C’est un constat au vitriol que dresse la Cour des comptes sur la gestion budgétaire du gouvernement Macron dans son récent rapport. Alors que les inégalités augmentent et que le financement de l’adaptation au réchauffement climatique devra aller croissant, la Cour des comptes alerte sur le creusement du déficit et de la dette, la baisse des recettes, et des estimations de croissance économique jugées optimistes. Avec un déficit public en hausse à un niveau record de 5,5 points de PIB tandis que ses principaux voisins parviennent à le contenir, le macronisme fait à nouveau la preuve de son échec.
Abonnement Élucid
Un déficit public qui s’ajoute aux précédents et qui fait franchir les 3 100 milliards d’euros à la dette publique, en augmentation de +900 milliards d’euros depuis l’arrivée de Emmanuel Macron au pouvoir. Cette situation est inquiétante à l’heure où la transition énergétique demande une augmentation des investissements de l’ordre de 60 milliards d’euros par an, tandis que l’inaction pourrait nous coûter bien plus cher. Et cette dette abyssale n’a même pas profité aux plus fragiles : tous les indicateurs d’inégalités sont au rouge et la France abrite encore plus de 9 millions de pauvres avec un taux de pauvreté plus haut que dans les années 1990...
Le verdict est clair : alors qu’Emmanuel Macron a jeté la France dans un chaos politique, les finances publiques sont dans une situation inquiétante. La Cour des comptes torpille la trajectoire budgétaire, qui s’appuie selon elle sur « des objectifs peu réalistes d’atteinte des 3 % de déficit en 2027 », et demande au gouvernement de « crédibiliser les objectifs pour 2024 ».
La Cour des comptes tire la sonnette d’alarme sur la gestion macroniste calamiteuse des finances publiques
En 2023, le déficit public s'est établi à un niveau record de 5,5 points de PIB, en hausse de +0,7 point par rapport à 2022. La France est bien loin des critères de Maastricht (3 % du PIB) et retrouve les niveaux de déficit des années 2011-2012 qui faisaient suite à la crise financière de 2008...
Pour le détail, le total des dépenses publiques hors intérêts est proche des 1 600 milliards d’euros pour un total des recettes d'environ 1 450 milliards d’euros. En monnaie sonnante et trébuchante, le déficit primaire (hors intérêts de la dette) s'élève donc à 104 milliards d’euros auxquels s’ajoutent 50 milliards d’euros d’intérêts de la dette, pour un déficit total de 154 milliards d’euros, soit 5,5 points de PIB.
Cerise sur le gâteau, il est plus élevé de 0,6 point que les prévisions du gouvernement Macron dans la loi de programmation des finances publiques (LPFP) de décembre 2023. Des prévisions publiées seulement trois mois avant la première évaluation de l’Insee, et alors que des alertes de dérapages du déficit étaient déjà connues du ministre du Budget. La situation avait fait douter le rapporteur général du budget au Sénat quant à la sincérité et l'honnêteté des prévisions gouvernementales.
Et la France tire mal son épingle du jeu dans la comparaison avec les principaux États européens. Alors que nos voisins – et même la moyenne des pays de la zone euro – stabilisent voire réduisent leur déficit, la France prend une trajectoire inverse.
C’est donc 154 Md€ de déficit qui viennent s’ajouter à la dette publique, qui atteint désormais 3 100 Md€ et excède de plus de 700 Md€ son niveau d’avant-crise Covid. Pour la Cour des comptes, il s’agit entre autres du résultat de la faible croissance des prélèvements obligatoires et d’une poursuite de baisses d’impôts pour plus de 10 Md€.
Et la situation n’est pas près de s'améliorer, le dernier (pacte de stabilité) 2024 a revu à la baisse la réduction du déficit public qui devrait demeurer supérieur à 5 points de PIB en 2024. La dette publique serait quant à elle en hausse de +1,7 point de PIB en 2024 et excéderait de près de 50 Md€ l’objectif de la LPFP...
