la marche de la France vers un régime démocratique.
Première Partie
Chapitre II. L'importance du point de départ pour l’avenir des Anglo-Américains
À la différence de populations du reste du monde, il est possible de connaître l’avènement du peuple américain. Au début du XVIIe siècle, une population relativement homogène se constitua après la première vague d’immigration. Les immigrés partageaient les mêmes mœurs et principes religieux austères (puritanisme), la langue anglaise, et étaient accoutumés à une pratique de gouvernement de type communal. Ils appartenaient à une catégorie de population relativement instruite et aux principes moraux élevés (ce qui les distingue des immigrants du sud). Compagnons d’infortune dans la fuite des persécutions religieuses et face à la rudesse du Nouveau Monde, les Pèlerins accostèrent en Amérique en hommes parfaitement égaux. Ni classe ni fortune ne pouvait subsister, seul le travail permettait la survie.
Les premières colonies en Nouvelle-Angleterre furent fondées par ces premiers immigrés. Dès leur arrivée, les Pèlerins s’organisaient spontanément en société, votant ensemble les lois fondamentales structurant les rapports sociaux au sein d’une organisation communale. Ils identifièrent avec une grande acuité les besoins sociaux (concernant l’entretien des routes, la tenue de registres publics, etc.). De nombreux principes, encore en vigueur deux siècles plus tard, furent alors institués : le principe du consentement à l’impôt, la responsabilité des agents publics, la liberté individuelle, le jugement par jury, etc. Ces principes reposaient avant tout sur les textes religieux. Par exemple, l’éducation avait pour fonction de préserver les Hommes du pouvoir de Satan, lequel fondait son empire sur les esprits ignorants. La liberté et l’indépendance ne procédaient pas du désir de vivre sans règles, mais plutôt de celui de « pouvoir faire sans crainte ce qui est juste et bon ». Alliant impératifs sociaux et religieux, de nombreuses autres lois purent favoriser, malgré l’éloignement de l’Europe, la stabilité et la paix au sein de cette nouvelle société anglo-américaine.
Grâce à la colonisation, ce noyau de peuplement s’étendit aux territoires de l’ouest, diffusant alors le mode de pensée anglo-américain qui s’était ainsi créé.
Chapitre III. État social des Anglo-Américains
L’État social est la conséquence d’un ensemble de faits et de lois qui prévalent au commencement d’une société. Une fois formé, il devient rapidement lui-même la source des lois, idées et coutumes qui suivent.
L’État social anglo-américain se caractérise par la démocratie et l’égalité. Pourtant, un modèle inégalitaire et aristocratique s’est constitué dans les États du sud, conséquence de l’introduction de l’esclavage et de la constitution de grands domaines fonciers. Une catégorie de population (blanche) vit dans l’oisiveté, unie par des pensées et des goûts similaires. À l’est de l’Hudson cependant, aucune aristocratie ne s’est développée. En effet, l’État social démocratique des Anglo-américains au nord a été consacré par une loi sur les successions qui assure la disparition, à chaque génération, des grandes propriétés et fortunes et empêche ainsi la constitution de puissances foncières.
Néanmoins, la propriété est le symbole concret de « l’esprit de famille ». À la fois témoin du passé et porteur de la gloire, de la vertu, de la puissance de la famille, la « terre » est ainsi facteur de stabilité et gage d’avenir. Ainsi, en faisant disparaître l’ancrage matériel de la famille dans le foncier, le principe de l’égalité dans la succession nuit à « l’âme ». L’esprit de famille devient abstrait et se perd. L’individu se focalise exclusivement sur le présent, et, animé par un égoïsme naturel, s’occupe prioritairement de son intérêt personnel. Toutefois, il faut reconnaître au principe de l’égalité dans la succession d’avoir supprimé l’extrême inégalité entre les très riches et les descendants défavorisés.
Outre la succession, le principe d’égalité de l’État social anglo-américain s’est appliqué à l’instruction. Tout enfant aux États-Unis reçoit une instruction élémentaire, faisant des Américains la population la plus instruite du monde. Cependant, le nivellement de l’instruction, s’il a permis de réduire le nombre d’ignorants, a également diminué le nombre de savants. Chacun devant travailler pour vivre, peu d’individus poursuivent l’étude de sujets humanistes au-delà de 15 ans et doivent se concentrer davantage sur des sujets pratiques en vue de leur future profession.
