« C’est le bon moment d’acheter ! ». Ce refrain, vous avez dû l’entendre de nombreuses fois dans les grands médias, toujours bien disposés à faire la promotion de l’investissement immobilier. Si ces incitations ont produit leur effet dans nos consciences, elles n’en restent pas moins des discours propagandistes et fallacieux. Démonstration aujourd'hui, avec l’exemple d’un des plus grands quotidiens français : Le Parisien.

publié le 16/03/2023 Par Olivier Berruyer

Cette analyse a donné lieu à une chronique vidéo que vous pourrez retrouver ICI. Une seconde partie est à venir dans quelques jours, et viendra concrètement déconstruire l’idée selon laquelle acheter est toujours la bonne solution. En attendant, si vous avez manqué notre enquête sur le retournement du marché immobilier, c’est ICI !

25 ans de marché immobilier : retour sur une évolution agitée

Lorsque l’on analyse la façon dont les grands médias ont traité le sujet de la bulle immobilière, on s’aperçoit rapidement que la plupart des intervenants – largement intéressés financièrement à l’évolution positive du marché – ont toujours poussé les lecteurs à acheter le plus rapidement possible leur logement, comme si la rentabilité de ce choix d’investir dans une résidence principale était toujours assurée.

C’est ce phénomène, mené de façon constante par la plupart des grands médias depuis plus de deux décennies, qui a alimenté en partie ce qui est certainement la plus grosse bulle immobilière de l’histoire de notre pays.

Comme nous l’avons vu dans cet article, les prix immobiliers en France ont connu 5 grandes périodes d’évolution :

- de 1997 à 2008, les prix n’ont cessé de gonfler, atteignant même le rythme faramineux de 12 % de hausse en 2004 ;

- en 2008 et 2009, le marché s’est retourné, et a connu une importante baisse durant la crise économique, mais elle a été de courte durée ;

- en 2010 et 2011, la baisse précédente a été annulée par un rebond du marché, mais qui s’est également essoufflé rapidement ;

- de 2012 à 2015, le marché s’est de nouveau modestement dégonflé, durant les années de crise de l’euro et des craintes sur la santé des banques ;

- de 2016 à 2022, il est reparti à la hausse en moyenne d’environ 5 % par an. Ceci n’a été possible que par la forte baisse des taux d’intérêt, devenus quasi nuls, qui ont permis d’augmenter le pouvoir d’achat des emprunteurs, et donc de continuer à alimenter la bulle. Les prix ont cependant fini en 2022 par atteindre probablement leur maximum possible compte tenu des revenus des emprunteurs et de leur capacité d’emprunt.

Nos idées reçues sur l’immobilier (« il faut devenir propriétaire, », « c’est le bon moment pour acheter »), s’expliquent en grande partie par une propagande constante de la part de certains grands médias. Et il s’agit bien de propagande, et non pas d’information, car ces médias ont bel et bien un but autre que celui de vous informer : il s’agit de modifier votre comportement pour vous inciter à l’achat ; un exemple supplémentaire de « fabrique du consentement », thème qui a été longuement étudié dans l’ouvrage éponyme de Noam Chomsky et dont vous retrouverez la synthèse ici.

Afin de vous donner les moyens de résister à cette fabrique du consentement, et de prendre de bonnes décisions pour votre patrimoine, nous allons décortiquer cette opération de propagande à travers l’exemple du quotidien le plus diffusé en France durant cette période : Le Parisien.

Propagande à tous les étages : « c’est le moment de s’informer » !

Quelle a été l’analyse immobilière du Parisien au cours des 20 dernières années ? Et comment a-t-il présenté les choses à ses lecteurs ? En nous replongeant dans les archives du quotidien, nous sommes parvenus à retracer l’historique de cette propagande et à mettre en lumière ses différents éléments de langage.

La lecture de chacune de ces archives se fait selon le code couleur suivant : en Jaune, les éléments pour vous persuader que « C’est le moment d’acheter » ; en Orange les arguments en faveur d’un achat rapide ; en Bleu la manipulation par les émotions positives (« la carotte ») ; en Rouge la manipulation par les émotions négatives (« le bâton »), et en Vert les sources interrogées (toujours des professionnels de l’immobilier en situation de conflit d’intérêts car directement intéressés (généralement 5 % du prix de vente pour un agent immobilier, 1 % pour un notaire, et les intérêts du crédit pour un banquier).

En 2001, année de crise économique, Le Parisien affirme que « c’est le moment d’acheter », d’autant que les taux baissent – pensez donc, 5,40 % à peine !

