Notre planète a dépassé les 8 milliards d’habitants et nous sommes donc 1 milliard de plus en l'espace d'une poignée d’années. Risque de surpopulation ? Surexploitation de la Terre ? Les inquiétudes sont nombreuses. Or, si le nombre augmente, la croissance démographique elle, est en réalité en plein ralentissement. Nous approchons du pic de la population humaine qui sera atteint d’ici une cinquantaine d’années. Comment expliquer ce phénomène et comprendre la transition démographique ? On vous explique tout.
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Pendant l'été, Élucid vous propose de (re)découvrir certaines de nos analyses graphiques fondamentales sur différents sujets essentiels et toujours d'actualité (date de publication originale : 24 novembre 2022).
Il y a 50 ans, le rapport Meadows alertait déjà sur les risques d’effondrement liés à la recherche d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies. Nous en avions discuté avec son auteur, Dennis Meadows, dans cette interview vidéo accordée à Élucid il y a quelques mois :
50 ans après le rapport Meadows, nous avons franchi le palier des 8 milliards d’habitants sur la Planète, soit plus q'un doublement de population par rapport à 1972.
(Note : tous les graphes de cet article sont utilisables librement par les enseignants pour leurs cours)
Pour mémoire, le premier milliard n’a été atteint qu’en 1804, et les six précédents milliards avaient été atteints respectivement en 1924, 1960, 1974, 1987, 1998 et 2010.
Ainsi, la population planétaire de 2,5 milliards d’habitants en 1950 a mis 37 ans pour doubler une première fois (1987), et elle redoublera encore en 70 ans de plus.
Une croissance démographique historique en nette diminution depuis plusieurs décennies
L’Histoire de notre espèce a été marquée par de sérieux aléas en raison de la faible quantité de sa population. En effet, il y a environ 3 millions d’années, le genre Homo a émergé des primates d’Afrique orientale, sur un territoire d’environ 4 millions de km² carrés de savane arborée, entre l’Éthiopie et le Zimbabwe ; le nombre de ces premiers humains était d'à peine 100 000 individus. L’évolution s’est poursuivie et l’espèce s’est étendue, atteignant environ 600 000 personnes pour l’Eurasie et l'Afrique, seuls continents alors peuplés.
Puis, entre -300 000 et -200 000 ans, trois humanités parallèles se sont différenciées, longuement séparées par la remontée des océans lors des périodes interglaciaires : l’Homme moderne (Homo sapiens) en Afrique et en Asie méridionale (environ 800 000 individus), l’Homme de Néandertal en Europe (environ 250 000), et l’Homme de Java en Indonésie (environ 100 000).
Lorsque arrive la dernière glaciation, vers -70 000, l’abaissement du niveau marin a remis en contact ces trois humanités, et l’Homo sapiens s’est imposé partout, entrainant la disparition des Hommes de Java puis de ceux de Néandertal. Notre espèce a alors pu s’étendre vers -50 000 sur les terres continentales encore non peuplées : l’Australie, les deux Amériques et la Sibérie.
Ainsi, jusqu’à -40 000 ans, l’Humanité n’avait probablement jamais dépassé 1 million d’individus, ce qui fait que notre espèce a souvent été gravement menacée d’extinction. Les progrès techniques (arc et flèche, harpon, sagaie…) ont ensuite permis une multiplication de la population par 10 vers -35 000 ans. La « Révolution du Néolithique », avec l’apparition de l’agriculture, de l’élevage, de la navigation, a permis un nouveau décuplement. La population mondiale a alors continué à progresser très lentement, finissant par atteindre environ 250 millions d’habitants en l’an 1.
Les démographes estiment ainsi qu’entre -10 000 et 1 700, l’Humanité avait une croissance extrêmement limitée, de l’ordre de +0,04 % par an en moyenne. Les choses changent au XVIIIe siècle, quand l’Humanité entre dans une nouvelle ère, où les progrès scientifiques lui permettent de connaître une croissance sans précédent, d’abord de 0,5 à 1 % par an pendant deux siècles, jusqu’à la croissance phénoménale de l’après Seconde Guerre mondiale, la menant jusqu’au pic historique de 2,3 % en 1963.
Cependant, depuis cette date, la croissance ne fait que diminuer. Elle a déjà été divisée par 2 depuis un demi-siècle ! La population augmente donc toujours, mais de moins en moins vite.