La quête de l’égalité qui caractérise l’État social anglo-américain, réduit la misère et améliore le bien-être, mais provoque inévitablement un nivellement par le bas des fortunes et de l’instruction. L’État social démocratique privilégie donc l’égalité dans la servitude, à la liberté dans l’inégalité.
Chapitre V. Particularismes des différents États
À la différence de l’Europe, les principes qui structurent les États-Unis sont issus des plus petits échelons de l’organisation politique, partant de la Commune pour aller vers le Comté et l’État.
La plus petite cellule politique américaine est la Commune, forme d'organisation naturelle de tout groupement humain à son commencement. Elle regroupe deux à trois mille habitants qui exercent eux-mêmes le pouvoir, sans représentant, pour tout ce qui les concerne en propre. Les habitants de la commune élisent chaque année une vingtaine de fonctionnaires, les select-men, chargés d’appliquer les délibérations des habitants (assesseur, collecteur d’impôt, commissaire des écoles, inspecteur de routes, etc.). En somme, les habitants peuvent exercer concrètement leur souveraineté, attisant ainsi leur goût pour la liberté et l’indépendance.
Le Comté, regroupant plusieurs Communes, est la première circonscription judiciaire. Dans les États du nord, peuplés d’immigrants de Nouvelle-Angleterre, le Comté n’a pas d’existence politique, contrairement aux États du sud, où le pouvoir politique de la Commune a diminué au profit du Comté.
En Amérique, l’autorité n’étant ni centralisée ni hiérarchisée, seuls les tribunaux peuvent agir auprès des fonctionnaires et des Communes pour que la loi soit respectée de manière uniforme. À cet effet, des « juges de paix » sont nommés par le gouverneur de l’État pour sept ans. Ils se réunissent deux fois par an dans chaque Comté. Ce contrôle des communes et des fonctionnaires n’intervient que lorsque la Cour est saisie. Ainsi, la délation, acte réprouvé en Europe, est encouragée en Amérique : le délateur touche la moitié de l’amende donnée par la Cour. La loi est, par conséquent, d’autant mieux appliquée qu’il existe un contrôle permanent des habitants entre eux.
L’État, dernier échelon, légifère pour les intérêts communs à toute la nation, quoique l’essentiel de la vie politique s’exerce au sein de la Commune. Le pouvoir législatif étatique est divisé en deux Chambres : le Sénat, composé de sénateurs élus pour deux ou trois ans et qui peut, au besoin, se transformer en Cour judiciaire pour les affaires politiques ; et la Chambre des représentants, composée de représentants élus pour un ou deux ans, dont la mission est de donner les directions de la politique de l’État. L’exécutif met en œuvre les décisions prises par les Chambres et, si nécessaire, agit comme conseil du pouvoir législatif. Il dispose également d’un pouvoir de veto pour ralentir (et non pour arrêter) le processus législatif.
En Amérique, la centralisation est gouvernementale mais pas administrative. Autrement dit, l'exécutif est chargé de la détermination des décisions qui concernent l'ensemble du territoire, mais pas de leur exécution, pouvoir qui appartient aux Communes et à leurs fonctionnaires. Cette décentralisation n’est possible que grâce à la capacité des Américains à se prendre en charge eux-mêmes. À l’inverse, en France, la centralisation a favorisé l’indolence administrative et politique des populations.
Chapitre VI. Du pouvoir judiciaire et de son action sur la société politique
La branche judiciaire aux États-Unis dispose d’un pouvoir quasi politique. Les juges américains ne fondent pas leurs décisions sur la loi, mais sur la Constitution, dont l’interprétation est leur prérogative. À ce titre, ils peuvent, à force de jurisprudence, vider de sa substance toute loi qu’ils considèrent contraire à la Constitution.
