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L’euro est sous-évalué depuis dix ans, la livre sterling est à la parité, tandis que des pays comme la Chine ou l’Inde utilisent la sous-évaluation de leur monnaie pour améliorer leur compétitivité. Pour se rendre compte de cela, il faut pouvoir déterminer la valeur intrinsèque d’une monnaie, et non sa valeur par rapport à une autre. On peut alors utiliser un outil très pratique : la parité de pouvoir d’achat.

publié le 02/12/2021 Par Élucid
La difficile évaluation de la valeur monétaire

Lors de son lancement en 1999, l’euro était un peu sous-évalué, puisque son taux de change par rapport au dollar était inférieur à sa valeur réelle en PPA. C’est l’approche basée sur les parités de pouvoir d’achat (PPA) qui permet de comparer le pouvoir d’achat de l’euro et du dollar depuis la création de la monnaie unique européenne. Nous utilisons cette approche dans l’ensemble de cet article lorsque nous parlons de surévaluation ou de sous-évaluation.

Les deux premières années, le taux de change de l’euro a baissé jusqu’à atteindre 0,85 euro pour 1 dollar en 2001, largement en dessous de sa valeur réelle en PPA. Ces débuts difficiles s’expliquent notamment par l’attractivité de la « nouvelle économie » américaine qui attirait davantage les capitaux que l’Europe.

Par la suite, le taux de change s’apprécie sans discontinuer, si bien que l’euro devient surévalué à partir de janvier 2004, pour atteindre un taux de change historiquement haut de 1,43 dollar pour 1 euro en moyenne en 2008, avec un pic à 1,60 dollar pour un euro en juillet 2008. La crise des subprimes déclenche ensuite une appréciation du dollar — qui devient une valeur refuge pendant la crise — et engendre par conséquent la chute du taux de change de l’euro. Si bien qu’à partir de 2012, l’euro est sous-évalué suivant le critère PPA.

La période 2015-2020 est marquée par une relative stabilité de l’euro en dessous de sa valeur réelle et proche de son cours d’introduction. En 2021, l’euro est sous-évalué suivant le critère PPA. Sa valeur réelle en PPA est de 1,4 dollar pour 1 euro, alors que le taux de change est à 1,2 dollar pour 1 euro.

Pour avoir une perspective historique, on peut aussi estimer la parité qu’aurait eue l’euro s’il avait existé avant 1999, via un panier des anciennes monnaies européennes pondéré chaque année par le PIB. On se rend alors compte que, depuis la fin des accords de Bretton Woods en août 1971, le taux de change de cet euro fictif aurait été très volatile, tandis que sa valeur réelle aurait été relativement stable.

La livre sterling à la parité, le franc suisse surévalué

Bien que sa valeur réelle en PPA ait chuté sans discontinuer depuis 1960, la livre sterling est à sa juste parité depuis la fin des années 1980 : son taux de change se situe autour de 1,4 dollar pour 1 livre sterling. On note cependant un épisode de surévaluation au début des années 2000, qui s’est terminé avec la crise des subprimes et la chute de la monnaie britannique.

En 2020, la livre sterling était légèrement sous-évaluée, avec un taux de change de 1,3 dollar pour une livre sterling, contre une valeur réelle de 1,4 dollar pour une livre sterling.

En dehors de l’euro, l’autre monnaie européenne majeure — le franc suisse — est historiquement surévaluée depuis 1985. Elle est en effet un actif refuge que les investisseurs achètent massivement en période d’instabilité, ce qui engendre son appréciation par rapport aux autres monnaies.

La Banque Nationale suisse veille cependant à ce que le franc suisse ne devienne pas trop surévalué, afin de ne pas nuire à la compétitivité prix. En 2020, son taux de change était de 10,65 dollars pour 10 francs suisses, contre une valeur réelle de 8,80 dollars pour 10 francs suisses.

Le yen japonais a également été surévalué continuellement entre 1986 et 2013. Cela est aussi dû à son statut de devise sûre qui intéresse les investisseurs. Par exemple, après la crise de 2008, les spéculateurs ont acheté massivement du yen, ce qui a contribué à la hausse de son taux de change.

Le gouvernement japonais est pourtant très vigilant dans son combat contre l’appréciation du yen — et mène une politique de dépréciation lorsqu’il l’estime nécessaire — car un yen trop fort pénalise l’économie nipponne, qui repose énormément sur ses exportations. Depuis 2014, le yen est légèrement sous-évalué.

La sous-évaluation comme arme commerciale ?

La Chine contrôle étroitement le cours de sa monnaie, qui est sous-évaluée depuis 1981. La Banque populaire de Chine mène ainsi depuis longtemps une politique monétaire interventionniste active afin de faciliter ses exportations : un taux pivot est fixé chaque jour, autour duquel est autorisée une fluctuation de plus ou moins 2 %. Deux dévaluations ont eu lieu en 2015 puis en 2019, sans que Pékin ne reconnaisse officiellement ces manœuvres, préférant parler de « politiques d’ajustement », notamment en réaction à la hausse des droits de douane américains sur les produits chinois survenue en 2019.