Les démographes estiment que cette tendance baissière devrait se poursuivre au cours des prochaines décennies. C’est pourquoi l’augmentation annuelle de la population mondiale diminue sans cesse, son pic ayant été atteint en 1991 avec près de 93 millions d’habitants supplémentaires ; en 2022, la croissance sera de « seulement » 65 millions d'individus.
Mais alors, comment expliquer cette étrange dynamique ?
La transition démographique, cause de l’explosion démographique
C’est au XVIIIe siècle que l’humanité a commencé ce qu’on appelle sa « transition démographique », qui va durer trois siècles, touchant les pays et continents les uns après les autres. Cette transition est constituée du passage d’une situation ancienne, caractérisée par une faible croissance de la population avec une mortalité et une natalité élevées, à une situation nouvelle caractérisée cette fois par une faible croissance de la population ainsi qu’une mortalité et une natalité faibles.
Historiquement, la mortalité de notre espèce a en effet été très élevée : jusqu’au XVIIIe siècle, 3 enfants sur 10 mourraient avant l’âge de 1 an, et 5 sur 10 avant d’atteindre 15 ans. Ces taux très élevés vers 1700 sont de l’ordre de ceux des populations de chasseurs-cueilleurs de la Préhistoire, voire même de populations de singes : très peu de progrès avaient donc eu lieu sur ce grave problème. En conséquence, la natalité devait être très élevée pour compenser le décès de la moitié des jeunes humains.
Ces taux ont toujours été relativement proches quels que soient les continents et les époques.
Les progrès humains, sanitaires et médicaux ont heureusement permis de faire cesser cette situation dramatique, en éliminant quasiment les décès infantiles. À titre d’exemple, le taux de mortalité infantile français a été divisé par 100 en trois siècles, passant de 30 % à près de 0,3 %.
Une transition démographique démarre généralement avec une baisse de la mortalité due aux progrès économiques et sanitaires, tandis que la natalité reste élevée pendant une ou deux générations, avant de s’adapter en baissant également (sans quoi les familles ne pourraient subvenir aux besoins de 4 ou 6 enfants en moyenne). Pendant la transition, il y a donc un fort excédent des naissances sur les décès qui entraine une croissance rapide de la population. Cette croissance est également soutenue par l’augmentation parallèle de l’espérance de vie.
Au bout de quelques décennies, un nouvel équilibre est atteint entre la natalité et la mortalité, et la croissance de la population retrouve un niveau bas. Dans certains pays, la natalité peut même tellement baisser qu’elle devient inférieure à la mortalité, faisant ainsi diminuer la population, comme c’est actuellement le cas au Japon ou depuis cette année, en Chine (laquelle vient d’atteindre son pic de population).
Ce modèle se vérifie dans la plupart des pays du monde.
On observe donc dans la plupart des pays une forte corrélation entre le taux de mortalité infantile et le taux de fertilité (nombre d’enfants par femme). Ces pays ont donc tendance à suivre le même chemin démographique au fil du temps, se rapprochant de 2 enfants par femme, niveau de stabilité de la population.
60 % de l’humanité vit en Asie
La population est très inégalement répartie sur la planète : les zones les plus densément peuplées se situent en Inde, en Chine et en Europe.
Cela explique pourquoi près de 60 % de la population humaine vit en Asie, l’Inde et la Chine représentant chacune 18 % de la population mondiale.
La population est très inégalement répartie entre les pays : les 7 pays les plus peuplés hébergent ainsi la moitié de la population mondiale, et les 17 pays les plus peuplés en hébergent les deux tiers.
Si on prend du recul, on constate que l’Asie regroupe la majorité de la population mondiale depuis plus de 5 000 ans. L’Occident a représenté près du tiers de la population mondiale vers 1930, mais sa part a été divisée par 2 depuis lors en raison de la transition démographique en Asie qui est quasiment terminée. L’Afrique va encore continuer longtemps la sienne, ce qui va de ce fait fortement augmenter son poids démographique.
Près de 120 milliards d’humains sont déjà nés
La population mondiale atteint donc 8 milliards d'individus, après avoir très fortement augmenté. On peut donc se demander combien d’êtres humains ont vu le jour au cours de tous ces millénaires.
