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Pour dramatique et tragique qu’elle soit, l’actuelle explosion de violences opposant Palestiniens et Israéliens n’est que le énième épisode d’un sinistre conflit vieux de 75 ans, né avec la création d’Israël en 1948. S’il n’a jamais provoqué autant de morts que bien des conflits emblématiques de leur époque – tels que la Guerre de Corée ou celle du Vietnam – il a toujours constitué, par la multiplicité des acteurs étatiques ou infra-étatiques impliqués, par les drames humains qu'il a provoqués, et par sa résonance particulière au sein des opinions publiques à travers le monde, un élément majeur et structurant des relations internationales.
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À l’heure d’une nouvelle conflagration – dont les civils constituent de chaque côté les premières victimes – il apparaît nécessaire d’en rappeler la généalogie, dans le mince espoir que l’émotion – légitime et inévitable, mais mauvaise conseillère – ne l’emporte pas définitivement sur la raison.
1948 et la naissance tumultueuse de l’État israélien
Le 14 mai 1948, les autorités juives de Palestine proclament officiellement la naissance de l’État israélien. Ce nouvel État couronne l’entreprise sioniste, une idéologie nationaliste née à la fin du XIXe siècle dans les milieux juifs de l’Europe centrale. Un demi-siècle d’efforts tous azimuts – auxquels s’ajoutent in fine l’appui des grandes puissances de l’époque suite au choc provoqué à travers le monde par la Shoah – rendent possible la naissance de cet État, mais dans un contexte chaotique qui augure mal de son avenir et plus mal encore de celui des Palestiniens, qu’Israël dépossède de leur terre du simple fait de son existence.
Car l’ONU, devant laquelle la Grande-Bretagne – puissance mandataire de la Palestine depuis 1922 – a porté la question palestinienne en février 1947, a approuvé un plan de partage de cette région en deux États le 29 novembre 1947 : les 1,36 million de Palestiniens doivent se contenter de 43 % des terres, quand les 600 000 Juifs – pour l’immense majorité installée depuis moins de trente ans – en reçoivent 57 %. La décision de l’ONU occasionne une vague de violences opposant les Juifs aux Palestiniens soutenus par des volontaires arabes des pays voisins. À la mi-mai 1948, les affrontements ont fait des milliers de victimes de chaque côté, et environ 350 000 Palestiniens ont fui leurs villages, en raison notamment de la politique de terreur mise en œuvre par une organisation armée extrémiste juive, l’Irgoun, responsable du massacre des 250 habitants de Deir Yassin le 9 avril 1948. Les centaines de villages désertés sont pour certains détruits, pour beaucoup d’autres débaptisés.
La proclamation d’indépendance du 14 mai 1948 entraîne immédiatement une guerre à une tout autre échelle, dans laquelle le nouvel État joue d’emblée sa survie, puisqu’elle voit l’intervention des forces armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes. Placée dans une situation stratégique délicate, l’armée israélienne naissante parvient cependant, en dépit de ses moyens très limités, à l’emporter sur ses ennemis grâce à sa mobilité tactique et à son commandement militaire unique. Vaincus, les États arabes signent les uns après les autres un armistice entre février et juillet 1949.
L’existence d’Israël est confortée par la victoire, ainsi que par son admission à l’ONU dès le mois de mai 1949. Autre aspect positif du conflit pour ce nouvel État : il contrôle désormais un territoire plus étendu qu’un an plus tôt, correspondant à 77 % de l’ancienne Palestine mandataire.
À l’inverse, l’État palestinien, prévu dans le plan de l’ONU n’est pas créé. La Cisjordanie et Jérusalem-Est sont annexés par la Transjordanie et la bande de Gaza est placée sous administration égyptienne. Au plan humain, le conflit a alimenté une seconde vague d’exode pour les Palestiniens, d’une ampleur comparable à celle de la première. Ce sont donc au total environ 700 000 personnes dont le déplacement donne naissance au drame des réfugiés. Accueillis dans des conditions précaires par les États arabes voisins, leur retour s’avérera impossible malgré la résolution 194 de l’ONU qui, dès décembre 1948, affirme la nécessité d’autoriser le retour de ceux qui le souhaitent et d’indemniser les autres.
