Surfant sur le fait que le taux de chômage est à son niveau de 1982, le gouvernement a lancé une opération de propagande pour tenter de convaincre les Français que le « plein-emploi » serait à portée de main. Nous avons déjà montré qu’il n’en était rien, car la situation est en fait bien moins rose que ce que montre une lecture trop rapide des chiffres. La hausse de l’emploi est néanmoins réelle, et il convient d’en comprendre les causes dans un climat économique pourtant difficile.

publié le 04/07/2023 Par Olivier Berruyer , Carla Costantini

En réalité, elle trouve son origine dans les politiques régressives du gouvernement (précarisation des salariés et des chômeurs, emplois non-salariés) et à des dépenses publiques colossales (apprentis, emplois aidés) orientées vers les entreprises qui les utilisent pour créer des emplois au rabais. À tel point que pour la première fois, la productivité horaire baisse, ce qui pose des problèmes aux entreprises, et va les conduire à rogner encore plus les salaires et augmenter leurs prix. Cette embellie macroniste de l’emploi, probablement passagère, va donc conduire à plus de précarité et moins de pouvoir d’achat.

Les chiffres officiels du chômage sont en décrue, et même si la situation est loin d’être aussi réjouissante que ce que proclame le gouvernement, c’est un fait.

Cette récente évolution positive de chômage correspond à une baisse d’environ 600 000 chômeurs depuis le début de 2019. Mais durant la même période, ce sont 1 700 000 emplois qui ont été créés, dont 1 300 000 d’emplois salariés. La différence de 1,1 million d’emplois correspond à une augmentation de la population active et du « halo du chômage », comme nous l’avons expliqué dans cet article.

La question est : quelles sont les raisons de cette surprenante hausse de l’emploi, alors que le climat économique est par ailleurs morose, et la croissance atone ? Connaissant les macronistes, il y a fort à parier que la propagande du gouvernement cache un loup. Il y en a même plusieurs…

La stabilisation de la population active

Quand on veut analyser l’évolution du taux de chômage, c’est-à-dire de la fraction de la population active au chômage, il convient de commencer par analyser l’évolution de ladite population active. En effet, elle est soumise chaque année aux conséquences des évolutions démographiques passées, la plus importante d’entre elles étant le baby-boom, dont on parle étrangement très peu.

Il a eu pour conséquence une forte augmentation de la population active entre 1970 et 2015, qui a, d’une part soutenu la croissance, mais qui a d’autre part causé de gros problèmes en termes d’emploi. Une économie comme la nôtre a en effet énormément du mal à créer les emplois nécessaires pour occuper 200 000 ou 300 000 travailleurs supplémentaires en une seule année.

Les différentes réformes des retraites ont évidemment joué un rôle important. Le passage de la retraite à 60 ans en 1983 a soulagé l’emploi (en accélérant les sorties de la population active), mais les réformes régressives depuis un quart de siècle ont prolongé les effets du baby-boom sur la population active (en retardant les sorties de la population active).

Si cet effet démographique de boom des naissances a été long, il a néanmoins été transitoire ; ses effets le sont donc aussi, et nous vivons depuis 2020 le crépuscule de ces effets. La population active croît désormais bien moins vite, et l’Insee anticipe une augmentation quasi nulle de la population active entre 2022 et 2025. Les fortes augmentations de la population active sont donc derrière nous, et la population active entamera même son inexorable déclin à partir de 2040. C’est autant de pression en moins sur le marché du travail, ce qui pousse le chômage à la baisse.

Cette très faible augmentation de la population active est également une des raisons des tensions actuelles sur le marché du travail, en raison de la difficulté à réaliser une bonne adéquation entre la demande des entreprises et l’offre du système éducatif qui n’est pas planifiée. Cela explique pourquoi on est dans une situation de baisse très limitée du chômage, mais de forte augmentation des difficultés de recrutement et d’emplois non pourvus. C’est un vrai problème pour l’économie, car désormais, dès que la formation ne va plus coller à la demande, il y aura des problèmes sur le marché du travail. Et ceci est très difficile à analyser et corriger.

