Depuis le début des années 2000, le montant des réserves de change mondiales a explosé avec le décollage de la mondialisation. Les réserves de la Chine, devenue l’usine du monde, sont désormais les premières du monde, avec près du tiers du total, symbolisant le basculement progressif du monde de l’Occident vers l’Asie. Les choses sont cependant en train de changer, avec une économie chinoise qui tente de rééquilibrer vers plus de consommation intérieure (mais dont les excédents ont explosé en 2024), et un début de dédollarisation du monde, dont l’ampleur va jouer un rôle colossal dans les prochaines décennies. Analyse.

1- Une explosion des réserves avec la mondialisation
2- La Chine renoue avec les déséquilibres
3- Le dollar, une hégémonie en déclin
4- L'échec lamentable de l'euro comme devise internationale
5- La dédollarisation a commencé
Ce qu'il faut retenir
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.
Les réserves de change d’une banque centrale sont constituées par ses avoirs en devises étrangères et en or (ces derniers sont devenus marginaux, environ 1 500 Md$, soit 12 % du total des réserves). Afin qu’elles rapportent un intérêt, ces réserves sont généralement placées en obligations du Trésor d'États étrangers. Elles sont généralement issues des excédents commerciaux du pays envers une zone monétaire.
Par exemple, une entreprise française vend un produit aux États-Unis et reçoit 100 $. Sa banque française les échange auprès de la banque de France contre 90 € qui arrivent sur le compte de l’entreprise. Les 100 $ figurent en contrepartie dans les réserves de change françaises.
Ces réserves fluctuent donc avec le taux de change. Elles servent à la banque centrale pour rassurer les marchés financiers et pour réguler le taux de change de la monnaie nationale en cas de besoin. C’est en quelque sorte l’épargne de la banque centrale, dont le niveau reflète l’état de son commerce extérieur.
Une explosion des réserves de change avec la mondialisation
Sur longue période, on remarque une explosion des réserves de change à partir des années 2000, passées de 1 800 Md$ en 1999 à plus de 14 000 Md$ en 2024.


Les réserves ont donc été multipliées par 7 en un peu plus d'une vingtaine d'années. Cette forte hausse est principalement due au développement de la mondialisation.


Cependant, l’année 2022 a constitué un véritable tournant avec une forte baisse des réserves, de 1 000 Md$ sur l’année (-8 %). Jamais une baisse aussi forte et rapide n’avait eu lieu auparavant, en raison de la grave crise liée à la guerre en Ukraine.
L’année 2023 a été mitigée, avec un rebond au premier semestre, annulé à la fin de l’année en raison d'un retournement de conjoncture. L’année 2024 a vu un fort rebond qui a annulé les baisses des années précédentes.


Tous les grands pays ont connu une baisse de leurs réserves de change en 2022, preuve de l’importance de la déstabilisation occasionnée par la guerre en Ukraine. Le rebond de 2024 a essentiellement concerné une hausse des réserves de la zone euro ; les exportations de la zone se sont maintenues alors que les importations ont baissé en raison de la crise qui se développe actuellement (cela concerne particulièrement l’Allemagne et la France).


Point inquiétant pour 2025, le dernier trimestre 2024 a vu une forte baisse des réserves, du niveau de milieu 2022. Cela fait craindre que des problèmes économiques se développent davantage dans le monde cette année.


La Chine renoue avec les déséquilibres
Rappelons qu’en 1997, les pays d’Asie du Sud-Est ont connu une énorme crise de balance des paiements et de change, à la suite de la brutale fuite des capitaux spéculatifs, qui y avaient été attirés quelques années auparavant par des perspectives de profits spectaculaires. À titre d’exemple, le baht thaïlandais avait rapidement perdu 45 % de sa valeur par rapport au dollar, ce qui a déstabilisé fortement l’économie du pays à cette époque.
Insatisfaits des politiques du FMI, les dix pays membres de l’ASEAN (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), la Chine, la Corée du Sud et le Japon (« ASEAN+3 ») se sont alors coordonnés dans le domaine monétaire et financier, afin d’établir une certaine stabilité. Ils ont décidé d’amasser des réserves de change pour se prémunir contre ce type de crise. Le résultat, bien aidé par la mondialisation, a été spectaculaire : ces pays possèdent désormais près de la moitié des réserves de change mondiales.


Avec 27 % du total mondial, la Chine est devenue le poids lourd des réserves de change. Il faut toutefois noter que si la hausse de ses réserves a longtemps été spectaculaire, celle-ci s’est arrêtée au pic de 2014.


Les réserves de la Chine ont fortement décru jusqu’en 2016, se sont stabilisées durant 5 ans, ont nettement baissé en 2022 puis ont compensé cette baisse en 2023 et 2024. Dans notre analyse de la détention de la dette américaine, nous avons d’ailleurs montré que la Chine se débarrasse continuellement de la dette américaine qu’elle détient au titre de ces réserves.


Il peut sembler étrange que la Chine n’accumule plus de réserves depuis bientôt 10 ans, alors que son solde commercial (échange de biens) reste florissant. En effet, le commerce des biens se porte très bien pour la Chine, la crise du Covid lui ayant permis de retrouver les niveaux élevés de 2010-2014.
2024 a même été une année de très fort excédent commercial, qui renoue avec les records de 2015-2016.
Le paradoxe n’est qu’apparent, car les réserves ne dépendent pas que du solde commercial (c’est-à-dire les exportations moins les importations de biens), mais aussi de l’ensemble des flux financiers. Il faut donc s’intéresser plutôt à la partie principale de la balance des paiements de la Chine, soit la balance des transactions courantes, qui ajoute le solde commercial, le solde des services et celui des transferts de revenus.