Depuis cette époque, la question du « droit au retour » des réfugiés et de leurs descendants a toujours constitué une des pierres d’achoppement sur lesquelles les tentatives de règlement du conflit ont buté.
Trois autres guerres israélo-arabes
Des années 1950 aux années 1970, le nationalisme arabe, ou panarabe, constitue un puissant facteur d’opposition à l’existence même de l’État israélien ; il en découle des guerres ouvertes à trois reprises.
Le premier de ces conflits relève de l’opportunisme stratégique des autorités israéliennes, qui décident de prêter leur concours aux Français et aux Anglais dans leur tentative de reprendre par les armes le contrôle du canal de Suez, dont Nasser décrète la nationalisation en juillet 1956. Dès le premier jour de l’opération, le 29 octobre, les forces israéliennes attaquent à partir de leur territoire en direction du canal, à travers le Sinaï. Si elles surclassent les éléments égyptiens qui leur sont opposés, il leur faut se retirer de la zone conquise après que leurs mentors français et anglais ont été eux-mêmes condamnés au retrait, en dépit de leur victoire militaire, par la pression conjuguée des Américains et des Soviétiques, après le cessez-le-feu du 6 novembre. Si la déroute stratégique des puissances coloniales est complète, il ne s’agit pour Israël que d’un échec à l’ampleur limitée.
La guerre des Six Jours, en juin 1967, revêt une tout autre importance. Déclenchée à l’initiative d’Israël – qui attaque préventivement et détruit au sol l’essentiel des chasses égyptiennes, jordaniennes et syriennes dans la matinée du 5 juin –, elle se solde par une victoire militaire écrasante de ce pays : fort de sa supériorité aérienne et d’un corps blindé mécanisé bien équipé, bien entraîné et remarquablement commandé, l’armée israélienne balaie devant elle les forces ennemies et les condamnent à une retraite humiliante qui permet à l’État hébreu de s’emparer de vastes territoires : la bande de Gaza et la péninsule du Sinaï au détriment de l’Égypte, le Golan au détriment de la Syrie et, enfin, la Cisjordanie et Jérusalem-Est au détriment de la Jordanie.
Ce triomphe militaire constitue l’apogée de la domination et de la puissance d’Israël sur ses voisins hostiles. Il emporte avec lui les conséquences psychologiques et politiques classiques des victoires écrasantes : aspiration à la revanche des vaincus, exaltation nationaliste et conquérante des vainqueurs, à l’origine d’un sentiment de supériorité qui leur coûtera cher au conflit suivant. Dans l’immédiat, l’hubris de la victoire réoriente le cours de l’histoire du jeune État israélien : alors que la guerre était jusque-là perçue comme une nécessité défensive, indispensable à la survie même de l’État, il apparaît qu’elle peut désormais donner corps à une volonté de conquête d’un territoire plus étendu que tout ce qui était considéré comme possible et souhaitable vingt ans plus tôt.
Les Palestiniens en font les frais en tout premier lieu, jusqu’à susciter l’inquiétude et la condamnation des grandes puissances, que traduit, dès le 22 novembre 1967, l’adoption par l’ONU de sa célèbre résolution 242, qui affirme la nécessité du « retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ». « Territoires occupés » : depuis cette époque, c’est ainsi que l’on désigne, dans le langage du droit international, Gaza et la Cisjordanie, où Israël, bien loin de songer à un désengagement, enclenche rapidement un processus de colonisation voué à s’intensifier au fil des décennies.
