Selon l’ONU, la population humaine mondiale devrait atteindre 9,5 milliards d'individus en 2050 suivie d’une stabilisation autour de 10 milliards en 2100. Le 15 novembre 2022, lors du franchissement du cap des 8 milliards d'humains sur Terre, le Secrétaire Général de l'ONU, Antonio Guterres y voyait « l'occasion de célébrer notre diversité et les progrès réalisés. En même temps, […] un rappel de notre responsabilité partagée de prendre soin de notre planète ».
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Une déclaration en résonance avec le rapport Meadows publié il y a 50 ans, qui stipulait que seuls des scénarios abandonnant la recherche d’une croissance infinie dans un monde aux ressources finies éviteraient un effondrement – la pénurie de matières premières et la hausse de la pollution signant, quant à elles, la fin de la « croissance » au cours de de XXIe siècle.
Les niveaux actuels de population ont été atteints au sein de cette course à la « croissance », qui a pesé et pèse encore lourdement sur notre environnement, essentiellement dans les pays riches dits « développés » : émissions de gaz à effet de serre, perte de biodiversité, épuisement des ressources (eau, alimentation, énergie, etc.), dégradation des sols et des écosystèmes.
Cette situation fait ainsi redouter un avenir dans lequel — si la croissance démographique continue et que nos logiques économiques restent les mêmes — les problèmes de disponibilité et d’accès aux ressources se multiplieront, générant entre autres famines, pandémies, tensions et conflits.
Ces craintes pour la soutenabilité de la planète se fondent sur une augmentation de la population se poursuivant dans un monde inchangé, où le mode de vie des plus aisés reste supporté par les plus pauvres, soit les moins responsables du désastre environnemental, mais qui pourtant en payent le prix fort. Citons à titre d’exemple le Pakistan, qui a récemment subi des inondations extrêmes, faisant plus de 1100 morts et laissant des dizaines de millions de sinistrés avec un coût estimé par la Banque mondiale de 30 milliards de dollars.
Cependant, la démographie n’est pas en soi un problème majeur : c’est la position défendue entre autres par l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau ou par l’ingénieur Emmanuel Pont. Selon eux, l’essentiel est d’opérer un changement complet de modèle économique, loin des dogmes de la croissance et de la consommation. Les pays développés devraient ainsi assumer l’essentiel des efforts à fournir, avec (entre autres) une réduction de la consommation et une mise à contribution des plus riches qui restent, très largement, les plus importants émetteurs et pollueurs.
Les moteurs historiques de l’explosion démographique humaine
Il y a 10 000 ans, la population humaine ne comptait que quelques millions d’individus. Ce n’est qu’à partir de 1800 que l’humanité entame son explosion démographique en atteignant le premier milliard, pour dépasser les 6 milliards à peine 200 ans plus tard.
La domestication de l’énergie entraîne des révolutions industrielles et agricoles, véritables ferments de la croissance démographique. Elles s’accompagnent d’une augmentation de l’espérance de vie (réduction de la mortalité) ainsi que d’une amélioration de la santé (antibiotiques, vaccins, accès aux soins, hygiène, etc.).
L’exploitation de l’environnement grâce aux énergies multiplie les avancées dans l’agriculture, notamment au XXe siècle. Mais, si l’amélioration des systèmes alimentaires favorise l’accès à la nourriture au plus grand nombre, elle se fait via un système de production intensif et une mécanisation qui accélèrent l’épuisement des sols, endommagent les écosystèmes et s’accompagnent d’émissions de gaz à effet de serre (encore plus nombreuses à travers le développement de l’industrie).
Les premiers pays à entamer leurs révolutions industrielles et agricoles sont aussi les premiers à faire leur transition démographique. Et tandis que le taux de fécondité y a baissé à mesure que ces pays se sont développés, il est resté élevé dans les régions les plus pauvres qui n’ont pas vu leurs conditions s’améliorer aussi vite.
Aujourd’hui, ce sont les 48 pays les plus pauvres qui contribuent le plus à la croissance démographique, avec un taux de natalité qui permet de contrer une mortalité infantile encore élevée (60 pour mille en moyenne contre 4 pour mille en France) et de disposer de bras pour contribuer à la survie économique de la famille.
2023 et après : Guerres de l’eau, pollution des sols et risques sanitaires
Selon UN Water, les phénomènes météorologiques extrêmes dus au changement climatique rendent l'eau plus rare, plus imprévisible et plus polluée. Conjugués à l’accroissement de la population et donc à une augmentation de la demande, ils menacent le développement durable, la biodiversité dans son ensemble et l'accès des populations à l'eau et à l'assainissement.
L’eau douce ne représente 3 % de l’eau présente sur notre planète. Cependant, 69 % de cette eau douce est sous forme de glace, tandis que 30 % est stockée dans des sols profonds inaccessibles. L’eau douce restante, c’est-à-dire 1 % de l’eau douce terrestre se situe soit dans les nappes phréatiques, les lacs et rivières, les nuages ou les organismes vivants.