Chapitre VII. Du jugement politique aux États-Unis
Un corps politique peut revêtir, de manière ponctuelle, la fonction de Cour de Justice. Aux États-Unis, le Sénat peut ainsi officier en tant que Cour de justice, lorsqu’il s’agit de juger un élu. Néanmoins, la sanction prononcée par les Sénateurs ne peut prendre que la forme d’un « arrêt », c’est-à-dire la décision de déchoir l’élu. Ce dernier est alors remis entre les mains de juges ordinaires.
Les lois précisant le type de manquement dont peuvent se rendre victimes les fonctionnaires publics sont volontairement floues, afin de maintenir un moyen de pression et inciter ces derniers à toujours respecter les volontés du peuple.
Chapitre VIII. De la constitution fédérale
Si les treize colonies américaines demeurèrent unies le temps de la guerre d’indépendance, cette union se désagrégea dès lors qu'elles se virent délivrées du joug anglais. La Constitution, élaborée en deux ans, a pour rôle de déterminer les attributions de l'Union et des États membres, afin de garantir l'indépendance de ces derniers.
Le gouvernement fédéral était ainsi compétent concernant les Traités de paix, les déclarations de guerre, la politique monétaire, la flotte, les rapports commerciaux extérieurs et entre les États, le service des postes et les grandes voies de communication. Il pouvait également lever une armée ou l’impôt et disposait d’un tribunal pour tous les sujets relevant du domaine fédéral. Il était alors bien plus centralisé que les monarchies les plus absolues en Europe (par exemple, la France comptait treize cours souveraines qui pouvaient refuser l’impôt et interpréter la loi). Concernant la structure de l'État central, deux visions s’opposaient : certains considéraient l’Union comme le rassemblement de l’ensemble des États ; d’autres, comme le rassemblement de l’ensemble de la population. Ainsi, les deux chambres législatives furent créées : le Sénat, représentant les États et la Chambre des Représentants, représentant la population.
L’exécutif est représenté par un Président, élu pour quatre ans. Le pouvoir du Président est réduit et se limite à l’exécution des lois. L’Amérique n’ayant pas de voisins, d’ennemis, ni d’intérêts commerciaux vitaux, le pouvoir du président n’a pas eu l’occasion de se développer. Cependant, l’élection du Président demeure un facteur de déstabilisation du pouvoir et de ralentissement du fonctionnement de l’État. La possibilité de se faire réélire l'encourage à se focaliser davantage sur cet objectif que sur le gouvernement de l’État. Cette résurgence de l’intérêt individuel annule les bénéfices de la démocratie. Il favorise l’émergence d’intrigues et de corruptions, vices naturels de la démocratie. Pour réduire ces manigances, l’élection présidentielle procède du suffrage de quelques « électeurs spéciaux » dans chaque État. Leur identité demeure secrète pour éviter qu’ils subissent des pressions.
Le gouvernement fédéral est relativement faible et n’existe que par la bonne volonté des États qui le composent. Le pouvoir est garanti par les Tribunaux fédéraux, chargés de faire respecter la législation fédérale. Ils sont saisis des affaires qui concernent une question fédérale ou un fonctionnaire fédéral (ambassadeur, États, etc.). Dans la mesure du possible, les tribunaux fédéraux attaqueront la loi d’un État à travers une affaire impliquant un individu isolé plutôt qu’un État, car un tel rapport de force risquerait de décrédibiliser facilement l’institution fédérale.
Les petites nations sont généralement plus démocratiques et paisibles (à l’instar de la Suisse), car la population est suffisamment organisée pour éviter toute tendance tyrannique. À l’inverse, les nations puissantes, aux grandes ambitions, ne peuvent maintenir longtemps un régime démocratique en place : à force d’intrigues et de corruption, la quête du pouvoir éclipse le sentiment démocratique. Le système fédéral à l’américaine présente l’avantage d’allier la force et la puissance d’une grande nation, tout en préservant l’exercice de la souveraineté au niveau des États. Son organisation politique est donc similaire à celui d’une petite nation démocratique.
