Si l’inflation a causé une hausse des prix des produits alimentaires, certains grands distributeurs profitent de la crise économique en cours pour faire flamber leurs prix : entre deux supermarchés/hypermarchés, les écarts de prix peuvent dépasser les 30 % ! Il existe cependant quelques astuces pour réduire la facture des courses, et se prémunir des excès de la grande distribution. Décryptage.

publié le 12/09/2022 Par Olivier Berruyer
CONTRER LES PRIX ET LES MARGES ABUSIVES DE LA GRANDE DISTRIBUTION

Cet article s’inscrit dans une série de 4 analyses sur la grande distribution : des conditions historiques de sa création, en passant par son développement jusqu’à son rôle aujourd’hui, à la lumière des difficultés économiques qui s’abattent sur la France.

Vous avez manqué la partie précédente de cette analyse ? Cliquez ICI pour la découvrir !

I. L'épopée de la grande distribution : de l'échoppe au grand magasin
II. La toute-puissance de la grande distribution : le mécanisme des hypermarchés
III. Une hausse des prix alimentaires suspecte dans la grande distribution
IV. Contrer les prix et les marges abusives de la grande distribution

Panorama et dynamique des grandes enseignes

Comme nous l’avons vu précédemment, l’inflation alimentaire a dépassé les 7 % en un an, elle atteint même jusqu’à 12 % sur les produits de références les plus connus. Le prix pratiqué par les grandes surfaces devient donc un enjeu encore plus grave pour le pouvoir d’achat des Français.

Même si peu de consommateurs ont la possibilité d’effectuer au cas par cas des comparatifs de prix entre les distributeurs, on note tout de même une adaptation de leurs habitudes d’achat, et cela se constate notamment dans l’évolution des ventes des grandes enseignes. Le graphique ci-dessous en témoigne : les acheteurs vont par exemple de plus en plus chez Leclerc qui propose actuellement les prix les plus concurrentiels, mais moins chez Casino qui au contraire s’attribue des marges confortables.

Ainsi, à l’heure actuelle, 10 groupes se répartissent la quasi-totalité du marché ; E.Leclerc et les discounters Lidl et Aldi sont en nette croissance, Casino et Cora, en nette baisse.

Les réactions face à l’inflation

Avec le retour indéniable d’une forte inflation, les acteurs ont eu plusieurs réactions.

Les producteurs ont eu peu de marges d'adaptation, et doivent, en fonction de leurs marges, augmenter le prix des produits vendus. Les hausses étant importantes, certains tente de masquer ces hausses en réduisant les quantités vendues dans l'emballage, phénomène qu'on appelle "shrinkflation" (de l'anglais, shrink, rétrécir).

Les grandes surfaces, quant à elles, ont augmenté plus fortement les prix de leurs marques de distributeurs par rapport aux marques nationales. Ce phénomène a particulièrement touché les marques premiers prix (qui ont augmenté de près de 15 %), car elles se basent sur des produits fortement frappés par l’inflation (pâtes, farine, etc.).

Face à la hausse des prix, la réaction des consommateurs est de baisser leur gamme d’achats : on passe du premium au normal, de la marque nationale à la marque de distributeur, ou de la marque de distributeur aux marques premier prix ; le volume de vente de ces dernières a par exemple augmenté de 15 % en un an.

L’autre réaction des consommateurs est évidemment d’acheter moins : le volume total des ventes alimentaires en grande surface a ainsi baissé de près de 1 % en moyenne sur un an (mais beaucoup plus si on exclut les boissons et glaces, dont les ventes boostées par les canicules ont augmenté de 25 %). Ce n’est pas encore critique, mais une dynamique s’installe.

Les grandes surfaces, quant à elles, ont décidé de diminuer le nombre de produits différents en rayon (ce qu’on appelle l’assortiment), afin de réduire leurs coûts. Ces assortiments venaient pourtant à peine de retrouver leur niveau normal après les pénuries de la crise du Covid. Si vous ne trouvez plus votre produit préféré en rayon, surtout dans les petites surfaces (5 % d’articles en moins en un an dans les Proxis et 7 % en drive), ce n’est donc pas un accident.

