« Après Gaza, Israël sera
 un État paria et génocidaire » - Chris Hedges

Si rien ne bouge sérieusement à l'échelle internationale, Israël pourrait très bien apparaître triomphant à la fin de sa campagne génocidaire à Gaza et en Cisjordanie. Mais les États coloniaux ont une durée de vie limitée, et Israël ne fait pas exception...

Article Démocratie
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publié le 08/01/2024 Par Chris Hedges
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Si rien ne bouge sérieusement à l'échelle internationale, Israël pourrait très bien apparaître triomphant à la fin de sa campagne génocidaire à Gaza et en Cisjordanie. Soutenu par les États-Unis, il dispose de tous les moyens militaires pour atteindre son objectif dément. Ses déchaînements meurtriers et sa violence génocidaire auront accompli le nettoyage ethnique des Palestiniens. Son rêve de création d'un État exclusivement juif – où tous les Palestiniens encore présents (vivants) seraient privés de leurs droits fondamentaux – pourrait alors devenir réalité. Israël se félicitera de sa victoire obtenue dans un bain de sang. Il célèbrera ses criminels de guerre. Son génocide sera gommé de la mémoire collective et jeté dans l'immense trou de l'amnésie historique d'Israël. Et ceux qui en Israël voudront dénoncer ces abominations seront réduits au silence et persécutés.

Cependant, il me semble qu'une fois arrivé dans une telle situation, une fois qu'Israël aura réussi à décimer Gaza – on parle de plusieurs mois de guerre – le pays aura probablement signé sa propre condamnation à mort. Pourquoi ? Parce que son image de moralité, son prétendu respect de l'État de droit et de la démocratie, son histoire mythique du courage de l'armée israélienne et de la naissance miraculeuse de la nation juive seront réduits en cendres. Le capital social d'Israël sera alors épuisé. Il sera révélé comme un régime d'apartheid laid, répressif et rempli de haine, ce qui aliénera les jeunes générations de Juifs américains. Son protecteur, les États-Unis, au fur et à mesure que de nouvelles générations arriveront au pouvoir, prendra ses distances avec Israël comme il prend actuellement ses distances avec l'Ukraine.

Il y a fort à parier que le sang et les souffrances des Palestiniens – dix fois plus d'enfants ont été tués à Gaza qu'en deux ans de guerre en Ukraine – ouvriront la voie à un risque de disparition d'Israël. Les dizaines, voire les centaines de milliers de fantômes voudront avoir leur revanche. Israël deviendra le symbole de ses victimes tout comme c'est le cas pour les Turcs et les Arméniens, les Allemands et les Namibiens, puis plus tard les Juifs, les Serbes et les Bosniaques. La vie culturelle, artistique, journalistique et intellectuelle d'Israël sera réduite à néant.

Israël pourrait donc devenir une nation figée au sein de laquelle les fanatiques religieux et les extrémistes juifs qui ont pris le pouvoir domineraient le discours public. Il trouverait alors ses alliés parmi d'autres régimes despotes. La répugnante suprématie raciale et religieuse d'Israël sera son trait distinctif, voilà qui explique pourquoi les suprématistes blancs les plus rétrogrades des États-Unis et d'Europe, y compris des philo-sémites tels que John Hagee, Paul Gosar et Marjorie Taylor Greene, soutiennent Israël avec tant de conviction.

Les despotismes peuvent continuer d'exister longtemps après leur date de péremption. Mais la grave erreur stratégique (et criminelle) d'Israël pourrait bien faire entrer le pays dans sa phase terminale. Nul besoin d'être un érudit de la Bible pour savoir que la soif de sang d'Israël est contraire aux valeurs fondamentales du judaïsme. L'instrumentalisation cynique de l'Holocauste, y compris en faisant passer les Palestiniens pour des nazis, n'a que peu d'efficacité quand on se livre à un génocide en direct contre 2,3 millions de personnes piégées dans une prison à ciel ouvert telle que Gaza.

Pour survivre, les nations ont besoin non seulement de la force, mais aussi d'une mystique. C'est celle-ci qui donne un but, une dignité et même une noblesse qui incitent les citoyens à se sacrifier pour la nation. La mystique offre un espoir pour l'avenir. Elle donne un sens. Elle est source d'identité nationale. Lorsque les mystiques implosent, lorsqu'elles se révèlent être des mensonges, un fondement essentiel du pouvoir de l'État s'effondre.