Le système américain n’est cependant pas applicable dans toutes les sociétés. L’alchimie démocratique des États-Unis ne fonctionne qu’en raison d’un État social tourné vers l’égalité, l’autonomie et la liberté. La population américaine accepte et utilise aisément ce système, car, elle l’a elle-même créé et l’applique depuis deux siècles. Outre la nature des individus qui constituent l'État social américain, la cohésion des États-Unis est garantie par l'isolement du continent. Le risque de déstabilisation par l'étranger étant écarté, il peut se passer d'une véritable armée ou d'une véritable diplomatie.
Deuxième Partie
Chapitre IX. Aux États-Unis, c’est le peuple qui gouverne
Aux États-Unis, la majorité est omnipotente. Le peuple élit les individus qui font la loi et qui l’exécutent. En outre, il est lui-même membre du jury qui punit les contrevenants.
Chapitre X. Des partis aux États-Unis
Une population peut être divisée selon des principes fondamentaux qui donnent naissance à des « corps » (par exemple, l’aristocratie dans la population française). Sinon, comme aux États-Unis, elle est homogène et en désaccord seulement sur certains points spécifiques, ce qui donne naissance aux « partis ». Les partis se distinguent entre eux sur des détails afin de justifier leur combat pour le pouvoir. Des personnalités exceptionnelles peuvent émerger de situations exceptionnelles ou de grands évènements de l’Histoire, comme ce fut le cas durant la Révolution américaine. Le reste du temps, règnent les petits partis. Ainsi, à l’issue de la guerre d’indépendance américaine, deux mouvements sont apparus : les Républicains, qui réclament l’extension du pouvoir du peuple, et les Fédéralistes qui prônent une limitation de ce pouvoir au profit du pouvoir fédéral. Ces derniers accédèrent au pouvoir et s’y maintinrent jusqu’en 1801 lorsque, l’agitation révolutionnaire passée, le désir originel de liberté se fit sentir à nouveau. Le parti fédéraliste se dissout par la suite.
Chapitre XI. De la liberté de la presse aux États-Unis
La souveraineté populaire implique la liberté de la presse. Aux États-Unis, ce fait est si bien établi qu’il est facile de monter un journal. La structure même du journal américain permet une rentabilité suffisante, même avec peu de lecteurs. Ils sont ainsi particulièrement nombreux. Par conséquent, le pouvoir de la presse américaine est bien moins déterminant que celui de la presse française. L’information diffusée par un journal américain n’a en effet d’impact que si elle est reprise et propagée par d’autres journaux. En France, la faible concurrence induit au contraire la nécessité d’un lectorat élargi, de sorte que toute nouvelle diffusée par un journal touche un grand nombre de citoyens.
En raison de la facilité de monter un journal viable, l’exercice de la profession de journaliste est moins exigeant qu’en France. La presse américaine ajoute à la nature vindicative et agitatrice de tout journal, une certaine bassesse en exposant la vie privée, les faiblesses et les passions des personnalités publiques.
Les journaux américains se distinguent les uns des autres selon l’opinion transmise par le journaliste. Cela favorise chez leurs lecteurs, le développement et le maintien d’un scepticisme à l’égard de toute information : un état intermédiaire entre la croyance ignorante envers un dogme et la croyance éclairée, fruit d’un long travail intellectuel pour connaître la vérité.
Chapitre XII. De l’association politique aux États-Unis
Dans les mœurs américaines, l’association est instinctive et spontanée, car il n'existe aucune autorité chargée de soutenir l'individu face à une difficulté (catastrophe naturelle, injustice, etc.). Ces associations peuvent aller du simple lien intellectuel, à une petite assemblée ou un collège électoral en vue de désigner des représentants voire de créer un parti. La liberté d’association est totale. Mais, un paradoxe demeure, car ces associations, par principe minoritaires, sont relativement impuissantes pour protéger les intérêts des minorités. Elles demeurent néanmoins le principal instrument d’opposition de la minorité à la tyrannie de la majorité. Leur caractère, plus ou moins perturbateur, peut éventuellement permettre à leurs revendications d’aboutir.