Le Bio a particulièrement été touché, avec 11 % d’articles en moins mis à disposition. Ceci, cumulé au fait qu’en raison de leur prix élevé, ces produits ont été délaissés au profit du non-Bio (descente en gamme), explique que les ventes de Bio ont diminué de 7 % en volume et de 4 % en valeur depuis un an : c’est une catastrophe pour les agriculteurs concernés.

Mais bien entendu, le levier principal utilisé par les grandes surfaces pour faire face à l’inflation des prix de leurs achats a été tout simplement d’augmenter les prix de leurs ventes. Cela pose certains problèmes, car la grande distribution a mangé son pain blanc et est en perte de vitesse, ce qui oblige certains magasins à encore plus monter leurs prix. Si son chiffre d’affaires de 2021 est 4 % supérieur à celui de 2011, le volume de ses ventes est 4 % inférieur. Comme nous l’avons vu précédemment, cette désaffection touche d’ailleurs plus les hypermarchés (-3,5 % en volume) que les supermarchés (+0,1 %).

Des écarts de prix importants entre différents supermarchés

En 2021, l’UFC-Que Choisir, la principale association de consommateurs indépendante en France, alertait sur les gros écarts constatés entre supermarchés. Avant même le retour de l’inflation, sur un simple panier de produits moyen, l’UFC constatait alors des écarts de prix allant jusqu’à 17 %.

Des analyses sur des panels de produits beaucoup plus conséquents réalisés par des professionnels ces derniers mois aboutissent à des écarts encore plus conséquents, allant jusqu’à 30 % entre enseignes – et donc encore beaucoup plus entre les magasins plus et moins chers des enseignes, les prix n’étant pas les mêmes dans tous les magasins d’une même enseigne. On parle donc ici d’écarts de prix de 1 à 2 euros sur la plupart des produits courants.

Au final, selon ces études (qui corroborent d’autres plus larges encore), le groupe Casino pratique de très loin les prix les plus chers dans ses Supermarchés Casino, Monoprix et Géant Casino (et également dans les supermarchés Match, non représentés ici). Cela explique les gros écarts de prix constatés dans le relevé de prix chez Casino (voir notre article précédent). C’est la raison pour laquelle nous avons choisi cette marque en priorité pour mettre en lumière le problème des écarts de prix.

Les magasins les moins chers en 2021 étaient comme toujours les magasins E.Leclerc, suivis de près par Système U et Intermarché. Suivent à quelques pour cent d’écart les hypermarchés Carrefour et Auchan.

Il y a une particularité importante à signaler, concernant le commerce en ligne alimentaire (Drive et livraison). Pratiquement toutes les enseignes ont la même politique : une fois déterminé un magasin, le prix sera le même en drive ou dans le magasin ; sachant qu’il ne sera pas forcément le même chez un autre magasin de la même enseigne. Mais il y a une exception importante : le groupe Casino pratique les prix en ligne parmi les plus bas (pour le web, ils sont décidés au niveau national), les hypermarchés Géant Casino étant même tout à fait concurrentiels avec E.Leclerc – mais seulement en drive !

Comme l’a relevé sur son site un des experts du sujet, Olivier Dauvers, Casino a brutalement baissé le prix en ligne (c’est-à-dire pour les seuls drives et livraisons) de ses supermarchés début 2021 afin de rattraper son énorme retard en drive ; ce groupe utilise clairement ses hautes marges en magasin pour réaliser en drive des marges parmi les plus faibles du marché. C’est tout à fait visible sur l’outil de suivi des prix en drive Distriprix réalisé par M. Dauvers.

Le Distriprix d’Olivier Dauvers. Les prix sont affichés en relatif par rapport à la moyenne de 100, en Drive. Une baisse ne signifie pas forcément que les prix baissent, mais qu’ils augmentent moins vite que la moyenne.

