L’Allemagne et l’Angleterre ont été différemment frappées par la crise de 2008 puis celle du Covid. Le retour de l’inflation et la crise des prix énergétiques ont compromis le rétablissement économique de ces pays. Si l'on regarde par habitant, les deux pays sont en décroissance depuis déjà deux ans. Si l’Angleterre montre des signes de reprise, modérée, en 2024, le cas de l’Allemagne est nettement plus inquiétant pour l’avenir de la zone euro.

1- Allemagne : une économie pétrifiée
2- Un PIB par habitant impacté par l'immigration
3- Une croissance qui ralentit moins qu'ailleurs
4- Royaume-Uni : un Brexit pas si problématique
5- Une évolution similaire du PIB et du PIB/hab
6- Une croissance en atterrissage depuis 50 ans
Élucid vous propose cet été une série d’analyses économiques sur les économies des grands pays d’Europe et des Brics.
En Allemagne, une économie pétrifiée depuis la crise de 2022
En Allemagne, l’observation du Produit Intérieur Brut (le fameux PIB, c’est-à-dire, en simplifiant, la valeur de ce que le pays a réellement produit) montre clairement la robustesse de l'économie germanique qui a beaucoup moins souffert des différentes crises depuis un demi-siècle. Elle montre toutefois des signes d’étouffement depuis deux ans, en raison de la crise des coûts énergétiques générés depuis la guerre en Ukraine.


Le PIB allemand du premier trimestre 2024 est très proche de son plus haut historique. La crise économique de 2020 a été de moindre ampleur que dans beaucoup de pays européens. La situation s’est normalisée en 2021 et l’économie s’est remise à croître. La crise de 2022 a alors durablement frappé le pays, qui était très dépendant au gaz russe à bon marché : son PIB n’augmente plus depuis lors.


Si l'on s’intéresse à la croissance du PIB allemand (c’est-à-dire à la valeur de sa hausse ou de sa baisse), le pays n’a connu qu’une récession de -4 % en 2020, rapidement compensée en 2021. En 2023, la croissance a chuté, se transformant en une légère décroissance de -0,2 %. En 2024, la croissance devrait rester atone, les prévisions tournant autour de +0,3 %.


Hors crise, depuis une dizaine d’années, la croissance allemande fluctue donc entre +1 % et +3 % par an.


L’analyse des contributions sectorielles à la croissance au cours des dernières années révèle que la croissance allemande est largement entretenue par la consommation et l’investissement. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le commerce extérieur a une contribution assez faible en moyenne, mais très importante depuis la mi-2022. C’est lié à un effet du mode de calcul du PIB ; en réalité, les exportations allemandes reculent fortement (-3 %), mais les importations reculent encore plus fortement (de -4 % à -5 %).


Un PIB par habitant pénalisé par l’explosion de l’immigration en Allemagne
Le recours au PIB trimestriel par habitant permet de mieux analyser l’évolution du niveau de vie moyen. Il est en effet important de tenir compte de la croissance démographique : si le PIB augmente de +1 % et que la population augmente de +2 %, la richesse par habitant baisse en réalité de -1 %. Cet indicateur est donc beaucoup plus pertinent pour apprécier la croissance réelle d’une économie.
L’Allemagne, pourtant en déclin démographique naturel, a connu deux chocs démographiques importants en 2015 et 2022, lorsque le pays a ouvert en grand les vannes de l’immigration, turco-syrienne d’abord puis ukrainienne ensuite. À chaque fois, cela a permis de faire cesser le déclin démographique : la population a même augmenté à un rythme de plus de 1 % par an.
Si le solde naturel (c’est-à-dire les naissances moins les décès), s’établit à -300 000 habitants chaque année, le solde migratoire des deux années s’est élevé respectivement à + 1 million et +1,5 million d’immigrés (à titre de comparaison, il est seulement de + 170 000 en France).


La prise en compte du facteur démographique change donc les choses : après la crise de 2020, il a fallu deux ans au PIB allemand par habitant pour retrouver son niveau d’avant crise, mais il ne cesse de diminuer depuis lors. La production par habitant est donc désormais inférieure à celle de 2019, et elle se situe même au niveau de celle de 2017. La situation semble grave pour le moteur économique de l’Europe.


Sur le temps long, comme dans beaucoup de pays occidentaux, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant en Allemagne s’est essoufflée depuis 15 ans, peinant à dépasser les 2 %. Cela fait deux ans que le PIB par habitant est en décroissance ; il est actuellement à -0,6 %.


Cependant, l’économie allemande superforme nettement par rapport à celle de la France depuis 2010, ce qui n’était pas le cas durant la décennie précédente.