Chapitre XIII. Du gouvernement de la démocratie en Amérique
Les bienfaits du suffrage universel doivent être relativisés. Si le peuple est effectivement capable de déterminer selon les offres des candidats, les propositions qui semblent les meilleures pour son pays, l’évaluation des « moyens » que le candidat propose pour y parvenir requiert un niveau d’instruction et de compréhension dont la majorité de la population est rarement munie. Aux États-Unis, les individus, devant travailler pour vivre, n’ont guère le temps de s’instruire suffisamment longtemps pour évaluer en profondeur les offres des candidats. À défaut, ils ne s’accrochent qu’à la représentation générale qu’ils ont du candidat. Cette situation incite alors des personnalités réellement remarquables, mais dont les qualités de communication sont médiocres, à se détourner de la politique. En Amérique, cette situation est corrigée en partie par les élections indirectes des sénateurs, lesquels sont, en outre, choisis parmi des candidats plus âgés et donc plus expérimentés et sages.
La brièveté des mandats électoraux aux États-Unis, bien qu’elle provoque une grande versatilité des décisions et de la politique, a pour effet d’assurer leur obéissance aux volontés de la majorité. Ce contrôle étroit, permis par les élections, donne une grande liberté d’action aux magistrats et fonctionnaires qui, toutefois, leur procure un pouvoir quasiment despotique, et donc à la majorité à travers eux. Dans les monarchies constitutionnelles, en revanche, les fonctionnaires étant responsables devant le monarque comme devant le peuple, une « ligne de conduite » est établie à l’avance et leur marge d’action est réduite.
Le modèle américain étant fondé sur la représentation de la majorité de la population, et non sur le pouvoir bourgeois ou aristocrate, le coût des dépenses publiques pèse généralement sur les minorités riches. À terme, à mesure que les riches s’appauvrissent et que les pauvres augmentent leur niveau de vie, il devient difficile à ces derniers d’échapper au financement des dépenses publiques. Le gouvernement démocratique tendra alors à devenir moins dispendieux. Cependant, les Américains sont naturellement portés vers des investissements pragmatiques et rentables, plutôt qu’au faste et aux ornements.
Chapitre XIV. Les avantages du gouvernement de la démocratie
Contrairement à l’aristocratie, la démocratie répond aux intérêts et au bien-être du plus grand nombre. Néanmoins, le suffrage universel, le nivellement de l’instruction par le bas et la poursuite de l’intérêt personnel à travers les mandats électifs donnent naissance à une démocratie moins brillante et moins prestigieuse que l’aristocratie. De plus, à la différence des aristocrates dont la situation est assurée dans le temps, le rythme saccadé qu’impose la démocratie empêche la longueur de vue nécessaire à la mise en place de politiques réellement ambitieuses par ses gouvernants.
Cependant, l’esprit américain est imprégné de démocratie. L’Homme étant naturellement attaché aux paysages, mœurs, coutumes, lois et croyances du pays de son enfance, un Américain considère chaque élément de son système politique comme son œuvre personnelle. La liberté et l’autonomie qui résultent de cet esprit favorisent les esprits d’entreprise, d’innovation, de progrès. La démocratie a donc des répercussions indirectes sur la prospérité économique des États-Unis et l’aisance matérielle des individus.
Chapitre XV. De l’omnipotence de la majorité aux États-Unis et de ses effets
Aux États-Unis, l'idée selon laquelle l'intelligence de plusieurs est supérieure à celle d'un individu a conduit à créer une espèce de tyrannie de la majorité. Elle est ainsi représentée partout (législatif, exécutif, judiciaire, etc.) et tend parfois à supplanter l’individu désigné pour la représenter. Ainsi, certains représentants ou fonctionnaires, en plus de représenter la majorité pour un mandat très court, agissent également avec une ligne de conduite prédéfinie par la collectivité. Le zèle fourni, voire requis, pour répondre aux préoccupations versatiles de la majorité est source d’une grande instabilité et d’incapacité à mener une action continue dans le temps.
L’omnipotence de la majorité, comme tout pouvoir absolu, est dangereuse, spécialement pour les minorités. En Pennsylvanie par exemple, aucun homme noir affranchi n’ose user de son droit de vote, dont il dispose pourtant légitimement, craignant d’être molesté par la majorité blanche. Tout législateur qui tenterait de faire respecter cette loi serait à son tour certain de perdre son mandat lors des prochaines élections.
