Les années se suivent et se ressemblent pour le commerce extérieur français : après avoir enregistré un déficit commercial record de 85 milliards d'euros en 2021, 200 Md€ en 2022, le déficit 2023 frôle les 130 Md€. Un grand « succès » pour Emmanuel Macron et son gouvernement désormais en sursis depuis la dissolution de l'Assemblée nationale. L’importation de produits énergétiques reste la première cause du record de notre déficit commercial, suivi de près par le déficit industriel de la France. L'euro a également une grande part de responsabilité, puisqu'il a pénalisé la compétitivité de l’économie française et supprimé le rôle stabilisateur des monnaies... On vous explique tout !

publié le 27/06/2024 Par Olivier Berruyer

1- Un commerce plombé par le pétrole et le gaz
2- La zone euro : 1er partenaire commercial
3- Les États-Unis, grands vainqueurs de la guerre du gaz
4- Depuis 2000, le retour des forts déficits commerciaux
Ce qu'il faut retenir


L’évolution du solde commercial français des 30 dernières années permet de distinguer une rupture survenue au début des années 2000. C’est à cette période que le solde commercial français est devenu déficitaire, notamment en raison de la cassure de nos exportations stables, alors que nos importations ne cessaient d’augmenter. L’euro a été l’une des causes importantes de la dégradation du solde français : il a pénalisé la compétitivité de l’économie française et a supprimé le rôle stabilisateur des monnaies, en empêchant par exemple une salutaire appréciation du mark allemand.

Le commerce international de biens est en réalité le reflet de la santé d’une économie. Le solde commercial (différence entre nos exportations et nos importations de biens physiques) met en lumière les problèmes de compétitivité et les erreurs stratégiques gouvernementales.

Trop déficitaire, il montre que l’économie n’est pas capable de concurrencer celle de ses partenaires, et indique que le pays devrait rencontrer de sérieux problèmes financiers. Trop excédentaire, il montre que l’économie est trop déséquilibrée, que la rémunération des salariés est trop basse et qu’en réalité, le pays s’appauvrit physiquement, échangeant des biens réels contre du papier (monnaie) qui s’accumule. C’est donc l’équilibre à long terme de la balance commerciale qui démontre qu’une économie est saine.

En 2023, la France a connu un déficit commercial colossal de 127 Md€, en amélioration cependant par rapport au déficit record de 191 Md€ en 2022 (principalement causé par l’explosion du coût de nos importations d’énergie).

Le commerce extérieur de biens de la France en 2023Le commerce extérieur de biens de la France en 2023

Les exportations ne couvrent plus que 82 % de nos importations. C’est une situation dramatique pour une économie.

Un commerce toujours plombé par le pétrole et le gaz

En 2021, le poste « matières premières » accusait un lourd déficit de -50 Md€. En 2022, la crise énergétique l’a fait exploser à -120 Md€, soit 70 Md€ de déficit supplémentaire en à peine un an ! La situation s’étant calmé en 2023, le déficit en matières premières n’est « plus que » de 70 Md€, soit toujours 20 Md€ de plus qu’avant la crise.

Répartition par produits du solde commercial de la France en 2023Répartition par produits du solde commercial de la France en 2023

Le solde commercial déficitaire du pétrole est en amélioration, mais il atteint toujours 44 Md€ (contre 32 Md€ en 2021) et celui du gaz naturel est de 15 Md€, soit 3 fois plus qu’en 2021.

Solde commercial des combustibles fossiles en France, 2021-2023Solde commercial des combustibles fossiles en France, 2021-2023

Avec un déficit hors matières premières de 60 Md€, la France reste gravement pénalisée par sa désindustrialisation et enregistre de lourds déficits au niveau des machines, des voitures, du matériel électrique, etc., mais aussi des produits textiles et même agricoles. La France n’est plus en force que pour l’exportation d’avions, de produits chimiques, alimentaires, et dans une moindre mesure, de médicaments, d’armement et de bateaux.

Cette désindustrialisation interroge sur la nature des spécialisations françaises, mais aussi sur la stratégie de nos multinationales qui ont délocalisé des pans entiers de la production et embauché à l’étranger depuis les années 2000. La politique de l’offre conduite depuis 2013 – qui consiste à réduire les coûts de production ou à baisser la fiscalité sur les entreprises – a bien produit des effets, mais hélas, beaucoup plus sur les dividendes versés aux actionnaires que sur une véritable réindustrialisation.

La zone euro, premier partenaire commercial

La France a été le huitième exportateur mondial de biens en 2023 et compte plus de 135 000 entreprises exportatrices, contre 310 000 en Allemagne et 210 000 en Italie.