L’eau réellement accessible — très inégalement répartie — ne représente que 0,015 % de l’eau mondiale, et elle est loin d’être « réservée » à l’Homme, puisqu’essentielle à la survie de nombre d’écosystèmes. Or, les deux tiers sont utilisés aujourd’hui pour une agriculture essentiellement intensive, et on observe qu’elle est déjà consommée 10 fois plus vite que renouvelée en Afrique du Nord, au Moyen-Orient, en Inde, au Pakistan ou encore en Chine.
Selon l’ONU, en 2020, 2 milliards d’humains n’avaient toujours pas accès à un service sécurisé en eau potable. Pire, en 2025, selon l’ONG WRI, près de la moitié de la population mondiale sera confrontée à une vulnérabilité liée à l'eau conduisant à des instabilités politiques.
Sans accès à une eau potable, les risques sanitaires et bactériens sont accrus. Ils s’ajoutent à la destruction de l’habitat des animaux sauvages qui augmente le risque de contacts avec les humains et la transmission d’agents pathogènes et de virus. Leur propagation ne peut qu’être accélérée avec l’augmentation de la densité de population dans un monde de libre-échange et de libre circulation.
En outre, la pollution des sols menace près d’un tiers des espèces de poissons d’eau douce d'extinction, selon le dernier décompte de l'Union mondiale pour la nature. De quoi aggraver la dégradation attendue des systèmes alimentaires avec une augmentation des risques sanitaires liés à la nourriture et une intensification des épisodes de famine et de malnutrition.
Pour finir, les difficultés d’accès aux ressources naturelles sont susceptibles de provoquer des conflits avec des systèmes de restrictions organisés par les États. Et les tensions sont déjà là : le barrage de la Renaissance, construit en amont du Nil par l'Éthiopie, est aujourd’hui une source de conflit avec le Soudan et l'Égypte qui craignent pour leurs ressources en eau.
Vivre durablement à 10 milliards ?
L’amélioration globale des conditions de vie et la croissance de la population qui l’accompagne, permise par l’exploitation de l’environnement, se sont opérées au prix de dommages durables pour la planète. Si certains seuils de réchauffement climatique sont franchis, l’extinction de certaines espèces, la fonte des glaciers et du permafrost pourraient être irréversibles.
Ce changement climatique s’accompagne de pollution, de l’épuisement des sols, de la réduction de la calotte glaciaire (la glace arctique diminue désormais à un taux de 11,5 % par décennie) et de la montée des océans. Sans compter une augmentation de la fréquence et de l’intensité d’événements météorologiques extrêmes (canicules, précipitations, sécheresses, etc.) augmentant les vulnérabilités des populations.
Autres dommages collatéraux, d'ici quelques décennies, au moins la moitié des espèces végétales et animales de la planète auront disparu (perte d'habitat, pollution, acidification des océans, surexploitation des ressources naturelles, surpêche, etc.). Or, comme l’affirme l’ingénieur Emmanuel Pont, si demain l’humanité tout entière devenait végétarienne, 75 % des terres occupées par l’humanité pourraient être libérées.
Mais les écosystèmes vont continuer à souffrir : la déforestation (transformation de forêt en terres agricoles ou pour l’urbanisation) conduit à une perte de 7,3 millions d’hectares par an. La part de forêts tropicales devrait tomber à zéro d’ici 40 ans ; un tiers des récifs coralliens a disparu depuis 1980, et la moitié des zones humides, primordiales pour le cycle de l’eau, a d’ores et déjà été détruite.
Dans ces conditions, la Terre pourrait présenter des limites à fournir les ressources nécessaires aux besoins d’une population croissante, d’où l’utilisation courante du terme de « surpopulation ».
Pour pallier à ce problème, les pays dits « développés » défendent l’assistance économique envers les pays pauvres, tout en les incitant à une maîtrise démographique – une solution leur permettant de ne pas remettre en question leurs propres modèles économiques, de conserver un certain niveau de consommation dans un monde plus contraint en ressources naturelles, et d’éviter la question des responsabilités historiques quant au changement climatique.
Comme le souligne l’ingénieur Emmanuel Pont, diviser la population mondiale par 2 n’entraînerait pas automatiquement la fermeture de 50 % des puits de pétrole du monde. Bien au contraire, il y a fort à parier que cette augmentation spectaculaire de la quantité d’énergie disponible par habitant nous amène à consommer d’autant plus. L’enjeu principal est donc bien plus philosophique et axiologique qu’économique : c’est tout notre rapport au monde qui doit être considérablement modifié, afin de considérer le siècle dernier, non pas comme un accélérateur de progrès, mais un accident de l’histoire humaine.
D’autre part, toujours selon l’ingénieur, l’hypothèse d’une instauration d’un contrôle des naissances (politique stricte de l’enfant unique) ne serait pas non plus une solution viable. En France par exemple, avec une telle politique, il faudrait attendre 2100 pour diviser la population par 2, une échelle de temps incompatible avec les objectifs climatiques actuels.