La tyrannie de la majorité exerce également son empire sur l’esprit des individus. Si en Amérique, il est possible de s’exprimer librement pendant un temps, dès lors que la majorité s’exprime en faveur d’une proposition, tout individu qui s’opposerait à cette vision serait aussitôt ostracisé. À l’instar de la monarchie absolue, il existe une espèce « phénomène de cour » où des courtisans prostituent leurs opinions afin d’encenser la majorité.
Chapitre XVI. De ce qui tempère aux États-Unis, la tyrannie de la majorité
La tyrannie de la majorité est tempérée par l’absence de centralisation administrative. La majorité est ainsi privée des instruments qui lui permettraient d’appliquer directement ses décisions, sans intermédiaires qui puissent lui opposer une éventuelle résistance.
Les légistes constituent un second contrepoids. Le légiste accompagne tous les grands bouleversements de la société et sa nature est souvent plus proche du mode de pensée aristocratique. Il est par nature conservateur et antidémocratique. Il peut ainsi orienter ou atténuer la direction de certaines politiques issues de la majorité omnipotente.
Le jury populaire, réuni en matière judiciaire, permet l’expression du pouvoir de la majorité dans la répression des crimes. Cependant, il a aussi une fonction éducative. En contact pendant plusieurs jours avec une élite instruite, la fonction de « juré » permet d’imprégner la société de « l’esprit légiste ». Les magistrats prodiguent inconsciemment aux individus une instruction gratuite dans le domaine du droit et forment leur jugement pour les orienter progressivement vers le respect du droit.
Chapitre XVII. Des causes principales qui tendent à maintenir la République démocratique
En résumé, le maintien de la République démocratique aux États-Unis repose sur des conditions géographiques (territoire hospitalier, absence de voisins), historiques (égalité originelle des conditions, etc.), et institutionnelles (liberté et indépendance communale, pouvoir judiciaire, système fédéral, etc.) et sur l’État social américain (goût pour la prospérité matérielle, l’indépendance, la légalité, etc.).
Cependant, la religion joue également un rôle déterminant dans la stabilité du régime. L’Amérique accueille de multiples sectes et religions qui ont une fonction politique indirecte. Les valeurs qu’elles professent – chrétiennes dans leur majorité – concordent avec les idées démocratiques et républicaines (en particulier l’égalité et l’obéissance à l’autorité). De plus, la religion règle les mœurs de la société par l’intermédiaire de la femme. Par sa piété plus prononcée, la femme inculque stabilité et moralité au sein du foyer. Ces éléments apportent à l’homme l’assurance nécessaire pour oser prendre des risques. La religion est considérée en Amérique comme le soubassement spirituel indispensable et préalable à l’établissement d’un système républicain. Ainsi, il n’est pas rare que des délégations religieuses s’établissent à l’ouest avant toute autre colonisation. L’objectif est de constituer un embryon de communauté réglé par des valeurs chrétiennes, sur lesquelles pourra s’élever par la suite une république qui ne déstabilisera pas les États voisins. Pour autant, l’Église et l’État sont strictement séparés. Cette séparation assure à l’Église sa propre légitimité dans l’esprit des Hommes et lui permet de ne jamais être emportée par les vicissitudes du pouvoir.
Au temps de la monarchie, bien que le pouvoir du Roi fût absolu, de nombreuses limitations existaient et atténuaient la portée de l’absolutisme, concrètement (la noblesse, les cours souveraines, les corporations, les privilèges des provinces…) ou de façon plus abstraite (les mœurs, l’esprit de famille, l’honneur, la religion, l’attachement réciproque des sujets et du monarque, les coutumes). Aujourd'hui, ces bornes du pouvoir ont disparu et, avec elles, les communautés qu’elles représentaient (clients, proches, compagnons, fidèles, villageois, etc.). Ces garanties contre l’abus royal n’existant plus, les citoyens, isolés et impuissants, doivent choisir entre : apprendre l’exercice de la démocratie, de l’autogouvernement et de la liberté en retrouvant une spiritualité qui sous-tende la pratique démocratique, ou sombrer dans la tyrannie en attribuant un pouvoir illimité sur le peuple à quelques individus qui se jouent de lui.
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