L’explosion des emplois aidés

La deuxième explication de la forte hausse de l’emploi concerne les contrats en alternance. En effet, ces derniers ont plus que doublé depuis 2018. Une partie a remplacé des contrats de qualification, de sorte qu’au final, le nombre de contrats d’insertion des jeunes dans l’emploi a augmenté de plus de 400 000 en 5 ans.

On estime que ces contrats sont responsables du tiers de la baisse du chômage depuis 2018. Cette partie de la baisse a donc été largement financée sur fonds publics (jusqu’à 8 000 € par apprenti). La Cour des comptes – qui a dénoncé dans un récent rapport une réforme « non financée » qui a conduit à ce que « l’alternance [connaisse] une impasse financière » – a estimé que le coût pour l’État est passé de 2,7 Md€ en 2020 à 5,7 Md€, soit 3 Md€ d’aides en plus pour les entreprises pour ce seul poste.

Plus largement, si on prend en compte l’ensemble des emplois aidés par l’État, la hausse depuis 2018 est de 800 000 emplois, soit près de la moitié des emplois créés.

Ainsi, cette seule action gouvernementale sur les emplois aidés explique une large partie de la baisse du chômage, à la fois artificielle et largement financée par des fonds publics – donc par de la dette. Cette perfusion des entreprises par des fonds publics n’est évidemment ni saine ni durable.

La baisse historique de la productivité

Derrière la baisse actuelle du chômage, se cache également un grave problème pourtant très peu commenté. Loin d’être « normale », cette baisse a eu pour conséquence une chute de la productivité horaire, c’est-à-dire de la valeur ajoutée créée pour chaque heure travaillée. Historiquement, la productivité horaire a toujours été en augmentation, et ce pour de nombreuses raisons : mécanisation, développement de l’utilisation de combustibles fossiles, amélioration des processus, meilleure formation, montée en gamme de l’économie, etc.

La productivité est d’ordinaire très peu sensible à l’évolution du marché du travail. On le constate très bien en observant son évolution entre 1990 et 2008, période marquée par 2 explosions du chômage et 2 fortes baisses.

La productivité apparaît bien comme indépendante du marché du travail : elle ne fait qu’augmenter au même rythme, peu importe si le chômage augmente ou diminue. Cette configuration est assez logique : cela signifie simplement que les emplois créés ou détruits sont « comme les autres » et que tous génèrent la même productivité.

Depuis maintenant plusieurs années, la situation est très différente. Si la productivité horaire a stagné en 2017-2018 (causée par une hausse de la précarité de l’emploi et du sous-emploi), elle ne cesse de baisser depuis 2019, donc avant même la crise du Covid.

En y réfléchissant, on pouvait s’attendre à cette baisse de la productivité (plus ou moins égale au PIB créé par heure travaillée). En effet, le gouvernement se vante d’une forte baisse du chômage, osant même parler de façon grotesque d’un objectif de « plein emploi », mais « en même temps », on constate aussi que la croissance du PIB est faible. Cela veut donc dire qu’on travaille plus, mais que chaque nouvelle heure travaillée produit moins que les autres heures.

Ainsi, le secteur marchand non agricole (qui représente environ 80 % de l’économie) travaille environ 10 % d’heures en plus qu’en 2017, mais sa valeur ajoutée n’a augmenté que de 6 % (pour l’ensemble de l’économie, c’est respectivement + 7 % d’heures pour + 5 % de valeur ajoutée). Ceci montre bien qu’on travaille nettement plus, pour produire finalement pas beaucoup plus, et confirme donc que la productivité a nettement baissé. La croissance étant même désormais quasiment nulle, nous ne sommes plus très loin d’un « travailler plus pour produire moins ».

Cette productivité en baisse concerne la plupart des secteurs. Ce mouvement a commencé en 2017-2018, et la baisse se poursuit depuis à un rythme relativement régulier.

Il faut bien se rendre compte du caractère historique de cette baisse, qui ne s’était jamais produite en dehors des très brèves périodes de crise avec une explosion du chômage en 2009 et 2020. C’est en tout cas la première fois que la productivité baisse alors que le chômage recule.