La guerre suivante, en 1973, oblige cependant Tel-Aviv à revenir à une politique étrangère plus réaliste. C’est d’ailleurs, outre la volonté de restaurer l’honneur bafoué des armées arabes, l’objectif principal d’Anouar el Sadate, le dirigeant égyptien, successeur de Nasser, qui en est à l’origine. Le 6 octobre à midi, les forces égyptiennes attaquent par surprise l’État hébreu en pleine fête du Kippour, traversent en masse le canal de Suez et balaient les maigres défenses de la ligne Bar-Lev érigée par les Israéliens sur l’autre rive. Elles progressent ensuite de quelques kilomètres avant de s’installer en défensive. Fortes de leurs centaines de chars, de leurs milliers de missiles antichars et antiaériens fournis par l’URSS, elles infligent ensuite des pertes sans précédent à l’armée israélienne, dont les tentatives de contre-offensive se soldent par des échecs.
Cette opération – un des plus brillants succès opérationnels de l’histoire militaire du XXe siècle – fait vaciller les certitudes acquises du côté israélien au titre de l’invincibilité de l'armée, et même de la pérennité de l’État, d’autant que parallèlement, les chars syriens attaquent en direction du Golan des défenses israéliennes rapidement placées au seuil de l’effondrement. Face à cette adversité, l’efficacité de la mobilisation, couplée à un pont aérien organisé par Washington pour combler les pertes matérielles endurées, permettent à Israël de reprendre l’ascendant, aidé dans cette optique par les Égyptiens qui, à rebours du plan initial, décident de prendre l’offensive à partir du 14 novembre : surclassés tactiquement dans une guerre redevenue mobile, ils sont condamnés à se retirer à proximité du canal, que les Israéliens traversent même par endroits.
Un cessez-le-feu exigé par l’ONU à l’initiative des deux Grands est accepté le 25 octobre 1973. Il met un terme au dernier conflit conventionnel opposant Israël à des adversaires étatiques. Car si la guerre est une nouvelle fois gagnée par Israël, les pertes endurées et le péril affronté convainquent ses dirigeants et son opinion publique que la sécurité stratégique de l’État passe par l’entente avec le principal ennemi d’hier, dès lors que celui-ci la souhaite également.
Cette volonté partagée aboutit à un changement de grande portée, avec la signature d’un traité de paix entre Israël et l’Égypte à Washington, le 26 mars 1979. Ce traité conclut une séquence diplomatique ouverte par la visite de Sadate en Israël en novembre 1977, et poursuivie par la conférence de Camp David en septembre 1978, qui a permis aux deux délégations de s’entendre sur le contenu du futur traité. Israël en tire le plus grand profit, en écartant la menace que représentait depuis sa naissance la première puissance arabe de la région. L’Égypte, de son côté, récupère le Sinaï ; les quelques garanties que Sadate espérait avoir obtenues à propos des Palestiniens dans l’espoir de couper court aux accusations de trahison ne seront pas appliquées par la partie israélienne et n’empêcheront nullement son assassinat en 1981 par des soldats égyptiens acquis aux thèses islamistes.
Structuration et autonomisation du mouvement palestinien
Les années 1960 ont vu le mouvement palestinien se structurer ; jusque-là soumis à la volonté des États arabes acquis à leur cause, les Palestiniens tentent de se doter progressivement d’une autorité qui leur serait propre pour s’émanciper de leurs tuteurs et gagner en visibilité sur la scène internationale. La tâche est ardue, car, outre l’hostilité israélienne, ils doivent composer avec leur dispersion géographique, leurs divisions politiques, la faiblesse de leurs moyens et les rivalités des puissances arabes qui les soutiennent.
Une première instance unitaire est créée en mai 1964 avec l’OLP. Si l’Organisation de Libération de la Palestine doit sa naissance à Nasser – qui souhaite contrôler les groupes de fedayin palestiniens – elle gagne peu à peu en autonomie, et s’émancipe de la tutelle égyptienne lorsque Yasser Arafat en prend la direction en 1969. À partir de cette date, l’OLP regroupe les principales organisations palestiniennes, dont la plus importante est le Fatah, chantre d’un patriotisme apolitique palestinien, qui jouit d’une forte légitimité dans les camps de réfugiés.
