Ce vendredi 6 décembre, à l’occasion d’un sommet à Montevideo en Uruguay, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen signait l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur, au mépris des protestations populaires et malgré l’opposition de pays comme la France ou la Pologne. Arnaud Le Gall, député La France Insoumise et membre de la Commission des Affaires étrangères à l’assemblée, pointe un « coup de force antidémocratique » et appelle, au nom de son parti, à « désobéir ».

Opinion Politique
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publié le 07/12/2024 Par Louise Bosq
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Louise Bosq (Élucid) - La conclusion d’un traité de libre-échange avec le Mercosur, marché commun rassemblant plusieurs États d’Amérique latine, dont le Brésil, était loin de faire l’unanimité au sein de l’Union européenne. Pourtant, Ursula von der Leyen annonce ce vendredi avoir mis fin aux négociations et signé l’accord entre l’UE et les pays du Mercosur. Est-elle en droit de procéder à un tel coup de force, alors même que les États membres signifiaient leur doute, voire leur opposition ? 

Arnaud Le Gall - D’un point de vue juridique, il est très possible que Madame von der Leyen ait eu le droit de signer cet accord pour lequel, rappelons-le, un accord de principe avait déjà été signé en 2019. C’est une question d’interprétation, au regard du mandat de négociation que le Conseil lui avait octroyé, des prérogatives de la Commission, etc. – question sur laquelle on peut laisser les exégètes du droit européen se battre. Mais il nous faut sortir d’une vision purement réglementaire : que cela soit légal ou pas au regard du droit européen est secondaire, ce à quoi on assiste ici, c’est un coup de force antidémocratique.

Et ce coup de force n’a rien de surprenant, l’Union européenne étant elle-même structurellement antidémocratique. Il s’agit quand même du seul système parlementaire dans lequel le parlement n’a aucune initiative et l’exécutif, à savoir la Commission, dispose seul du pouvoir de proposer des textes législatifs.

Ce coup de force est d’autant moins surprenant qu’il s’inscrit dans une continuité. Depuis dix-neuf ans, depuis qu’en 2005 le vote des Français a été contourné pour leur imposer un traité constitutionnel dont ils ne voulaient pas, il y a eu une rupture démocratique, une cassure entre l’UE telle qu’elle se construit et la volonté du peuple français qui, jusqu’à preuve du contraire, est encore souverain. La signature de cet accord de libre-échange n’est que la continuation de cette attitude de l’UE et de nos dirigeants depuis lors.

Élucid - La signature de l’accord n’implique cependant pas son application immédiate. Avant d’être mis en œuvre, un traité conclu entre l’UE et un tiers doit être ratifié par le Parlement européen. Le refus de ratification est-il un scénario envisageable ?

Arnaud Le Gall - C’est très loin d’être gagné, car de nombreux groupes politiques au sein du Parlement (y compris les membres du parti d’Emmanuel Macron ou à l’extrême droite) ont pu être, à un moment, en faveur de cet accord. La position d’Emmanuel Macron à cet égard est représentative d’un manque de volonté de s’opposer au texte. Ce qu’il propose, c’est un refus de l’accord « en l’état » et un aménagement de l’accord, notamment au moyen de clauses miroir qui permettraient d’imposer une réciprocité entre les normes (sociales, environnementales, etc.) de production des pays européens et des pays d’Amérique latine membres du Mercosur. Non seulement l’adoption de telles clauses reste peu probable, au vu des conditions de négociation de l’accord, mais quand bien même elles le seraient, nous n’avons pas les moyens de garantir leur application ! On a quasiment plus de moyens de contrôle, les services douaniers étant réduits à néant. Sans compter que le respect de certaines normes est impossible à vérifier. Prenons l’exemple de la viande contaminée aux hormones en provenance du Brésil, la Commission européenne l’a constaté elle-même après un audit du Brésil, nous n’avons pas les moyens de contrôler.

Ces clauses miroirs ne résoudraient de toute façon pas le problème central de cet accord, à savoir la mise en compétition de systèmes agricoles fondamentalement différents. Et cette différence ne tient pas seulement au fait que les agriculteurs européens et d’Amérique latine ne sont pas soumis aux mêmes normes. L’inégalité est beaucoup plus large. Ne serait-ce que concernant l’accès au foncier, il est beaucoup moins cher au Brésil ou en Argentine, où il y a d’immenses espaces non habités, où l’on pratique la déforestation ; les agriculteurs français paient eux beaucoup plus cher pour s’installer et accéder au foncier. Évidemment, l’accord n’est pas mauvais pour tout le monde : les multinationales et l’agrobusiness y trouvent leur compte. N’oublions pas que la FNSEA elle-même ne s’oppose pas frontalement à l’accord, mais seulement à cette version-là de l’accord.

