Le métier de sage-femme est à bout de souffle. Mise de côté par la loi Ségur, la profession tire la sonnette d’alarme : la situation ne peut plus durer et risque d’avoir, à terme, une conséquence sur la santé des femmes.

publié le 30/09/2021 Par Lina Fourneau
Dans le métier de sage-femme, « l’humanité n’est plus bien là »

La situation n’a jamais été aussi grave dans les maternités. S'il est courant pour les sages-femmes de faire appel à des remplacements pendant l’été, cette année, le nuage gris s’assombrit pour le métier. D’après une récente enquête, plusieurs services ont même dû à fermer cet été… faute de professionnelles disponibles.

En Île-de-France, par exemple, « 10 lits sur 80 » seront fermés ces prochains mois à l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart (Hauts-de-Seine). Certes, la statistique ne paraît pas significative à l’échelle d’une seule maternité, mais révèle pourtant un grand dysfonctionnement des services à l’hôpital public. Mais quelles sont les causes de cet échec ?

Tout d’abord, le métier de sage-femme est de moins en moins attractif que dans le passé, comme le souligne l’Organisation nationale des syndicats de sages-femme (ONSSF).

« Nos rangs se clairsèment à longueur de temps, c’est déjà assez compliqué pour la maternité de trouver des remplaçants. Là pour l’été, c’était dramatique. Nous voulons bien accepter de plus en plus de gardes, mais nous ne pouvons pas aller travailler quand nous ne tenons plus debout. Quand nous sommes censés faire douze gardes par mois, mais que nous en faisons seize finalement, ce n’est plus possible » - Camille Dumortier, présidente de l'ONSSF

Où sont les sages-femmes ?

Ce désaveu pour le métier pourrait même se faire de plus en plus tôt, avant même le diplôme :

« Lors de leurs études, les sages-femmes rencontrent des difficultés et abandonnent de plus en plus tôt. Les étudiants ne veulent plus rentrer dans la profession. Selon le numerus clausus, 1 000 sages-femmes intègrent l’école chaque année. Désormais, seul 850 à 870 sages-femmes en sortent. Ça ne suffit absolument pas. Les deux tiers des propositions d’emploi ne sont plus pourvues. Pourtant, il n’y aucune alternative à ces remplacements, il ne peut manquer personne. »

Ce constat est même devenu une des principales revendications de la grève des sages-femmes, qui a eu lieu le 5 mai dernier. Partout en France, la profession a notamment alerté sur le manque grandissant de nouvelles sages-femmes à l’hôpital.

« Nous avons essayé de dire ‘Attention, les jeunes ne veulent plus pratiquer le métier’. Ce n’est plus un métier de vocation et cela peut devenir dangereux », ajoute Camillle Dumortier. En réalité, il n’est pas nouveau que le métier revendique ses droits, car trop souvent, la profession est oubliée de l’agenda politique.

« Ce n’est pas la première que nous signalons qu’il est important de prendre correctement en charge les femmes. Il faut des personnels compétents en nombre suffisant pour pouvoir s’occuper d’elles. Parmi ces professionnels compétents, il y a les médecins, les infirmiers, les kinésithérapeutes, mais il y a aussi les sages-femmes » - Camille Durmortier

Mais voilà, cette année, la situation sanitaire liée au Covid-19 a révélé les nombreux dysfonctionnements du métier. Alors que de nombreux cabinets de kinésithérapeutes ont été obligés de fermer pendant le premier confinement, par exemple, les sages-femmes, elles, n’ont pas eu le choix : il n’était pas possible d’arrêter les naissances. Moins de lit, manque de matériel, absence des pères pendant les accouchements, la profession a du composer entre la perpétuelle crise du métier et l’indifférence du gouvernement envers la profession.

Manifestation à l'occasion de la journée internationale des Sages-Femmes, Toulouse, 5 mai 2021 - le Point du Jour - @Shutterstock

Selon l’ONSSF, l’exemple le plus flagrant s’est trouvé au moment même de délivrer des masques pour les soignants afin de rendre visite à leurs patients en ville. « Quand nous réclamions la même dotation que les médecins, qui avaient 18 masques par semaine, nous nous en recevions seulement six. C’est largement insuffisant pour s’occuper normalement d’un patient », souligne Camille Dumortier.

L’autre problème relève de la loi Ségur, adoptée à partir de l’année 2020, où les sages-femmes ont été grandement oubliées par le ministère de la Santé. Dans le cortège de la manifestation, la désillusion est grande pour Mathilde Gaudé, jeune sage-femme de 26 ans qui vient de rejoindre les rangs d’une maternité parisienne.

« Tout le monde a été revalorisé, mais les sages-femmes ont été laissées de côté. Nous sommes toujours au même niveau que les secrétaires médicales, ou les infirmières. Mais ce n’est pas tellement le même niveau d’étude. Nous voulions juste voir notre métier être réajusté à sa juste valeur. Il faut absolument reconnaître la gravité de travailler dans un service d’urgence » - Mathilde Gaudé

« Une forme de violence »

« Au-delà de la reconnaissance de la profession par le salaire, il est surtout urgent de reconnaître le métier qui concerne la vie de chaque femme, mais aussi « de toutes les familles », souligne Camille Dumortier.

« Sage-femme, c’est accompagner la vie la plupart du temps, mais c’est aussi accompagner la mort. Passer d’une salle de naissance où tout va bien, avec un bébé en bonne santé et enchaîner sur un couple qui doit dire adieu à son enfant à la suite d'une malformation, c’est quelque chose qui est difficile à vivre. Nous ne pouvons pas toujours garder notre bienveillance, avec suffisamment de détachement, tout ça sans avoir le temps de manger, d’aller aux toilettes, pendant 12 heures consécutives » - Camille Dumortier

Dans les hôpitaux publics, le sort des sages-femmes consiste désormais à courir d’une naissance à une autre, de pallier un problème à un autre, jusqu’à s’occuper de plusieurs accouchements en simultané. « Heureusement, il y a les machines qui nous aident à surveiller les bébés, relativise Mathilde Gaudé. Mais cela dénature l’accouchement, car nous ne pouvons pas accompagner entièrement la maman. Pour elle, ça peut être une forme de violence ».

De plus, la sage-femme ne peut se permettre d’accorder trop de temps à une famille, au risque d’en oublier une autre et de multiplier la charge de son équipe. « Même si elle reste informelle, ça reste une pression », relate la sage-femme parisienne. « L’humanité n’est est plus bien là dans le métier le plus humain au monde », ajoute Camille Dumortier.

Pire encore, au-delà des accidents qu’il peut survenir dans une maternité, la santé des femmes serait, à terme, de moins en moins observée par les professionnels… faute de temps et de moyens toujours. La présidente de l'ONSSF conclue avec gravité : « Des services de consultation pré-natale ferment même dans les hôpitaux, c’est-à-dire que nous ne pouvons plus prendre le temps de surveiller le bien-être des femmes ou de les aider à la parentalité. Faire mal mon métier, je ne pourrais vraiment plus le tolérer ».

Photo d'ouverture : Manifestation de sage-femmes, Toulouse, 5 mai 2021 - le Point du Jour - @Shutterstock