La quête du muscle : l'emprise du capitalisme des vulnérabilités

Laurent Ottavi (Élucid) : La fascination pour le corps a existé dans d’autres civilisations. Quelle différence fondamentale existe-t-il, par exemple, entre le rapport au corps des Grecs et des Romains et le nôtre ?

Guillaume Vallet : Les Grecs et les Romains avaient effectivement eux aussi une fascination pour le corps, notamment à travers l’activité physique. Elle s’observe dans les statues et dans les compétitions de l’époque. Cependant, ils ne connaissaient pas l’idée de performance infinie qui est pour moi une réduction de ce qu’est le sport. Ils ne cherchaient pas à battre systématiquement des records ou à détacher le corps d’un certain environnement.

La rupture s'est produite au XIX^e siècle, sous la poussée du capitalisme, avec l’apparition des sports modernes. L’idée de records à battre commença alors à s’imposer progressivement et ne fit que s’accentuer. Dès l’école ou dans les clubs, désormais, seule la performance compte. Elle est calculée et entraîne une hiérarchie entre les individus.

Élucid : Quelles sont les principales caractéristiques du corps massivement recherchées à l’heure de la recherche de performance ?

Guillaume Vallet : Dans les années 1980 et 1990, la tendance était plus à créer de la masse pour la masse, autrement dit à développer du muscle à l’extrême comme dans le bodybuilding. Ce n’est plus le cas, et le changement est hautement significatif. Le muscle recherché aujourd’hui – qui concerne toutes les classes sociales (contrairement à l’obésité) même si cela peut prendre des formes différentes selon les genres et les groupes sociaux – est fonctionnel, résistant et endurant ; il permet la maîtrise.