Or, un tel taux reste une horreur financière, comme nous l’avons montré dans cet article. Mais pour Le Parisien, cela rend la période « plus que jamais propice à l’achat ». Oui, enfin, sauf si on prend en compte les 5 années précédentes où les prix étaient plus bas…

En 2002, on s’interroge, mais les agents immobiliers restent « optimistes », il faut acheter !

Comme les prix montent en flèche, la propagande se poursuit de 2003 à 2006, sans qu’à aucun moment le risque de krach boursier à l’horizon aux États-Unis (crise des subprimes) ne viennent inquiéter le quotidien.

Arrive alors 2007, année du début de la crise des subprimes. Aucune inquiétude pour Le Parisien, « C’est encore le moment d’acheter » pour « réaliser votre rêve » - surtout que le président Sarkozy avait décidé que le contribuable allait vous subventionner pour que vous vous enrichissiez !

À propos du risque de krach boursier, le journal parle de « rumeur insidieuse » et se rassurant sur ces histoires de subprimes… Rappelons qu’à cette époque, Le Parisien avait modifié la page d’accueil de son site pour y inclure « en dur » une rubrique : « C’est le moment d’acheter » (difficile donc de faire marche arrière) :

En 2008, la crise financière commence, mais le quotidien ne la voit durer que « six mois » ! Le coprésident de Laforêt immobilier s’emporte contre les banquiers qui affirment que ce n’est plus le moment d’acheter ; une « aberration » selon cet « expert »…

En janvier 2009, la crise est là, les prix du logement baissent, mais pour Le Parisien, pas d’inquiétude car « acheter va redevenir possible » :

« Redevenir possible » ?! Donc ce n’était pas possible avant ? Pourtant, le journal a toujours maintenu que c’était « le bon moment » pour acheter… Les lecteurs auraient sans doute aimé savoir qu’en raison des prix trop élevés du marché immobilier en 2008, les achats n’étaient plus conseillés.

Le quotidien se permet ainsi de présenter des informations passées comme une évidence, alors qu’il n’en avait jamais fait mention jusqu’à présent, car elles auraient été dérangeantes pour sa propagande…

À peine 3 mois plus tard, « c’est le moment d’acheter ! », car la baisse des prix, « c’est une bonne nouvelle » ! Comme la hausse des prix, donc…

En 2010, la crise est finie et les prix repartent nettement à la hausse : « c’est le moment de devenir propriétaire » :

Pour soutenir sa propagande, le quotidien a alors recours… au sondage, et essaie donc de persuader ses lecteurs à partir de l’avis de personnes non-compétentes et non-spécialistes du sujet. En revanche, ces personnes sondées se trouvent être particulièrement perméables à la propagande ambiante pro-achat : la belle affaire !

Le Parisien est même allé plus loin : il a lui-même demandé directement à ses lecteurs leur avis. Cela semble un peu étonnant qu’un grand média, dont la fonction est d’éclairer le public en interrogeant des experts en vienne à interroger ses lecteurs non experts – mais après tout, la logique de « circuit court » est à la mode.

Les années se suivent mais ne se ressemblent pas. En 2011, les prix baissent en Île-de-France. Pour Le Parisien, c’est donc (encore et toujours) « le moment d’acheter » :

En 2012, le président de Century 21 nous rassure encore : par chance, c’est encore « clairement » le moment d’acheter :

Il précise même, importante confidence, que « le marché purge les excès ». Or, ces excès, jamais Le Parisien ne nous en avait parlé plus tôt – sinon, cela n’aurait clairement pas été le moment d’acheter…

En 2013, encore selon le président de Century 21, qui a apparemment table ouverte dans le journal, « Tout plaide » en faveur d’un « bon moment pour acheter » :

Et ce, car « la hausse des prix est définitivement derrière nous » : un visionnaire !

Janvier 2014 : rien n’y fait, le marché reste orienté à la baisse. Le journal sort donc l'artillerie lourde : il mobilise sa Une pour que la France entière soit bien au courant de cette information capitale : « c’est le moment d’acheter » :

Source : Le Parisien, Une du jeudi 30 janvier 2014

En 2015, comme les gens continuent à bouder l’immobilier, Le Parisien remet ça :

En 2016, grosse surprise : « c’est le moment d’acheter ! » :

Ce qui est confirmé, selon le journaliste, par TOUS les notaires de l’Oise – et je ne doute pas que, bien sûr, les 149 notaires de la régions ont été consultés….