Au lendemain de la Guerre des Six jours, l’heure est à l’intransigeance. La charte de 1968 précise que « la lutte armée est la seule voie pour la libération de la Palestine » ; des milliers de fedayin, organisés en commandos, disposent de camps d’entraînement en Jordanie et réalisent des centaines d’incursions en territoire israélien. Parallèlement, le Front populaire de libération de la Palestine – une organisation qui a tenu à préserver son autonomie vis-à-vis de l’OLP – multiplie les attentats et se spécialise dans les détournements d’avion, aux côtés d’autres groupes tels que Septembre noir, à l’origine de l’attentat de Munich visant la délégation israélienne aux JO de 1972.
Mais la montée en puissance d’un mouvement palestinien aux capacités militaires significatives suscite des inquiétudes au-delà d’Israël, dans un pays fermement acquis en théorie à la cause palestinienne : la Jordanie. Dans cet État, les fedayin rejettent à la fin des années 1960 de plus en plus ouvertement l’autorité du roi Hussein et constituent une menace pour sa vie – certains éléments radicaux ont tenté de l’assassiner –, pour son régime et pour l’intégrité territoriale du royaume. Dans la deuxième quinzaine de septembre 1970, sur ordre du roi, l’armée jordanienne attaque les camps de réfugiés et les villes tenues par les Palestiniens. Ces combats font des milliers de victimes et condamnent au départ les Palestiniens, pour l’essentiel en direction du Liban voisin.
L’OLP se retrouve ainsi partie prenante de la guerre civile libanaise qui ravage le pays entre 1975 et 1990, puisque les Palestiniens ont recomposé sur le sol libanais un État dans l’État. C’est pour contrer cette menace – ainsi que les ambitions syriennes sur le Liban – qu’Israël lance en juin 1982 l’opération militaire « Paix en Galilée ». L’armée israélienne avance jusqu’à Beyrouth et contraint l’OLP à quitter le Liban dès le mois d’août. Elle démantèle ensuite les infrastructures palestiniennes (écoles, hôpitaux…), rase des camps de réfugiés et laisse des miliciens libanais pro-israéliens massacrer 4 000 civils dans les camps de Sabra et Chatila en septembre.
Tout au long de ce parcours chaotique, l’OLP n’a atteint aucun de ces objectifs politiques ; tout au plus doit-elle se contenter du statut d’observateur que lui a accordé l’ONU en novembre 1974.
Au cours des années 1980, la direction palestinienne se rallie progressivement à l’idée d’une nécessaire négociation avec Israël. La proclamation symbolique de l’État palestinien en 1988 vaut une reconnaissance indirecte de l’État israélien. Mais le pari de la négociation doit impérativement aboutir rapidement à des résultats positifs, car, au même moment, émerge une nouvelle radicalité avec le Djihad islamique et, surtout, à partir de 1987, avec le Hamas. Ces deux mouvements témoignent de l’islamisation de la cause palestinienne au cours des années 1980.
Le nationalisme arabe ayant cessé de parler aux masses, une nouvelle lecture du conflit se diffuse rapidement ; en lieu et place d’un conflit entre deux peuples pour le contrôle d’un territoire, un affrontement aux motifs fondamentalement religieux entre deux monothéismes. Si elle vaut aux Palestiniens davantage de soutien international – le monde musulman débordant très largement le monde arabe – cette nouvelle manière de percevoir le conflit rend plus difficiles encore les négociations et les compromis que suppose toute idée sérieuse de paix. Le Hamas prône ainsi la lutte armée à outrance, multiplie les attentats et affirme sa volonté de détruire l’État israélien.
