Aucune application concrète de l’intelligence artificielle n’est aujourd’hui de nature à stabiliser le climat. L’ingénieur Philippe Bihioux, déjà interrogé sur le mythe de la « croissance verte » et sur les « low tech », fait paraître L’insoutenable abondance, faut-il croire les prophètes du progrès ? dans la collection des tracts de Gallimard. Il met en cause le choix fait sur le plan écologique de miser sur les seules forces du marché et sur le progrès technique. Entretien.

Laurent Ottavi (Élucid) : En quoi notre rapport aux « nouvelles technologies » s’apparente-t-il désormais à une religion messianique ?
Philippe Bihouix : On peut facilement filer la métaphore autour d’une croyance presque universellement partagée dans le « progrès » : la Silicon Valley est un lieu saint, le Consumer Electronics Show de Las Vegas, une grand-messe où se retrouvent les adeptes, Steve Jobs est une figure canonisée… et chacun pourra identifier quelques gourous bien vivants dont les keynotes, interviews et messages sur les réseaux sociaux sont repris, commentés et interprétés, comme des oracles, par un bas-clergé de consultants spécialisés.
Ordinateurs et smartphones, dopés à l’intelligence artificielle, délivrent des performances étonnantes et, pour tout dire, quasiment « miraculeuses ». Plus personne n’est assez sachant pour comprendre comment ces petits bijoux fonctionnent : comme au temps des messes en latin, le peuple (techniquement) inculte que nous formons est simplement prié de croire, et d’ânonner quelques prières en forme de prompts.
On trouve les promesses de salut – l’immortalité ou son faux-semblant technologique, la simulation digitale de la conscience et de la mémoire, avec cryogénisation du cerveau en attendant la mise au point de la délicate opération d’upload. Et même les promesses de rédemption : les technologies « réparatrices » vont racheter nos fautes passées (et présentes) : non seulement la croissance industrielle future sera verte, décarbonée, bio-inspirée, circulaire, dématérialisée, mais on va capturer le CO2 atmosphérique, créer des bactéries pour dégrader les polluants éternels, récupérer les plastiques flottants dans les océans…
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