On observe également bien la tendance à la baisse continue de la productivité depuis 1973 si on trace son évolution non plus sur un an, mais sur quatre ans, afin de gommer l’effet des cycles économiques de court terme.

C’est ce phénomène qui explique la baisse continue de la croissance du PIB. Celle-ci ne pouvait d’ailleurs pas perdurer très longtemps au vu des limites physiques de la Planète et des enjeux climatiques.

Productivité en baisse : pourquoi ?

Il y a plusieurs hypothèses pour expliquer cette diminution continue de la productivité depuis plusieurs trimestres.

1/ Vieillissement ? Télétravail ? Des pistes erronées !

Le premier groupe comprend les causes induisant une baisse de la productivité de la plupart des emplois.

Il y a en réalité peu de phénomènes pouvant impacter en quelques années cette productivité. Comme l’économie n’a guère été bouleversée de façon notable en quelques trimestres, cela ne pourrait venir que d’une modification de la productivité personnelle des salariés.

La première cause possible pourrait donc être d’ordre démographique : les évolutions causées par le baby-boom induisent en effet un vieillissement de la population active, qui a vieilli de 5 ans au cours des 40 dernières années, avec un impact sur la productivité.

Cependant, ce vieillissement est en très net ralentissement (on anticipe seulement un vieillissement supplémentaire d’un an dans les 40 prochaines années). Si ce phénomène joue évidemment un rôle dans le ralentissement historique de la productivité, il est actuellement bien trop limité et lent pour avoir eu un impact notable sur la productivité ces derniers trimestres.

Une seconde cause possible pourrait être le développement du télétravail. Mais la plupart des études montrent un effet positif sur la productivité, comme le dit la Banque de France : « Par l’accélération du recours au télétravail qu’elle a provoquée, la crise de la Covid-19 pourrait aboutir à terme à une augmentation durable de la croissance potentielle via une accélération de la productivité ». Ou encore l’Insee :

« Les entreprises françaises […] ayant eu davantage recours au télétravail en 2019 sont en moyenne plus productives. […] Un recours massif au télétravail sur le long terme pourrait correspondre à […] une amélioration de la productivité moyenne d’environ 10 % au niveau de l’ensemble de l’économie. »

De plus, le recours au télétravail reste encore limité, et le fait que pratiquement tous les secteurs soient touchés, et ce dès 2017, permet de conclure que le télétravail n’est pas responsable de la baisse de la productivité.

Les facteurs globaux à l’économie étant écartés, on peut donc en conclure que cette baisse a été causée par une productivité moyenne des nouveaux emplois créés très fortement inférieure à la moyenne de tous les autres emplois.

2/ Réformes néolibérales et nouveaux emplois précaires : l’origine du mal

Le second groupe comprend les causes induisant une baisse de la productivité des seuls emplois nouvellement créés. Ce phénomène résulte de la combinaison de deux facteurs : la création d’emplois intrinsèquement à faible valeur ajoutée et l’embauche ou le maintien en poste de travailleurs moins productifs que la moyenne.

Plusieurs causes ont produit ces effets. Les principaux sont le maintien en poste ou l’embauche de salariés moins productifs et surtout la création de nombreux emplois aidés, d’emplois non-salariés et d’emplois salariés « au rabais ». Analysons en détail ces différentes causes.

Des emplois pourvus par des salariés moins productifs

La crise du Covid et les réformes néolibérales ont conduit à l’embauche ou au maintien en poste de travailleurs moins productifs que la moyenne.

Nous avons montré dans cet article qu’une partie de la baisse du chômage était liée au fait que des entreprises avaient conservé, entre 2020 et 2022, des postes qui auraient dû être supprimés ou remplacés par crainte de ne pas pouvoir trouver de main-d’œuvre. Il y a donc eu beaucoup moins d’entrées à Pôle emploi durant cette période, et donc moins de fins de contrats.

Une autre cause concernant des salariés moins productifs est évidemment l’ensemble des réformes néolibérales du marché du travail, de la « loi El Khomri » de 2016 aux des réformes du droit du travail et du chômage suite à l’élection d’Emmanuel Macron.