Des années 1990 à aujourd’hui : de l’espoir au pourrissement
L’attaque du Hamas déclenchée le 7 octobre dernier n’intervient pas seulement cinquante ans après le début de la Guerre du Kippour. 2023 marque aussi le trentième anniversaire des Accords d’Oslo. Signés le 13 septembre 1993, ils constituent à ce jour la seule tentative réelle de parvenir à un règlement négocié du conflit. Acceptés au nom de l’OLP par Yasser Arafat, au nom d’Israël par le Premier ministre Yitzhak Rabin, ils ont été précédés par de longues négociations tenues secrètes, dans le contexte tendu de la Première intifada initiée en 1987 : la révolte de la jeunesse palestinienne des territoires occupés suscite alors des affrontements permanents – mais de basse intensité – avec les forces armées israéliennes contraintes par les circonstances à des missions de maintien de l’ordre pour lesquelles elles ne sont guère formées.
Quatre jours avant la signature des accords, le 9 septembre, les deux parties se sont reconnues mutuellement. Cette reconnaissance officielle – préalable indispensable à la coopération à venir – constituait en soi un tournant historique, et semblait inaugurer une nouvelle époque, à l’initiative de deux vieux dirigeants rompus à la lutte, mais décidés à laisser à la postérité une œuvre de paix.
Les Accords d’Oslo prévoient la création dune « Autorité palestinienne » dirigée par Arafat, un proto-État dont le pouvoir s’exercerait sur des portions des territoires occupés vouées à s’élargir avec le temps, à mesure que la confiance s’installerait. Cette autorité ne disposerait que d’une souveraineté limitée, sans forces armées, sans politique étrangère et sans contrôle de la ressource en eau. Les Accords ne règlent par ailleurs aucun des sujets de contentieux majeurs que sont le droit au retour des réfugiés, le statut de Jérusalem et la colonisation par Israël des territoires occupés. Ils sont perçus comme une première étape dont le succès, espère-t-on, permettra ultérieurement de surmonter tous les blocages.
Mais le formidable espoir de paix soulevé par le processus d’Oslo bute rapidement sur ses opposants irréductibles des deux côtés : le Hamas et la droite israélienne. Quand le premier multiplie les attentats pour saper la confiance naissante entre les deux parties, la seconde en tire avec soulagement la conclusion que cette entente est impossible et qu’il convient, en conséquence, de saboter méthodiquement les accords en freinant au maximum leur mise en œuvre. Rabin, et lui seul, disposait de la légitimité nécessaire pour imposer à son peuple les sacrifices nécessaires. Perçu à ce titre comme un traître par l’extrême droite israélienne, il est assassiné par un de ses compatriotes le 4 novembre 1995.
La commotion politique provoquée par cet événement tragique n’empêche pas l’arrivée au pouvoir de Benjamin Netanyahou, nouveau chef de file de la droite dure, élu de justesse face au candidat travailliste en mai 1996. Dès lors, le processus de paix est condamné. Le cycle « attentats palestiniens/représailles israéliennes » fonctionne en boucle et détourne les deux parties du chemin qu’elles semblaient prêtes à emprunter trois années plus tôt. Les Accords d’Oslo ont vu se dresser face à eux les extrémistes des deux camps, alliés objectifs dans leur volonté de les réduire à néant.
Depuis cette époque, le conflit israélo-palestinien est entré dans une phase de pourrissement, consacrée par l’éclatement d’une seconde intifada en 1999, dont il n’est jamais sorti. L’idée d’un État palestinien, soutenue par nombre de chancelleries à travers le monde, n’a jamais recueilli une adhésion majoritaire au sein de la population israélienne. Aucun des gouvernements qui se sont succédé à Tel-Aviv depuis un quart de siècle n’a eu pour ambition d’aboutir à une paix définitive et négociée, considérée comme trop coûteuse politiquement. Ils ont en revanche mis en œuvre avec constance une politique de domination, assumée plus ou moins ouvertement selon que la droite ou la gauche était au pouvoir.