Les autres pays européens, et plus spécifiquement ceux de la zone euro, sont de loin les premiers partenaires commerciaux de la France. Près de 70 % des échanges commerciaux français s’effectuent ainsi avec des partenaires européens, dont plus de 50 % avec les pays de la zone euro. L’Allemagne à elle seule représente 15 % de nos échanges, suivie des États-Unis et de la Chine pour les 12 % suivants. Contrairement à d’autres pays, la balance commerciale française n’est donc pas assez diversifiée.

Volume des échanges du commerce extérieur de la France par pays/régions en 2023Volume des échanges du commerce extérieur de la France par pays/régions en 2023

Au niveau des partenaires commerciaux de la France, l’Allemagne est de loin le premier client (pour plus de 80 Md€) et fournisseur (pour 110 Md€) de l’hexagone.

Les pays européens voisins représentent 6 des 8 principaux clients : Belgique, Italie, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suisse. Si on rajoute l’Allemagne, nos grands voisins représentent environ la moitié de nos exportations et importations.

Principaux partenaires du commerce extérieur de biens de la France en 2023Principaux partenaires du commerce extérieur de biens de la France en 2023

La Chine n’est que le septième destinataire des exportations de l’hexagone : seuls 4 % des biens français y sont exportés, soit trois fois moins qu’en Allemagne.

Les 15 principaux clients des exportations de la France en 2023Les 15 principaux clients des exportations de la France en 2023

Les États-Unis, grands vainqueurs de la guerre du gaz... à notre détriment

La Chine n’est plus que notre septième fournisseur ; les États-Unis lui ont ravi la sixième place en raison de leur fourniture de gaz de schiste à l’Europe. Les importations américaines vers la France ont ainsi explosé : alors qu’elles n’étaient que de 27 Md€ en 2021, elles atteignent désormais 44 Md€.

Les 15 principaux fournisseurs des importations de la France en 2023Les 15 principaux fournisseurs des importations de la France en 2023

En conséquence, la France est désormais à l’équilibre envers les États-Unis, alors qu’elle était excédentaire de près de 9 Md€ en 2021 (l'oncle Sam représentait même alors notre plus grand excédent commercial). Les déficits les plus importants sont désormais réalisés avec la Belgique et les Pays-Bas, par où transite une part importante de nos hydrocarbures.

L’Allemagne représente désormais le troisième déficit commercial, en raison de nos achats de voitures (7 Md€ de déficits), de machines (5 Md€), de combustibles (4 Md€), de matières plastiques (3 Md€), de médicaments (2 Md€), etc.

Les principaux contributeurs à la balance commerciale de la France en 2023Les principaux contributeurs à la balance commerciale de la France en 2023

La France réalise ses (faibles) excédents principalement avec le Royaume-Uni (voitures, avions, boissons, nucléaire, luxe) ainsi que Singapour et Hong-kong (ventes de sacs, de parfums, d’alcool, de mode).

Le déséquilibre de notre commerce extérieur saute également aux yeux lorsqu'on analyse la situation par partenaire commercial, en représentant les exportations et les importations sur deux axes (la taille des bulles est proportionnelle à la taille des soldes commerciaux).

Solde commercial envers la France de ses 15 principaux partenaires en 2023

Si on regarde par grandes régions, la France est désormais déficitaire avec presque toutes les parties du monde, ce qui démontre de nouveau la grande perte de compétitivité de notre économie.

Balance commerciale cumulée de la France par pays/régions en 2023Balance commerciale cumulée de la France par pays/régions en 2023

Les années 2000 : le retour des forts déficits commerciaux

La gravité de la situation est historique en raison de la guerre en Ukraine et du génocide en cours à Gaza, mais elle n’a fait que se dégrader continument depuis 20 ans. Sur longue période, on constate un brutal arrêt de la croissance de nos exportations au début des années 2000, tandis que les importations poursuivaient leur croissance tendancielle.

Le commerce extérieur de la France, 1988-2023Le commerce extérieur de la France, 1988-2023

Suite à sa réunification, l’Allemagne était considérée à la fin des années 1990 comme « l’homme malade » de l’Europe. Pour sa part, après beaucoup d’efforts, la France avait retrouvé des excédents commerciaux et représentait alors le moteur de la croissance européenne.

Hélas, cela fut de courte durée, et la compétitivité française n’a fait que se dégrader depuis le début des années 2000.

Le solde du commerce extérieur de la France, 1988-2023Le solde du commerce extérieur de la France, 1988-2023

Si, comme pour beaucoup de pays, la balance commerciale française est plombée par ses importations énergétiques (pétrole et gaz principalement), son problème est qu’elle l’est presque tout autant par son activité industrielle qui, dans beaucoup d'autres pays, permet de compenser la facture énergétique.

Composantes de la balance commerciale de la France, 1970-2023 Composantes de la balance commerciale de la France, 1970-2023

La désindustrialisation de la France est donc manifeste, et ce n’est pas un hasard qu’elle s'amplifie année après année depuis le lancement de l’euro. En effet, la création de la monnaie unique a eu pour conséquence de détruire la fonction de stabilisateur commercial des monnaies préexistantes. En ne se réévaluant plus, le mark n’a plus freiné les excédents allemands, et donc les déficits français.