J'ai analysé autrefois la mort des mystiques communistes en 1989 lors des révolutions en Allemagne de l'Est, en Tchécoslovaquie et en Roumanie. La police et l'armée ont décidé qu'il n'y avait plus rien à défendre. La décadence d'Israël pourraient bien engendrer la même lassitude et la même apathie. Le pays ne sera pas en mesure de recruter des collaborateurs indigènes, tels que Mahmoud Abbas et l'Autorité palestinienne – honnie par la plupart des Palestiniens – pour exécuter les ordres des colonisateurs. L'historien Ronald Robinson considère que l'incapacité de l'Empire britannique à recruter des alliés indigènes constitue le moment où la collaboration s'est transformée en non-coopération, ce qui a été déterminant pour le début de la décolonisation. Une fois que la non-coopération des élites autochtones se transforme en opposition active, explique Robinson, la « retraite éclair » de l'Empire est assurée.

Tout ce qu'il reste à Israël, c'est l'escalade de la violence qui va jusqu'à la torture, ce qui ne fait qu'accélérer son déclin. Cette violence à grande échelle fonctionne bien à court terme, comme ce fut le cas lors de la guerre menée par les Français en Algérie, ou encore lors de la sale guerre menée par la dictature militaire argentine et aussi durant le conflit britannique en Irlande du Nord. Mais à long terme, elle est suicidaire. « On pourrait dire que la bataille d'Alger a été gagnée grâce à la torture, a observé l'historien britannique Alistair Horne, mais que la guerre, la guerre d'Algérie, a été perdue. »

Le génocide à Gaza a fait des combattants du Hamas des héros dans le monde musulman et dans le Sud global. Certes, Israël pourrait anéantir les dirigeants du Hamas, mais les assassinats passés – et actuels – d'une multitude de dirigeants palestiniens n'ont guère contribué à émousser la résistance. Le siège de Gaza et le génocide en cours ont engendré une nouvelle génération de jeunes hommes et femmes profondément traumatisés et enragés, dont les familles ont été tuées et les communautés anéanties. Ils sont prêts à prendre la place des dirigeants martyrs. Par sa tragique erreur stratégique, Israël a fait grimper les actions de son ennemi dans la stratosphère...

Mais Israël était déjà en guerre interne avant le 7 octobre. Les Israéliens manifestaient pour empêcher le Premier ministre Benjamin Netanyahu de mettre fin à l'indépendance de la Justice. Ses fanatiques religieux, actuellement au pouvoir, avaient pour objectif d'attaquer systématiquement la société laïque israélienne. Depuis les attentats, l'unité d'Israël est précaire. C'est une unité par défaut. Elle se maintient grâce à la haine. Et même cette haine ne suffit pas à empêcher les manifestants de dénoncer le fait que le gouvernement a abandonné les otages à leur sort à Gaza.

La haine est une ressource politique dangereuse. Une fois qu'ils en ont fini avec un ennemi, ceux qui attisent la haine en cherchent un autre. Les « animaux humains » palestiniens, une fois éradiqués ou soumis, seront ensuite remplacés par d'autres ennemis. Le groupe qui a été diabolisé ne peut jamais être récupéré ou régénéré. Une politique de la haine crée une instabilité permanente qui est exploitée par ceux qui cherchent à détruire la société civile.

Israël s'est déjà bien engagé dans cette voie depuis le 7 octobre dernier en promulguant une série de lois discriminatoires à l'encontre des non-Juifs, lois qui ressemblent aux lois racistes de Nuremberg qui privaient les Juifs de leurs droits dans l'Allemagne nazie. La loi d'acceptation des communautés permet aux colonies exclusivement juives d'exclure les candidats qui souhaitent s'installer en raison d'un manque de « compatibilité avec les principes fondamentaux de la communauté ».

Un grand nombre des jeunes Israéliens les mieux formés ont quitté le pays pour s'installer dans des pays comme le Canada, l'Australie et le Royaume-Uni, et jusqu'à un million d'entre eux sont partis aux États-Unis. Même l'Allemagne a connu un afflux d'environ 20 000 Israéliens au cours des deux premières décennies de ce siècle. Environ 470 000 Israéliens ont quitté le pays depuis le 7 octobre. En Israël, les défenseurs des droits humains, les intellectuels et les journalistes – israéliens et palestiniens – sont traités de traîtres dans le cadre de campagnes de diffamation orchestrées par le gouvernement, placés sous la surveillance de l'État et soumis à des arrestations arbitraires. Le système éducatif israélien est une véritable machine à endoctriner pour le compte de l'armée.

L'universitaire israélien Yeshayahu Leibowitz a mis en garde sur le fait que si Israël ne séparait pas l'Église et l'État et qu'elle ne mettait pas fin à son occupation des Palestiniens, il donnerait naissance à un rabbinat corrompu qui transformerait le judaïsme en un culte fasciste. Dans une telle situation, « Israël ne mériterait pas d'exister et il serait sans intérêt de vouloir son maintien ».

