Paru en 2002, Après l’Empire (2002) est un livre visionnaire qui remettait en cause la suprématie des États-Unis à un moment où il était peu fréquent de questionner cette dernière. Analysant le futur géopolitique du pays à la suite des attentats du 11 septembre, l’auteur offre un panorama des rapports de force contemporains qu’entretiennent les États-Unis avec le monde.
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Malgré leur caractère hégémonique, l’ouvrage montre comment les États-Unis souffrent des « contestations » en provenance non seulement de certains acteurs secondaires (Moyen-Orient, Cuba, Corée du Nord), mais aussi de puissances de premier plan (Europe, Japon). En montrant le développement de nouveaux acteurs ainsi que la (ré)affirmation politique d’autres pays, Emmanuel Todd nous peint l’Amérique comme une grande puissance parmi d’autres.
Ce qu’il faut retenir :
En ce début du XXIe siècle, l’hégémonie américaine est en mutation. Depuis la chute de l’URSS, les États-Unis sont une puissance en déclin et ne peuvent plus être considérés comme un empire. Ils n’ont plus la capacité économique et militaire de soumettre d’autres populations, et « l’universalisme idéologique », lié à la volonté d’expansion des valeurs libérales et démocratiques, s’est fortement affaibli, y compris au sein du pays où l’on constate une « dégénérescence démocratique ». L’universalisme, caractéristique d’un empire, n’étant plus présent dans la politique américaine, c’est un différentialisme qui l’a remplacé, tant en interne (ségrégation), qu’en externe (stigmatisation de l’islam).
Pour garder au moins l’apparence d’une grande puissance, alors que le déclin économique et militaire est fort, les États-Unis s’attaquent à ce qu’ils appellent « l’axe du mal », constitué de petits États, médiocres militairement. Plutôt que d’affronter le fort, ils attaquent le faible, laissant ces conflits traîner dans le temps, afin de mettre en scène leur puissance. C’est ce qu’Emmanuel Todd appelle « le micromilitarisme théâtral ».
Par ailleurs, les États-Unis voient deux rivaux s’affirmer sur la scène internationale, l’Europe et la Russie. Cette dernière, forte de la remontée économique qu’elle a connue après la chute de l’URSS (qui a permis une stabilisation interne) devient une puissance rivale majeure. L’Europe également prend une importance certaine pour les États-Unis, tant économiquement que diplomatiquement, en tant qu’alliés face à la Russie.
Biographie de l’auteur
Emmanuel Todd est un démographe, historien, essayiste français né le 16 mai 1951 à Saint-Germain-en-Laye. Après avoir obtenu son diplôme à SciencesPo Paris, il obtient une maîtrise d’histoire à la Sorbonne en 1972. Il devient par la suite professeur d’Histoire à l’université de Cambridge au Royaume-Uni, et commence alors des travaux d’anthropologie. Il a publié de nombreux essais notamment sur l’importance des systèmes familiaux dans l’histoire des idéologies religieuses et politiques.
Avertissement : Ce document est une synthèse de l’ouvrage de référence susvisé, réalisé par les équipes d’Élucid ; il a vocation à retranscrire les grandes idées de cet ouvrage et n’a pas pour finalité de reproduire son contenu. Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet, nous vous invitons à acheter l’ouvrage de référence chez votre libraire. La couverture, les images, le titre et autres informations relatives à l’ouvrage de référence susvisé restent la propriété de son éditeur.
Plan de l’ouvrage
Ouverture.
I. Le mythe du terrorisme universel
II. La grande menace démocratique
III. La dimension impériale
IV. La fragilité du tribut
V. Le recul de l’universalisme
VI. Affronter le fort ou attaquer le faible ?
VII. Le retour de la Russie
VIII. L’émancipation de l’Europe
Synthèse de l’ouvrage
Ouverture
« Les États-Unis […] apparaissent de plus en plus comme un facteur de désordre international. » Plus précisément, l’Amérique, loin d’être le garant de la liberté, est un pays qui cherche à maintenir les tensions internationales, tant au Moyen-Orient, qu’en Asie ou en Amérique du Sud.