Depuis les années 1960, une croissance qui ralentit moins qu’ailleurs
Pour prendre du recul sur la dynamique de croissance allemande, on peut observer la croissance décennale depuis les années 1960. On remarque que le phénomène des Trente Glorieuses a pris fin avec les crises des années 1970, mais que depuis les années 1980, la croissance moyenne a diminué moins qu’ailleurs, en particulier en raison du rebond des années 2010, décennie portée par la mondialisation et boostée par l’euro, qui a largement bénéficié à l'Allemagne.


La baisse constatée depuis les années 1970 est liée à différents facteurs. En particulier, les Trente Glorieuses ont été induites par la forte mécanisation du pays et l’introduction de techniques ayant fait exploser la productivité. Mais il est désormais de plus en plus dur de continuer à l’augmenter.
Sur le temps très long, cet affaiblissement progressif de la croissance du PIB par habitant se vérifie : il faut remonter jusqu’aux années 1890 pour retrouver une croissance du PIB par habitant aussi faible sur l’ensemble d’une décennie.


À l’échelle d’une vie humaine, on a l’impression qu’on vit une « panne » de la croissance, et donc les responsables politiques baratinent sans cesse la population, promettant le « retour de la croissance » pour peu qu’on les élise. Bien entendu, ceci n’arrive jamais, pour la bonne raison que la croissance a retrouvé son très bas niveau historique. « L’anomalie », c’était les Trente Glorieuses.
Royaume-Uni : un Brexit pas si problématique
Le Royaume-Uni a connu une évolution économique globale assez proche de celle de la France.


L'économie britannique a subi une très grave crise en 2020 ; la baisse trimestrielle du PIB a été 6 points supérieure à celle de la France. Cela a laissé des traces, et l’économie stagne à son niveau de 2019 depuis maintenant deux ans.


Cette situation récente la rapproche plus de l’Allemagne que de la France, dont la croissance se poursuit depuis 2022.


Mais ne nous y trompons pas : la « bonne santé » apparente de l’économie française par rapport à ses grands voisins est simplement due au fait que le gouvernement Macron l’a shootée démesurément à l’argent public (et donc à la dette). Comme les injections « d’argent magique » vont très prochainement diminuer assez drastiquement, il est probable que l’économie française cesse sa croissance fictive au cours des prochains trimestres.
Au Royaume-Uni, la croissance de 2022 a donc très fortement ralenti pour atteindre +0,1 % en 2023. Cette année, la croissance devrait repartir légèrement, les prévisions tournant autour de +0,6 %.


Hors crise, la croissance britannique fluctue globalement entre +1 % et +3 % par an depuis une dizaine d’années.


Au niveau des contributions sectorielles, la croissance britannique est en général entretenue par la consommation des ménages. Le commerce extérieur a en moyenne une faible contribution, ce qui est peu étonnant pour un pays aussi désindustrialisé.


Une évolution du PIB par habitant proche de celle du PIB
Depuis de nombreuses décennies, le Royaume-Uni disposait comme la France d’une démographie robuste. Elle se maintient outre-Manche, avec une croissance de +0,8 % à désormais +1 % par an. Si le solde naturel a fondu depuis 2020, l’immigration reste en général soutenue, et le pays a accueilli près de 1 million d’immigrés ces 2 dernières années.


En conséquence, le PIB par habitant du Royaume-Uni n’a pas cessé de diminuer depuis le début de 2022.


Sur le temps long, comme dans beaucoup de pays occidentaux, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant au Royaume-Uni (hors crise) s’est plutôt maintenue depuis 20 ans, se situant entre +1 à +2 %. Mais depuis la crise de 2022, ce PIB par habitant décroît, au rythme de -1 % par an. Nous verrons au cours des prochaines années si ce mouvement s'avère durable ou pas.


Sur longue période, l’économie du Royaume-Uni a une évolution très proche de celle de la France depuis la crise de 2008. Elle connait ses propres problèmes, mais il est assez trompeur de tout attribuer au Brexit.


Depuis 50 ans, une croissance anglaise en atterrissage
Sur le temps long, on s’aperçoit que la croissance britannique a connu une sorte d’atterrissage progressif depuis ses niveaux des Trente Glorieuses (moins hauts qu’ailleurs), passant de +3 % à +1 %.


Au final, la croissance du PIB par habitant du Royaume-Uni est retombée à un niveau plus classique (depuis deux siècles, ce pays ayant été le cœur de la Révolution industrielle).


Tout ceci serait sans doute de bon augure pour la Planète. Mais pour que cela soit également bon pour les citoyens, il conviendrait de réorganiser en profondeur l’économie, afin de conserver notre prospérité avec une croissance bien plus faible que par le passé.