Les dirigeants français, avant même Emmanuel Macron (il ne faut pas oublier que le traité est en négociation depuis vingt-cinq ans), portent une lourde responsabilité. Lors de la négociation des accords avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon, ils ont accepté le principe de la dissociation, ou splitting en anglais, selon lequel un accord pouvait être séparé en deux parties, une commerciale et l’autre réglementaire, retirant ainsi la partie commerciale à l’approbation des parlements nationaux. Ce mépris pour la souveraineté populaire a été accepté à l’époque. À partir de là, on comprend bien que U. von der Leyen continue ainsi d’avancer puisque jusqu’à présent, nous n’avons pas agi.

Or, il est temps d’agir. Si nous voulons protéger l’agriculture locale, garantir les circuits courts et, en définitive, sauvegarder notre souveraineté agricole, il nous faut choisir la désobéissance.

Si le Parlement européen accepte de ratifier le traité, vous appelez donc la France à refuser l’application dudit traité et à engager un rapport de force avec l’Union européenne ?

Ce ne sera pas une première dans l’histoire, je pense par exemple à la politique de la chaise vide entreprise par le général de Gaulle. Ce n’est pas forcément ce à quoi j’appelle, mais j’insiste sur le fait que c’est déjà arrivé et qu’aucune catastrophe n’est arrivée pour autant. Entre risquer une crise institutionnelle européenne et expliquer au peuple français qu’il n’a plus son mot à dire, qu’on peut lui imposer des accords de ce type, qui engage l’avenir de centaines de milliers de personnes sur le continent européen, sans être consulté, il faut préférer la crise institutionnelle.

Il faut mettre fin à la duplicité des gouvernements successifs et cesser de dire aux Français : l’UE a décidé, nous ne pouvons plus qu’appliquer. Maintenant il faut être prêt à un rapport de force, mais jusqu’au bout, en refusant d’appliquer ce traité quand bien même il serait ratifié par le Parlement européen.

Certains diront que c’est un mode d’action étroitement national. Mais qu’a fait l’Allemagne depuis quarante ans ? Elle a accepté la constitutionnalisation d’un système économique qui détruit notre industrie, qui met en concurrence les peuples les uns contre les autres, etc. parce qu’elle défendait un intérêt national.

Vous appelez donc à refuser l’application du traité, donc, finalement, à limiter le libre-échange au sein même de l’Union européenne. N’est-ce pas le premier pas vers une sortie de la France de l’UE ?

Non. Beaucoup de pays ont déjà refusé d’appliquer des règlements ou des règles européennes sans avoir été amenés à quitter l’UE. Et il est peu probable que la France soit poussée vers la sortie, car perdre la France mettrait en danger l’euro, etc.

Notre stratégie n’est pas le Frexit, mais seulement la désobéissance, le refus d’appliquer toutes les mesures imposées depuis Bruxelles qui seraient contraires aux intérêts du peuple français. Nous ne sommes pas obligés d’appliquer tous les dogmes néolibéraux.

D’autant que l’UE est en crise grave. Écartelée de tous côtés, elle est incapable de se mettre d’accord sur des mesures de base, pourtant vitales face à la mondialisation – concernant la concurrence américaine ou chinoise par exemple. Les États ne sont d’accord sur rien, et c’est normal. Ils ont des modèles économiques très différents. L’Allemagne, entre autres, a misé sur l’exportation, en comprimant le prix du travail, en baissant les salaires et en retardant les investissements dans les infrastructures publiques. Sans compter qu’elle a imposé le dogme ordolibéral monétariste à l’Europe, qui a provoqué une contraction de l’activité économique européenne.

On peut continuer à dire qu’il faut de l’Europe, mais on n’arrivera à rien sans changer les choses radicalement. Si cela passe par un compromis ou un consensus, tant mieux ; mais je ne vois pas à l’heure actuelle de ligne se dégager, notamment lorsque l’on voit que la droite et l’extrême droite sont majoritaires au Parlement européen. Si le compromis n’est pas possible, il faut désobéir. En tout cas, en ce qui concerne le Mercosur, dans toute la gamme tactique à la disposition de la France, il y a cette possibilité et nous appelons à nous en saisir.

Photo d'ouverture : La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen donne une conférence de presse à la fin de la première journée du sommet de l'UE à Bruxelles, le 21 mars 2024. (Photo par KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

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