Les soldes des échanges de services et des transferts de revenus restent assez faibles, à l’exception de deux postes. Le premier est le solde du tourisme (classé dans les services) dont le déficit n’a cessé de croître en Chine entre 2010 et 2019, à tel point qu’il a fini par rapprocher de plus en plus la Chine de l’équilibre des transactions. Ceci a été causé par la croissance du tourisme, les Chinois se rendant de plus en plus à l’étranger grâce à la hausse des revenus générés par le développement du pays. Le mouvement s’est brutalement retourné depuis la crise du Covid, le déficit ayant diminué de 50 %.
Le deuxième poste est celui des dividendes versés à l’étranger (classé dans les transferts de revenus), dont le déficit reste proche du record historique de 1 % du PIB.
En conséquence, le solde de la balance des transactions courantes, après avoir diminué entre 2015 et 2019, a retrouvé des niveaux élevés. Mais la Chine a profité de ces fortes rentrées d’argent pour investir énormément à l’étranger ces dernières années, d’où la hausse limitée, au final, de ses réserves de change depuis 2020.
Enfin, rappelons également que la Chine développe ses échanges en yuans. Dès lors, ces excédents commerciaux en yuans n’augmentent pas ses réserves de change, ce qui contribue au déphasage observé entre les excédents commerciaux et les réserves de change.
Le dollar, une hégémonie en déclin
L’évolution générale des réserves en devises (sans l’or, donc) est logiquement très proche de celle des réserves totales, avec un pic en 2021, suivi d’une baisse depuis 2022.


Si on observe la part de chaque monnaie dans les réserves connues, on constate que le dollar reste de loin la première monnaie de réserve mondiale. Cependant, sa part a baissé quasiment continûment depuis 2000, passant de 70 % à 60 % des réserves de change mondiales.


Au niveau des mouvements récents, la part du dollar dans les réserves a clairement tendance à s’éroder.


L’échec lamentable de l’euro comme devise internationale
Depuis sa création en 1999, la part de l’euro n’a que très légèrement augmenté dans les réserves de change mondiales, passant en un quart de siècle de 18 % à 21 % des réserves. Cependant, en 1995, les seuls mark, franc et écu (ancêtre lointain de l’euro) représentaient 27 % des réserves mondiales, sans la quinzaine d’autres monnaies constituant aujourd’hui la monnaie européenne.
La part actuelle de l’euro dans les réserves de change mondiales est donc nettement inférieure à celle de l’écu, du franc et du mark en 1995, et cette part ne cesse de décliner depuis 2010. Là encore, les promesses de 1992 vantant l’euro comme « la monnaie du XXIe siècle qui va éclipser le dollar » n’étaient que les chimères d’une propagande malhonnête...


La dédollarisation a commencé
Plus largement, si on s’intéresse non plus aux réserves mais à l’ensemble des transactions de change, on observe une érosion continue de la part de l’euro, passé de 20 % à 15 % des transactions mondiales. Surtout, la part du dollar dans les transactions est restée relativement stable depuis une trentaine d’années. La hausse du poids du yuan (Chine) s’est faite au détriment d’autres monnaies, dont le yen (Japon).


Les années 2022-2023 marquent cependant un tournant majeur : les choses sont en train de changer avec un net mouvement de dédollarisation entamé par les BRICS.
La Chine ambitionne de renforcer le statut de devise internationale du yuan dans les prochaines décennies. Elle encourage pour cela l'utilisation du yuan pour régler les transactions transfrontalières. Ainsi, en 2023, pour la première fois, le yuan a été plus utilisé que le dollar dans les transactions transfrontalières de la Chine, et la monnaie chinoise dépasse depuis lors celle des États-Unis.


Les prochaines années indiqueront s’il s’agit d’un mouvement massif, symbole d’un nouvel ordre monétaire international, ou s’il restera modeste.
Ce qu'il faut retenir
Les réserves de change d’une banque centrale sont un bon indicateur de sa puissance commerciale. Sans surprise, les réserves de la Chine ont explosé dans les années 2000 avec sa transformation en usine du monde. Mais c’est bien l’ensemble des réserves mondiales qui ont crû en raison du développement des échanges internationaux.
Le choc économique de 2022 a eu un très fort impact sur les réserves mondiales, les faisant reculer d’un montant record de plus de 1 000 Md$. Un net rebond a eu lieu en 2023-2024, mais la situation s’est de nouveau dégradée à la fin 2024 en raison de la détérioration de la conjoncture mondiale.
La Chine est également frappée par le retournement économique ; depuis plusieurs années, elle tente de développer son marché intérieur pour être moins dépendante de l’étranger. La baisse de son utilisation du dollar est un pas dans l’affirmation de sa souveraineté, et ce mouvement s’inscrit dans un début de dédollarisation du monde. Il est encore d’une ampleur limitée, mais est probablement voué à se développer dans les prochaines décennies, ce qui aura de lourdes conséquences économiques et géopolitiques sur notre monde.
Cette analyse graphique originale d'Olivier Berruyer pour Élucid est une mise à jour de notre suivi régulier et actualisé des grands indicateurs économiques.