Depuis le début des années 2000, le cinéma de David Fincher (Fight Club, Zodiac, The Social Network, Gone girl) questionne en profondeur le fonctionnement de la société contemporaine sans pour autant s’éloigner des codes du cinéma de divertissement. The Killer, son dernier film sorti le 10 novembre dernier, a dérouté la critique par sa forme radicale au service d’un propos qui ne l’est pas moins. Plus que dans aucun autre film de ce genre, le tueur à gages représente ici la métaphore ultime du capitalisme ou plutôt la manière dont celui-ci transforme les rapports sociaux. Pour la première fois, le cinéaste en vient aussi à battre en brèche les règles dominantes du cinéma de divertissement.

publié le 23/02/2024 Par Philippe Chapuis

Librement adapté de la bande dessinée éponyme de Matz et Luc Jacamon (éditions Casterman), The Killer n’en conserve en réalité que l’idée directrice, en simplifie la trame et en change assez radicalement le sens. Les attitudes du personnage, ses monologues, la dilatation du temps, ainsi que l’univers physique, visuel dans lequel le Tueur de Fincher évolue diffèrent de l’original et portent in fine un autre sens.

Un personnage sans nom – le Tueur – brillamment incarné par Michael Fassbender échoue à accomplir l’une de ses missions consistant à tuer un homme qu’il ne connaît pas. Cet échec entraîne sa fuite rapide et son retour chez lui où il découvre que sa compagne a été agressée et laissée pour presque morte par des inconnus qu’il devine à la solde du commanditaire. Déterminé à neutraliser la menace qui pèse sur lui, le Tueur remonte la piste des agresseurs, laquelle le conduit à son propre employeur qui les a envoyés (un avocat véreux) puis, après l’élimination des malfrats, au commanditaire ultime, lequel tente de se justifier, d’expliquer qu’il n’a « aucun grief contre lui ». Contre toute attente, Le Tueur accepte cette version des faits et quitte l’appartement en épargnant l’homme, puis il rejoint sa compagne convalescente et reconnaît faire partie de « la multitude » plutôt que de « l’élite ».

La critique américaine comme européenne a été déroutée par ce film dont elle a salué la maîtrise technique, mais dont le sens profond a semblé lui échapper. Le film a ainsi été jugé « terne », « ennuyeux », « nihiliste ». Si les critiques ont reconnu que l’action est rondement menée, ils ne s’expliquent pas la sensation d’ennui, de répétition, ni les monologues du personnage. S’ils apprécient la mise en scène d’un monde froid, contemporain, hyperconnecté, ils s’interrogent sur le sens ultime du film. Ce sens est toujours recherché dans une problématique strictement individuelle : l’histoire d’un personnage qui voudrait tout maîtriser, mais comprend que ce n’est pas possible, l’histoire d’un « grain de sable» qui vient perturber une machine bien huilée, l’histoire d’un « ouvrier du crime » en butte à sa hiérarchie, etc. Tout cela est vrai, mais ne permet pas d’expliquer la logique profonde du film et cet apparent paradoxe entre « l’ennui » et la figure classiquement attractive du tueur à gages. Cette perplexité générée par le film, la difficulté à l’interpréter, ne sont pas courantes, elles interrogent.

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