Après deux décennies de guerres désastreuses au Moyen-Orient et l'assaut du Capitole le 6 janvier, la mystique mondiale des États-Unis est aussi contaminée que celle de son allié israélien. L'administration Biden, dans sa détermination à soutenir inconditionnellement Israël et à satisfaire le puissant lobby israélien, est parvenue à court-circuiter le processus d'examen par le Congrès, en faisant appel au Département d'État pour approuver le transfert vers Israël de 14 000 unités de munitions pour chars. Le secrétaire d'État Antony Blinken a fait valoir : « Il existe une situation d'urgence qui exige la vente immédiate. » En même temps, il a cyniquement invité Israël à faire le moins de victimes possible parmi les civils...

Israël n'a pas la moindre intention de limiter le nombre de victimes civiles. Ils ont déjà tué plus de 20 000 Palestiniens, soit près de 1 % de la population de Gaza, ce qui équivaut à environ 3 millions d'Américains. 51 000 autres personnes ont été blessées et un grand nombre d'entre eux succomberont de leurs blessures. La moitié de la population de Gaza est affamée, selon les Nations unies. Toutes les institutions et tous les services palestiniens essentiels à la vie – hôpitaux (seuls 11 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnent encore « partiellement »), stations d'épuration, réseaux électriques, réseaux d'égouts, logements, écoles, bâtiments gouvernementaux, centres culturels, systèmes de télécommunications, mosquées, églises, points de distribution de nourriture de l'ONU –ont été détruits.

Israël a assassiné pas moins de 80 journalistes palestiniens ainsi que des dizaines de membres de leur famille et plus de 130 travailleurs humanitaires de l'ONU ainsi que des membres de leur famille. Les victimes civiles sont au cœur du problème. Cette guerre n'est pas une guerre contre le Hamas. C'est une guerre contre les Palestiniens. L'objectif est de tuer ou d'expulser 2,3 millions de Palestiniens de Gaza.

L'assassinat de trois otages israéliens qui avaient apparemment échappé à leurs ravisseurs et s'étaient dirigés vers les forces israéliennes, torse nu, en brandissant un drapeau blanc et en appelant à l'aide en hébreu, n'est pas seulement tragique, mais donne un aperçu des règles de combat d'Israël dans la bande de Gaza. Elles consistent à tuer tout ce qui bouge... Comme l'a écrit dans Yedioth Ahronoth le général de division israélien à la retraite Giora Eiland, qui a dirigé le Conseil national de sécurité israélien :

« L'État d'Israël n'a pas d'autre choix que de transformer Gaza en un endroit où il sera temporairement ou définitivement impossible de vivre. Créer une grave crise humanitaire à Gaza est le moyen nécessaire pour atteindre l'objectif. Gaza deviendra un endroit où aucun être humain ne peut survivre. »

Le général de division Ghassan Alian a quant à lui déclaré : « À Gaza, il n'y aura ni électricité ni eau, il n'y aura que destruction. Vous vouliez l'enfer, vous l'aurez ».

Les États coloniaux qui perdurent, dont les États-Unis, exterminent par les maladies et la violence la quasi-totalité des populations indigènes. Les fléaux de l'Ancien Monde apportés par les colonisateurs aux Amériques, comme la variole, ont tué environ 56 millions d'Indigènes en une centaine d'années en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Amérique du Nord. En 1600, il restait moins d'un dixième de la population d'origine. Israël ne peut pas tuer à cette échelle, avec près de 5,5 millions de Palestiniens vivant sous occupation et 9 millions d'autres appartenant à la diaspora.

La présidence Biden, qui, ironiquement, a peut-être signé son propre acte de décès politique, est liée au génocide israélien. Elle tentera de prendre ses distances sur le plan rhétorique, mais en même temps, elle acheminera les milliards de dollars d'armes demandés par Israël – y compris 14,3 milliards de dollars d'aide militaire supplémentaire pour compléter les 3,8 milliards de dollars d'aide annuelle – afin de « terminer le travail ». Elle est un partenaire à part entière du projet de génocide mené par Israël.

Israël est un État paria. Cela s'est manifesté publiquement le 12 décembre lorsque 153 États membres de l'Assemblée générale des Nations unies ont voté en faveur d'un cessez-le-feu. Seuls 10 États – dont les États-Unis et Israël – s'y sont opposés et 23 se sont abstenus. La campagne de terre brûlée menée par Israël à Gaza signifie que les dirigeants israéliens (ceux d'aujourd'hui et de demain) n'accepteront jamais la paix. Il n'y aura pas de solution à deux États. L'apartheid et le génocide seront la définition même d'Israël. Cela laisse présager un long, très long conflit, que l'État juif ne pourra probablement pas gagner en fin de compte.

Texte traduit et reproduit avec l'autorisation de Chris Hedges.
Source : Scheerpost — 17/12/2023

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