En 2017, on est enfin sorti de la crise immobilière, mais il faut alors compenser la chute des prix. Le journal ressort donc l'artillerie lourde, en mobilisant de nouveau la Une :

Source : Le Parisien, Une du vendredi 25 août 2017

En 2018, les choses se précisent, car là, plus de doute, « c’est vraiment le moment d’acheter ». Pourquoi ? Parce que les prix immobiliers, qui avaient atteint « des sommets délirants » ces dernières années, ont un tout petit peu baissé. Mais des prix « délirants » à la baisse deviennent-ils pour autant des prix raisonnables ? Pas sûr… Ce qui est certain en revanche, c’est que jamais Le Parisien n’avait alerté ses lecteurs sur les niveaux « délirants » des prix immobiliers les années précédentes…

Le journaliste note par ailleurs que 68 % des sondés pensent que c’est le bon moment d’acheter, « en dépit de prix parfois irréalistes ». Doit-on lui rappeler que le titre de son article est : « c’est vraiment le moment d’acheter » ?

En 2019, rien de nouveau sous le soleil :

En 2020, en plein reconfinement, « c’est même le moment d’acheter » - et tenez-vous bien – « par le biais de visites virtuelles », donc sans voir le logement. Il fallait oser…

En 2021, après en avoir fini avec les confinements, Le Parisien nous l’assure : « c’est le moment d’acheter » :

En 2022, en raison du retour de l’inflation, les taux se mettent à remonter nettement, ce qui n’était pas arrivé depuis près de 20 ans. C’est un changement majeur, la fin du phénomène qui avait dopé les capacités d’emprunt, et soutenu la hausse des prix. Mais pas de panique, car même en septembre, « il n’est pas trop tard pour acheter ». Ni pour se faire avoir !

Car oui, en janvier 2023, la vérité commence à apparaître : « c’est le moment de négocier le prix » ! Donc pour le journal, si nous parvenez à négocier, c’est toujours le bon moment pour acheter ! On se demande bien dans quelle situation l’achat immobilier pourrait être déconseillé par Le Parisien… mystère…

Cependant, la marge de négociation de -6 % annonçait pourtant une nette baisse des prix, mais il ne faut pas trop le dire au lecteur. Il risquerait d’en conclure que ce n’est pas le moment d’acheter… En revanche, sur ÉLUCID, dès la fin novembre 2022, nous avons donné les bonnes informations à nos lecteurs et les avons alertés sur la crise immobilière en cours.

En février, il n’est plus possible de cacher la vérité pour Le Parisien : les prix chutent…notamment en Île-de-France :

Mais pas de panique, « pas de décrochage en vue », « rassurent les professionnels ». Faisons-donc leur confiance…(ou pas).

Au même moment, Le Parisien publie un autre article qui souhaite « casser un mythe » : Posséder cinq appartements vous donne « un beau patrimoine immobilier », « une situation confortable » sans faire de vous « quelqu’un de riche » :

Ce type d’article vise évidemment à faire croire que tout un chacun va pouvoir devenir un énorme investisseur immobilier grâce au soutien de sa banque. Mais rappelons que la moitié des logements loués par des particuliers le sont par seulement 3 % des ménages :

Après cette édifiante compilation d’archives, on pourrait logiquement se dire : « oui, mais les prix ayant augmenté depuis 25 ans, finalement ce n’était pas forcément un mauvais moment pour acheter ». Certes, mais l’idée ici est de voir à quel point cette augmentation des prix est en partie liée à cette large propagande médiatique, qui nous a présenté pendant des années des prix « délirants » comme de « bonnes affaires ».

Mais surtout, quand bien même cela ferait 25 ans que « c’est le bon moment pour acheter », alors forcément, cela ferait 25 ans que « ce n’est PAS le bon moment pour VENDRE », les intérêts des deux parties étant opposés. Et ça, les médias se sont toujours bien gardés de nous en informer…

Le plus important, c’est sans doute de comprendre que c’est aussi (et surtout) la baisse historique des taux qui a permis cette folle hausse des prix immobiliers :

Et il est désormais clair que ce temps est révolu, avec le retour d’une inflation qui va impacter notre quotidien pour longtemps, non sans lourdes conséquences :

En conclusion, on voit donc bien qu’il est important de disposer de médias indépendants, qui ont à cœur de vous donner de l’information, et non pas de vous pousser à agir comme ils le souhaitent à travers diverses manipulations. Sur ÉLUCID, nous avons donné les bonnes informations à nos lecteurs en amont de la crise immobilière, et les avons alertés sur les risques à venir.

C’est donc avant tout « le bon moment pour bien s’informer » et pour nous soutenir, en parlant du site ÉLUCID autour de vous, en nous suivant sur YouTube et sur nos réseaux sociaux, ou en réalisant un don défiscalisé pour notre média indépendant. Merci pour votre soutien !