La réponse est assez surprenante ; c’est environ 120 milliards, soit moins de 15 fois la population actuelle, environ 60 milliards ayant vécu au cours des 2 000 dernières années – 7 fois la population actuelle.
Mais comme nous l’avons signalé, la moitié de ces chiffres sont constitués d’enfants morts avant d’atteindre l’âge adulte. Si on ne compte pas les enfants morts, il n’y a eu qu’une cinquantaine de milliards d’adultes sur la Planète.
10 milliards en 2060 avant de plafonner ?
Le rythme de croissance de la population humaine s’est fortement accéléré après la Seconde Guerre mondiale, aboutissant à 1 milliard d’habitants de plus tous les 12 ans, mais désormais… il ralentit.
Cela s’observe par exemple sur la croissance de la population planétaire en 2022 qui a été de 67 millions (correspondant à un milliard de plus en 15 ans), résultant de l’écart entre les 134 millions de naissances et les 67 millions de décès.
Comme nous l’avons vu, cette croissance est au préalable alimentée par une baisse de la mortalité, qui fait fortement augmenter l’espérance de vie.
Et en retour, la fécondité baisse, comme on l’observe avec l’évolution du nombre d’enfants par femme.
Il apparait ainsi que la transition démographique est en train de se terminer dans toutes les régions du monde à l’exception de l’Afrique, où elle devrait plutôt prendre fin à la fin du siècle.
L'évolution depuis 1972 a été fulgurante, que ce soit pour la fertilité ou pour l'espérance de vie.
En prenant en compte cette baisse du taux de croissance mondial de la population, les récentes projections de l’ONU (scénario médian) estiment que le 9e milliard d'habitants devrait être atteint dans 15 ans, et le 10e milliard 21 ans plus tard, en 2058. Elles voient ensuite la population plafonner à 10,5 milliards vers 2080, avant de légèrement décroitre.
La démographie sur longue période n’est évidemment pas une science exacte, car le futur dépend de beaucoup d’hypothèses sur les évolutions des comportements humains. Nous avons présenté le scénario médian de l’ONU, mais l’organisation publie en réalité un intervalle de confiance montrant l’incertitude de sa prévision, qui oscille pour 2100 entre 9 et 12 milliards.
Ceci explique que les démographes ont du mal à se mettre d’accord sur notre futur démographique. Certains (à l’IIASA ou à l’IHME par exemple) considèrent plus probables des scénarios proches des hypothèses basses de l’ONU, estimant que l’humanité n’atteindra jamais les 10 milliards, plafonnant dès 2060 vers 9,5 milliards, avant de décroitre vers les 9 milliards en 2100.
Mais dans tous les cas, un nouveau monde est en train d’éclore : si le XXe siècle a été européen au sens large, le XXIe sera multipolaire, et le XXIIe sera à l’évidence centré sur l’Asie et l’Afrique, qui concentreront 85 % de la population humaine, l’Union européenne ne pesant alors plus que 4 % du total.
En conclusion
En résumé, après une très forte croissance entamée après la Seconde Guerre mondiale, la population mondiale est en train de terminer sa transition démographique, qui ne reste forte qu’en Afrique. Nous serons probablement près de 9,5 milliards d’individus en 2050 avec une stabilisation autour de 10 milliards en 2100.
Comme l’a montré le rapport Meadows, un tel niveau de population dans une organisation globalement inchangée, c’est-à-dire dominée par des logiques d'accumulation et de croissance économique, pose un problème vertigineux. Le dernier rapport de l’ONU sur l’évolution de la population mondiale considère ces tendances démographiques comme une menace pour un développement soutenable et un challenge pour la stabilité climatique et la résilience des écosystèmes.
Pourtant, une décorrélation est envisageable en sortant de l’hypothèse où notre mode de vie serait uniquement basé sur la consommation et la croissance économique. Thèse défendue notamment par l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau, pour qui le rapport de l’Homme à la nature est en cause, et non la démographie.
Une étude du Lancet a en effet montré qu’il est possible de nourrir de façon soutenable 10 milliards d’humains en préservant l’environnement. Mais uniquement à condition que les plus riches changent drastiquement leurs modes de production et de consommation. Mais si l’Humanité a su résoudre le problème alimentaire, sera-t-elle capable de résoudre ce problème des inégalités ? Son bien-être futur, voire même sa simple survie, dépend de la réponse à cette question.
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