L’année qui suit les attentats du 11 septembre se présente, s’agissant des États-Unis, comme une parfaite illustration de soft power tel qu’il a été théorisé par Joseph Nye. L’Amérique était alors une superpuissance qui tirait sa légitimité non seulement de sa puissance militaire, mais surtout de ses institutions et de ses valeurs politiques et culturelles. Le monde espérait l’émergence d’un empire du Bien dont la figure de proue aurait été une Amérique imposant sa conception de la justice. Pourtant, le tournant que prend la politique étrangère américaine en 2002 laisse entrevoir un tout autre objectif.
Plusieurs analyses produites par l’establishment américain, comme The grand chessboard (1997) de Zbigniew Brzezinski ou The clash of civilizations and the remaking of World Order (1996) de Samuel Huntington, permettent de définir le tournant que prend la politique américaine. De ces analyses découle l’idée qu’en même temps que le monde se peuple et se développe, la puissance américaine décline. Il faut ajouter à cela l’isolement géographique américain (notamment par rapport à l’Eurasie), qui met en danger l’économie américaine.
Les travaux de Francis Fukuyama, politiste américain, sur la « fin de l’histoire » soulèvent un autre paradoxe en ce qui concerne la toute-puissance des États-Unis au sortir de la Guerre froide. L’universalisation de la démocratie, qui tend à mettre tous les pays sur un pied d’égalité nous conduit à « ce paradoxe terminal que les États-Unis deviennent, en tant que puissance militaire, inutile au monde ». Et, en effet, après l’effondrement du communisme et avec les débuts d’une mondialisation déchaînée, le monde se rend compte qu’il peut désormais se passer de l’Amérique. À l’inverse, les États-Unis peuvent difficilement se passer du monde, comme a pu le montrer l’effondrement du déficit commercial américain entre 1990 et 2000, par manque de capitaux extérieurs.
Ainsi, alors que l’on assiste à l’avènement de la démocratie à l’échelle internationale, elle régresse aux États-Unis. Ce phénomène de « dégénérescence de la démocratie » s’explique par l’idée « d’inversion », qui se décline sur deux niveaux : l’inversion des rapports économiques caractérisée par une dépendance des États-Unis du reste du monde, et l’inversion des tendances politiques caractérisée par un déclin démocratique américain, et une dynamique positive en Eurasie.
Face à ces déficits profonds, les États-Unis sont forcés de mettre en scène leur toute-puissance afin de rester maître du jeu, cela par trois moyens : d’abord, en évitant de résoudre définitivement les problèmes démocratiques et ainsi justifier leur action militaire ; ensuite, en ne s’opposant qu’à des « micropuissances » comme l’Irak, Cuba ou la Corée du Nord ; enfin, en poursuivant la course à l’armement. Loin de montrer une montée en puissance de l’empire américain, ces signes montrent, à l’inverse, son déclin, en tant qu’il devient une réelle menace à la paix.
Chapitre I. Le mythe du terrorisme universel
De nos jours, l’emprise des médias sur les mentalités est telle que ces derniers sont parvenus à façonner l’image d’une planète structurée par la haine et gangrenée par la violence. Au prisme de l’histoire, on nous montre une planète qui sombre et une conception du progrès défaillante qu’il est nécessaire de repenser. Pourtant, l’humanité est sur la voie du développement, comme le démontrent certains indicateurs. En effet, on mesure une forte progression culturelle à l’internationale, caractérisée par une généralisation de l’alphabétisation ainsi qu’un certain contrôle des naissances. On parle dans un premier temps d’une révolution culturelle puis d’une révolution démographique.
Pour autant, les États-Unis maintiennent l’idée d’une logique de conflits, face à un « axe du mal ». Dans cette perspective, la notion de terrorisme est utile aux Américains, et uniquement à eux. Celle-ci lui permet de justifier ses perpétuelles interventions au Moyen-Orient et sur tous les territoires à dominantes islamiques. Cette « transition islamique » de la politique américaine inaugure une ère sans paix, et les répercussions des événements du 11 septembre déçoivent les espoirs que le monde avait d’un avenir sans conflit.