Au niveau mondial, les pays les plus riches continuent en effet d’émettre et de polluer le plus, avec presque 20 tonnes de CO2 relâchées dans l’atmosphère pour un Américain ou 8 tonnes pour un Européen. Alors que dans les régions les plus pauvres aux plus fortes dynamiques démographiques, les émissions sont drastiquement plus basses : 2 tonnes par habitant en Asie et 1 tonne par habitant en Afrique. Dans ces conditions, comment donner de quelconques directives quand un Européen pollue comme 4 Indiens ou 8 Africains et un Américain comme 10 Indiens ou 20 Africains ?
« L'exemplarité n'est pas une façon d'influencer les autres. C'est la seule. » - Albert Schweitzer, médecin, prix Nobel de la paix en 1952
Les pays avec un taux de fécondité supérieur à 3,1 enfants par femme représentent 3,5 % des émissions de CO2 de l’humanité pour 20 % de la population. À titre d’exemple, une grande partie des émissions du Nigeria vient de son industrie pétrolière, qui profite relativement peu au Nigérian moyen, mais plutôt à l’élite du pays, aux majors pétrolières et aux consommateurs occidentaux, de sorte que la croissance démographique du Nigeria ne changera pas beaucoup sa part dans les émissions carbone de l’humanité.
Un changement radical de modèle pour les pays riches
Alors faut-il voir la « surpopulation » comme la cause de tous nos futurs maux ? Pour l'astrophysicien Aurélien Barrau, la croissance démographique est un faux problème, derrière lequel se cache une organisation humaine dominée par des logiques d'accumulation et de croissance économique. Dans son exposé devant le Shift Project à Lyon, le 25 juin 2022, il expliquait ainsi :
« Au premier ordre, la croissance démographique en tant que telle n'est pas du tout le problème. Les 0,5 % les plus riches émettent plus de gaz à effet de serre que les 50 % les plus pauvres. […] Le réel problème réside dans notre axiologie actuelle, qui fait que nous maximisons systématiquement nos capacités à accumuler et à exploiter. […]
Si vous divisez la population mondiale par 2 sans diviser par 2 la quantité d'énergie disponible, cela n'aura strictement rien changé : nous continuerons d'utiliser tout l'espace et toutes les énergies disponibles. […] Pour moi, la démographie est un faux problème. Nous pourrions être beaucoup plus nombreux si l'on avait un autre rapport à la terre et à la vie. »
Il s’agit dans ce cas d’opérer un changement complet de modèle économique qui ne serait plus basé sur la croissance et la consommation, mais sur la préservation du vivant. Les efforts pèseraient sur les pays les plus riches adeptes du mantra de la croissance d’un produit intérieur brut, lui-même directement lié à la consommation d’énergie (aujourd’hui fossile à 80 % et donc émettrice de CO2), comme mis en évidence par Jean-Marc Jancovici. Et la démographie ne serait alors plus en cause.
Dans cette perspective, décarboner les systèmes énergétiques avec pour objectif de maintenir la consommation au même niveau qu’actuellement ne suffira pas. Que l’énergie soit carbonée ou décarbonée, produire autant voire plus pèsera toujours sur l’environnement, la réduction de la biodiversité, l’épuisement des ressources naturelles en s’accompagnant de toutes les menaces vitales pour l’humanité décrites précédemment.
La question de la faim dans le monde reste avant tout économique et politique, de sorte qu’il est considéré comme plus « rentable » de donner des céréales à nos animaux d’élevage ou à nos voitures que de les vendre aux populations souffrant de malnutrition. Reste le fait que nous gaspillons environ la moitié de tout ce que nous produisons, que ce soit au début de la chaîne avec les problèmes de conservation dans les pays pauvres, ou à la fin de la chaîne avec les produits consommables jetés dans les pays riches.
Une étude du Lancet apporte quelques pierres à l’édifice de la décorrélation entre croissance démographique et soutenabilité avec la proposition d’un régime alimentaire, adaptable par région du monde, en mesure de nourrir 10 milliards d’humains. Il permettrait de protéger la planète tout en améliorant la santé de milliards de personnes et en prévenant près de 11 millions de décès prématurés. Mais ce modèle ne peut exister sans une condition préalable : que les plus riches consentent à un changement radical des modes de production et de consommation, c'est-à-dire une réduction de la consommation et donc de la production de viande, un changement d’affectation des terres pour qu’elles deviennent des puits de carbone, une réduction du gaspillage alimentaire, des déchets, des rendements, et une facilitation de l’accès au régime alimentaire universel aux plus pauvres.
Cette solution reste certes complexe à mettre en œuvre et tient en la capacité à renoncer à accumuler et surexploiter l’environnement et les ressources à des fins de (sur)consommation.
Aujourd’hui, les jeunes générations semblent plus que jamais conscientes des enjeux écologiques de notre temps - de quoi espérer un tournant collectif majeur dans les années à venir dans l’intérêt de la préservation du vivant.
Annexes
Photo d'ouverture : DrCarrrven - @Shutterstock
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