De même, la France n’étant plus pénalisée par la chute du franc, les gouvernements n’ont plus été incités à se préoccuper de ce problème et les déficits n’ont fait que croître. Ce problème ne concerne d’ailleurs pas que notre commerce avec l’Allemagne, il touche aussi la vaste majorité des autres pays de l’Eurozone.

Solde du commerce extérieur de la France avec la zone euro, 1988-2023Solde du commerce extérieur de la France avec la zone euro, 1988-2023

Ceci explique que le déficit commercial avec le reste de la zone euro atteigne aujourd’hui -128 Md€, soit la valeur du déficit total (cela signifie donc que le commerce extérieur hors zone euro est à l’équilibre).

Solde du commerce extérieur de la France avec la zone euro, 1988-2023Solde du commerce extérieur de la France avec la zone euro, 1988-2023

Bien qu'Emmanuel Macron semble ne plus réellement se soucier de ce déficit commercial pérenne, ce problème continue cependant à produire sournoisement ses effets délétères, en particulier en asséchant régulièrement les liquidités des banques françaises, ce qui oblige la BCE à devenir prêteur permanent de liquidités.

Pour déterminer les raisons du creusement du déficit commercial de la France envers les autres pays de la zone euro, on peut regarder l’évolution des exportations et des importations. On s’aperçoit ainsi que la dégradation du solde commercial français envers la zone euro est due à la stabilisation des exportations, qui n’ont guère augmenté entre 2000 et 2021, alors que les importations continuaient de croître.

Commerce extérieur de biens de la France vers la zone euro, 1990-2023Commerce extérieur de biens de la France vers la zone euro, 1990-2023

Depuis 25 ans, la hausse des importations françaises depuis la zone euro est notamment due à la forte hausse des importations depuis l’Allemagne, sous l’effet de l’euro et des réformes non coopératives allemandes : dumping social (les réformes Schröder, chancelier avant Angela Merkel, ont réduit le coût du travail en Allemagne et redimensionné à la baisse l’État social allemand), délocalisations de proximité dans l’est de l’Europe suite aux élargissements de 2004 et 2007, etc.

La situation dramatique du commerce français saute aux yeux quand, pour chaque pays européen, on analyse séparément le solde commercial envers les 26 autres pays de l’UE et celui envers les pays non membres de l’UE. Le déficit français (hors pétrole) de près de 130 Md€ envers le reste de l’Union européenne n’a aucun équivalent, et de loin. Il est réalisé en partie avec la Belgique (qui vend énormément de produits chimiques, de plastiques et de produits métallurgiques) et les Pays-Bas, rois de l’import-export, puisqu'ils détiennent le principal port de l’Union européenne.

Balance commerciale des pays de l'UE-27 selon la localisation du partenaire en 2023Balance commerciale des pays de l'UE-27 selon la localisation du partenaire en 2023

On observe la force de l’Allemagne qui produit des voitures et des machines pour le reste du monde. Pour cela, elle a délocalisé une partie de sa production en Europe centrale et orientale, et se retrouve donc déficitaire au sein de l’UE. La France a un faible excédent en dehors de l’UE, inférieur à celui de la Suède.

Tout ceci explique pourquoi le déficit français ne fait que se creuser, alors que ceux avec d’autres zones ont connu des évolutions plus contrastées – du moins jusqu’en 2020.

Le solde du commerce extérieur de la France par pays/régions, 1988-2023Le solde du commerce extérieur de la France par pays/régions, 1988-2023

Les conséquences des forts impacts économiques de 2022 ont largement détruit nos excédents commerciaux envers les quelques zones qui n’étaient pas précédemment déficitaires.

Contributions des pays/régions au solde commercial de la France, 1988-2023Contributions des pays/régions au solde commercial de la France, 1988-2023

Ce qu'il faut retenir

La crise énergétique de 2022-2023 a frappé de plein fouet le commerce extérieur français, qui était déjà dans une situation très difficile en raison d’une désindustrialisation préoccupante, d’un environnement économique qui favorise les stratégies non coopératives (dumping social, fiscal, politique de compétitivité) et d’une monnaie néfaste. Certes, l’euro n’explique pas toutes les turpitudes du commerce extérieur français, mais sa rigidité pèse lourdement sur le pouvoir d’achat et l’emploi.

Hélas, avec la forte contrainte qu’est l’euro, tous les efforts qui pourraient être entrepris pour redonner de l’élan à notre activité commerciale seront presque vains tant que le cadre monétaire et macroéconomique demeure. Dans une compétition mondiale, il est difficile de vaincre avec des chaînes aux pieds.