Chapitre II. La grande menace démocratique
Que ce soit l’avènement de l’alphabétisation ou la maîtrise de la fécondité, ces deux aspects du progrès coïncident avec la montée de l’individualisme, s’accompagnant d’un intérêt croissant pour la sphère politique. L’hypothèse qui domine est celle d’individus désormais alphabétisés qui ne peuvent plus être gouvernés de manière autoritaire. Une forte interaction s’est ainsi installée entre éducation et démocratie.
Pour comprendre la démocratisation, il faut voir que la montée de l’individualisme entraîne un processus de transition anthropologique dont l’issue est une convergence démocratique et une remise en cause des valeurs d’autorité des systèmes politiques initiaux. Aussi, après une période de crise, correspondant à la fin du système politique initiale, les sociétés s’apaisent et tendent à se « moderniser », c’est-à-dire à adopter le modèle de la démocratie libérale qui s’universalise ainsi.
Chapitre III. La dimension impériale
Il semble intéressant de faire un parallèle entre la globalisation économique actuelle et les systèmes antiques grecs et romains. De cette comparaison ressort l’idée que la constitution d’une économie mondialisée est un processus politico-militaire, qui ne peut être expliqué qu’en prenant en compte ces deux variables, politique, et militaire. Dans cette nouvelle ère, on passe d’une logique de production à une logique de consommation. C’est notamment ce qui explique les déficits américains par rapport à une multitude de pays. On retiendra pour l’année 2001, le chiffre de 83 milliards de dollars de déficit avec la Chine. En somme, l’avance dont disposaient les Américains s’amenuise d’année en année. Cette chute économique n’ayant pas été compensée par les multinationales américaines, les profits de celles-ci sont moindres comparés aux firmes étrangères installées en Amérique.
La question se pose alors du caractère néo-impérial des États-Unis. En effet, entre 1980 et 2000, l’Amérique a hésité entre le système de la nation et celui de l’empire. Au cours de cette même période, le pays a connu une hausse exponentielle des inégalités ainsi qu’une forte paupérisation. En effet, la globalisation a engendré une augmentation de l’absorption du revenu national par les classes sociales les plus riches, creusant un large fossé entre une classe économique dominante, une classe moyenne et une classe populaire/ouvrière. Peut-on alors parler d’un empire américain ? La réponse semble être négative. Un empire doit être caractérisé par un pouvoir militaire accru, et par la conquête de territoires mettant les populations concernées sous le joug des valeurs d’un « centre ». L’universalisme grâce à la domination militaire et économique ne permet l’existence que de « peuples conquérants et de peuples conquis ». Or, il apparaît très clairement que le pouvoir de contrainte militaire et économique insuffisant et le déclin de « l’universalisme idéologique » américain empêchent de considérer les États-Unis comme l’empire du XXIe siècle.
Chapitre IV. La fragilité du tribut
Après la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont toujours évité les confrontations terrestres, limitant le déploiement de leur armée. C’est particulièrement le cas au cours de la Guerre froide durant laquelle l’Amérique s’est gardée d’entrer en conflit direct avec l’URSS (véritable vainqueur terrestre de la Seconde Guerre mondiale) — en témoignent les difficultés de la guerre de Corée et du Vietnam. On parle ainsi de l’émergence de guerres sans mort. Les États-Unis se concentrent désormais sur des affrontements asymétriques, et évitent ainsi toute belligérance avec des pays d’une puissance équivalente.
Par ailleurs, les États-Unis ont pérennisé une certaine domination sur le monde sous la forme d’une influence économique. Cependant, l’idée d’une dépendance économique imposée par le régime américain au reste du monde suppose une forme de légitimation des politiques impériales américaines sous la forme d’une doctrine universaliste. Cependant, l’universalisme en tant que doctrine est en déclin et relègue les citoyens au second plan, laissant alors l’économique et les élites dicter la politique de tout un pays.