Et la facture pourrait encore s’alourdir. Le rapport de la Cour des comptes pointe la fragilité de la projection du pacte de stabilité. En cause, des imprécisions sur les mesures envisagées, notamment sur la façon dont seront réalisées concrètement les économies affichées de 15 milliards d'euros.
Autre problème, le risque sur le projet de taxe sur les rentes, supposé rapporter 3 Md€ dès 2024, qui reste « dans l’attente d’une traduction législative qui devra de surcroît être conforme aux exigences constitutionnelles en matière de rétroactivité fiscale ». Pour la Cour des comptes, le constat est donc sans appel : « Aussi, après le dérapage de 2023, est-il impératif de crédibiliser les objectifs pour 2024 en dissipant le flou entourant les économies et les hausses de prélèvements qu’ils supposent ».
Également dans le viseur de la Cour des comptes, la trajectoire budgétaire d’atteinte des 3 % de déficit en 2027 qui semble peu réaliste, car s’appuyant sur des objectifs de croissance trop optimistes.
Concernant la dette, il est juste de parler d’une explosion de son montant. Équivalent à 20 % du PIB en 1970, la dette publique est passée par 58 % du PIB en 2007 et croît depuis lors jusqu’à atteindre plus de 110 % en 2023, soit 3 160 milliards d’euros. Entre 2007 et 2023, c’est 45 points de PIB d’endettement supplémentaire, soit 1 300 milliards d’euros en 2023. Pour l’OFCE, cette hausse est pour presque moitié due à l'augmentation de l’endettement lors des deux crises de 2008 et du Covid en 2020.
Plus récemment, entre 2016 et 2023, la dette publique a augmenté de 12,6 points de PIB. Pour l’OFCE, la responsabilité incombe au gouvernement Macron : « au total, depuis le début du premier mandat d’Emmanuel Macron, […], l’ensemble de mesures non prévues non financées aurait augmenté la dette publique de 5,1 points de PIB ».
Quant aux récentes baisses du ratio de la dette sur le PIB (depuis 2020), elles sont essentiellement dues à la forte inflation et à la « taxe inflationniste » associée, soit la dévalorisation des rentes du fait de l’inflation. Les politiques gouvernementales de rigueur et de contraction des dépenses, notamment sociales, n’ont eu qu’un effet marginal sur cet indicateur face au « rouleau compresseur » de l’inflation, comme l’exprimait déjà Keynes en 1919 :
« Par des procédés constants d'inflation, les Gouvernements peuvent confisquer d'une façon secrète et inaperçue une part notable de la richesse de leurs nationaux. » (extrait de La taxe inflationniste, le pouvoir d’achat, le taux d’épargne et le déficit public, François Geerolf – OFCE, Sciences Po, CEPR – juillet 2024)
La Cour des comptes n’est pas plus tendre avec l’objectif prévisionnel de dette du gouvernement pour 2027, qui s'élève à 112 %. Le rapport montre la fragilité ou l’optimisme de cette trajectoire en projetant plusieurs autres scénarios alternatifs.
Avec une croissance annuelle moyenne de 1 % – c’est-à-dire en dessous de la croissance potentielle de 1,35 % visée par le gouvernement – la dette publique équivaudra à 116 % du PIB en 2027, et non 112 % comme le projette le gouvernement. En ajoutant au scénario précédent l’hypothèse d’une stabilité fiscale – pas de hausse d’impôts – et d’un maintien de la tendance des dépenses à ce qu’elle était avant la crise – austérité, surtout pour les plus défavorisés – la dette pourrait s’envoler à plus de 119 % du PIB...
La crise écologique oubliée… malgré une situation critique
C’est dans ce contexte budgétaire dégradé que s’inscrivent les enjeux de financement liés au réchauffement climatique et à la transition énergétique. Conformément à l’Accord de Paris signé en 2015, la France s'est engagée à limiter l’augmentation de la température mondiale en dessous de +2 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Dans la mise en œuvre de l’objectif européen d'atteinte de la neutralité carbone d’ici à 2050, une étape intermédiaire de réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre de -55 % en 2030 par rapport à 1990 est planifiée. L’atteinte de ces objectifs passe par une « planification écologique » qui les décline par secteurs et identifie une partie des leviers mobilisables. L’Institut de l’Économie pour le Climat a calculé que le cap des 100 Md€ d’investissements climat a été franchi en 2022, montant qui doit atteindre 108 Md€ en 2023 (au total, c.-à-d. administrations publiques, entreprises, ménages).