Cette politique a eu pour objectifs prioritaires le démembrement de l’Autorité palestinienne et l’endiguement de la menace terroriste. Le premier objectif est facilement atteint après la mort d’Arafat en 2004, compte tenu de la puissance d’un Hamas hostile à toute entente avec Israël : Israël se retire de la bande de Gaza en 2005 ; un an plus tard, le Hamas y remporte les élections, avant de s’assurer une mainmise complète sur ce territoire en 2007, à l’issue d’affrontements violents avec les militants locaux du Fatah. Il y exerce depuis continuellement le pouvoir, tandis qu’une Autorité palestinienne diminuée se contente d’une souveraineté partielle sur une faible portion de la Cisjordanie.
L’endiguement, de son côté, a pris la forme, d’une part, d’un enfermement de la population gazaouie sur son sol ; une population soumise à un blocus permanent, que l’État hébreu relâche sporadiquement au gré de sa volonté. Il a consisté, d’autre part, en la construction d’un « mur de sécurité » en Cisjordanie, destiné à empêcher les incursions terroristes en Israël. Parallèlement, la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est a été poursuivie activement au point d’atteindre environ 700 000 personnes aujourd’hui. Ces colons, par leur nombre, par leur dispersion et par l’extrémisme de beaucoup d’entre eux, rendent concrètement impossible la création d’un État palestinien viable.
Dans ces conditions, la violence n’a jamais cessé : aux affrontements et aux attentats sporadiques se sont même ajoutées des interventions militaires israéliennes régulières dans la bande de Gaza. Leur rythme parcourt tragiquement les deux dernières décennies : 2008-2009, 2012, 2013, 2014, 2021. Loin d’affaiblir le mouvement islamiste, ces interventions ont à l’inverse eu pour effet de le renforcer, dans sa capacité à incarner une forme de résistance face à l’ennemi israélien, mais aussi dans ses capacités de combat : lors de l’opération « Bordure protectrice » en 2014, l’armée israélienne perd ainsi 66 hommes tués au combat face à un Hamas dont la montée en puissance tactique et technique surprend déjà à l’époque les chefs militaires israéliens.
Le nouveau cycle de violences enclenché par l’attaque du Hamas, le 7 octobre dernier, s’inscrit donc dans la stricte continuité d’un conflit insoluble et sanglant né il y a 75 ans. Il diffère cependant des cycles précédents par son intensité : fort de capacités inédites, le Hamas a profité d’une surprise tactique de quelques jours pour se livrer en priorité à des massacres de civils. Ce déchaînement de violence barbare contre des non-combattants suscite un tel émoi chez les Israéliens qu’il justifie l’habituelle riposte disproportionnée, mais sur un mode décuplé, dont l’ampleur des destructions et les milliers de victimes palestiniennes témoignent déjà.
Dans ces conditions, la perspective d’un règlement du conflit – hypothétique depuis de nombreuses années – prend un tour franchement utopique. Du côté du Hamas, la violence mise en œuvre possède une dimension apocalyptique qui laisse penser que, pour ses membres, personne n’est innocent du côté de l’ennemi, personne ne doit être épargné. Du côté israélien, le traumatisme causé par ce massacre de civils fera date. En 2006, lors de la guerre contre le Hezbollah, l’armée israélienne avait déploré la mort de 119 de ses soldats, ce qui avait marqué douloureusement l’opinion publique et suscité de vives protestations contre le gouvernement. Les pertes civiles des derniers jours étant dix fois supérieurs, il faut craindre qu’elle n’alimente, dans la population israélienne, un désir de vengeance né de l’idée que les Palestiniens sont l’incarnation d’un mal absolu.
L’actuelle montée aux extrêmes prend donc un tour manichéen et même, pour une part, eschatologique, qui enterre pour de nombreuses années toute perspective de paix, à moins que ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté internationale » parvienne à sortir ces deux peuples de leur tête-à-tête meurtrier.
Photo d'ouverture : Drapeaux d'Israël et de la Palestine - Luckymane - @Shutterstock
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