Chapitre V. Le recul de l’universalisme
La capacité de traiter hommes et peuples de façon égalitaire est l’une des caractéristiques premières des empires. Cette pratique doit permettre une meilleure intégration des nouveaux territoires conquis au noyau central. En passant du statut de conquis à celui de conquérants, ceux qui initialement étaient dominés tendent à se sentir comme ressortissant de cet empire. Dans le cas américain, cet aspect n’apparaît pas. En effet, au cours de leur histoire, les États-Unis ont suivi une certaine logique différentialiste. Les « étrangers » sont conçus comme des individus « différents », comme en témoigne la pratique de la ségrégation comme politique courante dans l’histoire du pays. Ces étrangers sont perçus comme des inférieurs, ce qui justifiait leur maltraitance. À l’inverse, les peuples universalistes et impériaux définissent les peuples extérieurs comme leurs semblables et les mettent sur un pied d’égalité.
La tendance universaliste américaine, dans un contexte de Guerre froide, n’a eu pour ambition que de souder son « empire » (du moins en Occident) face au bloc communiste. Elle répondait ainsi, non pas à une pratique égalitariste, mais à un objectif géopolitique dans une logique de blocs. Par conséquent, l’effondrement du rival communiste a provoqué inévitablement le recul de l’universalisme américain. Cette pression soviétique qui s’exerçait sur les États-Unis ayant disparu, ces derniers ont pu « réduire le périmètre d’inclusion des peuples à “son” universel. »
L’universalisme en interne, comme l’universalisme externe, est en déclin. À l’intérieur du pays, une société promouvant la diversité est instaurée, au détriment de l’égalité des droits. L’universalisme mute face au concept de multiculturalisme. Cependant, il apparaît clairement que l’intégration des individus issus de cultures différentes n’est pas une réussite. Le processus d’intégration de la communauté juive, tout en étant paradoxal, en constitue un exemple. Les juifs trouvent parfaitement leur place, là où les Afro-Américains et les Mexicains sont exclus. « Le monteur de l’évolution américaine n’est pas aujourd’hui la valeur d’égalité, mais celle d’inégalité. » Les juifs mêmes, quoiqu’avantagés, sentent aussi qu’ils sont au cœur d’une dynamique différentialiste et non pas bénéficiaire d’une générosité universaliste.
Dans les relations extérieures, le déclin est caractérisé par la question de l’importance d’Israël dans la politique étrangère américaine. Un « lobby juif » a en effet une grande importance sur les élections américaines — quand bien même la communauté juive ne représente que 2,2 % de la population. L’appui du gouvernement pour Israël est ainsi soutenu tant par les conservateurs, soutenus par le lobby juif, que par les démocrates, populaires au sein de l’électorat juif. Il y a donc « une relation antagoniste implicite entre juifs américains et la fraction de l’électorat qui soutient le plus Israël. » Le soutien des États-Unis à Israël n’a cependant pas pour seule explication la connivence entre la communauté juive américaine et la classe politique. Au tournant des années 2000, l’État hébreu est de plus en plus agressif vis-à-vis des Palestiniens. Les États-Unis perçoivent ainsi une similitude de ce combat avec la lutte contre l’islamisme.
Ce « mauvais tournant », tant pour les États-Unis que pour Israël, est la preuve du renforcement d’une croyance américaine en l’inégalité des hommes, et en un délitement de l’idée d’unité du genre humain. « Le fait que les États-Unis ne perçoivent désormais plus les Arabes comme des êtres humains s’inscrit dans une dynamique de reflux de l’universalisme endogène à la société américaine », témoignant du déclin de l’universalisme externe.
Cette logique différentialiste a conduit les États-Unis à dénoncer à tort et à travers tous les comportements déviants, qu’ils regroupent dans un « axe du mal », dont ils sont eux-mêmes responsables. C’est l’empire du Bien, la démocratie libérale, la liberté d’expression et toutes les principales valeurs et caractéristiques soutenues par la politique américaine post seconde guerre mondiale qui sont en train de disparaître.