Ce sont les ménages et les entreprises qui réalisent la majorité des investissements climat, les financements publics ont représenté un tiers des dépenses en 2022, soit 34 Md€. Dans ce contexte, les dernières estimations de besoins d’investissements additionnels s’établissent aujourd’hui entre 93 et 110 Md€ par an d’ici 2030. Un montant qui représente 2 points de PIB d’ici à 2030 (c’est un chiffre brut auquel il faut retrancher « des moindres investissements dans les alternatives carbonées et des mesures de sobriété », soit environ 35 Md€ selon le rapport Pisani-Ferry).
Or, la sortie des énergies fossiles induite par la transition énergétique va de pair avec une baisse des recettes des impôts assis sur ces énergies, et qui sont aujourd'hui de plus de 30 Md€. À l’horizon 2030, la perte de revenu est estimée à plus de 40 % (-14 Md€) et devrait être maximale et proche de 100 % en 2050. Un manque à gagner pour les finances de l’État qui ne serait que marginalement compensé par l'augmentation des recettes liées à la consommation d’électricité (+3 Md€ en 2050 à 13 Md€).
Dans l’ensemble, sauf révision des taux de prélèvement, les recettes de la fiscalité sur les énergies baisseraient donc de -70 % d’ici à 2050, soit une trentaine de milliards d’euros en moins, ce qui réduit d’autant les marges de financement par les administrations publiques. Même une hausse importante de la fiscalité du carbone ne pourrait garantir le financement de la lutte et de l’adaptation au réchauffement climatique.
Ces prévisions de réductions des recettes de l’État se font de plus sous l’effet négatif du réchauffement et de la transition sur la croissance économique. C’est ainsi un dixième de point de croissance en moins chaque année jusqu’en 2050 que la Cour des comptes anticipe. Un moindre mal cependant, car l’inaction climatique aboutirait à un réchauffement incontrôlé et se traduirait par des coûts très élevés, potentiellement de l’ordre d’une – voire plusieurs – dizaine de points de PIB d’ici la fin du siècle :
« Au total, les exercices de programmation climatique et budgétaire sont restés très largement étanches au cours des dernières années, le secrétariat général à la planification écologique estimant même que seule la moitié des besoins de financement de la planification écologique seraient couverts par la loi de programmation des finances publiques sur les années 2025-2027. »
Et la Cour d’ajouter qu’il faut que les prochains textes de loi financiers « intègrent les conséquences de cette stratégie de financement sur les finances publiques, ainsi que l’impact du réchauffement climatique et de la transition énergétique sur les hypothèses macroéconomiques sous-jacentes ».
Le macronisme a totalement laissé dériver les inégalités
Avec un niveau de dette record, la transition énergétique reste donc en grande partie à financer, et malheureusement, ce n’est pas aux plus fragiles que le creusement de l’endettement a profité.
C’est la dernière étude de l’Insee sur la pauvreté qui le rapporte : en 2022, presque 15 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. Stable depuis 2018, il se situe tout de même à un niveau parmi les plus élevés observés depuis le milieu des années 1990. Depuis cette époque, le taux de pauvreté s’inscrit dans une fourchette comprise entre 12,4 % et 14,5 %. En 2022, ce sont ainsi 28 000 personnes qui sont venues grossir les rangs des plus de 9 millions de personnes pauvres en France.
Signe d’une dégradation de la situation, l’intensité de la pauvreté, soit l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté, est sur les plus hauts depuis 1996. Avec une intensité de presque 20 % en 2022, la moitié des personnes pauvres a un niveau de vie inférieur à 980 euros par mois (20 % de moins que le seuil de pauvreté monétaire).