On constate que Carrefour a rapidement et fortement augmenté ses prix depuis 2021, ne jouant pas sur ses marges, contrairement à beaucoup de concurrents ; il a clairement voulu préserver ses résultats et la valeur de son action en Bourse. Intermarché vient de commencer à répercuter des hausses de prix supérieures au marché, plus fortement que Casino Drive (rappelons que cette conclusion ne concerne pas les magasins Casino, mais bien le drive Casino). E.Leclerc et Système U augmentent nettement moins leurs prix que la moyenne, creusant donc l’écart avec leurs concurrents.

Ces faits semblent avoir été naturellement détectés par les consommateurs. En effet, un croisement entre le nombre de visites dans une grande surface et celui du prix moyen dépensé par visite, fait clairement apparaitre que les indépendants (E.Leclerc, Intermarché et Super U) sont très souvent visités, comme des supermarchés, et que les clients y dépensent beaucoup d’argent, comme dans un hypermarché. Il y a même deux anomalies frappantes : E.Leclerc, qui maximise les deux critères (« on y va souvent », et « on y dépense beaucoup ») et Casino, qui les minimise (« on y va peu souvent », et « on n’y dépense pas beaucoup »), se retrouvant ainsi proche des critères d’un discounter.

Il est évident que leurs clients ont bien compris qu’E.Leclerc est le moins cher et Casino le plus cher.

On retrouve le même résultat si on s’intéresse à la fidélité des clients à leur enseigne, mesurée par la proportion réalisée dans cette enseigne de toutes les dépenses de nourriture de leurs clients.

On a retrouvé les « hausses suspectes » !

L’IRi, société spécialisée dans la mesure des prix, a réalisé une statistique très intéressante en mesurant l’écart de prix entre les deux enseignes les plus chères et les deux les moins chères. Il est flagrant que, après s’être rapprochés durant la crise du Covid, les écarts de prix entre les enseignes ne cessent d’augmenter depuis le début de la crise inflationniste à l’automne 2021 comme en témoigne le graphique ci-dessous :

Cela démontre clairement la présence de nombreuses « hausses suspectes » de la part de certaines enseignes, qui devraient être sérieusement analysées. Rappelons que l’alimentaire est hélas souvent la variable d’ajustement du budget, une fois le loyer et les charges payés. Pour beaucoup de français, chaque euro compte. Le secours populaire a même réalisé un sondage indiquant que 1 Français sur 3 manque tellement d’argent qu’il doit diminuer la qualité de sa nourriture, et que 1 Français sur 5 est contraint de sauter des repas et ne mange pas à sa faim.

C’est le cas de 1 jeune de moins de 35 ans sur 3, de 1 employé sur 3, et de presque 1 français sur 2 gagnant moins que le SMIC. Ces pourcentages sont majorés d’au moins 10 points si on s’intéresse uniquement au cas des femmes de ces catégories, qui souffrent bien plus que les hommes.

Faites jouer la concurrence !

En conclusion, dans le contexte fortement inflationniste de 2022, et au vu de ces analyses, il est clair que les écarts de prix entre enseignes se sont intensifiés. Dès lors, on ne peut qu’inciter les consommateurs à rester très vigilants, car des hausses de prix faramineuses, et parfois probablement malhonnêtes, ont eu lieu dans certains magasins.

Nous ne pouvons donc que vous recommander de faire jouer la concurrence ; pour cela, l’UFC-Que Choisir a réalisé un excellent outil permettant de facilement comparer chaque supermarché à ses voisins : vous le trouverez ici.

Il est important que le consommateur ait connaissance de ces chiffres éloquents pour maitriser son budget. Ils sont hélas bien peu diffusés par la plupart des médias. Rappelons que la grande distribution est, de très loin, le 1er annonceur publicitaire français, représentant près de 20 % du total des recettes publicitaires des médias.

Le budget publicitaire de la distribution à destination des médias approche ainsi les 3 milliards d’euros, les cinq premiers annonceurs étant Lidl, E.Leclerc, Intermarché, Carrefour et Aldi.

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