Chapitre VI. Affronter le fort, ou attaquer le faible ?
Outre la dépendance économique et l’insuffisance militaire, les États-Unis souffrent d’une troisième déficience : le recul du sentiment universaliste. Ce caractère, qui doit permettre une logique égalitaire, juste et responsable, est pourtant indispensable à un État qui chercherait à dominer et réguler le monde. Leur politique impériale est ainsi mise en péril. L’option d’une politique nationale aurait été nettement plus judicieuse au vu de la masse continentale du pays et de la centralité de son système financier. En effet, la forte augmentation du solde positif des mouvements de capitaux entre l’Amérique et le reste du monde engendre une consommation supplémentaire, qui n’est pas couverte par la production.
Par ailleurs, dans leur projet d’empire, décrypté notamment par Brzezinski, les États-Unis se heurtent à une contrainte géographique. La majorité des flux passant par l’Eurasie, et la Russie restant une préoccupation pour les États-Unis, la politique extérieure américaine doit s’adapter pour encadrer ses alliés. Les Américains adoptent ainsi une attitude compréhensive vis-à-vis de la construction européenne et donnent un rôle mondial au Japon. Dans la logique américaine, il ne faut pas oublier l’importance que pourrait jouer la Russie entre Europe et Asie.
Dans ce jeu de puissance, l’Amérique se voit obligée de « maltraiter les petites puissances » pour conserver un statut qui se désagrège. « L’Amérique réelle est trop faible pour affronter autre chose que des nains militaires. » Ce « micromilitarisme théâtral » consiste à affronter et vaincre des « ennemis » qui sont insignifiants, en laissant traîner le conflit, afin de faire croire à l’importance et à la nécessité du combat engagé. La notion d’axe du mal, dans cette perspective, est une simple construction médiatique pour favoriser cette pratique du « micromilitarisme ».
Cette politique militaire se concentre aujourd’hui sur l’islam, et ainsi, dans la région du Moyen-Orient. Cela s’explique par trois raisons. D’abord, le recul de l’universalisme idéologique conduit à une intolérance des valeurs musulmanes concernant le sort et le statut de la femme. Ensuite, les difficultés économiques que rencontrent les États-Unis créent une obsession pour le pétrole de la péninsule arabique. Enfin, en raison des difficultés militaires auxquelles sont confrontés les États-Unis, le choix des pays arabes, proies faciles car peu développées militairement, est tout à fait stratégique. Par ailleurs, en l’absence d’un lobby arabe en Amérique, il n’y a pas de réel contre-pouvoir aux décisions unilatérales américaines concernant le monde arabo-musulman.
En outre, les agissements américains au Moyen-Orient répondent également au problème de l’absence de contrôle sur les pôles industriels productifs, et à la question de l’émergence économique chinoise et iranienne. À cela, s’ajoute la volonté de rivaliser avec la seule puissance militaire capable de les concurrencer : la Russie.
Chapitre VII. Le retour de la Russie
Les États-Unis stimulent l’empire dans le cadre du micromilitarisme théâtral afin de distancer la Russie. Dans cette perspective, les démonstrations militaires aux marges de la Russie (Asie centrale et Caucase) sont nombreuses, et la tension avec cet ennemi est maintenue, pour éviter un rapprochement entre l’Europe et la Russie. En effet, la Russie ne peut se passer de l’Europe d’un point de vue économique et propose ainsi un contrepoids à l’influence américaine.