Ces lois ont fortement dégradé les conditions de travail et d’indemnisation du chômage, poussant à la création d’emplois bien moins rémunérateurs, et à leur attribution à des personnes moins productives et ne disposant pas nécessairement des compétences nécessaires. C’était d’ailleurs bien le but proclamé de ces lois régressives que de tordre le bras des chômeurs pour les forcer à prendre des emplois dont personne ne voulait…

Des emplois à productivité plus faible

Cependant, la majeure partie de la baisse de la productivité n’est pas causée par des salariés moins productifs, mais par la création d’emplois moins productifs.

Il s'agit premièrement du développement des emplois aidés dont nous avons parlé précédemment. Comme un apprenti est évidemment bien moins productif qu’un adulte formé en CDI, et comme on a créé des centaines de milliers de ces postes, ceci a un impact fortement négatif sur la productivité. Une étude de la Dares a montré que la forte hausse du nombre des apprentis explique environ 20 % de sa baisse récente. Si on rajoute les autres emplois aidés, on a déjà expliqué environ 30 % de la baisse totale de la productivité.

L’explosion des emplois non-salariés

Derrière la faible productivité des emplois nouvellement créés se trouve également l’explosion de l’emploi non-salarié misérablement rémunéré. Comme on l’a vu précédemment, sur les 1 600 000 emplois créés en 4 ans, 400 000 sont des emplois de travailleurs non-salariés.

Ceci constitue une hausse remarquable, car si l’emploi salarié a augmenté de 5 % en 4 ans, l’emploi non-salarié a bondi de 13 %. L’emploi non-salarié augmente d’ailleurs chaque année depuis 2004, ce qui a mis fin à un demi-siècle de baisse continue du nombre de non-salariés en France, en raison de la modernisation de l’économie.

C’est une tendance profonde du néolibéralisme que de limiter au maximum le salariat, qui fait peser le risque de la volatilité de l’activité sur l’entreprise, pour le reporter sur les employés ou sur l’État.

Cette création d’emplois non-salariés a été effectuée par le biais des auto-entreprises : le nombre total de ces micro-entreprises a augmenté de +1 150 000 depuis début 2019, dont 450 000 qui ont généré un chiffre d’affaires.

La moitié de ces nouveaux emplois ont été créés dans seulement 4 secteurs : le conseil aux entreprises, les services à la personne, le BTP et le nettoyage. D’autres secteurs ont aussi fortement augmenté : certains se développent via une destruction du salariat (le BTP comme on l’a vu, l’industrie, le commerce) quand d’autres prospèrent plutôt sur les décombres des services publics (l’enseignement, la santé, les livraisons de colis ou les transports).

En détruisant le salariat, le néolibéralisme développe donc l’insécurité de l’emploi et la précarité. Beaucoup d’auto-entrepreneurs n’arrivent pas à trouver des clients, et la plupart de ceux qui en trouvent touchent des rémunérations de misère : le revenu moyen d’un entrepreneur actif était de moins de 600 € en 2017 (l’Insee ne juge apparemment pas prioritaire d’actualiser ces données).

Il est donc bien évident que le développement de centaines de milliers de tels emplois de misère ne peut qu’avoir un effet négatif sur la productivité moyenne.

Les 800 000 emplois aidés et les 400 000 emplois non-salariés créés en 4 ans représentent 70 % de la création totale d’emplois de la période. Ainsi, en 4 ans, seuls 500 000 emplois salariés non aidés ont été créés, soit à peine 10 000 par mois. Et beaucoup d’entre eux sont des emplois au rabais…

Des centaines de milliers d’emplois salariés au rabais

Derrière la faible productivité des emplois nouvellement créés se trouve enfin le développement d’emplois salariés au rabais. Car si l’emploi non-salarié a augmenté de 400 000 postes en 4 ans, l’emploi salarié a quant à lui augmenté de 1 300 000 postes. Une analyse approfondie montre que 70 % l’ont été dans les services marchands, dont 25 % dans les services administratifs et de contrôle des entreprises, donc dans la bureaucratie privée.

Le secteur qui a créé le plus d’emploi sur cette période de 4 ans a été le commerce, suivi des services administratifs et de conseil, et la construction.