Et tous les indicateurs d’inégalités sont au rouge. L’indice de Gini a retrouvé en 2022 ses plus hauts niveaux depuis 1996 à 0,298 (plus il est élevé et plus les inégalités sont fortes), proche de celui observé en 2011. Les ratios interdéciles sont également alarmants. Les niveaux de vie des 20 % des personnes les plus riches représentent 4,4 fois ceux des 20 % les plus pauvres. Ici aussi, on parle de niveaux jamais atteints depuis 1996, si ce n’est suite à la crise financière de 2008, et le retour sur la tendance haussière des trois dernières décennies.
Quant au rapport entre le niveau de vie plancher des 10 % les plus aisés et le niveau de vie plafond des 10 % les plus modestes, il est de 3,38, stable et proche de sa moyenne historique. Consolation, c’est le seul indicateur qui n’est pas en augmentation tendancielle.
Cependant, une autre étude de l’Insee établit que la part des personnes en situation de privation matérielle et sociale (1) augmente en 2022 pour s’établir à 9 millions de personnes, soit 14 % de la population contre 13,4 % début 2020, avant la crise sanitaire. Elle atteint son plus haut niveau depuis 2013, la première année où elle a été mesurée.
Début 2022, 10 % des personnes vivent dans un ménage qui n’a pas les moyens financiers de chauffer correctement son logement, contre 5 à 7 % entre 2014 et 2021. Un constat à relier à la hausse des prix de l’énergie de l’hiver 2021-2022, et en particulier celle du fioul domestique, combustible de chauffage que les ménages vulnérables utilisent davantage que les autres.
Le risque de privation matérielle et sociale en France est à peine au niveau de la moyenne européenne. Les taux de privation matérielle et sociale varient fortement selon les pays. Ils se situent en dessous de 5 % au Luxembourg (pas ou peu de pauvres dans les paradis fiscaux de l’Union européenne), idem dans les pays scandinaves et certains pays de l’Est. À l’inverse, plus de 30 % des habitants de Roumanie et de Bulgarie sont en situation de privation matérielle et sociale.
Dans ce contexte, il est assez amusant d’entendre Bruno Le Maire – qui a été ministre de l'Économie pendant 7 ans – rappeler que « lors de sa nomination, sa priorité avait été de redresser les comptes publics en coupant dans les dépenses ». C’est pourtant lui qui a fait battre à la France des records de déficit public et d’endettement tout en maintenant, voire en accentuant, les niveaux de pauvreté et la précarité des plus défavorisés. Quant au financement de la lutte contre le réchauffement climatique, elle est renvoyée aux calendes grecques...
La Cour des comptes met en garde le prochain gouvernement sur la nécessité de redresser la barre. Pendant ce temps, le ministre de l’Économie naviguera probablement dans d’autres eaux, via une reconversion dans un établissement spécialisé dans la science et la technologie à… Lausanne en Suisse. Au-delà de l’ironie d’un ministre de l’Économie et des Finances français qui va pantoufler dans un paradis fiscal, le Canard enchaîné pointe une reconversion qui pourrait « sembler surprenante pour celui qui est tout sauf ingénieur »… et qui revendique presque fièrement n’avoir « jamais été doué en math »…
Ceci explique peut-être cela…
Photo d'ouverture : Le président français Emmanuel Macron attend l'arrivée du président israélien Isaac Herzog avant une réception pour les chefs d'État et de gouvernement avant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024 au palais présidentiel de l'Élysée à Paris, le 26 juillet 2024. (Photo Ludovic MARIN / AFP)
Cet article est gratuit grâce aux contributions des abonnés !
Pour nous soutenir et avoir accès à tous les contenus, c'est par ici :
S’abonner
Accès illimité au site à partir de 1€
Déjà abonné ? Connectez-vous
1 commentaire
Devenez abonné !
Vous souhaitez pouvoir commenter nos articles et échanger avec notre communauté de lecteurs ? Abonnez-vous pour accéder à cette fonctionnalité.
S'abonner