En effet, depuis 2015, la Chine cherche à faire partie du panier des monnaies de références mondiales, ce qui implique de jouer le jeu du marché et de cesser l’interventionnisme. C’est pour cela que les communications officielles démentent des dévaluations actives et indiquent vouloir maintenir un taux de change stable. Certains analystes estiment quant à eux que Pékin continuera de déprécier le yuan face à l’escalade des tensions commerciales avec les États-Unis. En 2020, le yuan était toujours sous-évalué, avec un taux de change de 1,45 dollar pour 10 yuans, contre une valeur réelle de 2,4 dollars pour 10 yuans.

La situation de la roupie indienne est différente. Certes, sa sous-évaluation depuis 1960 dynamise ses exportations, mais la faiblesse de la monnaie ne satisfait pas la Banque centrale indienne. L’institution est ainsi très réticente à la dépréciation, car cela engendre de l’inflation et pénalise les importations.

Or l’augmentation des prix — qu’il s’agisse des aliments de base ou des matières premières énergétiques — affecte directement des centaines de millions d’Indiens, dans un pays où la pauvreté est encore très présente. Fin 2010, un épisode inflationniste avait même entraîné des mouvements violents de protestation. La monnaie indienne est donc faible — et aujourd’hui encore sous-évaluée — mais cela ne représente pas forcément une aubaine, ni un choix politique.

Avec l’approche basée sur les parités de pouvoir d’achat, on voit donc l’évolution de la valeur réelle des monnaies, ainsi que l’ampleur de leur surévaluation ou de leur sous-évaluation. Celles-ci peuvent être le résultat de choix politiques conscients, comme c’est le cas en Chine où la dévaluation est une arme économique. Malgré tout, la majorité des monnaies de références mondiales tentent, dans la mesure du possible, de limiter leurs interventions monétaires directes et de laisser faire le marché.

L’œil de l’économiste Frédéric Farah

Des déterminants réels, financiers et psychologiques

Les premières analyses de la formation des cours de change ont été réalisées à une époque où les échanges internationaux portaient principalement sur les biens et les services. Dans ce cadre, ce sont les déterminants réels qui déterminent le prix d’une monnaie par rapport à une autre. Autrement dit, le cours de change est lié à la balance des transactions courantes. Un pays qui connaît un déficit de sa balance des transactions courantes verra sa monnaie se déprécier. À l’inverse, un pays excédentaire verra sa monnaie s’apprécier.

C’est autour de cette question que l’utilité d’une dépréciation de la monnaie se pose. Une dépréciation peut ainsi permettre de résorber le déficit de la balance des transactions courantes, à condition que le coût des importations soit compensé par une hausse du volume des exportations.

Dans le cadre de ce type de déterminants réels, la parité de pouvoir d’achat dans sa version absolue se fonde sur l’idée que — sur un marché international concurrentiel sans obstacle à l’échange ni coûts de transport et de transaction — il ne peut y avoir qu’un seul prix pour un produit. C’est cette logique qui a donné naissance en 1986 à « l’indice Big Mac » fabriqué par le magazine « The New economist » qui suppose que les différences de prix du Big Mac dans le monde permettent de déterminer des cours de change.

Mais l’un des défauts de cette théorie est de s’entendre sur un échantillon de biens et services suffisamment représentatifs des achats des ménages vivant dans des pays aux niveaux de développement différents. Dans la version relative de la théorie de la parité des pouvoirs d’achat, ce sont les évolutions des cours de change qui sont la conséquence des variations des prix dans les pays.

Cependant, dans un monde où les échanges sur les marchés financiers sont désormais bien plus importants que ceux des biens et services, les échanges de devises les unes contre les autres sont largement déterminés par des facteurs financiers. Sans compter le poids des déterminants psychologiques : les anticipations des agents, les phénomènes moutonniers, etc. Le marché des changes est affecté principalement par des mouvements spéculatifs, et une part très modeste reflète des échanges de biens et services.

La politique monétaire européenne unique, un problème

Il reste alors à penser les rapports des monnaies entre elles à l’échelle internationale, et dans ce cadre se forgent des systèmes monétaires internationaux définis par Paul Krugman et Maurice Obstfeld en 1995 comme « l’ensemble des institutions et arrangements que les pays adoptent en matière de monnaie et de taux de change ».

L’histoire économique a vu se succéder différents systèmes internationaux. Après la disparition définitive de Bretton Woods en 1976, les Américains ont eu une préférence pour un système de change flottant : laisser flotter les monnaies en fonction du mouvement de l’offre et de la demande, en autorisant les interventions de la Réserve fédérale pour servir l’emploi et la croissance.

Les Européens, après les premiers signes de craquement de Bretton Woods, ont préféré le change fixe. Que l’on pense au serpent monétaire, au système monétaire ou à l’euro depuis plus de 20 ans, les Européens sont soucieux de défendre la stabilité des prix et l’équilibre extérieur. Ils ont limité ou refusé les dépréciations monétaires.

Les limites de ce choix sont souvent apparues, particulièrement dans le cadre de la zone euro. Le choix d’un taux unique pose une série de problèmes pour les États, car cela signifie une politique monétaire d’une seule taille. Cette politique de taux d’intérêt unique est discutable. On peut ainsi estimer que la politique de change devrait être du ressort des États, et non à la Banque centrale européenne, qui a plus souvent réagi qu’agi face au dollar. L’arme du change est mésestimée, elle est pourtant un atout important dans la compétitivité prix à l’échelle mondiale.

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