Le climat économique étant de plus en plus morose, ce classement est d’ailleurs bouleversé si on s’intéresse aux seuls 350 000 emplois créés depuis 1 an. Les restaurants et hôtels sont alors en tête, avec 60 000 emplois créés (soit près de 20 % du total de la période), l’informatique arrivant en 3e position. La construction n’embauche plus guère, en raison de la crise immobilière qui se développe.

On comprend alors mieux ces reportages sur ces restaurateurs qui ne trouvent pas de salariés. Contrairement à la petite musique des chaînes d’information laissant à penser que c’est à cause de « chômeurs fainéants », c’est en réalité parce que ce secteur en forte croissance (sans doute en réaction aux confinements de la période Covid) vient de créer plus de 200 000 emplois en 4 ans, et qu’il n’y a tout simplement plus assez de personnes formées pour alimenter ce secteur. Les infirmières en burn-out ayant quitté l’hôpital ne vont pas se reconvertir pour faire la plonge à 40 km de chez elles...

Au final, il apparaît que beaucoup des emplois créés l’ont été dans des secteurs à faible ou moyenne valeur ajoutée, et probablement dans les activités les moins productives de ces secteurs. Ces emplois « au rabais » ont donc également contribué à pousser la productivité nationale à la baisse.

Un pouvoir d’achat en berne

Pour illustrer le fait que la politique du gouvernement a créé des « sous-emplois », bien moins productifs que les autres, il faut analyser l’évolution des salaires de base. Au vu de la baisse de productivité, ils devraient logiquement diminuer en raison de cette descente en gamme des emplois créés.

Cependant, en raison de la poussée d’inflation, ces salaires n’ont pas diminué en valeur absolue. Mais cette baisse des salaires est en réalité bien présente car, comme les salaires ont bien moins augmenté que l’inflation, ils ont donc diminué en valeur relative.

Les salaires réels (c’est-à-dire corrigés de l’inflation) de base ont ainsi diminué entre 2 % et 3 % en 2022, et ce dans tous les secteurs.

L’évolution à la baisse des salaires réels est donc bien cohérente avec la baisse de la productivité.

La baisse du chômage façon Macron : un sérieux problème pour l’économie

Derrière un nombre de créations d’emplois présenté comme historique, on découvre que leur mauvaise qualité l’est tout autant, et qu’elle a conduit pour la première fois à une baisse de la productivité horaire en France. Or, ceci génère un sérieux problème pour l’économie.

Rappelons comment fonctionne basiquement une entreprise. Elle vend sa production, et l’argent récolté lui permet de payer ses fournisseurs pour ses consommations intermédiaires (matières premières, énergie, etc.). Ce qui lui reste est appelé valeur ajoutée (VA), et c’est la somme de ces VA qui constitue le fameux PIB (à quelques ajustements près). L’entreprise utilise alors cette VA pour payer ses salariés (ce qui soutient donc l’emploi), et le solde final constitue le profit d’exploitation.

Si on analyse l’évolution de ces postes depuis 2019, il apparaît que la plupart des secteurs d’activité ont vu l’emploi augmenter bien plus que la valeur ajoutée, qui sert à le financer. Ainsi, alors que la production nationale a augmenté de 4 % (l’inflation est déjà déduite dans ces calculs), la valeur ajoutée n’a augmenté que d’un peu plus de 2 %, car les consommations intermédiaires ont augmenté de 6 % en raison de l’inflation. Pourtant, on constate que dans le même temps, l’emploi a augmenté de 6 %. Sur l’ensemble du secteur marchand non agricole, l’écart entre l’augmentation de la VA et de l’emploi atteint même 5 points de pourcentage. C’est considérable.

Ceci n’est possible que par la création d’emplois à faible valeur ajoutée et faible rémunération. Une partie de ceux-ci ne servent qu’à compenser la perte de productivité (c’est-à-dire à produire comme avant, mais avec plus de bras). On peut penser aussi qu’au vu des problèmes d’approvisionnement liés à la démondialisation, une autre partie a pu servir à relocaliser certaines activités à faible valeur ajoutée, ce qui est très bon pour notre souveraineté et l’emploi, mais qui l’est moins pour les salaires (orientés alors à la baisse) et l’inflation (orientée à la hausse).