Le début du XXIe siècle a laissé espérer un retour de la Russie sur la scène internationale, grâce au redémarrage de l’économie du pays. L’exploitation d’hydrocarbure et la puissance de l’industrie ont provoqué une réelle période de remonétisation. La Russie dispose ainsi d’une certaine autonomie stratégique à l’échelle internationale et ainsi, « face aux États-Unis dépendants, la Russie est définie par nature comme indépendante du monde. »
La réémergence de la Russie comme acteur politique, économique et culturel fait de l’ancien pays soviétique une entité forte capable de rivaliser avec l’hégémonie américaine. Bien que virtuel, ce projet pour une nouvelle Russie ne laisse pas les États-Unis indifférents. Pour autant, en raison d’une régression démographique (une population vieillissante qui diminue), le pays tend à réussir une stabilisation seulement interne, et n’est pas encore une grande menace internationale. En somme, si, en 2001, on ne sait pas si la Russie deviendra une puissance démocratique, elle se présente bel et bien comme une puissance diplomatique de premier plan. La stabilisation interne du pays par Vladimir Poutine lui permet d’ouvrir des discussions avec ses voisins européens, et, la logique universaliste qu’elle revendique, lui accorde la possibilité de contribuer positivement à l’équilibre du monde.
Il se pose inévitablement la question de savoir si les États-Unis vont laisser les Russes revenir sur le devant de la scène politico-économique. Cependant, « l’Amérique n’a pas les moyens économiques, militaires ou idéologiques d’empêcher ses alliés européens et japonais de reprendre leur liberté s’ils le désirent. »
Chapitre VIII. L’émancipation de l’Europe
Face à la quête de puissance américaine, l’Europe se trouve face à deux options : l’intégration impériale, ou l’indépendance.
Le contexte est le suivant. Les États-Unis ont laissé de côté le projet d’extension de la démocratie libérale, au profit d’un objectif économique, à savoir trouver plus d’argent et de pouvoir pour ceux qui sont déjà les plus riches et les plus puissants. On parle ici d’une véritable révolution inégalitaire qui tend à séduire les classes dirigeantes du monde entier.
L’Europe, par ailleurs, n’a pas encore « véritablement choisi entre intégration au système américain et émancipation ». Il faut alors prendre en compte l’histoire qui existe entre ce qui constituait le bloc de l’ouest durant la guerre froide. L’option d’intégration impériale impliquerait alors une renonciation à défendre l’indépendance des peuples, mais également une intégration de plein droit à la classe dirigeante américaine. En ce qui concerne les Européens, ils sont parfaitement conscients de leur rapport avec l’Amérique. Celle-ci les protège tout en les oppressant. Cependant, ils n’ont pas conscience des problèmes qu’eux posent aux États-Unis. Ces derniers se sentent menacés par cette Europe qui se construit autour d’une forte puissance économique, malgré les difficultés à trouver une conscience politique commune.
Les États-Unis doivent ainsi entretenir deux types de rapport avec le monde. D’abord, ils continuent d’exister militairement dans l’Ancien Monde, conformément au « micromilitarisme » évoqué plus haut. Par ailleurs, parce qu’ils sont de plus en plus marginaux économiquement en Europe et en Eurasie, ils doivent combler l’écart économique qui existe. Pour cela, ils se lient à la Turquie qui par sa position géographique (entre l’Europe, la Russie et le Moyen-Orient) est un allié essentiel. La Pologne également, est une carte importante de la politique américaine, pour contenir l’influence russe. Enfin, les relations avec le Royaume-Uni, allié traditionnel des Américains, sont maintenues, en raison du poids considérable que les Britanniques ont pu avoir dans l’avancement de la construction européenne.
Il est donc assez facile de comprendre que l’Europe est en « position de force » pour gérer son territoire et son pourtour. Dans ce sens, l’Europe n’a à craindre aucun embargo pétrolier de la part des pays du Golfe sachant qu’elle n’a rien à voir avec les menaces américaines. La réalité économique suggère donc que ce devrait être elle qui serait à même de coopérer avec les pays exportateurs d’hydrocarbures. Ainsi il y a « tous les éléments d’un véritable antagonisme à moyen terme entre l’Europe et les États-Unis. »
Un dernier point doit être évoqué concernant le futur des relations entre l’Europe et les États-Unis : l’entrée ou non de la Grande-Bretagne dans la zone euro. En effet, dans l’état actuel (en 2001) de déficience productive de l’économie américaine, une intégration de la City à la zone euro pourrait avoir pour conséquence un véritable bouleversement dans l’équilibre du monde. Ce point soulève la question fondamentale de l’avenir de l’hégémonie américaine.
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