Mais quoi qu’il en soit, au final, cette baisse de productivité a pour effet de faire baisser les profits. On a beaucoup entendu que l’inflation avait été largement soutenue par la hausse des profits. Ce qui est vrai : en moyenne, le taux de marge des entreprises (rapport entre le profit d’exploitation et la valeur ajoutée) a augmenté ces derniers trimestres. Mais les grands médias n’ont pas expliqué qu’il y avait une énorme différence entre les secteurs, notamment parce que les inégalités ont aussi explosé entre les entreprises.

L’inflation de 2022 a entraîné une explosion de la marge (et donc des profits) des secteurs de l’énergie, du transport et de l’industrie agro-alimentaire. Elles ont augmenté le prix de leurs produits bien plus que n’ont augmenté leurs coûts. Ce sont clairement des profiteurs d’inflation. Mais ils ne représentent ensemble qu’environ 10 % de l’économie.

75 % de l’économie est représenté par des entreprises – les services, marchands et non marchands – qui subissent une forte baisse de leurs marges. Cela signifie que les surprofits de 10 % des entreprises sont ainsi du même ordre que la baisse de profits de 75 % des entreprises ; c’est à cause de ces inégalités que la moyenne évolue peu.

Il ne reste alors à ces entreprises que quelques grandes possibilités pour compenser la baisse de leur profitabilité : obtenir encore plus d’aides de l’État (mais les contraintes budgétaires vont rapidement fermer cette voie, et les aides vont même se tarir), limiter au maximum les hausses de salaire (ce qui va donc faire baisser les salaires réels et le pouvoir d’achat), réduire l’emploi et les investissements, et bien sûr augmenter les prix, pour augmenter la valeur ajoutée. Les mois qui viennent vont donc être très difficiles pour le pouvoir d’achat.

En Marche ! Vers la pauvreté

En conclusion, il apparaît que « la marche vers le plein-emploi » que tente de vendre le gouvernement aux Français avec la complicité de l’appareil médiatique est une vaste chimère. Les Français ne sont pas dupes et ils constatent bien qu’il reste 6 millions d’inscrits à Pôle emploi, et que leur pouvoir d’achat souffre comme jamais.

La méthode macroniste a été relativement simple : un quart d’apprentis à 800 € par mois, un quart d’autres emplois aidés, un quart d’auto-entrepreneurs à 600 € par mois et un dernier quart d’emploi privés souvent « au rabais ». L’amélioration de la situation de l’emploi, réelle, n’est pas « naturelle » ; elle est la conséquence d’une part des dépenses faramineuses du gouvernement, qui subventionne encore plus les entreprises en empruntant de l’argent, et d’autre part de ses réformes régressives socialement, tant au niveau de l’indemnisation du chômage que de la sortie de centaines de milliers de personnes de la sécurité du salariat.

Pire, bien loin d’être un gros soulagement pour l’économie, cette politique crée à l’évidence plus de problèmes qu’elle n’en résout. Son coût pour les finances publiques est prohibitif. Mais qu’attendre d’un gouvernement qui donne 3 milliards d’euros à une entreprise privée pour créer 1  000 emplois (3 millions d’euros par emploi) ? Son coût social est très douloureux, en raison de la dégradation des conditions de travail, alors que le nombre de chômeurs de longue durée a à peine diminué.

Le pire est probablement que les emplois créés sont de moins bonne qualité, ce qui entraîne une baisse historique de la productivité du travail, dont les conséquences vont se faire sentir dans les prochains trimestres. La plupart des entreprises vont ainsi tenter de compenser la perte de profitabilité en compressant les salaires, en supprimant les activités les moins rentables pour diminuer les effectifs et en augmentant leurs prix, ce qui va peser encore plus sur le pouvoir d’achat.

Et comme le gouvernement ne va pas pouvoir continuer à s’endetter pour payer des dépenses courantes peu productives, il est à craindre que le chômage reprenne prochainement sa hausse. En résumé, le « plein-emploi macroniste », c’est « Un emploi pour tous – et la misère pour beaucoup ! ».